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Le raisonnement clinique des physiothérapeutes : le modèle collaboratif et la CIH (biopsychosocial)

- 37 - 5.3.4 Le raisonnement clinique médical: une proposition de modèle

conceptuel

Le raisonnement clinique est multidimensionnel, il n’existe pas de modèle conceptuel défini du raisonnement clinique et son évaluation est difficile, ce qui explique les nombreuses propositions de modèles conceptuels et d’évaluation mis en place109. Charlin propose un modèle générique de compréhension du processus de RC110 dans lequel toutes les catégories d’informations à prendre en considération pour réaliser une démarche diagnostique sont détaillées. Il est réalisé à l’image d’une carte conceptuelle et pourrait servir de mode d’emploi des informations à recueillir et à sélectionner. (Annexe 6).Ce modèle de processus ne prend pas en compte les systèmes de pensée utilisés pour raisonner. Croskerry111 propose un modèle conceptuel basé sur la théorie du double processus montrant les systèmes de pensée 1 et 2 mis en œuvre dans le processus de raisonnement clinique et montrant leur interaction en fonction des cas cliniques à analyser. (Annexe 7)

Ces proposition s’adaptent-t-elles à toutes les professions de santé, y compris non nord-américaines ? Qu’en est-il des auxiliaires médicaux français, dont la masso-kinésithérapie fait partie au même titre que la profession infirmière ? Y a-t-il une particularité de la rééducation/réadaptation ?

5.4 Le raisonnement clinique des physiothérapeutes : le modèle

- 38 - Ce modèle se distingue par les deux processus de raisonnement et d’interprétation mis en jeu : celui du thérapeute et celui du patient. A partir du raisonnement narratif basé sur le discours des patients, les physiothérapeutes peuvent compléter leur raisonnement biomédical de base.

Ce modèle biopsychosocial basé sur la CIF est aussi utilisé par les thérapeutes manuels115. Schön cité par JONES116 caractérise la pratique professionnelle du thérapeute manuel par les deux extrémités de son continuum professionnel: d’un côté une forte rationalité technique bien étayée et de l’autre un terrain flou désordonné, confus où résoudre les problèmes par une solution technique constitue un véritable défi. Le thérapeute manuel doit donc être en mesure de pratiquer aux deux extrémités du continuum. Il doit avoir une bonne base de connaissances biomédicales et professionnelles ainsi que des compétences techniques avancées pour résoudre les problèmes de santé d’expression discrète comme bien définie. Savoirs biomédicaux et bio psychosociaux sont nécessaires et se complètent.

Jensen 117décrit les différents raisonnements utilisés dans ce modèle collaboratif. Le raisonnement procédural est considéré comme similaire au raisonnement hypothético-propositionnel utilisé en médecine, mais l'accent est porté sur l'identification de problème fonctionnel du patient et en sélectionnant les traitements pour réduire les effets du problème.

Le raisonnement interactif a lieu lors des interactions en face-à-face entre le thérapeute et le patient.

Interaction et collaboration active avec le patient sont utilisées pour comprendre le point de vue du patient.

Le raisonnement conditionnel est basé sur les processus sociaux et culturels de la compréhension de l’état futur du patient. Il est utilisé pour aider le patient dans le difficile processus de reconstruction d'une vie qui est maintenant changée par une blessure ou une maladie.

Une quatrième forme de raisonnement, le raisonnement narratif est utilisé pour décrire la « façon » dont l’histoire du cas du patient est décrite, dont le patient est perçu dans sa globalité.

Ce modèle est basé sur la théorie analytique hypothético déductive, il ne tient pas compte de la théorie double processus. Il semble difficile d’imaginer que le professionnel MK du fait de son corps thérapeutique, n’utilise pas son intuition et sa métacognition pour collaborer avec le patient Le processus diagnostic MK, basé sur la CIF est-il du même registre que celui du médecin ? Physiothérapeute et thérapeute manuel, professions américaines ayant un accès direct du patient

115 JONES, RIVETT, clinical reasoning for manual therapists, 2004, Elsevier, 3-24

116JONES, RIVETT, clinical reasoning for manual therapist ,2004, Elsevier ,p 3

117 JENSEN G,RESNIK L, HADDAD A (2008),Expertise and clinical reasoning, in HIGGS ,Clinical reasoning in the health professions ,3eme edition, Elsevier

- 39 - ont-elles le même raisonnement que le masseur kinésithérapeute (MK) français, auxiliaire médical prescrit par le médecin? Comment raisonne le MK ?

Comme nous l’avons vu précédemment, le CNOMK s’inscrit, par sa définition de la profession, dans ce modèle biopsychosocial. Ce modèle se distingue par les deux processus de raisonnement et d’interprétation mis en jeu : celui du thérapeute et celui du patient. Le modèle collaboratif est la rencontre de deux êtres : le soignant, le soigné, chacun interagissant avec l’autre. « Le soin se construit donc dans une relation personnelle ; dans l’interaction avec le patient en tant que sujet, et dans une confrontation continue avec le déficit fonctionnel d’un corps aux réactions infiniment variables. Nombre de savoirs d’expérience sont construits chemin faisant par le praticien et ne font pas l’objet de descriptions118 ». Ainsi le raisonnement clinique ou jugement clinique ferait-il apparaître ces savoirs « d’expériences » tacites « cachées » dans l’exercice des professions de santé ?

En MK, Dufour a cherché à mettre en évidence les savoirs « cachés » qu’il utilisait lors de leur examen physique. Il a décrit le raisonnement déductif qu’il faisait, de façon empirique, lors de l’examen clinique d’une gêne articulaire. Ce raisonnement est construit sur une logique binaire selon la présence ou l’absence de douleur. Après la réalisation des différents items, une synthèse est réalisée qui permet de se faire une opinion de la situation et de faire éventuellement d’autres examens cliniques tissulaires à la recherche d’autres éléments119. Dufour120 a modélisé la logique déductive thérapeutique sous la forme d’une succession d’étapes : une première étape permet de déduire la pathomécanique issue du diagnostic médical, puis une deuxième étape consiste à en déduire ses conséquences sur les différents tissus articulaires, musculaires…. Ensuite en fonction des conséquences déduites de celle-ci, des objectifs sont déterminés, puis des actes sont réalisés pour répondre aux objectifs fixés. Cette logique se termine par une prescription d’auto prise en charge du patient. C’est une approche « mécaniste » de la profession de MK, le traitement par le mouvement, le traitement du mouvement.

Un autre MK, Jeulin121, à travers la didactisation du concept de kinésithérapie respiratoire de désencombrement du nourrisson, a cherché à mettre en évidence les savoirs tacites des

118OLRY P (2007) Apprentissages informels dans l’activité : dispositif de participation et processus d’engagement du remplaçant en masso-kinésithérapie, revue française de pédagogie, n°160 juillet-septembre p39-50

119 DUFOUR(2009) Masso-kinésithérapie et thérapie pratique manuelles, Paris, Masson, p146

120 DUFOUR (2009) Ibid. p 171-173

121 JEULIN JC (2009) Analyse des pratiques professionnelles en kinésithérapie respiratoire pédiatrique en vue de la conception d’un simulateur de santé. Kinesither rev (92-93) :48-55

- 40 - professionnels. Il a montré que les experts en kinésithérapie respiratoire utilisaient pour résoudre une situation de soin, des connaissances en acte, empiriques validées par la profession.

A travers cette étude, il a aussi étudié la démarche professionnelle de l’expert. Jeulin 122 estime que l’expert effectue une démarche hypothético-déductive. En effet, l’expert émet une hypothèse dès le début de la séance et, en fonction de ses sensations, de son ressenti, il réorganise sa séquence gestuelle, en construit de nouvelles, non référencées sur des savoirs savants. Il conclut que « cette démarche de raisonnement qui s’appuie sur des données, des stratégies et la métacognition est appelée démarche clinique. »

Cependant, la séquence gestuelle a un aspect particulier au cours de la séance de kinésithérapie respiratoire pédiatrique, elle est à la fois diagnostique et curative, à la fois évaluation et traitement.

La distinction est en pratique difficilement réalisable au cours de la séance car ils sont entremêlés.

L’acte de soin se confond avec l’acte d’évaluation diagnostic de la présence de l’encombrement bronchique. En effet les techniques au cours de la séance de désencombrement sont en permanence autorégulées en fonction des critères sonores produits par le patient et sensitifs (à la fois du patient et du praticien), à la recherche d’un geste efficace et en fonction des données cliniques issues de la situation de soin. Le MK utilise alors son corps thérapeutique pour ajuster sa gestuelle et inférer sur son raisonnement.

Si l’on se réfère au modèle conceptuel proposé par Croskerry123, il serait possible d’imaginer que le praticien a reconnu au départ, un cas similaire à ce qu’il connait , qu’il a posé une hypothèse et qu’il conforte cette hypothèse grâce aux sensations sensorielles obtenues sous ses doigts, auditives renvoyées par le bébé. Il a peut-être utilisé son système 1 avant de conforter son hypothèse par l’utilisation du système 2, utilisant ainsi la théorie au double processus.

Sans doute le raisonnement masso-kinésithérapique n’est-il pas seulement hypothético-déductif mais aussi basé sur la théorie du double processus ?

Le raisonnement clinique est donc une façon de penser la profession alliant des allers retours entre théories et pratiques, à la recherche des éléments cliniques pouvant être expliqués par la théorie qui elle-même alimente la pratique professionnelle C’est un continuum cyclique entre le système analytique, non analytique et la métacognition comme le propose Marcum124 Notre définition du raisonnement clinique en masso-kinésithérapie est une combinaison des deux modèles conceptuels

122 JEULIN JC (2012) Transposition didactique : concept de kinésithérapie respiratoire de désencombrement du nourrisson, Kinesither Rev,

123 CROSKERRY(2009) ibd

124 MARCUM (2012) An integrated model of clinical reasoning :dual process theory of cognition and metacognition ,journal of evaluation in clinical practice , 18, 954-961

- 41 - de Marcum125 et Edwards-Jones126. C’est un modèle conceptuel de raisonnement clinique collaborateur basé sur le modèle continu cyclique des processus analytiques et non analytiques, en lien avec la métacognition, qui prend en compte les dimensions de la CIF et les interactions avec le patient.