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Responsabilités des politiques et des chercheurs

Dans le document Le monde peut-il nourrir tout le monde? (Page 88-94)

Mohamed AG. BENDECH

Nutritionniste

La nutrition est au carrefour d’un certain nombre de disciplines. Elle a aussi plusieurs dimensions qui doivent être prises en compte pour assurer sa contribution effective au développement national. Chacun de nous ici se sent responsable de renseigner le Politique. Or les politiques de nutrition sont envisagées à plusieurs niveaux, notamment international, régional et national, et ces différents niveaux de formulation et de mise en œuvre de politiques sont interdépendants. Il me semble donc qu’ils ne peuvent pas être dotés d’autonomie totale si l’on veut progresser vers la complé- mentarité et la synergie de leurs résultats.

Quel que soit le niveau considéré, trois constats peuvent être dégagés. Premièrement, l’importance de la nutrition (fréquence, causes, conséquences et stratégies d’intervention) est de plus en plus reconnue dans certains milieux de décision du Nord et du Sud. Cela se traduit par sa prise en compte dans les objectifs du sommet mondial de l’Enfance, mais aussi, comme l’écrit Marie Ruel, dans les Objectifs de Développement du Millénaire et de plus en plus, dans les pays du Sud, dans le cadre stratégique de la lutte contre la pauvreté.

Deuxièmement, des recherches ont clairement établi les liens pos- sibles entre la nutrition et les autres secteurs tels que l’agriculture, la santé, l’éducation, l’économie et l’environnement.

Troisièmement, des évolutions rapides sont apparues, caractérisées par des transitions nutritionnelles assez complexes observées dans plusieurs pays du Sud où l’on parle actuellement du triple fardeau (infections, carences et pathologies de « surcharge »). Cette com- plexité n’est pas encore prise en compte dans les politiques actuelles. Par ailleurs, une question fondamentale me semble être : faut-il changer les politiques actuelles pour réduire ces décalages qu’on observe entre les besoins rendus, les besoins découlant de la situation nutritionnelle, et la rigidité, je souligne le mot, la rigi- dité actuelle des politiques de nutrition existantes ?

Qu’est-ce qui doit nous guider si l’on doit aller dans le sens de changements de politique ? Qu’est-ce qui doit guider les change- ments souhaités ? Et quelle doit être cette nouvelle vision reflé- tée par ces politiques de nutrition ?

Il faut d’abord préciser la vision commune que l’on souhaite entre deux options alternatives : celle qui consiste à voir les politiques de nutrition comme des entités autonomes et complémentaires des autres politiques gouvernementales sectorielles – comme celles de l’agriculture, de la santé et de l’éducation – et celle qui en fait seu- lement des composantes de ces politiques sectorielles.

La situation actuelle est très hétérogène, au Nord comme au Sud. Dans plusieurs pays, les politiques de nutrition sont dotées d’une certaine autonomie et existent dans le même ordre de considération que les autres politiques sectorielles. En revanche, dans d’autres pays, la nutrition n’est qu’une composante des politiques sectorielles. La formulation de ces politiques ne se fait pas sur la base d’une analyse de situation rigoureuse et ne repose pas sur les évidences scientifiques les plus récentes. Or, la formulation des politiques doit mériter un effort aussi important que les autres étapes du processus, comme la mise en œuvre. Elle doit se faire, je pense, dans un cadre global privilégiant la prévention et la prise en compte des problèmes émergents, des besoins des pauvres et de l’ensemble des groupes spécifiques.

La gestion et la coordination de la mise en œuvre des politiques de nutrition est une autre étape essentielle à surveiller.

Il faut s’assurer de qui fait quoi, et avec quelles ressources et quel- les compétences. En effet, dans les pays du Sud surtout, les res- sources humaines compétentes, expérimentées et stables sont

rares. Or, elles sont indispensables pour traduire l’engagement des gouvernements en programmes efficaces.

Pour moi, on ne capitalise pas assez dans les programmes politi- ques les leçons apprises du passé. Et je ne suis pas persuadé que le plaidoyer, dans le domaine de la nutrition, suffise à mobiliser les ressources, notamment les ressources humaines, sur lesquelles j’insiste énormément.

Et enfin, comment s’assurer que chaque secteur programme les interventions relevant de sa compétence tout en respectant la cohérence d’ensemble ?

Je pense que la réponse à cette dernière question peut prévenir des conflits institutionnels qui sont souvent relevés dans le sec- teur de la nutrition.

Le dernier aspect que je souhaite souligner relève de l’évaluation et de la recherche dans le domaine de la nutrition.

Il me semble important de mettre l’accent, avec Francis Delpeuch, sur la recherche de nouveaux modèles d’intervention. Il faut aussi mettre au point de nouveaux modèles d’évaluation pour rensei- gner régulièrement les décideurs sur les évolutions et les adapta- tions à opérer. Ces modèles d’évaluation doivent permettre de comprendre les processus, mais aussi d’apprécier les changements. Une question que l’on pourrait se poser dans le domaine de l’éva- luation des politiques est la suivante : comment instaurer un débat juste et équitable sur les solutions proposées par la recherche ? Le cas de la biofortification évoqué par Marie Ruel illustre bien cette nécessité. L’utilisation des plantes fortifiées par transgenèse est en voie d’être considérée comme une arme pour lutter contre la faim dans le monde. Face à cette question, le débat est engagé et des législations sont soit élaborées, soit en voie de l’être dans les pays du Nord. En revanche, dans les pays du Sud en général et en Afrique en particulier, cette question est rarement évoquée. Il s’agit bien maintenant, pour résumer, d’instaurer des débats dans la perspective de mettre à la disposition des décideurs des solutions justes et équitables, en se penchant principalement sur la dimension humaine.

Un des enjeux que j’y vois est celui de l’autonomie de la recher- che dans le domaine de l’alimentation et de la nutrition, particu- lièrement dans les pays du Sud, mais aussi dans les pays du Nord.

DES POLITIQUES DE NUTRITION: RESPONSABILITÉS DES POLITIQUES ET DES CHERCHEURS

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Partie 3

Concevoir

une nouvelle

cohérence

des politiques

agricoles

et alimentaires

Politiques alimentaires

Dans le document Le monde peut-il nourrir tout le monde? (Page 88-94)