Chapitre II : Etat des connaissances théoriques : outils simples, difficultés d’utilisation et proposition d’améliorations
3. La régulation de l’activité et la MMS : un complément aux outils simples d’évaluation du risque TMS ?
3.1. La régulation et la MMS : une approche innovante
Du couplage opérateur/environnement de travail émerge l’activité qui traduit d’une part, la
manière dont l’opérateur arbitre et digère les différentes formes de prescriptions et d’autre
part, la manière dont l’organisation et le système technique vont donner à l’opérateur les
ressources pour arbitrer ces différentes formes de prescriptions et atteindre les objectifs
(Coutarel et al., 2015). Aujourd’hui l’évaluation du risque d’apparition des TMS s’oriente vers
l’estimation des expositions du travailleur, à certains facteurs considérés comme favorisant
l’apparition de la pathologie, sans pouvoir définir comment le travailleur y fait face. Pourtant de
nombreuses définitions présentent l’activité de travail comme une mobilisation de la personne
humaine (indissociablement physique, cognitive, subjective et sociale), qui se construit en
permanence, dans un cadre d’objectifs et de contraintes, et en mobilisant des ressources
(Coutarel et al., 2015; Guérin et al., 2006; St-Vincent et al., 2011). Cette relation entre
contraintes, objectifs et ressources de l’activité de travail, issue de la relation entre les
caractéristiques de l’environnement et de l’individu, influence la manière dont l’individu va
réaliser l’activité. Dans un cadre d’objectifs (fixé par l’entreprise et l’individu) la relation entre
les contraintes et les ressources de l’individu en situation de travail, structure « la manière de
faire le travail ». Nous pensons, qu’apporter des compléments d’informations sur comment
l’individu réalise l’activité et quelles en sont les conséquences sur ses objectifs de santé et de
performance, peut-être une évolution apportée à la recherche des situations critiques.
Contrairement à l’hypothèse la plus répandue dans les organisations, les objectifs et les
ressources ne sont pas stables (Coutarel et al., 2015; Gaudez et al., 2016). L’opérateur fait
face à une « double source de variabilité » : la sienne de façon intra individuelle et celle liée au
système de production (Gaudez et al., 2016; Malchaire et al., 2000; Catherine Teiger & Falzon,
1995; C Teiger & Laville, 1972). La variabilité du système de production se traduit par une
relation instable entre tâches et exigences, entre conditions et moyens offerts par le milieu de
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travail, et entre le soutien/l’entraide et l’environnement social. Les opérateurs, travaillant sur
les situations de travail, sont confrontés à une dépendance environnementale et
organisationnelle plus élevée, ce qui renforce notamment le risque de développer un TMS
(Bourgeois & Hubault, 2005). La variabilité individuelle se traduit aussi par une relation instable
entre la demande de l’entreprise et les capacités de réalisation de l’individu, entre les stratégies
de réalisation prescrites et celles développées, entre les objectifs de performances et l’état de
santé de l’individu, entre les connaissances de l’organisation du travail et la gestion des aléas et
variabilité. Les différences individuelles sont des impensés des situations de travail standard, la
conception des postes étant réalisée à partir de normes anthropologiques (« homme moyen »),
la diversité des caractéristiques individuelles ne peut pas être prise en compte. Ces impensés
dans la conception des situations de travail entrainent une augmentation du risque TMS
(Bourgeois & Hubault, 2005; Caroly et al., 2008; Coutarel, 2004). Les opérateurs, travaillant
sur les situations de travail doivent réaliser l’activité malgré la variabilité des conditions de
réalisation, pour cela ils font face avec leurs propres caractéristiques et les moyens offerts par
l’organisation afin de développer des stratégies de réalisation adaptées et en limiter les
conséquences (santé et performance).
Le champ de l’intervention en ergonomie de l’activité, propose de nouvelles pistes
d’intervention en prévention des TMS par la prise en compte de la marge de manœuvre en
situation de travail permettant la régulation de l’activité (Caroly et al., 2015; Roquelaure et al.,
2013; St-Vincent et al., 2011; Westgaard & Winkel, 2011). La notion de MMS a été publiée
comme étant centrale en prévention des TMS car elle permet d’étudier, de manière
situationnelle, la mise en relation des contraintes (environnementales, organisationnelles et
individuelles), et des ressources utilisées par l’individu pour y faire face (collectif de travail,
échange de bonne pratique, entraide, développement des stratégies de réalisation, gestion du
rythme par l’individu…) (Coutarel et al., 2015; Cuny-Guerrier, 2017; St-Vincent et al., 2011; S.
R. Stock et al., 2018; Vézina, 2001). Le développement de l’activité du travailleur, notamment
par l’intermédiaire de nouvelles possibilités de régulation de l’activité, grâce à la présence de
marge de manœuvre en situations de travail est un élément favorable à la prévention des TMS
(Caroly, Coutarel, Landry, & Mary-Cheray, 2010; Caroly, Major, Probst, & Molinié, 2013;
St-Vincent et al., 2011; Vezina, Durand, Richard, & Calvet, 2016). Dès 1998, Daniellou imagine un
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l’on puisse faire autrement semble l’une des constantes dans les situations de travail
génératrices de troubles musculo squelettiques » (Daniellou, 1988). Envisager la relation
entre l’apparition de TMS et un déficit de marge de manœuvre en situation de travail amène
donc à envisager les TMS comme un symptôme d’une limitation de la possibilité d’agir de
l’individu (Coutarel & Petit, 2013). Cette approche est confirmée par Coutarel & Petit (2013) qui
considèrent que « développer la marge de manœuvre en situation de travail, c’est développer
les ressources de la situation et donc les possibilités, pour les travailleurs concernés, de
répondre aux exigences du travail (y compris celles qu’ils se fixent eux-mêmes) dans des
conditions (physiques, organisationnelles et sociales) qui favorisent la prise en compte des
différentes modalités de leur mobilisation (subjective, cognitive, et physique) » (Coutarel &
Petit, 2013, P16)
Le lien entre le modèle théorique de Vézina (2001), issu de la pratique en ergonomie, et la
prévention des TMS a été démontré à plusieurs reprises (Caroly et al., 2008; Caroly et al.,
2013; Major & Vézina, 2015, 2016; Ouellet & Vézina, 2014; Vézina, 2001). Ce modèle est
aujourd’hui décliné dans plusieurs domaines de la prévention des TMS comme la réadaptation
(Durand et al., 2009; Durand et al., 2008; Durand, Vézina, & Richard, 2016), la conception des
systèmes de production (Lux et al., 2017) ou encore l’encadrement de proximité
(Cuny-Guerrier, 2017; Cuny-Guerrier et al., 2015).
Intégrer la régulation et la marge de manœuvre en situation de travail comme un élément
central à la recherche des situations critiques est proposé dans ce rapport à partir du modèle de
l’activité centré sur la personne développé par N.Vézina à partir de 2001 (modèle décrit par la
suite au chapitre II.3.3). L’adaptation de ce modèle à la phase d’évaluation du risque propose
de rechercher les situations les plus critiques à partir d’une question centrale : « est ce que le
travailleur a suffisamment de marge de manœuvre situationnelle (en situation), pour gérer la
variabilité du travail et sa propre variabilité ? ». Nous soutenons que l’insuffisance de marge de
manœuvre situationnelle se traduit par un échec dans le processus de régulation, et a des
conséquences sur l’équilibre entre le maintien (voir le développement) de la performance et la
santé du travailleur.
Dans une approche conceptuelle, la phase d’évaluation du risque doit viser, non seulement la
prise en compte des contraintes mais aussi les ressources de la situation, comme étant
favorable à l’élaboration des stratégies de régulation et ayant donc des conséquences sur
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