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Première partie. Mobilisations et démobilisations

Chapitre 1. Quotidiens de guerre

Le parcours des combattants français britanniques et allemands au cours de la période de septembre 1939 au 10 mai 1940 sur le front occidental comporte un socle commun, celui du quotidien. La mobilisation, l'arrivée sur le front, la préparation des cantonnements, l'entraînement en vue du combat sont autant de variables communes aux trois armées. Fortes des leçons et des expériences de guerre de 1914-1918, ces dernières s'installent face à face, le long de la frontière, attendant la venue de l'offensive. Avec le combat comme expectative, les soldats s'enterrent à nouveau, dans des fortifications non plus improvisées, faites de tranchées, de bois et de sac de sable, mais bétonnées et creusées en profondeur : la ligne Maginot et le Westwall.

À peine arrivés sur le front, les combattants se mettent alors à creuser, à renforcer, à camoufler les fortifications existantes, se préparant à une guerre de position. De part et d'autre de la frontière, le temps calme est mis à profit. Pour les Alliés, il s'agit de suivre la stratégie globale de l'asphyxie économique de l'Allemagne, par le blocus maritime, par des guerres périphériques, par la mobilisation de leurs empires coloniaux afin d'amener sur le front toujours plus d'hommes et de matériel. Face à cette stratégie, l'Allemagne, forte de son accord avec l'Union Soviétique, qui soulage son économie, attend le moment opportun pour faire entrer en action ses troupes mécanisées et aériennes, qu'elle doit compléter et regrouper avec son offensive en Pologne. Les huit mois de calme relatif sont inédits car les trois belligérants principaux trouvent un intérêt dans l'inaction du front.

En quoi les quotidiens de guerre des combattants sont-ils marqués par une expérience commune de cette guerre sans offensive ? Leurs mobilisations, au cours de la semaine qui précède la déclaration de guerre sont des moments particulièrement importants pour ceux qui abandonnent travail et famille pour rejoindre les casernes. Pas encore militaires, plus vraiment civils, ils sont lentement dirigés vers le front. Les voyages qu'ils effectuent à travers l'Allemagne ou la France, en franchissant la Manche parfois, sont de réels instants de rupture avec leur vie d'avant, une séparation sur laquelle pèse le spectre de la Grande Guerre.

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I. Des entrées en guerre inachevées

L’Allemagne, après avoir récupéré les Sudètes et la Tchécoslovaquie, s’emploie à justifier au printemps et à l’été 1939 une possible intervention contre la Pologne et la ville libre de Dantzig, où la minorité allemande, d’après la popagande nazie, subirait exactions et violences de la part des Polonais. Face au refus polonais, fort de son alliance avec les démocraties occidentales, l’Allemagne débute sa mobilisation à la fin du mois d’août 1939.

1. « Es war geheime Mobilmachung » : mobilisations partielles et

mobilisations générales

1939. 25.8. À l'époque, je ne pensais pas à la guerre. Après tout, les choses se sont toujours bien passées, alors pourquoi pas avec la Pologne ? C'est ce que je pensais, mais il en fut différemment. Je me baignais encore ce soir-là et quand je suis rentré à la caserne, elle ressemblait à une fourmilière. Voilà comment tout s’est passé. C’était une mobilisation secrète44.

Une mobilisation secrète, « geheime Mobilmachung », est le terme employé par le soldat allemand Ernst H. dans son journal intime pour décrire son ressenti sur la situation à la fin du mois d’août 1939. Le pacte germano-soviétique, signé le 23 du même mois, accentue les tensions en Europe, et les revendications allemandes sur la Pologne se font de plus en plus pressantes. L'impression de « secret » qui pèse sur les préparatifs allemands s'explique par le raisonnement du Generalstab des Heeres, de l'état-major allemand, qui table la réussite de son opération en Pologne sur la rapidité et la surprise, tant politique que militaire45.

44 Deusches Tagebucharchiv, 1390-IV,1, Ernst H., p.1. « Damals dachte ich nicht an Krieg. Es hatte ja immer gut gegangen, warum auch mit Polen nicht ? So habe ich gedacht, aber er ist anders gekommen. Ich war an diesem Abend noch zum Baden, als ich dann die Kaserne betrat, glich sie einem Ameisenhaufen. So lief alles umher. Es war geheime Mobilmachung. »

45 KROENER, Bernhard, « Mobilmachungsplanungen gegen Recht und Verfassung. Kriegsvorbereitungen in Reichsheer und Wehrmacht 1918 bis 1939 », in THOSS, Bruno et VOLKMANN, Hans-Erich, Erster Weltkrieg,

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Alors que l'Allemagne déclenche sa mobilisation le 26 août 193946, la France commence à rappeler partiellement ses troupes, notamment à la frontière et dans les troupes de forteresse. Quelques mois auparavant, lors de la crise des Sudètes, la France avait déjà partiellement mobilisé ses troupes47. Ces mobilisations partielles n’ont d'ailleurs pas été oubliées, comme le rappelle le capitaine Pierre Gendreau, le 23 août 1939 dans son journal intime :

Un coup de sonnette matinal m’a brusquement tiré du lit : un agent de police m’apportait un ordre de mobilisation. Je dois me rendre immédiatement à Wallbach, près de Colmar. Cela devient une habitude. Il y a déjà un an, j’endossais l’uniforme pour aller au secours du pays des Sudètes, quelque part en Autriche. Il s’agit maintenant de défendre le « couloir polonais48 ».

René Didelot, lieutenant français mobilisé le 26 août, évoque lui aussi cette mobilisation partielle dans ses mémoires, qui a marqué les esprits et les a préparés au combat :

Je vous quittais le matin de très bonne heure après vous avoir embrassés dans votre lit et je partais pour l’autobus de 5h. C’était le 26 août, à la gare il y avait peu de monde la plupart des réservistes étant partis deux jours avant49.

Ces mobilisations partielles concernent d'abord les réservistes et les hommes mobilisables aux frontières. Elles sont mises en place pour échelonner l’arrivée des hommes sur le front, éviter un engorgement dans les gares, et tenir les points stratégiques en cas d'agression soudaine, le temps que le reste de l’armée se mobilise.

46 STARGARDT, Nicholas, La guerre allemande, Portrait d’un peuple en guerre, Paris, La librairie Vuibert,

2017[2015], p. 47.

47 GRENARD, Fabrice, La drôle de guerre. L’entrée en guerre des Français. Septembre 1939-mai 1940, op. cit., p. 83. L’auteur évoque le nombre de 900 000 hommes appelés entre le 22 et le 27 août.

48 La contemporaine, O 57149, Gendreau Pierre, Une drôle de guerre, p. 9.

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L'officier français J.A. Sorel écrit dans ses mémoires que les mobilisations partielles de septembre 1938 l'avait habitué à cette immense manœuvre qu'est la mobilisation. Lui-même, en septembre 1939, rejoint une unité particulière de l'armée française : un régiment régional, qui a pour mission d'aider à la mobilisation générale en assurant la surveillance des usines, des nœuds et voies de communication terrestres et fluviales, afin d'acheminer au mieux les hommes, le matériel et les animaux sur le front. Non engagé directement sur le front, ce type d'unité reçoit des effectifs sensiblement moins aptes que les régiments d'active destinés au combat, à commencer par des hommes âgés. Sorel les décrit ainsi :

[Ces] pères de famille dont parfois les cheveux grisonnent [,] ont repris la démarche du vieux troupier, la silhouette illustre du poilu qui a hanté mon enfance50.

Le poids de la Première Guerre mondiale pèse dès les premiers instants de l'entrée en guerre. La reprise du vocabulaire désormais bien connu, et en particulier le terme de « poilu » dans la description des soldats de 1939-1940 montre cette filiation dès la mobilisation51. La participation de ces mobilisés âgés, protégeant en quelque sorte la mobilisation des plus jeunes, inaugure alors une guerre placée sous la protection de la précédente.

L'évocation de la Première Guerre mondiale est régulière, courante. Le soldat allemand Albert J. l'évoque également, avec crainte et appréhension, sentiments qu'il pense partagés avec de nombreuses personnes autour de lui. Il écrit dans ses mémoires, alors que les réservistes allemands de son village viennent d'être appelés, le 28 août 1939 :

La dernière phrase de toutes ces conversations est : « Une guerre arrive. » En écoutant leur discours, je crois que je peux entendre ce que les vétérans de la Première Guerre mondiale ne veulent pas

50 La contemporaine, S 27127, J.A. Sorel, Le chemin de croix, p. 35-36

51 Certains soldats de 1939-1940, comme dans l'exemple de J. Sorel, étaient des vétérans de 1914-1918. Fabrice Grenard, dans la note sur l’hommage aux combattants français morts pour la France du 3 septembre 1939 au 9 mai 1940 estime la proportion à 40 % des mobilisés. Il est néanmoins essentiel de rappeler que la plupart de ces hommes ne sont pas directement affectés à des unités combattantes, davantage versés dans les régiments régionaux et territoriaux. Site du Souvenir Français. https://souvenir-francais-66.pagesperso-orange.fr/fichiers/Dossier%20de%20presse%201939.pdf, consulté le 4 octobre 2019.

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mettre en mots : « Le meurtre redeviendra-t-il obligatoire ? Les années sanglantes de 1914-18 seront-elles répétées52 ? »

Si à l'entrée en guerre, l'Allemagne ne mobilise que très peu ses classes d'âge ayant participé à la Première Guerre mondiale, la mémoire de cette dernière est cependant vivace. Les termes employés par Albert J. rappellent avec intensité les offensives meurtrières. Les deux perceptions, celle de l'officier français A. Sorel et celle du soldat allemand Albert J., faisant référence toutes deux à la même guerre, sont cependant marquées par des expériences nationales différentes. Pour les soldats français, la Première Guerre mondiale est souvent perçue de manière méliorative, comme le soulagement victorieux de cinq années de guerre terrible, malgré les lourdes pertes et l'angoisse qu'elle suscite, alors que le spectre de la défaite plane toujours sur les représentations allemandes et la mention de 1914-1918 se retrouve ainsi dans des témoignages sceptiques ou angoissés. La perception positive de la Grande Guerre par les Alliés doit cependant être nuancée par l’importance du pacifisme développée tout au long des années 20 et 30 chez certains combattants, anciens et nouveaux, qui voient déjà la déclaration de guerre de 1939 comme une défaite majeure53.

Ces mobilisations partielles entraînent également quelques tensions. En France, le départ des classes les plus âgées pour les régiments régionaux draine les hommes les plus vieux, souvent pères de famille, âgés d'une cinquantaine d'années. Gustave Folcher, du sud de la France, décrit dans ses mémoires les femmes de ces mobilisés, « furieuses » de voir leurs maris partir alors que les plus jeunes doivent être mobilisés quelques jours plus tard lors des mobilisations générales. Folcher termine son observation sur un espoir : « Tant qu'il n'y avait pas la mobilisation générale, tout pouvait encore être sauvé54. »

C'est en effet un fol espoir qu'entretient alors Folcher. L'entrée des troupes allemandes en Pologne précipite les mobilisations générales en France et en Grande-Bretagne. Chacun cherche à se renseigner comme il peut. Le soldat britannique

52 Deutsches Tagebucharchiv, 148-1, Albert J., p. 5. « Der Schlusssatz aller dieser Gespräche ist es : “es kommt ein Krieg.” Am Austruck ihres Redens glaube ich es vernehmen zu können, was die Weltkriegskämpfer nicht in Worte kleiden wollen: “soll nun das Morden wieder Pflicht werden ? Werden sich nun die blutigen Jahre von 1914-18 wieder wiederholen ?” »

53 PROST, Antoine, Les anciens combattants, 1914-1940, Paris, Gallimard, 2014 [1977], p. 163. 54 La contemporaine, O col 4483/17, Gustave Folcher, 25 août 1939, p. 17.

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Pees évoque la rumeur comme biais d'informations, le « bush telegraph55 », d'autres, comme le sergeant Franck Southall, se rendent directement au Drill Hall, le 1er septembre, pour s'enquérir de la situation. Les réponses sont unanimes, les officiers et sous-officiers en poste les renvoient chez eux, les enjoignant de préparer leur équipement et de se tenir prêts pour répondre à l'ordre de mobilisation.

L'état d'esprit des soldats français à la mobilisation a fait couler beaucoup d'encre. L'historien français François Cochet réserve à cette question un chapitre entier dans son ouvrage consacré aux soldats de la drôle de guerre56. Décrivant avec précision le fonctionnement même de la mobilisation, l'historien insiste sur la réussite de son déroulement, pointant tout de même sur les problèmes posés par l'Intendance. Mentionnant rapidement quelques « situations [...] douloureuses57 », il évoque surtout ce calme, cette résignation qui se seraient emparés des Français à l'annonce de la mobilisation générale. Le soldat français André Giroud s'étonne lui-même de ce calme, dans son journal à la date du 1er septembre 1939 :

Il me paraît impossible d'admettre que je ne me sente pas aujourd'hui bouleversé. Et je n'éprouve pas non plus cette froide lucidité qui fait accepter les pires situations. Nous venons de vivre des heures historiques, une journée de mobilisation générale, le fléau-si-horrible-qu'on-hésite-à-prononcer-son-nom est inévitable, imminent, et les gens restent calmes, ils vont à leurs petites affaires comme d'habitude. On dirait qu'ils ne savent rien, ou qu'ils ne croient pas à la guerre, ou que leur esprit résigné s'y est déjà installé. Et je suis comme les autres58.

Calme, résignation. Les termes couramment employés par les historiens pour décrire cette mobilisation se retrouvent dans le témoignage de Giroud. Ce dernier, tenant régulièrement son journal, écrit cependant quelques jours plus tard :

55 Imperial War Museum, documents.560, Gascoigne-Pees, p. 5.

56 COCHET, François, Les soldats de la drôle de guerre, septembre 1939- mai 1940, op. cit., pp. 21-50. 57 Ibid.

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Je viens de relire la première page de ce carnet. Je ne l'aurais pas écrite samedi. Samedi [2 septembre] c'était bien, avec la mobilisation générale, le serrement de cœur collectif, les hoquets du désespoir, les yeux rouges allumés d'un triste sourire59.

Loin des images d'Épinal d'une mobilisation militaire réussie, le témoignage d'André Giroud insiste au contraire sur l'ampleur du choc. Les mots mêmes ne peuvent être posés sur l'événement : cet instant n'est pas vécu à travers le rapport d'un préfet mais raconté dans le journal intime d'un combattant. La résignation apparaît comme une façade, une pudeur à laquelle se plient les populations civiles.

La mobilisation générale ne se résume pas seulement à des affiches placardées sur des murs, à un calme olympien affiché par une population dont on ne saisit qu'après coup la détresse et la peine réelles. Elle est l'irruption de la guerre au cœur des familles, marquant les premières larmes et les premières peurs. Elle montre l'angoisse de toutes les sociétés engagées pour leurs fils, leurs maris et leurs pères, à la veille d'une guerre qui leur rappelle celle qui a éclaté une vingtaine d'années auparavant. Elle est ce déchirement de l'intime, quelle que soit la nationalité des mobilisés. Les bouleversements que raconte André Giroud, ce « fléau-si-horrible-qu'on-hésite-à-prononcer-son-nom », de nombreux autres soldats le décrivent, comme le lieutenant français René Didelot se souvenant des visages tristes et graves dans les nombreux adieux qui l'entourent60. L’Allemand Albert J. évoque lui aussi lors du départ des réservistes, une « atmosphère d'adieu oppressante61 », tandis que le Britannique Allen se marie avec Pauline le 2 septembre 1939, doit rentrer immédiatement après à Warlingham, son centre de recrutement et qualifie la situation d'horrible62.

L'irruption brutale et soudaine de la guerre semble précipiter certaines décisions, et le mariage, souvent à l'issue d'une permission exceptionnelle, devient courant : Allen n'est effectivement pas le seul, et le soldat britannique R.T. MacKay demande, quelques semaines après sa mobilisation, une permission pour se marier, qui lui est accordée par son

Commanding Officer malgré l'imminence du départ. Les liens personnels qu'il a tissés

59 Ibid., 4 septembre 1939, p. 12.

60 La contemporaine, O pièce 56146, René Didelot, 26 août 1939, p. 16. 61 Deutsches Tagebucharchiv, 148-1, Albert J, p. 5.

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auparavant avec son officier, au cours d'une Mock Battle, l'équivalent d'un Kriegsspiel, lui permettent d'obtenir cette faveur : la recomposition du lien entre les officiers et les soldats se redéfinit dès les premières semaines de la guerre. Il épouse ainsi sa femme le 24 septembre 1939, mais doit rentrer le soir même à Chideock, dans le Dorset, où son régiment est stationné. Six jours plus tard, son régiment, le 23rd Field Regiment, Royal Artillery, quitte l'Angleterre pour Cherbourg. Les mariages qui surviennent au moment de la déclaration de guerre ne sont pas une nouveauté : déjà en 1914, de nombreux couples ont officialisé leur union, comme une promesse patriotique ou face à la peur de la mort63.

La tristesse, l'angoisse et la souffrance caractéristiques des débuts de guerre y préfigurent les affres du combat, sur lesquels plane toujours l'héritage de la Grande Guerre. Le conflit apparaît d'ailleurs à beaucoup d'Européens comme potentiellement long, et la mobilisation marque pour ces nouveaux civils en uniforme le début d'une longue séparation avec leurs familles. La perspective de la mort, de la blessure et de la convalescence, de la captivité et du temps des combats suscitent l'effroi et les rares possibilités de retour à l'arrière, comme la permission, ne peuvent rasséréner les hommes qui partent.

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2. « [...] crammed like cattle » : premiers mouvements vers le front

Gustave Folcher. Le tour de France par un soldat

Gustave Folcher, paysan dans le Gard, part d'Aigues-Vives pour Nîmes, au soir du 3 septembre, pour rejoindre son centre mobilisateur, le n° 155, situé à Avignon. Son parcours offre une description globale du voyage vers le front. Il part avec des hommes qu'il connaît mais qui s'égrènent au fil des arrêts du train. Arrivé à Avignon, il se retrouve seul, ne sachant où chercher son centre mobilisateur.

Son arrivée est facilitée par les aléas de la mobilisation : retrouvant à plusieurs reprises et à des postes clés des hommes vivant à Aigues-Vives, il arrive à être orienté vers son centre mobilisateur ; il est versé à la 3ème section de la 3ème compagnie du 1er bataillon du 12ème régiment de Zouaves. Puis vient le départ en car, pour le lieu de formation de sa compagnie, ailleurs dans le Vaucluse.

Cinq jours plus tard, le 8 septembre 1939, Folcher et sa compagnie prennent un train pour le front, au départ d'Avignon. Dans ses mémoires, il termine ici son premier chapitre et ouvre le second, intitulé « La France vue du wagon » : la rupture entre le temps civil et le temps militaire marquée par le voyage s'inscrit dans ses souvenirs. Le voyage est l'occasion pour les hommes de faire connaissance, dans l'intimité d'un wagon à bestiaux : les noms de ses nouveaux camarades apparaissent, symboles de la création d'un nouveau lien. Dans sa compagnie, les hommes viennent principalement du Sud de la France, de Marseille aux Basses-Pyrénées, complétés par quelques Parisiens et Troyens.

Nul dans le train ne sait quelle est la destination, et les différentes régions françaises décrites par Folcher s'enchaînent dans une longue description, un mélange entre un manuel de géographie et Le tour de la France par deux enfants, dont la lecture à l’école est un passage obligatoire pour un grand nombre des soldats français de la Troisième République. À travers le voyage qu’il décrit, il voit et découvre le pays qui lui a été présenté quelques années plus tôt sur les bancs de l’école. Il explique ainsi :

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Pour moi qui n'ai jamais vu que les environs du Bas-Gard, je ne puis me rassasier, car ce n'est pas du tout les points de vue de chez nous, où m'on ne voit que des vignes et, à cette époque-ci, des champs rôtis par le soleil64.

Il décrit ainsi la brume opaque de la vallée du Rhône, la colline de Fourvières, les villages accueillants, Paray-Le-Monial, en Saône-et-Loire, qui lui rappelle Lunel, à côté de Montpellier. La pause à Paray-Le-Monial est l'occasion de refaire le plein de vivres, et des

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