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Relation entre contexte institutionnel et inégalité d’aspirations entre élèves : les effets de la ségrégation

2. Les ambitions en contexte d’éducation prioritaire

2.1. Relation entre contexte institutionnel et inégalité d’aspirations entre élèves : les effets de la ségrégation

De nombreuses études (e.g., Dupriez et a.l, 2012 ; Frandji, 2008 ; Rocher & Donné, 2012) ont été conduites, sur la base de comparaisons internationales, afin d’étudier les effets de la nature des systèmes scolaires sur les aspirations des élèves. A ce titre, Dupriez et al. (2012) présentent la recherche de Buchman et Dalton (2002), au sein de laquelle ils comparent les variations d’ambition qui existent entre les systèmes différenciés et unifiés et l’influence des pairs sur les aspirations.

Concernant l’impact des pairs, il en résulte que cet effet est significatif seulement dans certains pays dont le système scolaire est non-différencié. En effet, au sein des systèmes avec filières, une classification des élèves a d’ores et déjà été effectuée, les élèves sont donc plus influencés par la filière choisie que par le choix de leurs pairs. Au sujet de cette classification, les auteurs montrent, grâce à l’étude de Buchman et Park (2009), qu’au sein des systèmes différenciés, le statut socio-économique des élèves est un bon prédicteur du type d’école et de la filière qu’ils vont suivre. A travers la comparaison des différentes politiques éducatives mises en place, ces études permettent d’étudier l’effet propre de la nature du système scolaire sur les aspirations des élèves. Ainsi, dans le livre, Les inégalités scolaires en Suisse (2014), Felouzis indique qu’outre l’effet des filières, les inégalités sont le résultat d’une ségrégation scolaire. Notion qu’il définit de la manière suivante :

« la notion de ségrégation implique des conséquences négatives pour les individus qui sont « cantonnés » à un espace particulier (…). Cela implique aussi un accès limité aux biens culturels et scolaires, tels que les diplômes, les savoirs ou encore les opportunités d’accéder à telle ou telle filière d’enseignement » (Felouzis et al., 2005, p. 22). Au vu de notre premier chapitre, nous pouvons conclure que la définition donnée de la ségrégation est également applicable pour le contexte d’éducation prioritaire. En effet, les individus ciblés par les PEP sont groupés dans des établissements particuliers. Une scolarisation dans ces établissements réduit leurs chances d’accéder à certains domaines d’études et certains diplômes. L’auteur nous propose ensuite d’étudier la production des inégalités au sein des systèmes différenciés, à travers un modèle en trois étapes : 1. L’effet de la ségrégation sociale des filières : au sein d’un tel système, les élèves sont séparés par niveau scolaire, mais également selon leur statut socio-économique et leur origine ethnique. Selon Charmillot (2015), « ces élèves qui se ressemblent s’assemblent, tandis que ceux dont les

24 caractéristiques socio-économiques et migratoires diffèrent sont scolarisés dans des établissements et des classes qui tendent à les isoler les uns des autres » (Charmillot, 2015, p.55). Il ajoute que pour retrouver une distribution semblable à celles des natifs à Genève, il faudrait changer de classe un tiers des secondes générations de migrants défavorisés et près de la moitié des élèves appartenant à la première génération défavorisée. Ainsi à Genève, cette ségrégation basée sur les caractéristiques sociales et ethniques est valable pour les filières, mais également pour les établissements REP, puisque l’entrée dans le réseau se fait sur la base des taux d’élèves issus de milieux défavorisés et allochtones, et ce afin de pallier à des difficultés scolaires généralisées au sein de cette population.

Cependant, cette ségrégation engendre des effets négatifs puisque comme nous l’étudierons plus en détail dans les parties suivantes, les études sur les effets de la composition sociale et académique des écoles montrent l’importance de l’existence d’une hétérogénéité au sein du public scolaire. En effet, les pairs influencent les processus d’apprentissage des élèves, mais également leurs aspirations. Ainsi, une hétérogénéité à ce niveau entraine une progression du niveau scolaire des élèves, et par conséquent des ambitions plus élevées. Un des objectifs de notre recherche est de comprendre les effets de cette ségrégation au sein des discours des enseignants et des élèves.

C’est-à-dire comprendre si leur perception du public scolaire influence la vision qu’ils ont de l’école, des compétences scolaires, mais également si cela a un impact sur les aspirations scolaires et professionnelles des élèves.

2. La stigmatisation : la nature du public et la perception du niveau scolaire des élèves qu’elle entraine chez les enseignants, amènent ces derniers à ajuster leurs enseignements en fonction de ce niveau supposé. Leurs pratiques de différenciation de l’enseignement entrainent un nivellement par le bas du niveau scolaire des élèves. Les apprentissages des élèves sont alors limités, ce qui limite également leurs projets d’avenir. A ce sujet, Rochex et Crinon (2011) décrivent deux types de processus de différenciation chez les enseignants en contexte d’éducation prioritaire en France.

Cependant, ils attirent notre attention sur le fait que ces pratiques ne sont pas forcément intentionnelles, mais souvent imperceptibles par les acteurs. Le premier est nommé « différenciation passive », il s’agit là d’adopter une posture indifférente aux différences. Les enseignants n’exercent donc pas de traitement différencié et se concentrent uniquement sur l’activité. Ils en délaissent donc l’explicitation des attentes concernant le rôle des élèves et des processus de secondarisation. Cette pratique crée des inégalités puisque seuls les élèves appartenant à une culture similaire à celle de l’école maitrisent ces codes implicites propres à l’institution scolaire, et ainsi disposent de meilleures chances de réussite. Le second type est nommé « différenciation active », qu’ils définissent de la manière suivante : « mode de faire différencier selon les caractéristiques – réelles ou supposées – des élèves auxquels les agents scolaires sont confrontés » (Rochex & Crinon, 2011, p.91). Dans ce cas, la vision des enseignants au sujet des caractéristiques des élèves entre en jeu et modifie leurs pratiques éducatives. Avec une volonté de s’adapter au niveau perçu des élèves, les

25 enseignants effectuent un cumul des « aides différenciatrices » qui consistent en la simplification et la diminution de quantité des savoirs enseignés. Ainsi, les élèves « fréquentent des univers de travail et de savoirs différenciés, et [sont] inégalement productifs en terme d’activités intellectuelles et d’apprentissages potentiels » (Rochex & Crinon, 2011, p.178). Les auteurs ajoutent qu’en Zone d’Education Prioritaire (ZEP), les enseignants tendent à enseigner aux élèves les compétences de base à travers des taches simplifiées et morcelées. Cette seconde pratique est également créatrice d’inégalités, car premièrement les élèves n’étudient qu’une partie du programme. Deuxièmement, le cumul des pratiques de simplification des activités entraine au final une complexification des savoirs enseignés. Rochex et Crinon (2011) expliquent également que dans les milieux populaires, les priorités ne sont plus les mêmes pour les enseignants qui accordent une importance plus grande aux questions de comportement, et ce au détriment de la question des apprentissages. Dans le cadre de notre recherche, nous questionnerons d’abord la vision des enseignants quant au niveau scolaire des élèves et tenterons de comprendre les éléments pris en compte dans la construction de cette image. Ensuite nous les interrogerons sur leurs pratiques de différenciation ainsi que sur leur priorité durant l’enseignement, afin de comparer les pratiques en REP et hors-REP, et de comprendre si cela crée un impact sur les ambitions des élèves.

3. La discrimination : dès lors, une séparation en filières s’opère afin de pouvoir cibler les meilleurs élèves, qui par le principe méritocratique, disposeront des meilleures conditions d’enseignement.

Nous essayerons de comprendre à travers notre analyse, si enseignants et élèves partagent cette vision du principe méritocratique ou au contraire sont plus critiques face aux pratiques de l’institution scolaire, et particulièrement concernant les processus d’orientation.

La ségrégation se traduit par différents processus au sein des systèmes différenciés, que cette différenciation s’exerce au niveau des filières, ou comme dans le contexte d’éducation prioritaire, au niveau des établissements fréquentés. Selon les auteurs (Charmillot, 2014 ; Ben Ayed, 2009 ; Felouzis & Perroton, 2009), les politiques urbaines sont également une des causes de cette ségrégation. Les politiques du type carte scolaire cantonnent les habitants selon leur quartier d’habitation. Ils sont alors dans l’obligation de fréquenter l’établissement assigné au quartier.

Néanmoins, les parents jouent également un rôle dans la production de cette ségrégation. En effet, les établissements identifiés comme défavorisés sont fuis par les classes sociales supérieures et moyennes. Se basant sur la réputation et la nature du public scolaire, ils détournent la carte scolaire par des pratiques de dérogation, de choix d’options rares ou de scolarisation dans le privé. Ils contribuent ainsi à la création de « ghetto urbain », en désertant les écoles dont le public homogène se caractérise par un niveau social et académique bas. Par conséquent, la production d’inégalités au sein des systèmes de filières se retrouve également dans les dispositifs d’Education Prioritaire,

26 puisque pour commencer, ils ciblent des populations défavorisées. Cette identification amène les enseignants et les parents à construire une image, plutôt négative, du niveau scolaire de ce public qui les conduit à une baisse des attentes en ce qui les concerne et à des pratiques d’évitement de la part de certaines familles. Ainsi, ces élèves profitent de moyens supplémentaires, mais la qualité de l’éducation reste inférieure à celle des établissements non concernés par les PEP.

En conclusion dans cette partie, nous avons étudié la relation entre la nature du système éducatif et la production d’inégalités, particulièrement à travers les processus de ségrégation engendrés. Nous avons ensuite étudié plus en détail le déroulement en trois phases de cette production d’inégalité, soit la ségrégation, la stigmatisation et la discrimination. Tout au long de cette description, nous avons démontré comment ce déroulement est également applicable aux PEP et comment il affecte les ambitions des élèves. Ainsi pour la suite de la recherche, nous émettons l’hypothèse que la ségrégation présente au sein des contextes d’éducation prioritaire amène à une accentuation des effets des caractéristiques individuelles sur les aspirations scolaires et professionnelles des élèves, et ce à travers les processus de regroupement au sein des mêmes établissements. Donc, la partie suivante traitera de l’impact des caractéristiques individuelles des élèves sur l’élaboration de leurs projets d’avenir. Ensuite, nous étudierons les effets combinés des caractéristiques individuelles et de la ségrégation engendrée par les PEP sur les aspirations scolaires et professionnelles des élèves afin de comprendre les dynamiques collectives qui animent les processus de construction des aspirations des élèves.