• Aucun résultat trouvé

Le revers de l’ancienneté des facultés de droit : un enseignement vieillissant en mal de réforme

Section première : Le public à la recherche d’une faculté de droit incarnant un génie juridique national

B. Le revers de l’ancienneté des facultés de droit : un enseignement vieillissant en mal de réforme

Depuis leur rétablissement en 1808, les facultés de droit obéissent au modèle de l’ « École » ; elles figurent aux côté de celles de médecine au rang des facultés dites « professionnelles ». Contrairement à leurs consœurs de lettre et de sciences, dites « académiques », qui tendent principalement à la formation des professeurs du secondaire et également à la reproduction de leur corps professoral, elles ont pour tâche de conférer des titres utiles en dehors de l’Université, notamment pour l’accès aux carrières 243 Cette difficulté est palpable auprès des facultés de droit de province, notamment dans le champ scientifique. Cf. Frédéric Audren, « Qu’est-ce qu’une faculté de droit de province au XIXe siècle ? »,

Études d’histoire du droit et des idées politiques, n°13, art. cit.

244 Frédéric Audren et Jean-Louis Halpérin, La Culture juridique française. Entre mythes et réalités, XIXe -XXe siècles, op. cit. et loc. cit., pp. 112-113.

juridiques et médicales245. Les grades des facultés professionnelles, et particulièrement ceux de la faculté de droit, les plus honorés246, attestent également d’un certain capital social ; les titulaires peuvent en jouir en dehors de toute carrière juridique247. Enfin tout comme dans les facultés académiques, les grades conférés peuvent également donner accès à leurs récipiendaires à la carrière universitaire, pour laquelle le doctorat est rendu nécessaire248. Les facultés juridiques combinent ainsi deux types de formations : la première est un héritage de l’Ancien Régime249 alors que la seconde, de type professionnel, est une acquisition de la Révolution250 et surtout de l’époque napoléonienne251, avec un apport ultérieur progressif pour ce qui est spécialement de la formation des universitaires. D’un côté, la faculté de droit incarne donc une formation traditionnelle, qui n’est pas sans rappeler le cursus honorum, et de l’autre, elle pourvoit à la formation de professionnels du droit. On constate d’ailleurs depuis le Consulat une poussée de cette dernière face à la première. Le mouvement d’expulsion de la culture 245 Sur le clivage établi entre « facultés professionnelles » et « facultés académiques » jusqu’en 1877, cf. Jacques Verger, Histoire des Universités en France, Bibliothèque historique Privat, 1986, pp. 301-322.

246 Les études de droit se placent au-dessus de celles de médecine, la filière médicale étant accessible aux élèves jugés moins brillants qui ont obtenu le baccalauréat de Lettres modernes ou celui de Sciences.

247 Le diplôme juridique valide ce capital bien plus qu’il ne le confère puisque celui-ci ne constitue pas un ascenseur social au XIXe siècle. Frédéric Audren, Jean-Louis Halpérin, La culture juridique française.

Entre mythes et réalités XIXe-XXe siècles, pp. 77-78.

248 Cette certification est statutairement requise et sa densité scientifique est peu à peu améliorée. La nécessité de jouir du titre de docteur s’inscrit donc également dans un mouvement qui tend à instituer la science comme préoccupation majeure de l’Université en dépit de la simple certification professionnelle à laquelle l’Université napoléonienne les destinait. Cf. Victor Karady, « Les professeurs de la République. Le marché scolaire, les réformes universitaires et les transformations de la fonction professorale au 19e siècle », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 47, n°1 (1983), pp. 107-112.

249 Dominique Julia, Jacques Revel, « Les étudiants et leurs études dans la France moderne » in Dominique Julia et Jacques Revel (dir.), Histoire sociale des populations étudiantes, Éditions de l’École des hautes études en sciences sociales, t.2, 1989, pp. 107-108.

250 Sur ce point, cf. Jean Imbert, « L’enseignement du droit dans les Écoles centrales sous la Révolution »,

art. cit., et sur le bilan de ces institutions, cf. Jean-Louis Halpérin, « Une enquête du ministère de

l’Intérieur sur les cours de législation dans les Écoles centrales », Annales d’histoire des facultés de

droit et de la science juridique, n°3 (1986), pp. 57-82.

251 Sur les raisons de la réorganisation napoléonienne des études de droit et leur morphologie, se reporter à Jacques Verger, Histoire des Universités en France, op. cit., pp. 265-267.

notabiliaire est enfin exacerbé dans le dernier quart du XIXe siècle avec la montée de l’expertise dans les professions juridiques252 ainsi que la diffusion des idées méritocratiques portées par les républicains. La faculté de droit se trouve dès lors confrontée à la nécessité, plus forte que jamais, de professionnaliser davantage ses étudiants. Cette attente se retrouve dans la presse, où les projets et réformes sont exposés, parfois discutés, mais les quotidiens assènent prioritairement l’image d’études juridiques déconnectées des réalités, que des réformes mal positionnées ou trop peu ambitieuses ne semblent pas en mesure d’endiguer.

Les études de droit ont l’image d’un rite, un air d’immuable, apparaissant totalement incompatible avec le siècle, changeant et trépidant. Les journaux n’accusent pas directement la faculté de droit d’immobilisme, mais les rares occasions auxquelles ils s’intéressent à l’institution, aussi artificielles soient-elles, contribuent à en donner l’image. Force est tout d’abord de constater que les journalistes se rendent peu sur le terrain, et en parlent généralement en très lointains spectateurs. Ils écrivent au contraire sur des propos rapportés, et se laissent volontiers porter par leurs propres souvenirs d’un séjour passé dans les amphithéâtres de facultés de droit. L’élément le plus naturellement visible de l’enseignement, c’est-à-dire le cours magistral, ne lui est donc pas directement visible et n’attire son attention que lorsqu’il se double d’éléments sortant de l’ordinaire. La forme de l’enseignement juridique fait pourtant l’objet d’une importante mutation autour des années 1880, puisque la leçon, qui offrait un cadre très rigide à l’enseignement, est peu à peu supplantée par le cours magistral, toujours unilatéral, mais au contenu plus personnel. Celui-ci n’est pas exempt de vices, qui sont d’ailleurs mis en cause par les enseignants eux-mêmes, qui s’intéressent également à la « conférence » 252 Cf. notamment pour ce qui est des notaires, l’article faisant suite au travail de thèse de Jean-Pierre Barrière, « Notables ou professionnels ? 700 notaire de Haute Garonne au XIXe siècle », Le Gnomon.

Revue internationale du notariat, n° 93 (1994), pp. 36-44. Cette recherche de l’expertise se généralise

d’ailleurs au fil du XIXe dans toute la fonction publique, pour laquelle l’exigence des concours se fait sans cesse croissante. Cf.Jean Le Bihan, Au service de l’État. Les fonctionnaires intermédiaires au

allemande, d’un contenu plus libre, et auréolée de la victoire prussienne en 1870253. Le faible emploi des termes divers désignant cette forme de cours254 montre bien que ce débat ne parvient pas jusqu’à la presse quotidienne255. Certes, un quotidien peut, de manière très rare, soulever l’inadaptation d’un tel mode d’enseignement en faculté de médecine pour des raisons pratiques évidentes256, mais en ce qui concerne celle de droit, la discussion demeure circonscrite aux revues spécialisées. L’enseignement juridique est toutefois vu comme exagérément dogmatique, « sous l’invocation de saint Justinien, saint Digeste, saint Code ou saint Bufnoir »257. Cela tient davantage d’un poncif découlant de décennies d’enseignement exégétique258 plutôt que de l’observation attentive par les journalistes des méthodes usitées. La perturbation reste l’unique point d’ancrage de la presse dans cette forme d’enseignement. Le Gaulois consacre ainsi en 1878, pas moins de dix articles aux chahuts qui surviennent dans le cours de doctorat dispensé par Alphonse Chambellan sur le droit coutumier259. Ces manifestations peuvent bien sûr avoir une 253 Sur ce point, cf. Annie Bruter, « Le cours magistral comme objet d’histoire », Histoire de l’éducation, n°120 (2008), pp. 5-32 ; Jacques-Henri Robert, « Le cours magistral », Annales d’histoire des facultés

de droit et de la science juridique, n°2, op. cit., pp. 135-142.

254 Selon Jacques-Henri Robert (ibid., p. 136), ce pluralisme de dénominations semble avoir été « enseignement magistral à caractère analytique » (J. Brissaud, « L’enseignement pratique du droit »,

Revue internationale de l’enseignement, t. 42, 1901, p. 418), « leçon magistrale » (E. Thaler,

« L’enseignement du droit », Revue internationale de l’enseignement, t. 56, p. 308) et enfin « cours magistral » (E. Gaudemet, « La réforme des études dans les facultés de droit. Rapport de la Faculté de droit de Strasbourg », Revue internationale de l’enseignement, t. 75, 1908, p. 308).

255 On ne relève dans le Temps, journal s’adressant pourtant à un public cultivé (donc potentiellement familier, au moins en partie, des questions d’enseignement), que trois occurrences pour le terme « cours magistral » entre 1870 et 1918. Sans surprise, un journal populaire comme le Petit Parisien n’en compte aucune.

256 Dr. Horace Blanchon, « Causerie médicale », Le Temps, 1891/04/11 (n°10920), p. 2.

257 Henri Charlet, « Au jour le jour : réouverture de l’Ecole de droit », Le Journal des Débats politiques et

littéraires, 1876/11/06 (n°2214), p. 1.

258 Sur le rôle prépondérant de cette méthode sur les trois premiers quarts du XIXe siècle, cf. Philippe Rémy, « Le rôle de l’Exégèse dans l’enseignement du droit au XIXe siècle », op. cit. et loc. cit.

259 Le cours de droit coutumier étant dispensé dans le cadre du doctorat, il est suivi par un petit nombre d’étudiants. Ces troubles ne comportent donc en aucune manière le caractère spectaculaire d’une agitation d’amphithéâtre dans un cours de première ou de deuxième année de licence. Les troubles se limitent d’ailleurs à « des cris, des chansons, des trépignements » qui empêchent l’enseignant de dispenser son cours, et le journal ne tente d’en expliquer la cause qu’à deux reprises. Le nombre d’articles qu’il y consacre est néanmoins élevé. Cf. « Encore les étudiants », Le Gaulois, 1878/02/07

origine politique, mais c’est très souvent l’ennui sans borne des étudiants qui les conduit à conspuer leur professeur. Alphonse Chambellan qui, à l’âge de 71 ans, ne peut plus leur dispenser « qu’un cours difficilement intelligible »260 en fait cruellement les frais. Il en est de même du professeur adjoint Étienne Bartin, coupable d’enseigner un droit romain « particulièrement ennuyeux, très difficile » et professé « de manière abstraite »261 en première année de licence. Ces cours houleux réveillent souvent la nostalgie chez le journaliste qui les relate. Léon Chapron, également avocat au barreau de Paris262, qui souffrait déjà étudiant des logorrhées de Chambellan, éprouve ainsi une certaine jouissance à relater les mésaventures de son ancien maître263. Ce goût pour le désordre réside en la transgression de l’autorité de la parole professorale264. La théâtralité maîtrisée du cours magistral, qui place un enseignant devant un parterre d’étudiants studieux, est ainsi bouleversée car l’étudiant, spectateur, prend le pas sur l’acteur, son professeur.

Les matières qui symbolisent le mieux cette faculté de droit vieillissante, sont résolument celles qui touchent à l’histoire ; les cas des professeurs Chambellan et Bartin en sont des illustrations, professant tous deux des matières historiques. Celles-ci subissent en effet l’influence d’un scientisme mâtiné de précision et d’exhaustivité dont l’utilité ne peut être qu’incomprise par des étudiants souhaitant user de leurs diplômes en dehors de la recherche universitaire. Le Temps taxe cet enseignement d’ « archaïque » pour la place prépondérante qu’il accorde à l’érudition pure au « détriment de la science moderne et

(n°3395), p. 3 ; Le Gaulois, 1878/02/09 (n°3397), p. 3 ; Le Gaulois, 1878/02/11 (n°3399), p. 1 ; Le

Gaulois, 1878/02/16 (n°3404), p. 3 ; Le Gaulois, 1878/02/17 (n°3405), p. 1 ; Léon Chapron,

« Chronique parisienne », Le Gaulois, 1878/02/18 (n°3406), p. 1 ; Le Gaulois, 1878/02/23 (n°3411), p. 3 ; Le Gaulois, 1878/02/26 (n°3414), p. 1 ; Le Gaulois, 1878/02/28 (n°3416), p. 3 ; Le Gaulois, 1878/04/04 (n°3451), p. 3.

260 Léon Chapron, « Chronique parisienne », op. cit. et loc. cit.

261 Raymond Cahu, « Carnet d’un étudiant », Gil Blas, 1906/12/13 (n°9916), p. 1.

262 Émile Zola, Correspondance, Tome IV, « Juin 1880-décembre 1883 », Colette Becker, Dorothy E. Speirs, John Walker (éd.), 1983, p. 207.

263 Léon Chapron, « Chronique parisienne », Le Gaulois, 1878/03/01 (n°3417), p. 1.

264 Sur l’autorité pédagogique du professeur, consulter l’ouvrage de Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron, La reproduction : éléments pour une théorie du système d’enseignement, Les éditions de minuit, 1970, pp. 134-142.

pratique »265. Et de souligner qu’en 1872, pour l’obtention d’une licence, l’étudiant doit se soumettre à un certain nombre d’épreuves, tant écrites qu’orales, dont la distribution est la suivante : six de droit romain, neuf de Code civil, et seulement une pour les droits pénal, administratif, commercial ou la procédure civile266. Le docteur en droit, quant à lui, n’aura pas subi moins de quinze épreuves portant sur le droit romain et « les vieilles coutumes du droit français »267 à l’issue de son cursus. Autant de matières dont on se demande ce que fera le diplômé une fois devenu magistrat268. Les vices qui affectent la discipline historique, se révèlent donc particulièrement exploitables par le journaliste, qui s’appuie sur eux pour caractériser une obsolescence généralisée de l’enseignement juridique.

Ce constat n’a cependant pas pour but premier de porter l’idée d’une réforme nécessaire. Jeter l’opprobre sur la formation juridique et sur son produit, le juriste, c’est valoriser pour le non-juriste son extériorité du groupe social, pourtant dominant, des juristes. Cette valorisation du profane s’avère d’autant plus nécessaire que l’influence des juristes est ressentie comme de plus en plus importante, voire pesante269. La non-appartenance au groupe n’est dès lors plus synonyme d’une infériorité sociale. C’est au contraire une force : celle de ne pas être soumis à la dégénérescence intellectuelle270. Le comportement social des juristes est décrit par la presse comme clanique, avec des référents culturels ainsi que des rites partagés de manière exclusive par le groupe, et que la faculté de droit a pour mission de lui inculquer. Elle a donc la tâche de transmettre, ou en tout cas de conforter chez les étudiants – et ils sont nombreux – qui ont été élevés dans 265 Le Temps, 1872/02/20 (n°3967), p. 1.

266 Ibid.

267 Ibid.

268 Le Temps, 1871/11/09 (n°3865), p. 1.

269 Sur l’influence de cette catégorie dans le domaine politique, cf. Yves Gaudemet, Les juristes et la vie

politique sous la IIIe République, Presses universitaires de France, 1970.

270 Ce thème constitue l’axe principal de l’ouvrage de Max Nordau, Dégénérescence, traduit de l’allemand par Auguste Dietrich, Alcan, 1894, 2 tomes. Sur sa récurrence dans l’histoire de l’anti-intellectualisme, cf. Daniel Lindenberg, « Figures et rhétoriques de l’anti-intellectualisme », Mil neuf cent, revue

ce groupe, des habitus particuliers. Même si elle peut être empreinte d’une certaine fascination, cette métaphore médiatique est généralement pour le moins critique, et participe le plus souvent de la volonté de discrédit dont nous avons parlé. C’est ainsi que les études juridiques présentent souvent les traits d’invocations quasi-religieuses. Elles disposent même de leur totem271, à travers les codifications justiniennes. Si chères aux études de droit romain, ces dernières exhalent cette odeur de moisi qui semble régner dans les cours de droit. L’œuvre de l’empereur romain apparaît dans le discours journalistique sous un vocable varié : « Code justinien », « Institutes » ou « Pandectes » (celui de « Corpus juris civilis » demeure très rare). Le premier, le moins fréquent, est surtout utilisé par déférence à l’égard du vénérable ancêtre du Code civil national272. Le second est plus fréquent et semble le plus mélioratif273. Il est surtout employé dans un contexte scientifique, à propos de l’ouvrage d’un romaniste par exemple. Le terme de « Pandectes » apparaît en revanche volontiers péjoratif, évoquant une somme de données inutiles devant être apprises dans le menu détail274. L’appellation latine du Corpus juris

civilis enfin, d’une sonorité plus abrupte encore, caractérise sans doute le plus

parfaitement l’ennui suscité par l’étude du droit. La presse se peuple par conséquent d’étudiants qui pâlissent275 face « aux bagatelles et aux sornette du code justinien »276, baillent au cours de pandectes, face au « grave jurisconsulte vêtu de pourpre, coiffé d’hermine, (qui) peut bien recommencer trois fois de suite l’éloge de Justinien »277 ou 271 Sur la notion de totem, à travers l’exemple d’une société primitive, cf. Émile Durkheim, Les formes

élémentaires de la vie religieuse : le système totémique en Australie, Presses Universitaires de France,

1994.

272 Le Temps n’en compte que 3 occurrences de 1870 à 1918.

273 Le nombre de fois où le terme est cité dans le Temps s’élève péniblement à 20 entre le début de la Troisième République et la fin de la Grande Guerre.

274 L’expression remporte le plus large succès parmi les qualificatifs du Code justinen avec 72 emplois dans le Temps depuis la chute de l’Empire jusqu’à la fin de la Première Guerre mondiale. Le ton n’est pas toujours péjoratif. La dénomination peut en effet être employée, à l’instar de la précédente, à propos d’un travail scientifique ou de l’attribution d’une « chaire de pandectes », ce qui correspond à une appellation officielle. Il fait le reste du temps allusion à l’extrême aridité de l’objet d’étude, voire même à sa stérilité.

275 « Gazette du Palais », Le XIXe siècle, 1872/01/27 (n°72), p. 3.

276 « Les nouveaux ouvrages sur l’Allemagne », Le XIXe siècle, 1874/02/17 (n°824), p. 3.

encore s’en délivrent, à l’image d’Albert Sorel, qui pour « étendre son horizon au-delà des Pandectes et du Code civil […] alla à la Sorbonne, au Collège de France et s’arrêta à l’École des chartes »278. L’omniprésence exagérée d’un droit romain profondément stérile dans les programmes juridiques fait des études de droit un folklore, clef d’une communauté disposant d’un important ascendant social. L’étudiant se rendrait en faculté avant tout pour accomplir le rite de passage marquant son entrée dans cette catégorie.

Le discrédit jeté par le journaliste sur la formation juridique ne peut néanmoins se départir d’une certaine hypocrisie. Même si l’expression de ce désaveu se dégage du discours d’ensemble tenu par les divers organes de presse, on constate que ceux réputés « bourgeois »279, et de surcroît modérés, font figure de plus grands détracteurs. Les feuilles se réclamant quant à elles du républicanisme de gauche ou de la droite antirépublicaine, bien que reprenant le thème, critiquent plutôt les facultés de droit sur le terrain politique, pour leur conservatisme excessif. Or les commentateurs d’une faculté de droit croulant sous la tradition n’en sont pas aussi étrangers qu’on le pourrait croire280. 278 « Académie des sciences morales et politiques », Le Temps, 1904/03/13 (n°15610), p. 1.

279 La définition du lectorat de la presse, tout autant que de sa diffusion, demeurent des entreprises difficiles jusqu’à la création de l’Office de justification du tirage (OJT) en 1922, qui tient un compte régulier des tirages. Cf. à ce propos Françoise Dupont, « Les lecteurs de la presse : une audience difficile à mesurer, Le Temps des médias, 2004 (n°3), pp. 142-150. Pour les XIXe et début du XXe

siècles, on s’en remet essentiellement au prix du numéro, de cinq centimes pour les feuilles populaires ainsi qu’à son format, plus réduit pour ces dernières. Pour un aperçu plus détaillé de la répartition sociale des journaux, cf. Claude Bellanger, Jacques Godechot, Pierre Cural, Fernand Terrou (dir.),

Histoire générale de la presse française, t. 3, op. cit., 1972, pp. 174-176.

280 La formation du journaliste ne connaît pas de contenu déterminé sous la Troisième République. Quelques écoles dédiées à sa formation sont certes fondées à partir de 1899, mais il n’en sort qu’une très faible part des publicistes. Cf. Michel Mathien, Les journalistes : histoire, pratiques et enjeux, Ellipses, 2007, pp. 149-151. Avec la libéralisation de la presse dans les années 1880, le profil du journaliste perd d’ailleurs le semblant d’homogénéité qu’il avait acquis. Sa formation n’est plus essentiellement littéraire, et il considère de moins en moins l’emploi qu’il occupe comme son métier ; écrire dans la presse devenant un gagne-pain passager, voire un tremplin vers d’autres carrières, notamment politiques. Cf. Thomas Ferenczi, L’invention du journalisme en France. Naissance de la

presse moderne à la fin du XIXe siècle, Éditions Payot & Rivages, 1996, pp. 243-261. La formation

juridique, dans sa dimension littéraire mais aussi politique et technique est donc propice à la pratique du journalisme. Enfin les publicistes traitant de la faculté de droit n’hésitent pas à comparer dans leurs articles les phénomènes qu’ils décrivent avec ce qu’ils ont connu lors de leur passage sur les bancs des

Nombre d’entre eux ont effectué un passage sur les bancs des amphithéâtres et c’est d’ailleurs pour cela qu’ils en parlent si bien sans ne jamais y mettre les pieds. Souvent titulaires de grades juridiques, ils sont parfois même inscrits au barreau. Devant souvent leurs carrières à de tels sésames, leurs propos aiguisés ne sont plus dès lors qu’un