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D. Problématisation

II. Une base collective et théorique

4. La représentation des corps et des désirs

4.2. Ne pas rentrer dans des quotas

Si la volonté des trois collectifs est de montrer une diversité des représentations, Adèle refuse l’idée de devoir obligatoirement aller chercher d’autres corps et d’autres sexualités pour montrer une pluralité.

Après clairement on n’a pas tant été de « Il faut montrer plein de corps différents », c’est-à-dire qu’on a fait avec les gens qui étaient là, on s’est rencontrées de manière affinitaire et puis on n’est pas allées chercher une personne racisée38, on n’est pas allées chercher une personne grosse ou une personne handicapée comme pourrait le faire le dernier film de Emilie Jouvet qui s’appelle « My body my rules » où on a tous les corps déviants possibles, enfin bref là y a un cumul (rires), y a un endroit effectivement c’est pertinent et à la fois c’est trop. (Adèle, collectif belge)

Maj du collectif suisse souligne également le fait d’être consciente de la problématique du manque de représentation de la diversité des corps, cependant iel attire l’attention sur le risque de tomber dans le jeu de quotas où pour qu’un film soit considéré comme éthique ou queer il faille absolument

37 En avril 2020, la militante LGBTI+ et artiste Leslie Barbara Butch lance sur sa page Instagram le #onexiste. Elle appelle les personnes qui le veulent à poster une photo d’elleux avec les mots qui les définissent pour les sortir de l’ombre et les faire exister. « Qu'on soit grand.e.s gros.ses, putes. Migrant.e.s. minces, cis, trans, racisé.e.s, noir.e.s, avec des handicapes visibles ou invisibles, les bi.e.s, les pans etc. Nos voix comptent, alors ne nous taisons pas, on se lève et on se montre ». [En ligne] URL : https://www.instagram.com/p/B_Cbt5AAHZK/?utm_source=ig_embed 38 Le terme racisé est utilisé pour parler des personnes assignées à une catégorie raciale et subordonnées aux rapports racistes. (Explications tirées du cours « Théories critiques de la “race“ et de la postcolonialité », donné par Myriam Paris, semestre d’automne 2018, Université de Genève).

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qu’il montre tous les corps minorisés. Elle attire aussi l’attention sur leur position en tant que personne à l’intérieur du collectif et le fait qu’elles ne peuvent pas prétendre parler d’expériences extérieures aux leurs.

Dès le départ ça a été clair qu’on ne voulait pas rentrer dans des quotas ou des trucs genre comme à Berlin où tu vois passer sur facebook genre « Cherche personne de couleur queer pour jouer… ». Il y a un moment ou s’il faut que pour un film soit « éthique » il faut que y ait une personne de couleur, une personne grosse, une personne trans… oui il faudrait, mais dans quel sens on prend le problème ? Toutes on est d’accord que prendre le problème dans le sens « Il nous faut un quota » ça va pas. Du coup ce qu’on s’est fixé c’est qu’à moyen terme, c’est à dire six-neuf mois ou un an, on regarde le panel des choses qu’on a produites et on regarde qu’est-ce qui manque. On voit si on surreprésente certaines personnes ou certains corps ou certains types de sexualités et on essaye de réajuster, mais sur le long terme, pas dans chaque film, parce qu’en fait, les choses se font comme elles se font et parfois c’est tel corps ou telle sexualité ou telle expression de genre, nous on est quasi toutes blanches, enfin non [nom d’une autre personne du collectif] elle est racisée, on est quasi toutes cis, y a [nom d’une autre personne du collectif] qui est fluide dans son genre et moi aussi, j’aime pas trop être assignée femme et on est toutes relativement privilégiées en termes de classe sociale. Donc on ne peut pas non plus, dans notre position vouloir que filmer des gens qui sont assignés dans des cases extérieures à la norme, il faut juste qu’on soit attentives, je pense. Mais c’est compliqué, c’est hyper compliqué, et le problème éthique il est là. (Maj, collectif suisse)

Je rajoute ici un élément qui me semble pertinent et qui fait directement écho à l’actualité de ce mois de juin 2020. En effet, suite aux récents évènements liés au meurtre d’un homme noir, George Floyd, tué par un policier blanc aux États-Unis et aux manifestations du mouvement Black Lives

Matter39 partout dans le monde, le collectif suisse a publié sur sa page instagram le communiqué

suivant :

La pornographie est raciste.

Elle fétichise les corps non-blancs, organise son contenu par des tags racistes stigmatisants, précarises les performeureuses et ceci en toute impunité dans un milieu dirigé par des hommes cis blancs qu’elle enrichit. Les gens qui produisent la pornographie, la consomment, la critiquent ou l’affectionnent doivent se positionner contre ce statu quo.

39 Mouvement né sur Twitter en 2013 avec le hashtag #BlackLivesMatter, à la suite du meurtre de l’adolescent noir Trayvon Martin en Floride aux États-Unis.

80 [Nom du collectif] questionne les représentations, les fantasmes ainsi que la façon de partager le contenu créé. Les personnes blanches sont majoritaires dans nos films et notre collectif. Notre priorité est maintenant de s’engager dans une pratique artistique véritablement anti-raciste. Nous partagerons une sélection de ressources pertinentes, ainsi que nos réflexions et réactions. N’hésitez pas à rejoindre cette démarche. (Post Instagram du collectif suisse du 10 juin 2020)

Si les trois collectifs sont sensibilisés à l’importance de représenter la diversité des corps et des identités, iels sont en majorité blanchexs et leurs films mettent en scène principalement des corps blancs. Depuis le début du mouvement Black Lives Matter plusieurs voix se sont également élevées parmi les acteurices pornographiques raciséexs pour dénoncer le racisme de l’industrie40. Les

questionnements sur le privilège blanc soulevés par le mouvement Black Lives Matter permettent de relancer la question de la prédominance des corps blancs dans les représentations et ici plus précisément dans la pornographie.

IV La question de la diffusion

Après avoir analysé qui sont les collectifs, ce qu’ils produisent et de quelle manière ils le font, la question se pose de savoir comment ils diffusent leurs contenus et leurs discours. J’analyse en premier lieu en quoi leur engagement dans le monde de la pornographie est vu à travers la volonté d’ouvrir des espaces de partage et de discussions autour des questions de représentations. Puis, dans un second temps, j’examine comment et où leurs discours se diffusent.

40 Voir l’article du magazine en ligne Le Tag Parfait consacré à la culture pornographique « Le porno US s’investit dans le mouvement Black Lives Matter » publié le 2 juin 2020, [En ligne] URL : https://www.letagparfait.com/fr/2020/06/02/le-porno-us-sinvestit-dans-le-mouvement-black-lives-matter/

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