II. Lien main-bouche
2. De la main à la bouche : la découverte du monde
2.2. Le regard et la vision
2.2.1. Le développement de la vision
La vision est le dernier sens à se mettre en place. L’œil est visible sur l’échographie aux environs de la douzième semaine, à partir de la seizième semaine, le fœtus ouvre les yeux, et les mouvements oculaires lents apparaissent aux alentours de la vingt-troisième semaine.
A l’intérieur de l’utérus, les stimulations visuelles sont très limitées, étant donné que l’utérus est un endroit sombre82. Cependant, l’exposition du ventre maternel à une lumière vive provoque une accélération du rythme cardiaque du fœtus et une agitation de ses membres : à sept mois de vie intra-utérine, l’enfant commence déjà à voir.
A la naissance, le système visuel fonctionne donc, mais il est encore immature. En réponse à une stimulation sonore, le nouveau-né tourne la tête vers la source du bruit, il cherche à voir d’où vient le bruit ; mais la fixation ne dure pas plus d’une demi-seconde, et ce pendant les trois premiers mois de la vie. 91
L’enfant voit en noir et blanc, avec convergence fixe sur 30-50 centimètres, ce qui correspond à la distance entre le sein et les yeux de la mère.76
Vers trois mois, l’acuité visuelle s’est développée, la vision binoculaire se met en place92. Le bébé voit mieux et peut suivre les mouvements dans l’espace81. Il réagit à une lumière vive, il grimace et se détourne. Il sourit et se calme à la vue d’un visage même s’il n’entend pas la voix.92
Vers quatre mois, il y a un important développement synaptique dans le centre visuel : les voies visuelles s’affinent grâce aux impressions visuelles, c’est-à-dire que les voies utilisées se renforcent, celles qui ne sont pas utilisées disparaissent. La vision en perspective s’esquisse.93
A partir de quatre mois et demi environ, il commence à jouer avec ses mains et à les regarder94: un lien entre l’œil et la main commence à se créer.
91SPYCKERELLE Solène, Autonomie alimentaire et stimulations bucco-faciales chez le nouveau-né
prématuré. 2008, Mémoire soutenu pour l’obtention du Certificat de Capacité d’Orthophoniste, Université
Henri Poincaré, Ecole d’orthophonie de Nancy
92CAPPA Claudia, Attenzione ai cuccioli d’uomo : piccola guida per riconoscere lo sviluppo del bambino
e i segnali di rischio delle Difficoltà e dei Disturbi dell’Apprendimento. 2011.
93LAGERCRANTZ Hugo. Le cerveau de l’enfant, Ed. Odile Jacob.
A six mois, il suit des yeux un objet devant lui dans un rayon de 180°. Il se regarde les mains, il fixe un objet tout petit (de la taille d’un raisin sec par exemple).
Après six mois commence à s’installer la coordination perceptivo-motrice : le bébé va donc pouvoir contrôler visuellement son environnement, afin de pouvoir le réutiliser plus tard, notamment dans la construction de la planification des gestes.88
A neuf mois, il pousse ou rapproche un objet tout petit.92
A douze mois, il regarde les détails de différents objets ; il reconnaît des personnes connues de l’autre côté d’une pièce sans entendre leur voix92.
Le développement de la vision et de l’analyse visuelle se fait en même temps que le développement psychomoteur : l’un stimule l’autre, et ce réciproquement.88
2.2.2. Rôle de la vision
La vision est le sens qui permet de s’informer sur ce qui nous entoure de manière rapide et efficace, car les renseignements qu’elle délivre sont variés et généralement très précis. Elle offre une appréhension globale, synthétique et immédiate du monde environnant. Associée aux autres sens, elle permet une perception intégrale.
On parle de la vision comme du sens spatial par excellence, car c’est elle qui permet la meilleure estimation des distances, et qui nous permet d’établir des relations spatiales entre un nombre élevé d’objets situés autour de nous.79
La vision va servir à la saisie de l’objet, à la communication, à l’organisation du geste. Elle va permettre le développement cognitif de l’enfant, son développement social, son développement psychomoteur. L’éveil de l’enfant sur son environnement, et donc son développement cognitif, va se faire à partir de ce qu’il voit, de ce qu’il entend et de ce qu’il touche.88
La vision va jouer un grand rôle dans le développement des praxies : l’imitation est possible principalement grâce à la vision ; elle va donc permettre le développement du patrimoine gestuel de l’enfant. Celui-ci doit être capable de diriger son regard, de le maintenir le temps nécessaire, tout cela par la discrimination et l’analyse perceptive visuelle.
Etre privé de la vision affectera la prise d’informations concernant les objets environnants, et l’activité motrice en sera touchée de manière importante, car l’incitation, le guidage et la correction des mouvements ne seront plus gérés par ce sens essentiel79. Selma Fraiberg a démontré que les bébés aveugles ont une activité manuelle très faible ; leurs mains sont généralement molles et passives. Le bébé aveugle ayant un champ perceptif réduit car découvrant le monde directement par le toucher sans passer par la vue, il est peu stimulé et ne développe que peu son activité manuelle79. C’est le fait de voir les choses et de vouloir les attraper qui va inciter l’enfant à bouger : voir permet d’agir et de contrôler le geste. L’enfant avance son bras pour attraper son doudou, il organise ses doigts pour agripper des cheveux, un objet… La vision permet la planification de l’action, mais elle joue également un rôle pendant l’action, car elle permet de la contrôler.88
Il a été observé que dès les premiers instants de la vie, un nouveau-né explorant tactilement de la main droite une forme géométrique simple est capable de la reconnaître visuellement (transfert intermodal du toucher à la vision)79.
La vision permet à l’enfant de regarder les autres : sa mère tout d’abord, avec qui il va créer un lien affectif puissant grâce au regard notamment. Pendant la tétée, le bébé contemple sa mère, c’est un moment d’ « accordage affectif », il est happé par son visage95. Il porte une attention concentrée sur les yeux de sa mère, il la « dévore des yeux ». Ce regard porté au visage de la mère est présent certes lors de la tétée, mais également très tôt dans le face à face96. Le regard va permettre à l’enfant d’imiter sa mère, d’imiter ses mouvements de bouche et de tête.95
La vision est utilisée par l’enfant comme un moyen de communication et de découverte. Dès la naissance, l’enfant s’en sert pour communiquer par le regard, pour établir le contact, ou pour « boire » du regard7676. Le regard, possible par la vision, permet donc la mise en place de la communication et de la réciprocité.97