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REVUE DE LITTÉRATURE

Dans le document Je ne suis pas féministe mais (Page 17-38)

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I - L’antiféminisme comme critique du féminisme : origine des mouvements

Dans cette première partie, nous tâcherons de définir le féminisme et l’antiféminisme de leurs origines à aujourd’hui. Nous montrerons ainsi comment ces deux mouvements sont dépendants et la manière dont l’antiféminisme suit les courbes d’avancées du féminisme et intervient comme un contre-courant.

Afin de correctement cerner notre sujet, il nous semble important de définir les notions de féminisme et d’antiféminisme. Aujourd’hui, le féminisme est un mouvement qui lutte pour l’égalité entre les hommes et les femmes. Le mot “féminisme” naît en France au 19ème siècle et est d’abord employé dans le discours politique (Offen 1987). Il est défini dans la langue française par Le Petit Robert pour la première fois en 1837 comme “une doctrine qui préconise l’extension des droits, du rôle de la femme dans la société”4 (Michel 2007). L’invention du mot est attribuée à Charles Fourier, un penseur socialiste du 19ème siècle mais ses origines sont plus anciennes (Bard 2012). En effet, le terme “féminisme” vient de la médecine et était utilisé pour désigner une pathologie de “féminisation des sujets masculins” (Bard 2012) qui

“dévirilisait les hommes” (Bard et Chaperon 2017). Il a été repris, en gardant sa connotation négative, par Alexandre Dumas dans son pamphlet antiféministe L’Homme-Femme. D’une pathologie médicale, le féminisme est devenu une “pathologie politique” pour ses opposants (Bard 2012 ; Bard et Chaperon 2017), qui serait responsable de la virilisation des femmes, de la féminisation des hommes et de l’inversion des genres. L’origine du mot féminisme est donc d’abord péjorative. Le mot n’est adopté par les femmes qu’en 1882 lorsque Hubertine Auclert, figure de proue de la lutte pour le droit de vote des femmes en France, l’emploie pour s’auto-définir dans une lettre adressée au préfet de la Seine. Il faudra néanmoins attendre encore neuf ans pour que le mot soit plus largement utilisé dans la presse (Offen 1987).

4Féminisme. Dans Le Petit Robert, Dictionnaires Le Robert, Paris, 1978, p. 768.

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La définition du féminisme a donc évolué au cours du temps. Cependant, il est important de souligner la multiplicité des féminismes. En effet, le féminisme est un mouvement complexe dont il est préférable de parler au pluriel (Bard 2012 ; Bard et Chaperon 2017). Il existe plusieurs formes de féminisme. Ils peuvent d'abord être de tendances différentes ; certains féminismes luttent pour des changements progressifs tandis que d'autres sont plus radicaux. Ils peuvent aussi être multiples au niveau des causes défendues (le droit de vote, la contraception, la parité, etc.). Enfin, ces différents féminismes sont souvent répartis en deux orientations philosophiques principales : "universaliste et différentialiste” (Bard 2012). L'universalisme tente d'ignorer les différences entre les hommes et les femmes mais on lui reproche de vouloir abolir la différence entre les sexes. Le différentialisme quant à lui, valorise les différences mais il est attaqué car il proclamerait une supériorité de la féminité (Bard 2012).

D’une manière générale, ces féminismes luttent aujourd’hui contre le sexisme, qui est une “attitude de discrimination fondée sur le sexe”5. Le sexisme est créé et perpétué par le système patriarcal sur lequel repose notre société (Michel 2007). Ce système “utilise soit ouvertement soit de façon subtile tous les mécanismes institutionnels et idéologiques à sa portée (le droit, la politique, l’économie, la morale, la science, la médecine, la mode, la culture, l’éducation, les mass media, etc.) pour reproduire cette domination des hommes sur les femmes” (Michel 2007).

Comme pour chaque mouvement de libération, une dynamique contre-révolutionnaire est apparue. Force est de constater qu’en réponse aux féminismes, des réponses antiféministes plus intenses encore ont vu le jour. L'antiféminisme, défini comme le refus commun à l'émancipation des femmes (Bard 2018), est directement apparu en réaction au mouvement féministe (Devreux et Lamoureux 2012), avec des premiers écrits apparus avant le 19ème siècle. Ce contre-mouvement (Blais 2012) se caractérise comme “tout geste (action ou discours) individuel ou collectif qui a pour effet de ralentir, d’arrêter ou de faire reculer le féminisme” (Dupuis-Déri

5 Sexisme. Dans Le Nouveau Petit Robert, Dictionnaires Le Robert, Paris, 2004, p. 2420.

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2013). Les partisans de l’antiféminisme, se désignant comme des masculinistes, souhaiteraient revaloriser la place des hommes dans la société, malmenée par les mouvements féministes (Dupuis-Déri et Lamoureux 2015). Les masculinistes revendiqueraient une égalité de droits entre les hommes et femmes, qui serait menacée par le féminisme car celui-ci aurait octroyé trop de privilèges aux femmes (Bard, Blais et Dupuis-Déri 2019). En effet, l'antiféminisme véhicule l'idée selon laquelle les inégalités de genre sont révolues. Ainsi, tous les nouveaux droits qui sont octroyés aux femmes sont en fait des privilèges qui pénalisent les hommes (Devreux et Lamoureux 2012). Pour l'antiféminisme, le féminisme est un mouvement qui a déjà atteint ses objectifs.

La courbe des manifestations de l’antiféminisme a ainsi suivi celle des avancées de la lutte des femmes (Descarries 2006). L'antiféminisme a donc accompagné toute l'histoire du féminisme : “aux moments forts d’un féminisme conquérant répondent des bouffées d’antiféminisme crispé”6. L'antiféminisme ordinaire est l’un des piliers du sexisme et représente

“les discours et les pratiques qui, s’opposent, implicitement ou explicitement, aux projets portés par le féminisme et font obstacle aux avancées des femmes dans les différents domaines de la vie sociale” (Descarries 2006).

Ce type d’antiféminisme s'exprime sous de multiples formes, explicites, implicites, organisées, aléatoires, partagées par une majorité ou une minorité. Francine Descarries (2006) identifie quatre formes officieuses d'expression de l'antiféminisme ordinaire : "la distorsion et la désinformation, les simplifications abusives et la victimisation”. La distorsion et la désinformation rejettent toute idée d'inégalité entre les sexes et se traduisent souvent par du

"négativisme” et/ou de la "mauvaise foi”. Un discours déformé serait, par exemple, d'affirmer que l'égalité est déjà atteinte ou bien que le féminisme est avant tout un mouvement anti-hommes. Cette expression de l'antiféminisme relève d'une technique de défense des hommes, qui craignent pour leur propre masculinité face aux revendications féministes, et des femmes qui plébiscitent la normalité de leur identité féminine. Les simplifications abusives, quant à elles, caricaturent le mouvement et en particulier les féministes, souvent qualifiées de

6 Perrot, M., (1999). Préface. Dans C. Bard (dir.), éd. Un siècle d’antiféminisme. Paris : Fayard.

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"féminazies”. Ce stratagème dérisoire sclérose complètement le dialogue et empêche le débat.

Enfin, la victimisation régulière des hommes est une autre expression de l’antiféminisme ordinaire. Les hommes seraient les victimes de leur position dominante.

Volontairement ou non, l’antiféminisme ordinaire produit des clichés afin de décrédibiliser la cause de son adversaire idéologique.

II - Les clichés antiféministes : d’où viennent-ils et comment ont-ils été alimentés ?

Ici, nous développerons les principaux clichés véhiculés sur les féministes, leurs origines, et leurs différentes natures, des injonctions de la féminité à l’essentialisation des femmes. Nous chercherons également à comprendre qui est concrètement visé par ces clichés et quel public les intègre et les entretient.

Le mot “cliché” apparaît au 19ème siècle avec le développement de l’imprimerie et des techniques de reproduction et désignait la copie exacte d’un document. Son sens s’est légèrement modifié pour désigner aujourd’hui “une idée ou une expression toute faite trop souvent utilisée”7. Il est souvent confondu avec son synonyme “préjugé” qui signifie une

“croyance, opinion préconçue souvent imposée par le milieu, l’époque, l’éducation ; parti pris, idée toute faite”8. Une idée devient alors un cliché lorsqu’elle est banalisée. Cependant, cette banalisation n’est pas anodine. En effet, si l’on revient au féminisme, les idées reçues sur les féministes sont nombreuses, largement répandues et ont un effet négatif dans la lutte pour plus d’égalité entre les sexes car elles desservent la cause féministe (Bard 2012).

7 Cliché. Dans Le Nouveau Petit Robert, Dictionnaires Le Robert, Paris, 2004, p. 454.

8 Préjugé. Dans Le Nouveau Petit Robert, Dictionnaires Le Robert, Paris, 2004, p. 2049.

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L'assujettissement des femmes via ces clichés remonterait en effet à plusieurs siècles. La conception inégalitaire des rapports de sexe existe depuis la création de l'univers. Dans la Bible, c’est Ève, et non Adam, qui a transgressé l’interdit. Ce récit mythique pose la femme comme unique responsable du péché et installe ainsi une première division inégalitaire des sexes (Descarries 2006). Paul, dans son épitre à Timothée (chapitre 2, versets 8-15)9 affirmait alors :

"Que la femme apprenne dans le silence, en toute soumission : mais je ne permets pas à la femme d’enseigner ni d’user d’autorité sur l’homme : elle doit demeurer dans le silence ; car Adam a été formé le premier, et puis Ève”. Ce mythe de la faute originelle a posé le cadre du sexisme, en présentant le sexe comme un "donné biologique qui dichotomise le genre humain en deux catégories bien distinctes” et socialement inégales10. Par peur de voir disparaître des espaces, positions et privilèges traditionnellement réservés aux hommes, les théologiens, penseurs, hommes politiques, éducateurs et médecins du passé ont alors transformé ce mythe en savoir. Il a ainsi pu être utilisé pour légitimer la division et la hiérarchisation entre les sexes (Descarries 2006).

Cette division inégalitaire des sexes a perduré au cours du temps et a trouvé différents échos suivant les époques. L’idée de la sorcière en a été la représentation la plus marquée et la plus virulente en France et en Europe. Dans son essai Sorcières, la puissance invaincue des femmes (2018), Mona Chollet retrace ainsi l’histoire des chasses aux sorcières sordides perpétuées dès les années 1400 en Europe. Le bilan s’avère très meurtrier pour les femmes puisqu’elles représentent 85% des victimes. Toute femme qui exerçait une activité différente de la masse féminine, comme celle de guérisseuse, ou qui présentait un comportement

“inadapté”, comme une force de caractère dérangeante ou une liberté sexuelle un peu trop assumée, se voyait diabolisée et encourrait le risque d’être prise en chasse. Dans cette même lignée, les sorcières étaient directement corrélées aux événements dramatiques de l’histoire et

9 (1872). Le Nouveau Testament. Traduit du grec par John Nelson Darby. Paris : Books on Demand.

10 Hurtig, M. C., Kail, M. et Rouch, H., (2002). Sexe et genre. De la hiérarchie entre les sexes. Paris : CNRS éditions.

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considérées comme responsables. Les femmes accusées subissaient les pires supplices et étaient soumises à de nombreuses expérimentations : bûcher, tortures, viols, noyades, etc. Mona Chollet souligne ainsi au travers des mots de Silvia Federici11 : "ces années de terreur et de propagande semèrent les graines d’une aliénation psychologique profonde des hommes envers les femmes”.

En effet, ces idéologies qui alimentaient les chasses aux sorcières il y a plusieurs siècles déjà, sont aujourd’hui encore largement répandues, via les différents stéréotypes auxquelles les femmes font face. Un exemple révélateur est celui de la prostitution, profession depuis toujours mise à mal et en proie à de nombreux débats. En effet, pour Virginie Despentes (2006), ancienne prostituée et écrivaine féministe engagée, une femme qui ne cherche pas à répondre aux attentes physiques et morales des hommes et qui est maître de sa sexualité sera d’office relayée du côté des femmes hors normes. Elle dénonce le caractère “dégradant” associé à la “sexualité des femmes hors amour” (Despentes 2006). Les femmes âgées et les femmes ne désirant pas avoir d’enfants, autrefois souvent dénoncées en tant que sorcières, sont également aujourd’hui toujours stigmatisées (Chollet 2018). Les femmes âgées étaient une cible courante des chasses aux sorcières car elles avaient “acquis de l’expérience et pris une assurance intolérable”

(Chollet 2018). Aujourd’hui, contrairement à celui des hommes, le vieillissement des femmes est accompagné d’un certain dégoût, identique à celui d'antan. Comme le soulignait l’actrice Carrie Fisher en 2015, “les hommes ne vieillissent pas mieux que les femmes, ils ont seulement l’autorisation de vieillir”. Elle intervenait en réponse aux spectateurs du nouvel épisode de Star Wars, scandalisés face à son personnage qui avait pris de l’âge.

Il est intéressant de remarquer que les clichés sur les féministes sont directement issus des archétypes féminins construits par la société patriarcale. L’antiféminisme ordinaire s’appuie en effet sur une “représentation essentialisée des femmes” (Descarries 2006). L’essentialisation

11 Toupin, L., (2014). Silvia Federici, Caliban et la sorcière. Femmes, corps et accumulation primitive. Marseille/Genève-Paris : Éditions Senonevero/Éditions Entremonde fr

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est “l’acte de réduire un individu à une seule de ses dimensions”12. On pose donc une étiquette qui ramène l’individu à un trait naturel, ici celui d’être une femme. Ce trait établit ensuite une hiérarchie entre les différentes catégories, ici les sexes : l’homme serait alors supérieur à la femme. Alicia Seneviratne et Laura Gamboni (1997) ont défini quatre dénominations pour illustrer les archétypes qui appartiennent à l’inconscient collectif de cette tradition patriarcale.

La première image, et la plus persistante, entretenue notamment par les religions monothéistes, est celle de la “femme diabolique”, symbole du péché de la chair coupable et de la mort (Descarries 2006). On lui reproche sa transgressivité et elle représente une menace pour les structures patriarcales, en particulier “lorsqu’elle revendique son indépendance, et cherche, à travers ses compétences, ses savoirs et sa prétendue puissance destructrice, à se dérober au rôle qui lui est assigné par les normes et lois patriarcales” (Descarries 2006). Une deuxième représentation sociale de la femme est celle de la femme “rivale” (Seneviratne et Gamboni 1997), qui menace l’exclusivité des hommes à occuper des territoires, qui encourage la mixité sociale et la mutation des rôles relationnels. Les femmes qui militent pour l’égalité des sexes seraient alors fréquemment qualifiées de "terroristes familiales”, de "féminazies” ou encore de

"féministes intégristes”, c’est-à-dire de "croyantes qui refuseraient toute évolution”

(Seneviratne et Gamboni 1997).

Les féministes entretiennent donc les images de la femme “diabolique” et “rivale”, archétypes qui nourrissent l’argumentaire antiféministe. À l’inverse, elles bousculent les deux autres dénominations traditionnellement attribuées aux femmes dans notre société. La troisième dénomination correspond à la “faible femme” (Seneviratne et Gamboni 1997), inférieure physiquement et intellectuellement par nature13, qui doit vivre en marge de la vie sociale et politique. Enfin, la “femme parure” (Seneviratne et Gamboni 1997), objet de convoitise réduite à sa dimension esthétique, n’est qu’un objet de consommation soumise au regard et à l’approbation de l’autre (Descarries 2006). Les actions des féministes et la place grandissante qu’elles prennent dans la vie politique fragilisent les mythes d’une femme faible, docile et

12 Le Journal de la Philo [online]., (2019). France Culture. 17 septembre. [Consulté le 1 mars].

Disponible sur : franceculture.fr

13 Aristote, (IVème siècle avant J.-C). Politique.

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servile. Les antiféministes, dérangés par cette menace, intensifient et alimentent l’image des féministes diaboliques et rivales. Ces clichés, d’abord dirigés sur les femmes, se révèlent être fondateurs des clichés sur les féministes. Ils s’attaquent avant tout à leur physique, à leur attitude et à leur statut social.

Les clichés sur les féministes sont souvent formulés sous la forme d’insultes et attaquent généralement le corps des militantes (Groult 1975). Comme disait Pierre-Joseph Proudhon14 en 1875, “Une femme qui exerce son intelligence devient laide, folle et guenon”. L’un des premiers clichés sur les féministes est qu’elles ne sont pas belles. Pour Mona Chollet (2016), la féministe américaine serait ainsi considérée comme “un char d’assaut monté sur des baskets – pointure 44 – qui exhibe ses poils aux jambes, passe son temps à se couvrir la tête de cendres en dévidant d’une voix caverneuse sa litanie "victimaire” et vous intente un procès pour viol dès que vous la regardez dans les yeux sans son consentement explicite”. La féministe est ainsi vue comme “une silhouette masculinisée” et c’est ce manque de féminité qui la rend laide (Bard 2012). On lui reproche également sa maigreur, qui serait le résultat d’un rejet des hommes, d’un célibat prolongé et d’un refus de son rôle maternel. Les clichés sur les féministes ne s’arrêtent pas là. D’autres croyances largement diffusées les verraient comme des femmes "mal baisées”,

"bourgeoises”, "gauchistes”, "anti-hommes”, "ringardes”, "excessives”, "hystériques” et

“lesbiennes” (Bard 2012). Utiliser ces idées reçues est un moyen facile de décrédibiliser le mouvement et de mettre les militantes de côté en leur rappelant qu’elles ne correspondent pas aux normes esthétiques (Bard 2020). Leur façon d’être est également associée à un comportement masculin. Les féministes essaieraient d’imiter les hommes et de défendre leur supériorité féminine (Bard 2012). Finalement, tous ces clichés se résument en un seul : les féministes n’aiment pas les hommes (Bard 2020).

Bien que ces clichés soient souvent partagés par des personnes extérieures au mouvement, ils touchent également les jeunes militantes. Certaines féministes des nouvelles générations ont elles-mêmes une vision négative du mouvement. Inna Chevchenko, la leader

14 Proudhon, P. J., (2012). La Pornocratie ou les Femmes des Temps modernes (éd. 1875). Paris : Hachette.

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du mouvement Femen en France voit le féminisme classique comme "une vieille femme malade qui ne marche plus” (Chollet 2013). Selon elle, le mouvement est devenu trop intellectuel, il est trop loin de la réalité et manque d'actions concrètes. Pour Claude Guillon, Inna Chevchenko véhicule finalement le cliché antiféministe qui décrit les féministes comme des "vieilles femmes coupées du monde”15.

Pour comprendre pourquoi le féminisme évoque une telle image, il est important de considérer l'histoire du mouvement. Dans les années 1980, les idées féministes gagnent du terrain dans la société. Mais ce progrès s'accompagne également d'une montée de la défiance envers les féministes (Henneron 2005). Liliane Kandel propose une première piste d’analyse.

En effet, elle explique que ces années correspondent à "l'arrivée de l'idéologie néolibérale” qui prônait une forme de “rejet du militantisme”16. Le féminisme des années 1970 est un mouvement qui fait peur selon la nouvelle génération de jeunes femmes car il véhiculerait l'idée que les femmes voudraient s’imposer comme des êtres supérieurs aux hommes. Il en aurait trop demandé en menant une "guerre des sexes” (Henneron 2005).

Le grand public a une image négative des féministes car il les juge trop agressives et radicales (Guionnet 2017). Certaines organisations comme les Femen sont en partie responsables du maintien d’une telle vision dans les esprits. Les Femen se réclament du féminisme mais de nombreux Français estiment que leurs actions discréditent le mouvement.

Leur intervention à Notre-Dame de Paris en 2013 pour dénoncer la position de l'Église contre le mariage homosexuel avait d'ailleurs été très mal perçue à cause de l’orchestration de la nudité

15 Chollet, M., (2013). Femen partout, féminisme nulle part. Le Monde Diplomatique [en ligne].

[Consulté le 16 janvier 2021]. Disponible à : https://www.monde-diplomatique.fr/carnet/2013-03-12-Femen

16 Henneron, L., (2005). Être jeune féministe aujourd'hui : les rapports de génération dans le

mouvement féministe contemporain. L'Homme et la Société [en ligne]. 4 (158), 93-111. [Consulté le 25 janvier 2021]. Disponible à : https://doi.org/10.3917/lhs.158.0093

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dans un lieu sacré17. Ces militantes entretiennent l’image d’un féminisme extrême et participent aussi à véhiculer certains clichés. Elles diffusent par exemple l’idée reçue selon laquelle le féminisme est en opposition avec les droits des hommes. Cette position est pleinement assumée par le groupe et Chevchenko explique qu'elle veut une société "où les femmes ont plus de pouvoirs que les hommes” (Chollet 2013). Les Femen jouent aussi avec le cliché de la femme castratrice. En couverture de Charlie Hebdo en mars 2013, on retrouvait par exemple un dessin des militantes qui brandissaient une paire de testicules (voir annexe 2). Le journal reprend le cliché des féministes "hystériques” et "coupeuses de couilles” (Chollet 2013). Mona Chollet (2013) parle ici d'un "pseudo-féminisme” car elle dénonce le manque de discours derrière ces actions. Comme l'explique Claude Guillon18, ce n'est pas parce que les femmes se dénudent qu'on les écoute. Elles sont d'abord regardées. Or, en jouant avec leur sensualité, les Femen s'inscrivent finalement dans un système patriarcal justement dénoncé par le féminisme. Les femmes sont réduites à leur corps et on en oublie leurs compétences intellectuelles (Chollet 2013). Pour Mona Chollet (2013), ces actions représentent finalement un “féminisme qui s’incline devant la domination masculine”.

Les clichés sur les femmes se reproduisent dans le temps et sont de fait toujours d’actualité. Toutefois le mouvement féministe et les moyens de diffusion de ces clichés se modernisent.

17 Étude Harris Interactive pour VSD, (2013). Le regard des Français sur l’action des Femen à Notre-Dame de Paris [en ligne]. [Consulté le 16 janvier 2021]. Disponible à :

https://harris-interactive.fr/opinion_polls/le-regard-des-francais-sur-laction-des-femen-a-notre-dame-de-paris/

https://harris-interactive.fr/opinion_polls/le-regard-des-francais-sur-laction-des-femen-a-notre-dame-de-paris/

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