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1.4 Hepcidine et rôle dans la régulation systémique du fer

1.4.7 Régulation de la synthèse

Les modèles murins génétiquement modifiés ont permis de comprendre la complexité et l’interconnection des voies impliquées dans la production d’hepcidine. La régulation de la synthèse de ce peptide est transcriptionnelle et se réalise par l’intermédiaire de différents stimuli, soit activateurs, soit inhibiteurs. Alors que la synthèse de l’hepcidine par les hépatocytes est stimulée par l’augmentation des réserves en fer hépatique, l’activation de l’érythropoïèse inhibe la transcription du peptide (Girelli et al. 2016). Par ailleurs, la stimulation de la synthèse de l’hepcidine lors d’inflammation constitue une des causes de développement de l’anémie inflammatoire (Weiss et al. 2019). Une hiérarchie semble exister entre les différents signaux régulant la transcription de l’hepcidine avec un effet dominant négatif de la carence martiale par rapport à l’effet positif d’un syndrome inflammatoire induit par l’injection de lipopolysaccharides (LPS) (Darshan et al. 2010). L’augmentation de l’activité érythropoïétique a également un

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effet inhibiteur plus puissant sur la synthèse de l’hepcidine par rapport à l’effet stimulant de l’inflammation (Theurl et al. 2011).

Réserves en fer

La production hépatocytaire d’hepcidine est contrôlée majoritairement par la voie impliquant les bone morphogenic proteins (BMP) et les protéines intracellulaires appelées Homologs of both the Drosophila Protein Mothers against Decapentaplegic and the C. Elegans Proteins (SMAD). Cette voie de signalisation BMP-SMAD fait intervenir des récepteurs de deux types agissant chacun sous forme de dimères : les activin receptor-like kinases (BMPRI : Alk2 et Alk3) et les récepteurs de type sérine thréonine kinase (BMPRII : ACVR2A, BMPR2). Les BMP-2 et BMP-6 appartiennent à la superfamille du Transforming Growth Factor β (TGF-β), elles sont sécrétées par les cellules endothéliales hépatiques sinusoïdales par un mécanisme non encore élucidé (Canali et al. 2017). Après dimérisation par formation de ponts disulfures, les BMP-2 et BMP-6 interagissent avec leurs récepteurs respectifs. On distingue deux voies différentes dans la signalisation BMP-SMAD.

Dans la première voie, BMP-2 est responsable de la transcription basale de l’hepcidine. Elle interagit avec un récepteur BMPRI (Alk3) et un récepteur BMPRII. L’hémojuvénile (HJV), le récepteur de type 2 à la transferrine (TfR2) et la protéine HFE sont fonctionnellement reliés à Alk3 et contribuent à la production basale d’hepcidine via la voie BMP-SMAD. L’HJV est une protéine insérée dans la membrane de l’hépatocyte dont la partie C-terminale interagit avec la néogénine (Silvestri et al. 2019).

La seconde voie est activée par BMP-6. Lorsque les réserves hépatiques en fer augmentent, la production de BMP-6 est fortement stimulée. Cette dernière active la transcription de l’hepcidine alors que la synthèse de BMP-2 est seulement légèrement augmentée (Camaschella & Pagani 2018). BMP-6 se lie principalement à Alk2 et un récepteur BMPRII. Une protéine cytosolique appelée immunophiline FKBP12, lie Alk2 pour limiter l’activation de cette voie en l’absence de ligand. En cas d’augmentation des réserves en fer tissulaire, FKBP12 est déplacée et la transcription de l’hepcidine, stimulée (Silvestri et al. 2019).

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Figure 6 (Silvestri et al. 2019): Dans des conditions physiologiques, la transcription basale de l’hepcidine est assurée par l’interaction de BMP-2 avec son récepteur Alk3, présent au niveau de la membrane hépatocytaire et relié fonctionnellement à HJV, TfR2 et HFE. Après phosphorylations successives, le complexe SMAD1/5/4 migre dans le noyau pour interagir avec l’élément de réponse BMP et activer la transcription du peptide.

Après cette interaction entre BMP-2 et Alk3 ou BMP-6 et Alk2, une phosphorylation des protéines intracellulaires SMAD1/5 survient. Le groupe activé SMAD1/5 interagit avec SMAD4 et le complexe migre dans le noyau pour se lier à 2 éléments de réponse BMP (BMP-RE1 et BMP-RE2), situés au niveau du promoteur du gène codant pour l’hepcidine. Cette liaison s’accompagne d’une augmentation de la transcription de l’ARNm de l’hepcidine (Muckenthaler et al. 2017).

Lors de diminution des réserves en fer tissulaire, la transcription du gène TMPRSS6 est activée, avec traduction en matriptase 2 (Du et al. 2008, Folgueras et al. 2008). Cette sérine protéase transmembranaire est synthétisée sous forme de proenzyme et devient active après clivage autocatalytique. La matriptase 2 est capable de cliver l’HJV (Figure 7). Le clivage de ce co-récepteur de BMPRI altère l’activation de la voie BMP-SMAD avec diminution de la cascade de phosphorylation, et par conséquent, réduction de la transcription de l’hepcidine (Silvestri et al. 2008). Des mutations du gène codant pour la matriptase 2 sont décrites chez l’humain et sont responsables du

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développement d’une anémie hypochrome microcytaire, réfractaire au traitement par le fer oral (Iron Refractory Iron Deficiency Anemia : IRIDA). Des taux anormalement élevés d’hepcidine sérique sont observés chez ces patients, témoignant du rôle essentiel de la matriptase 2 dans la régulation négative de la transcription de l’hepcidine.

Figure 7 (Cui et al. 2009): Lors de carence en fer (A), la matriptase 2 clive l’HJV pour donner naissance à une forme soluble d’HJV. L’activation de la voie BMP-SMAD est inhibée avec réduction de la transcription de l’hepcidine. Des taux anormalement élevés d’hepcidine sont mis en évidence pour les patients IRIDA (B)suite à une mutation du gène codant pour la matriptase 2.

Erythropoïèse

L’activation de l’érythropoïèse induite par phlébotomies répétées et par hémolyse aiguë provoque une réduction de la transcription de l’hepcidine dans un modèle murin (Nicolas et al. 2002b). Chez l’homme, la stimulation de l’érythropoïèse induite par une saignée ou l’administration d’érythropoïétine (EPO), s’accompagne d’une diminution rapide de l’hepcidinémie, favorisant de cette manière l’absorption de fer duodénal et la libération du fer macrophagique et hépatocytaire (Ashby et al. 2010). L’érythropoïétine ne semble pas avoir un effet direct sur la répression de la synthèse d’hepcidine. Alors que l’administration d’EPO chez les souris s’accompagne d’une suppression de la transcription de l’ARNm codant pour l’hepcidine, cet effet est aboli pour ces mêmes souris rendues aplasiques par administration d’inhibiteurs de l’érythropoïèse (Pak et al. 2006). Le régulateur erythropoïétique de l’hepcidine semblerait être un facteur circulant relargué par les précurseurs érythroïdes en réponse à l’EPO.

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Le Growth Differenciation Factor 15 (GDF15) appartient à la superfamille du TGF-β et est relargué à un stade tardif de la différenciation érythroblastique. Le GDF-15 a été proposé comme suppresseur potentiel de la synthèse d’hepcidine. Néanmoins, les souris KO pour le gène codant pour GDF15, présentent le même profil de suppression de transcription de l’hepcidine par rapport aux souris sauvages, après phlébotomies (Casanovas et al. 2013). De plus, l’injection d’EPO chez l’humain ne semble pas s’accompagner d’une modification significative des taux plasmatiques de GDF-15 (Ashby et al. 2010). Ces résultats remettent donc en cause le rôle joué par ce facteur dans la régulation érythropoïétique de l’hepcidine.

En 2014, l’équipe de Kautz et al, en travaillant sur des souris phlebotomisées ou recevant de l’érythropoïtéine, identifie une protéine sécrétée précocement par les érythroblastes différenciés, en tant qu’inhibiteur de la transcription de l’hepcidine. Cette protéine, reliée à la famille du C1q tumor necrosing factor, est baptisée erythroferrone (ERFE) pour son origine et son implication potentielle dans le métabolisme ferrique. La transcription de l’ARNm codant pour ERFE est rapidement stimulée chez des souris sauvages après saignées ou administration d’EPO. L’absence de répression de la synthèse d’hepcidine chez des souris phlébotomisées, KO pour le gène codant pour l’ERFE, conforte le rôle joué par cette protéine dans la régulation érythropoïétique de l’hepcidine (Kautz et al. 2014). Les souris KO pour ERFE ont, à la naissance, des paramètres hématologiques similaires aux souris sauvages. L’ERFE ne serait donc pas un acteur majeur de l’érythropoïèse en conditions physiologiques mais jouerait un rôle manifeste lors de stress érythropoïétique (Kautz 2014b).

Lors de stimulation érythropoïétique, la synthèse rénale d’EPO est augmentée. L’EPO interagit avec des récepteurs présents au niveau des précurseurs érythroïdes de la moëlle et de la rate. Cette liaison s’accompagne d’une activation de la Janus Kinase de type 2 (JAK2) et d’une phosphorylation du Signal Transducer and Activator of Transcription 5 (STAT5) à l’origine de la production d’érythroferrone. Celle-ci est relarguée au niveau plasmatique et réprime la synthèse d’hepcidine par un mécanisme dépendant de la voie BMP, non complètement élucidé (Ganz 2018).

L’érythroferrone est la molécule clef ayant permis de faire le lien entre la synthèse des globules rouges et l’apport en fer requis pour une érythropoïèse optimale (Camaschella & Pagani 2018).

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Chez les patients atteints de bêta-thalassémie ou d’érythropoïèse inefficace, les taux d’hepcidinémie sont anormalement bas pour le degré de surcharge martiale observé (Papanikolaou et al. 2005b). Dans un modèle de souris bêta-thalassémique intermédiaire, des taux élevés d’ARNm codant pour ERFE sont observés au niveau médullaire et splénique. Lorsque le gène codant pour ERFE est supprimé dans ce modèle, les souris KO présentent une normalisation des taux plasmatiques d’hepcidine avec une réduction de la surcharge en fer hépatique (Kautz et al. 2014).

D’autres régulateurs encore non identifiés pourraient intervenir dans la régulation de la transcription de l’hepcidine lors de l’activation de l’érythropoïèse (Vallet 2018).

Inflammation

Lors d’un processus inflammatoire, différentes cytokines sont relarguées dans la circulation sanguine. Les LPS interagissent avec le Toll Like Receptor de type 4 (TLR4) au niveau macrophagique pour stimuler la production d’interleukine-6 (IL-6), d’IL-1β (Silvestri et al. 2019). L’IL-6 joue un rôle essentiel dans la stimulation de la transcription de l’hepcidine. L’implication de l’IL-6 est démontrée dans des cultures cellulaires, des modèles expérimentaux animaux et humains (Nemeth et al. 2004b). Cette cytokine interagit avec le récepteur IL-6 présent à la surface de l’hépatocyte. Il y a alors activation de JAK2 et phosphorylation de STAT3. Ce dernier migre dans le noyau et stimule la synthèse de l’hepcidine par fixation à un site spécifique STAT présent au niveau du promoteur du gène (Wang & Babitt 2016).

Une collaboration étroite est requise entre les voies JAK2-STAT3 et BMP-SMAD pour une activation complète de la transcription d’hepcidine lors de phénomènes inflammatoires (Silvestri et al. 2019). La dorsomorphine, inhibiteur sélectif de la voie de phosphorylation BMP/SMAD bloque la transcription du peptide induite par l’IL-6 (Yu et al. 2008). Les souris KO pour SMAD4 ne présentent plus d’augmentation de l’ARNm de l’hepcidine lorsqu’elles sont soumises à l’IL-6 (Wang et al. 2005).

Enfin, la protéine myeloid differentiation primary response gene 88 (MyD88), activée lors de l’interaction des LPS avec les TLR4 au niveau hépatocytaire, pourrait stabiliser SMAD4 et réguler positivement la voie BMP-SMAD (Silvestri et al. 2019, figure 8).

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Figure 8 (Silvestri et al. 2019): Lors d’un processus inflammatoire, l’interleukine-6 (IL6) interagit avec son récepteur présent au niveau de la membrane hépatocytaire. Il s’en suit une phosphorylation de STAT3, migrant au niveau du noyau pour stimuler la transcription de l’hepcidine. Les lipopolysaccharides (LPS) se lient au Toll Like Receptor 4 (TLR4), présent au niveau de la membrane hépatocytaire, pour activer la protéine MyD88. Cette dernière pourrait stabiliser SMAD4 et amplifier la voie BMP-SMAD.

1.4.8 Quantification de l’hepcidine dans divers milieux biologiques