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La reconnaissance des limites externes

Dans le document Le numérique et le nomade (Page 34-36)

1. L ES BIBLIOTHEQUES ET LA LECTURE NUMERIQUE

1.2 Bonnes pratiques et leçons apprises

1.2.6 La reconnaissance des limites externes

En France, les bibliothèques ne sont pas nombreuses à proposer la lecture numérique aux lecteurs. Nous rappelons que 23% des bibliothèques municipales françaises proposent des ressources numériques, seulement 52% de ces bibliothèques incluant des livres numériques parmi ces ressources47. Dans une certaine mesure, nous pouvons donc considérer que les bibliothèques de notre échantillon sont des pionnières car, malgré les contraintes, elles ont réussi à introduire le livre numérique.

L’obstacle le plus évoqué par nos interviewés est l’accès limité aux offres de livres numériques adaptés aux bibliothèques. De même, le prix élevé des livres numériques et les contraintes de leur usage en bibliothèque – à cause du DRM – constituent un frein pour leur développement. A cet égard, le responsable de la médiathèque de Pollionnay réfléchit : « On a l’impression que la chaîne du

livre est devenue une chaîne au sens propre, avec un boulet… ».

Le marché du livre numérique n’est pas stable, il manque d’uniformité, car les produits et les offres ne sont pas encore standardisés. La responsable de la médiathèque de Brindas raconte : « Ce qui est

compliqué en France, c’est l’offre commerciale en direction des médiathèques, parce qu’il y a tout un problème de prêt, de droit de prêt. Pour les livres en papier, ce problème a été résolu de manière très simple, avec Sofia… Mais, pour le livre numérique, c’est beaucoup plus compliqué parce que chaque éditeur va faire sa propre proposition, ce qui donne lieu à de disparités absolument énormes et génère des difficultés pour nous, les médiathèques, et notamment les médiathèques plutôt modestes ».

Dans ce même sens, un interviewé de la BDP de la Loire observe : « Il n’existe pas de dispositifs

comme dans le livre imprimé, tout ça est encore en cours de réflexion au sein de la Commission européenne et du Parlement de différents pays de la Communauté. On ne sait donc pas aujourd’hui où va s’arrêter le curseur sur la TVA… Il s’agit d’un cadre, d’une contrainte, des aspects négatifs sur lesquels il faut réfléchir pour offrir un service qui ne soit pas complètement inadapté ».

Chaque manière de proposer la lecture numérique a ses propres inconvénients. Dans le cas des abonnements aux bouquets des livres, on peut reconnaître les difficultés suivantes : les prix élevés, les DRM, l’imposition d’un catalogue qui peut ne pas éveiller l’intérêt des lecteurs, et la difficulté des professionnels de la bibliothèque à accéder aux statistiques concernant le profil des usagers.

Le contexte mouvant du livre numérique se reflète également dans le marché des liseuses. Cela peut générer un décalage entre le temps d’élaboration de l’initiative et le temps de sa mise en place. La BDP Savoie-biblio raconte : « Il faut savoir gérer les transformations qui ont lieu entre le moment où

on fait un choix et le moment où on le met en œuvre. Souvent les choses ont alors déjà changé : soit les conditions techniques, soit les conditions commerciales. Le paysage s’est donc modifié. Cela nous est arrivé pour les liseuses : on avait fait tout le travail assez vite, en 3 ou 4 mois on avait choisi les liseuses avec les bibliothécaires, on avait fait une grille d’analyse, on avait choisi une Sony, mais quand on a voulu l’acheter, elle n’existait plus… Bon, on a pris le second choix, la Cybook, mais ce n’est pas évident ».

47 Ces chiffres proviennent d’une une étude co-réalisée par le Service du livre et de la lecture du Ministère de la

Culture et l’association Réseau CAREL, publiée en 2014. Soual, Le livre numérique en bibliothèque : état des

34 Quant aux tablettes, outre leur prix, plus élevé que celui des liseuses – ce qui limite le nombre de dispositifs à acheter –, elles présentent l’inconvénient que, en raison de la connexion à Internet qu’elles rendent possible, les institutions doivent veiller sur l’accès des usagers à l’information. Le responsable de la BDP de la Loire raconte : « Au nom de cette sécurité-là, on doit mettre en place

beaucoup de stratégies, des contraintes qui limitent. Il y a des DRM sur les documents, mais il y a aussi beaucoup de DRM à d’autres niveaux. Ainsi, le DRM du côté de l’institution vient s’ajouter aux DRM qui sont déjà sur les ressources : ça fait qu’aujourd’hui on ne peut pas utiliser les ressources numériques comme n’importe qui lorsqu’il accède à internet ; autrement dit, l’internet institutionnel reste très contraint ».

À l’échelle des différentes bibliothèques, divers obstacles doivent être surmontés et/ou acceptés. Les BDP sont situées entre les fournisseurs de ressources et les bibliothèques. Cette situation rend difficile la négociation et limite l’accès aux offres. Un interviewé de la BDP de Savoie-biblio s’exprime : « Ils

ne veulent pas avoir des intermédiaires, tout est fondé sur une logique d’un-à-un, et changer cette logique, de sorte que nous soyons intermédiaires entre les bibliothèques et les fournisseurs des ressources, c’est déjà bizarre ». Ce rôle d’intermédiaire a aussi des conséquences sur la visibilité des

BDP pour les usagers. Le même interviewé ajoute : « Les usagers ne savent pas forcément qu’ils ont

affaire au Département. On fait en sorte qu’ils le sachent, mais pour eux ont est transparents. Tout notre travail consiste à nous rendre visibles pour nos usagers finaux, mais ce n’est pas évident ».

Pour les bibliothèques de taille petite et moyenne, les prix élevés des bouquets des livres les empêchent de proposer ces ressources à leurs lecteurs. La responsable de la médiathèque d’Aveize raconte : « Ce que je voudrais proposer, c’est le prêt de livres numériques, mais c’est trop cher pour

notre petit budget. J’espère qu’un jour la bibliothèque départementale les proposera parce que ce n’est pas possible pour nous tous seuls. Les plateformes comme Numilog sont trop chères : c’est l’équivalent de notre budget annuel d’abonnements. Ce n’est donc pas possible. C’est frustrant de ne pas pouvoir offrir ça, d’autant plus que maintenant les lecteurs l’ont découvert ». Une solution pour

surmonter cet obstacle est d’attendre que l’initiative soit prise en charge au niveau départemental ou de mutualiser les ressources à travers la mise en réseau avec d’autres bibliothèques.

Dans cette première partie, nous avons présenté la bibliothèque comme un lieu polymorphe : un moyen d’accès à la connaissance et aux informations qui permet d’expérimenter de nouvelles ressources et qui par conséquent se constitue en un lieu d’actualité et de référence. L’introduction du livre numérique est en accord avec ce rôle multidimensionnel.

Nous avons également décrit les différents projets menés par les bibliothèques afin de promouvoir le livre numérique : les liseuses, les tablettes, les bouquets de livres numériques à télécharger ou à lire en streaming, le prêt numérique en bibliothèque, et la bibliothèque numérique de fonds de livres patrimoniaux. Parmi tous ces projets, la promotion du livre numérique à travers le prêt de liseuses est l’initiative la plus répandue et sur laquelle nous avons collecté le plus d’informations, aussi bien de la part des bibliothèques que de la part des lecteurs.

Enfin, nous avons identifié les bonnes pratiques et leçons apprises par les professionnels des bibliothèques lors de la mise en place de leurs projets de lecture numérique : la médiation, la formation du personnel, l’appropriation du projet par l’ensemble de l’institution, l’écoute des usagers, le partage des expériences et la reconnaissance des limites externes. Ces bonnes pratiques doivent s’appliquer dans leur ensemble pour la réussite de la promotion du livre numérique au sein des bibliothèques.

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