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Les restrictions au principe de libre appréciation des preuves

Conclusion du Titre 1

Section 2. Les restrictions au principe de libre appréciation des preuves

213. Afin d’éviter l’arbitraire des juges, la liberté d’appréciation des preuves n’est pas totale. De manière générale, le droit à un procès équitable modère cette liberté à travers ses nombreuses composantes. Dans un premier temps, les parties jouent un rôle primordial sur le déroulement du procès. En conséquence, elles guident, a minima, les juges dans leur appréciation des preuves (§1). Dans un second temps, plusieurs règles restreignent directement les juges dans leur fonction. Ces nécessaires limitations administrent les délibérations des juges en vue de déterminer la culpabilité ou l’innocence de l’accusé (§2).

§ 1. L’influence substantielle des parties sur la liberté d’appréciation des juges

214. Avant et pendant le procès, des obligations et des droits incombent aux parties. Ces obligations ne concernant pas toutes l’appréciation de la preuve, ni même la preuve, telle que l’obligation de respecter un certain nombre de pages lorsqu’elles déposent une requête. Seules deux obligations apparaissent particulièrement importantes en ce qui concerne le système de preuve libre et l’appréciation des preuves. En premier lieu, le Procureur doit enquêter à charge et à décharge. Cela signifie qu’il doit collecter les preuves contre l’accusé, mais également celles qui seraient potentiellement en faveur de son innocence. Cette obligation l’oblige ainsi à mener ses enquêtes de manière diligente et à apprécier en amont l’ensemble des preuves en vue du procès (A). Dans la même optique, le principe du contradictoire permet de s’assurer que les différentes parties au procès agissent de bonne foi lorsqu’elles produisent des preuves devant les juges. Toutefois, l’application de ce principe rencontre certaines difficultés (B).

L’obligation du Procureur d’enquêter à charge et à décharge A.

215. L’article 54 du Statut dispose des devoirs et pouvoirs du Procureur en matière d’enquête. Le premier paragraphe prévoit que « pour établir la vérité, [le Procureur] étend l’enquête à tous les faits et éléments de preuve qui peuvent être utiles pour déterminer s’il y a responsabilité pénale au regard du présent Statut et, ce faisant, enquête tant à charge qu’à décharge ». Cet article met en exergue que l’établissement de la vérité est l’un des devoirs du Procureur. L’article 49 du Code de conduite du Bureau du procureur rappelle ce devoir en précisant que les enquêtes doivent être menées dans l’intérêt de la justice. Il ajoute que toutes les recherches nécessaires et raisonnables doivent être effectuées et que leurs résultats doivent être communiqués dans le respect du procès équitable. Cette obligation met l’accent sur la

recherche de la vérité devant la Cour. Cela témoigne à nouveau de l’influence importante de la Civil Law pendant la rédaction du Statut. En effet, la recherche de la vérité est l’objectif principal de la Civil Law, alors qu’en Common Law, l’objectif poursuivi est essentiellement la recherche de la justice des crimes commis, c’est-à-dire la conviction775. Cela signifie donc que le Bureau du Procureur va devoir apprécier l’ensemble des preuves recueillies afin de déterminer si les différents standards de preuve, en fonction des phases processuelles, peuvent être, selon son opinion, atteints776. Par exemple, il doit s’assurer que, conformément à l’article 58-1-a, les éléments de preuves recueillis sont suffisants pour constituer une base raisonnable pour que la Chambre préliminaire émette un mandat d’arrêt à l’encontre de la personne poursuivie.

216. Ce devoir d’appréciation des preuves pendant l’enquête est particulièrement important. En premier lieu, il permet de s’assurer que le Procureur a recueilli suffisamment de preuves pour pouvoir confirmer les charges et intenter un procès contre l’accusé777. En deuxième lieu, compte tenu du nombre élevé d’éléments de preuves collectés, le Procureur doit opérer un tri pour déterminer celles qui sont réellement pertinentes pour le procès. Cela évite ainsi une perte de temps à la Défense et aux juges lors de la phase d’admissibilité des preuves. En effet, l’article 69-4 dispose que les juges peuvent statuer sur l’admissibilité des preuves en se fondant sur leur pertinence et leur force probante. Dès lors, les membres du Procureur doivent conduire un travail préliminaire sur la pertinence de ces preuves avant d’entrer dans la phase préliminaire du procès. En troisième lieu, ce travail doit être effectué de manière régulière et circulaire. En effet, des erreurs peuvent être commises et certaines preuves risquent de manquer de pertinence, alors qu’en réalité, elles aident à corroborer d’autres preuves et éléments factuels778. Par ailleurs, il semble nécessaire que cette évaluation soit réalisée avant la phase de confirmation des charges. Afin de permettre un procès célère et équitable, le Procureur doit être capable de présenter une version sérieuse et fiable des faits poursuivis779.

775 BERGSMO M., KRUGER P., BEKOU O., « Article 54. Duties and powers of the Prosecutor with respect to investigations », in TRIFFTERER O., AMBOS K., The Rome Statute of the International Criminal Court. A Commentary, Munich, Verlag C. H. BECK, Hart, Nomos, 2016, p. 1383.

776 Ibid., p. 1384.

777 Chambre d’appel, Affaire Le Procureur c. Thomas Lubanga Dyilo, Arrêt relatif à l’appel interjeté par le Procureur contre la Décision relative aux conséquences de la non-communication de pièces à décharge couvertes par les accords prévus à l’article 54-3-e du Statut, à la demande de suspension des poursuites engagées contre l’accusé et à certaines autres questions soulevées lors de la conférence de mise en état du 10 juin 2008, rendue par la Chambre de première instance I, 21 octobre 2008, ICC-01/04-01/06-1486-tFRA, par. 41.

778 BERGSMO M., KRUGER P., BEKOU O., op. cit., p. 1484.

779 Chambre de première instance V, Affaire Le Procureur c. Uhuru Muigai Kenyatta, Decision on Defence Application Pursuant to Article 64(4) and related Requests, 26 avril 2013, ICC-01/09-02/11-728, par. 119.

Toutefois, la Chambre d’appel a considéré qu’il était envisageable pour le Procureur de poursuivre l’enquête après la confirmation des charges, en particulier dans des situations où le conflit est encore en cours780 et où de nouveaux éléments des preuves, à charge ou à décharge, pourraient être collectés781. Bien que le raisonnement de la Chambre d’appel soit pertinent782, le Procureur doit s’assurer que son enquête soit aboutie avant la phase de confirmation des charges 783. Ainsi, l’enquête continuerait essentiellement pour récolter des preuves additionnelles et corroboratives. En effet, le Procureur ne doit pas comprendre cette décision comme un « permis d’enquêter à n’importe quel moment »784, car cela peut conduire à une appréciation limitée de l’ensemble des preuves au risque d’entraîner des poursuites non nécessaires ou un acquittement à cause de preuves insuffisantes. D’ailleurs, dans l’affaire Kenyatta785, la Chambre de première instance envisage que, dans le cas où une partie importante des éléments de preuve aurait été acquise après la confirmation des charges, ceux-ci peuvent être exclus du fait d’une atteinte aux droits de la Défense786. Dès lors, le Procureur doit s’assurer, avant d’entrer dans la phase de confirmation des charges, qu’il possède suffisamment d’éléments de preuve pour que les juges soient en mesure de déterminer de la culpabilité de l’accusé. Ce devoir constitue donc un élément essentiel du travail du Bureau du Procureur, étant donné que ce dernier doit obligatoirement et régulièrement apprécier l’ensemble des preuves pendant l’enquête. Lorsqu’il est correctement rempli, ce devoir facilite le travail des juges puisqu’il est préétabli par le Procureur dans ses allégations, requêtes et conclusions. Mais force est de constater que ce n’est pas toujours le cas.

780 Il est envisageable que le Bureau du Procureur entre en contact avec des témoins après la confirmation des charges, ceux-ci pouvant être de première importance pour le procès. Par exemple, dans l’affaire Lubanga, il était tout à fait pertinent de considérer que des personnes, ayant été recrutées comme enfant-soldat par l’accusé, soient entrées en relation avec le Bureau du Procureur après la confirmation des charges, du fait d’un déplacement géographique, mais également d’un problème physique ou psychologique, ou d’un manque d’informations les ayant empêché de se déclarer plus tôt comme victime ou témoin.

781 Chambre d’appel, Affaire Le Procureur c. Thomas Lubanga Dyilo, Arrêt relatif à l’appel interjeté par le Procureur contre la décision de la Chambre préliminaire I intitulée « Décision fixant les principes généraux applicables aux demandes de restriction à l’obligation de communication introduites en vertu des règles 81-2 et 81-4 du Règlement de procédure et de preuve », 13 octobre 2006, ICC-01/04-01/06-568-tFRA, par. 49-57.

782 WHITING A., « Dynamic investigative pratice at the International Criminal Court », Law & Contemp. Probs., Vol. 76, no 3-4, 2013, p. 165-173.

783 Ibid., par. 44 ; Chambre d’appel, Affaire Le Procureur c. Callixte Mbarushimana, Arrêt relatif à l’appel interjeté par le Procureur contre la Décision relative à la confirmation des charges rendue par la Chambre préliminaire I le 16 décembre 2011, 30 mai 2012, ICC-01/04-01/10-514-tFRA, par. 44.

784 Chambre préliminaire II, Affaire Le Procureur c. Francis Kirimi Muthaura, Uhuru Muigai Kenyatta et Mohammed Hussein Ali, Décision relative à la confirmation des charges rendue en application des alinéas a) et b) de l’article 61-7 du Statut de Rome, Opinion dissidente du Juge Hans-Peter Kaul, 23 janvier 2012, ICC-01/09-02/11-382-Red-tFRA, par. 56, p. 197.

785 KHAN K. A., SHAH A. A., « Defensive Practices : Representing Clients before the International Criminal Court », Law & Contemp. Probs., Vol. 76, no 3-4, 2013, p. 220-223.

217. L’article 54-1-a précise également que le Procureur doit enquêter à charge et à décharge. Obligation absente du cadre juridique des Tribunaux787, elle implique deux devoirs au Bureau du Procureur. En premier lieu, ce dernier tient un rôle objectif lors des enquêtes. En effet, il ne peut pas enquêter uniquement aux fins d’établir une conviction. Il doit collecter toutes les preuves afin de rechercher la vérité. Cela lui permettra de s’assurer que la (ou les) personne(s) suspectée(s) a (ont) effectivement commis les crimes poursuivis. Cette obligation devrait consolider un meilleur respect de la présomption d’innocence, et du principe de l’égalité des armes788. Toutefois, certains membres du Bureau du Procureur ont déclaré au cours d’interviews que les éléments à décharge ne faisaient pas l’objet d’une investigation approfondie789, au risque que l’enquête définitive soit insuffisante. Le Procureur doit donc s’abstenir de mener des enquêtes superficielles, engendrant une perte de temps et d’argent pendant le procès, ainsi qu’un délaissement des attentes des victimes. En second lieu, le Procureur ne peut pas être uniquement envisagé comme une partie. Il constitue un organe indépendant, à vocation judiciaire, ayant pour but la manifestation de la vérité dans la recherche de la culpabilité des personnes poursuivies790. Par conséquent, il doit veiller à enquêter et collecter les preuves de manière objective et impartiale791. Cette objectivité peut être considérée comme un argument pour qu’une Chambre préliminaire autorise des mesures d’enquêtes demandées par le Procureur792. Ce constat signifie que la même équipe doit évaluer les éléments à charge et à décharge afin d’identifier si les charges envisagées contre l’accusé sont opportunes793, cet examen devant être régulier et critique794. Dès lors, « this

787 Il convient toutefois de noter que la pratique judiciaire a obligé le Procureur à divulguer à la défense les éléments à décharge pouvant constituer la preuve de l’innocence de l’accusé ou atténuer la responsabilité encourue. Voir par exemple, TPIY, Affaire Le Procureur c. Kupreskic et al., Decision on communication between the parties and their witnesses, 21 septembre 1998, IT-95-16-T, p. 3 ; LA ROSA A.-M., Juridictions pénales internationales. La procédure et la preuve, Paris, PUF, 2003, p. 128.

788 BUISMAN C., « The Prosecutor’s Obligation to Investigate Incriminating and Exonerating Circumstances Equally : Illusion or Reality ? », LJIL, Vol. 27, no 1, 2014, p. 207-209 : NICOLAS-GRECIANO M., op. cit., p. 328-331 et 458.

789 JACKSON J. D., BRUNGER Y. M., op. cit., p. 181. Les auteurs citent deux interviewés dont l’un déclare expressément : « So they’re making no efforts, really, to comply with the exculpatory duty ».

790 KRESS C., « The Procedural Law of the International Criminal Law in Outline », op. cit., p. 608 ; MIRAGLIA M., « First Decisions of the ICC Pre-Trial Chamber. International Criminal Procedure under Construction », JICJ, Vol. 4, no 1, 2006, p. 194.

791 JACKSON J. D., op. cit., 2009, p. 34.

792 Chambre préliminaire II, Affaire Le Procureur c. Paul Gicheru et Philip Kipkoech Bett, Décision relative à la requête déposée par l’Accusation en vertu de l’article 58-1 du Statut de Rome, 10 mars 2015, ICC-01/09-01/15-1-Red-tFRA, par. 31.

793 DE MEESTER K., « Article 54. Duties and powers of the Prosecutor with respect to investigation », in KLAMBERG M. (dir.), Commentary on the Law of the International Criminal Court, Brussels, Torkel Opshal Academic EPublisher, 2017, p. 401.

794 Chambre de première instance II, Affaire Le Procureur c. Germain Katanga et Mathieu Ngudjolo Chui, Transcription, 25 novembre 2009, ICC-01/04-01/07-T-81-Red-FRA, p. 19 l. 13 à p. 23 l. 12 et p. 39 l. 16 à p. 44 l. 22. La Chambre a entendu la déposition d’un témoin, travaillant au Bureau du Procureur, afin de déterminer la

suggests that, once the Prosecutor determines to proceed to a prosecution, this will be a clear indication that the case has substance »795. En effet, il est nécessaire que les membres du Bureau du Procureur apprécient les preuves selon l’angle des différents standards de preuve applicables devant la Cour. Par exemple, si les éléments de preuve ne sont analysés que par rapport au standard applicable pour la confirmation des charges, ceux-ci n’assurent pas une conviction au-delà de tout doute raisonnable. Un tel raisonnement entraînerait donc des difficultés importantes pour l’Accusation lors du Procès et pourrait conduire soit à l’arrêt du procès, soit à l’acquittement de l’accusé796. Cela s’est d’ailleurs vu dans les affaires Lubanga, Kenyatta, Ruto & Sang, et Gbagbo & Blé Goudé797.

218. Le respect de ces obligations s’est avéré difficile pour le Bureau du Procureur. Dans l’affaire Mbarushimana, la Chambre préliminaire désapprouve la conduite de certains enquêteurs lors d’interviews avec des témoins. La Chambre considère que celles-ci n’ont pas été menées de manière objective, mais qu’au contraire, les enquêteurs paraissaient n’enquêter qu’à charge798. La Chambre précise que la valeur probante des éléments de preuves obtenus s’en trouve amoindrie. Cette conclusion de la Chambre prouve l’importante de cette obligation du Procureur d’enquêter à charge et à décharge et de l’incidence que sa violation peut avoir sur l’appréciation des preuves par le juge. Les Chambres préliminaires le confirment en jugeant que, lors de la phase de confirmation des charges, elles n’ont pas à se prononcer sur un éventuel manquement du Procureur à son obligation en vertu de l’article 54-1-a799. Toutefois, la Défense peut soulever un argument similaire pour montrer le caractère insuffisant des éléments de preuve produits par le Procureur pour confirmer les charges. Une telle objection peut donc « influer sur l’appréciation par la Chambre des éléments de preuve à

politique du Bureau sur différents points, dont la collecte et l’analyse d’éléments de preuve à décharge. Ce témoin précise à plusieurs reprises que l’analyse des éléments probatoires est constante et itérative.

795 Morten BERGSMO, Pieter KRUGER, Olympia BEKOU, op. cit., p. 1485.

796 Chambre préliminaire II, Affaire Le Procureur c. Francis Kirimi Muthaura, Uhuru Muigai Kenyatta et Mohammed Hussein Ali, Décision relative à la confirmation des charges rendue en application des alinéas a) et b) de l’article 61-7 du Statut de Rome, Opinion dissidente du Juge Hans-Peter Kaul, 23 janvier 2012, ICC-01/09-02/11-382-Red-tFRA, par. 52, p. 194-195.

797 Des problèmes d’impartialité lors des enquêtes ont été soulevés dans l’affaire Lubanga, ayant conduit à une suspension du procès. Les affaires Kenyatta et Ruto & Sang ont posé des questionnements d’atteintes à l’administration de la justice par les accusés, mais également parce que le Bureau du Procureur a été dans l’incapacité de conserver correctement les preuves, et de garder contact avec les témoins. Finalement, l’affaire Gbagbo et Blé Goudé a conduit à leur acquittement par la Chambre d’instance du fait de preuves insuffisantes pour prouver la culpabilité des accusés.

798 Chambre préliminaire I, Affaire Le Procureur c. Callixte Mbarushimana, Décision relative à la confirmation des charges, 16 décembre 2011, ICC-01/04-01/10-465-Red-tFRA, par. 51.

799 Chambre préliminaire II, Affaire Le Procureur c. Francis Kirimi Muthaura, Uhuru Muigai Kenyatta et Mohammed Hussein Ali, Décision relative à la confirmation des charges rendue en application des alinéas a) et b) de l’article 61-7 du Statut de Rome, 23 janvier 2012, ICC-01/09-02/11-382-Red-tFRA, par. 61-65.

charge et lui permettre de déterminer si, dans l’ensemble, le critère fondé sur les “motifs raisonnables” est rempli »800. C’est dans cette optique que la Chambre de première instance, dans l’affaire Ngudjolo, a regretté que le Procureur n’ait pas enquêté plus scrupuleusement en visitant certains sites, en rencontrant certaines personnes ou en établissant l’influence des féticheurs801. Or, ces différents points ont entraîné l’acquittement de l’accusé. Dans l’affaire Gbagbo, la Chambre préliminaire a ajourné l’audience de confirmation des charges en exigeant du Procureur que de plus amples mesures d’investigation soient effectuées802, telles que des vérifications balistiques803. La Chambre préliminaire précise ainsi que les preuves produites jusqu’à présent par le Procureur ne lui permettent pas de déterminer si les allégations étayées par celles-ci sont suffisantes au regard de la norme d’appréciation applicable804. C’est pourquoi la Chambre de première instance I a ensuite acquitté les accusés du fait d’un manque de preuve. Dans l’affaire Lubanga, la Chambre de première instance a rejeté le témoignage de 9 prétendus enfants-soldats du fait que le Bureau du Procureur n’avait pas suffisamment enquêté sur leurs allégations805. Dans la plupart des affaires devant la Cour, la Défense a soulevé de nombreuses objections quant à la méthode d’enquête du Bureau du Procureur et à la superficialité des théories factuelles alléguées806.

219. Ces différents exemples montrent que le Bureau du Procureur ne respecte pas son obligation d’enquêter à charge et à décharge. Il a pu être avancé que les investigations initialement menées par le premier procureur de la Cour, Moreno Ocampo, ont conduit à ces difficultés probatoires devant les Chambres. Toutefois, il semble que l’actuelle Procureure, Fatou Bensouda, n’ait pas réussi à résoudre tous les problèmes. Certes, le Procureur rencontre de nombreuses contraintes807, comme le manque de coopération autorités nationales et locales, le délai entre la commission des faits et l’enquête, ou encore la difficulté d’identifier les victimes et les témoins potentiels. Cependant, afin d’assurer une justice équitable et

800 Chambre préliminaire I, Affaire Le Procureur c. Bahar Idriss Abu Garda, Décision relative à la confirmation des Charges, 8 février 2010, ICC-02/05-02/09-243-Red-tFRA, par. 48.

801 Chambre de première instance II, Affaire Le Procureur c. Matthieu Ngudjolo Chui, Jugement rendu en application de l’article 74 du Statut, 18 décembre 2012, ICC-01/04-02/12-3, par. 117-119 et 122-123.

802 Chambre préliminaire I, Affaire le Procureur c. Laurent Gbagbo, Décision portant ajournement de l’audience de confirmation des charges conformément à l’article 61-7-c du Statut, 3 juin 2013, ICC-02/11-01/11-432-tFRA, par. 44.

803 BUISMAN C., op. cit., p. 213-214.

804 Chambre préliminaire I, Affaire le Procureur c. Laurent Gbagbo, Décision portant ajournement de l’audience de confirmation des charges conformément à l’article 61-7-c du Statut, 3 juin 2013, ICC-02/11-01/11-432-tFRA, par. 36.

805 ICC-01/04-01/06-2842-tFRA, par. 90-220.

806 BUISMAN C., op. cit., p. 211-215.

807 WHITING A., op. cit., p. 175 ; HARMON M. B., GAYNOR F., « Prosecuting Massive Crimes with Primitive Tools : Three Difficulties Encountered by Prosecutors in International Criminal Proceedings », JICJ, Vol. 2, no 2, 2004, p. 405-406.

d’établir la vérité, il est primordial que le Procureur se considère comme un véritable représentant de la communauté internationale au lieu d’une simple partie au procès808. La dérive survenue devant les TPI809 quant à l’absence de communication des éléments à décharge à la Défense doit ainsi être évitée810. Il faut qu’il modifie ses méthodes d’enquête en appréciant soigneusement l’ensemble des éléments de preuve collectés et en continuant d’enquêter à charge et à décharge en fonction des informations étayées par ces preuves. Par conséquent, les membres du Bureau du Procureur ne doivent pas enquêter uniquement en vue d’une accusation, mais pour rechercher la vérité. Comme cela a été précédemment démontré, la procédure participative peut constituer un moyen pour les parties et les juges d’améliorer les méthodes d’enquête du procureur et de recueillir d’autres preuves811. Ainsi, alors que le Procureur semble le plus apte à entrer en relation avec les autorités et les ONG locales, la Défense serait l’organe compétent pour recueillir des preuves auprès des proches de l’accusé812. Cela suppose l’octroi d’un budget conséquent aux équipes de Défense, ce qui n’est pas le cas actuellement. De plus, il est nécessaire que le Procureur et les Chambres