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Chapitre Trois

III.2 Quid de la LoI ? Bilan provisoire

Traitement des informations techniques

Les restrictions actuellement imposées à la communication et à l’utilisation des informations techniques risquent également de faire obstacle au fonctionnement efficace d’une société transnationale de défense. Il faudrait donc inventer des dispositions garantissant, d’une part, aux gouvernements que la création d’une entreprise transnationale n’endommagerait pas leurs droits relatifs aux informations techniques, et, de l’autre, aux industries que les gouvernements n’interviendraient pas dans le fonctionnement de l’entreprise si cela n’est pas nécessaire.

Les problèmes pratiques liés la sécurité des informations techniques sont lourds de conséquences pour les entreprises qui fusionnent avec un partenaires à l’étranger. L’un des problèmes principaux dans ce domaine est la différence entre les philosophies des Etats : dans certains pays, les informations techniques appartiennent presque exclusivement au gouvernement, tandis que dans d’autres, les droits intellectuels incombent avant tout aux entreprises. Certains pays disposent d’un cadre réglementaire très strict ; dans d’autres, la déréglementation est telle que les négociations d’un contrat se font souvent au cas par cas. Face à cette diversité, il est très difficile d’inventer une cadre réglementaire commun ou d’harmoniser les réglementations nationales.

III.2 Quid de la LoI ?

intérêts sont relativement homogènes), il aurait été exagérément optimiste de s’attendre à ce qu’ils résolvent en douze mois des problèmes qui existent parfois depuis des années, voire des décennies.

En général, les résultats obtenus sont concrets au niveau technique et demeurent généraux dans les domaines politiques.

Concernant la sécurité de l’information et le traitement des informations techniques, l’accord prévoit quelques avancées très précises. Par exemple, les habilitations données par un pays seront désormais, sur un programme donné, reconnues ipso facto par le ou les autres pays participant au programme. De même, des certificats personnels permettront à un agent de transporter des documents classifiés d’un pays à l’autre de façon permanente (auparavant, une autorisation était nécessaire pour chaque transport). En général, les clauses du traité concernant ces domaines sont si détaillées qu’il ne sera probablement pas nécessaire de les préciser par des MoU. Cependant, l’adaptation des réglementations existantes prendra encore du temps et de l’énergie.

S’agissant de la sécurité de l’approvisionnement, les Etats de la LoI se sont entendus sur plusieurs orientations générales, tout en posant certaines conditions : les six pays acceptent que la restructuration industrielle aboutisse à l’interdépendance, mais insistent sur la possibilité de reconstituer une capacité d’approvisionnement dans certains cas très exceptionnels où la sécurité nationale l’exige. Ils s’accordent à reconnaître que les sociétés transnationales sont libres dans la redistribution de leurs activités, mais se réservent la possibilité de maintenir sur leurs territoires respectifs certaines compétences stratégiques. Les Six se proposent de simplifier et d’harmoniser les régulations nationales et de ne pas entraver la livraison de systèmes d’armes d’un pays LoI à l’autre, sans pourtant arriver à une réglementation commune. Chaque signataire s’engage également à faciliter, en cas de crise, l’approvisionnement de l’autre, si nécessaire à partir de ses propres stocks. L’accord ne contient cependant pas d’engagement clair de s’approvisionner mutuellement sans restriction. En ce qui concerne la prise de contrôle d’une société par des investisseurs étrangers, les pays LoI tiennent seulement à ce que les Etats soient informés à temps de tout changement de contrôle.

Pour les exportations et les transferts, les prévisions sont plus concrètes : pour chaque programme commun couvert par un MoU, les entreprises

pourront recourir à une licence globale, autorisant ponctuellement l’ensemble des transferts de composants et de sous-ensembles nécessaires à la réalisation du projet. Les mêmes procédures pourront être appliquées, à la demande des entreprises concernées, pour une coopération industrielle agrée par les gouvernements. Concernant les coopérations industrielles sans chapeau politique, les Etats s’engagent à simplifier les procédures de transfert. Pour l’exportation d’un système issu d’une coopération, les participants doivent s’accorder à l’unanimité sur une liste de pays destinataires. A la demande de l’un des partenaires, un destinataire sera éliminé de la liste, si un processus de consultation n’aboutit pas à un consensus parmi les participants.

Dans le domaine de l’harmonisation des besoins, le traité esquisse plutôt un programme des travaux à venir. Les six partenaires se proposent d’inventer une méthodologie qui permette d’améliorer leur coopération à travers l’ensemble des instances concernées. L’objectif est d’arriver à un concept militaire commun, un système de planification harmonisé, un profil commun des investissements futurs et des spécifications militaires communes. Dans cette perspective, les pays LoI envisagent un certain nombre de mesures qui devraient mener à terme à un plan directeur commun des besoins opérationnels. Ils s’engagent également à organiser des consultations pour harmoniser leur gestion de programmes et leurs procédures d’acquisition. Les méthodes, moyens et structures nécessaires à la réalisation de ce programme seront élaborés dans un instrument international spécifique.

Concernant la R&T, on constate un vrai consensus parmi les six sur les points délicats comme l’application d’un juste retour globalisé ou l’admissibilité des projets restreints92. Ils s’engagent à s’informer mutuellement de leurs politiques, stratégies et programmes en la matière et de coordonner leurs relations avec des entreprises transnationales. De plus, ils se proposent de charger, le cas échéant, une organisation commune de la passation des contrats et de la gestion des programmes de

92 Dans son interprétation classique, le juste retour industriel est calculé chaque année programme par programme. Un juste retour globalisé cherche, par contre, un équilibre multi-programmes et pluriannuel. Cette deuxième approche, choisie par l’OCCAR, offre davantage de flexibilité pour la gestion des projets et permet de répartir les travaux selon des critères plus économiques et technologiques que politiques.

L’admissibilité des projets restreints est, quant à elle, une innovation par rapport à l’OAEO, qui exige que les projets de recherche réalisés sous son égide soient ouverts à tous les membres du GEAO (voir note suivante).

R&T. Cette agence sera, par conséquent, dotée de la personnalité juridique et des moyens de gérer des fonds propres. Les détails seront à nouveau fixés dans les instruments internationaux appropriés.

Le traité représente sans doute un pas important dans la bonne direction. Les protagonistes s’accordent à reconnaître qu’il ne s’agit que d’un début dont le grand mérite est de clarifier et de préciser les vrais problèmes réglementaires. Toujours est-il que la plupart des thèmes exigent un effort de longue haleine. Les six pays en tiennent compte en continuant leurs travaux, ne serait-ce que pour élaborer les MoU qui précisent l’accord. La coopération est à nouveau coordonnée par un comité exécutif, soutenu, le cas échéant, par des sous-comités.

L’avenir

L’exercice de la LoI ne peut réussir qu’avec une forte volonté politique.

Dans ce contexte, deux problèmes se posent : tout d’abord la conjonction politique est plutôt défavorable aux questions d’armement. Dans le domaine de la défense européenne, la mise en place de nouvelles structures de décision et la réalisation du Headline Goal défini à Helsinki absorberont probablement dans les années à venir l’attention des gouvernements.

D’éventuels progrès dans ces domaines auront sans doute un effet positif sur la coopération en matière d’armement ; à court terme, celle-ci risque pourtant d’être reléguée au second plan. Ensuite, la plupart des thèmes concernés sont de nature très technique. Par conséquent, les fonctionnaires spécialistes du dossier sont les vrais « maîtres » de toute réforme, non les décideurs politiques. Dans ces circonstances, le risque est de voir les principes définis par les politiques rester lettre morte, l’application concrète se heurtant à l’inertie bureaucratique.

Il y a pourtant des raisons d’être plus optimiste aujourd’hui que par le passé, ne serait-ce qu’à cause de la dynamique créée en matière de défense européenne depuis Saint-Malo et Cologne. Par exemple, les tentatives d’harmoniser les besoins pourraient profiter de l’expérience du Kosovo, qui a sensibilisé la classe politique à cette question. De plus, les tâches de Petersberg pourraient constituer un cadre opérationnel suffisamment cohérent pour déduire en commun les besoins en capacités et les caractéristiques de l’équipement correspondants. La création d’une force

d’intervention européenne renforcera encore la nécessité de standardiser l’équipement des forces armées nationales. Enfin et surtout, le nouveau comité militaire de l’UE est une instance susceptible d’encourager l’harmonisation des besoins. D’un autre côté, force est de constater que de nombreux programmes nouveaux sont aujourd’hui en cours. Dans les domaines concernés, il faudra probablement attendre plusieurs années avant que l’occasion se présente de faire mieux que par le passé.

Dans le domaine de l’exportation, l’accord de la LoI représente un réel progrès pour ce qui est des transferts. Par contre, l’efficacité de la clause sur l’exportation d’un système produit en coopération à un pays tiers dépendra de la façon dont les listes de pays destinataires seront gérées : quel sera, par exemple, le rôle de l’industrie dans l’établissement de ces listes

« blanches » ? Tous les pays participants auront-ils le même droit de co-décision sur l’établissement et la modification de la liste, même si leur participation est minimale ? A quel stade du programme veut-on établir la liste, sachant que, dans certains cas, la question de l’exportation ne se pose que quinze ou vingt ans après le lancement du projet ? Cependant, quels que soient les détails de la réglementation finale, le vrai problème restera de nature politique : tant que le consensus européen ne porte que sur les principes généraux mais non sur l’interprétation de ceux-ci, le mécanisme prévu n’empêchera sans doute pas les désaccords traditionnels de réapparaître dans des cas concrets.

Concernant la R&T, l’accord de la LoI reste vague sur la politique à mener face aux sociétés transnationales. Ces aspects sont pourtant traités dans un code de conduite spécifique qui vise à une approche commune des gouvernements vis-à-vis de ces entreprises et à une meilleure coordination des programmes de R&T. Ces prévisions sont utiles, certes, mais elles ne prennent guère en considération la façon dont les projets de recherche sont gérés au sein des entreprises. Ces dernières devraient en effet être capables de travailler en équipe intégrée transnationale et de partager les résultats de la R&T quelle que soit l’origine de la demande et du financement. En général, les principes du traité LoI en matière de R&T apparaissent ambitieux, mais il reste à voir s’ils sont acceptables pour tous les autres membres du GEAO. Le GEAO élabore actuellement un nouveau MoU

intitulé EUROPA, qui vise à assouplir le système EUCLID93 ; si EUROPA n’est pas compatible avec les principes LoI, les Six n’hésiteront certainement pas à conclure un autre MoU. Indépendamment de cette décision, il y a de fortes chances pour que l’OCCAR soit également chargé de la R&T dans un proche avenir, diminuant encore plus l’importance de l’OAEO comme agence contractuelle.

Ces questions institutionnelles sont liées à l’exclusivité du processus.

L’adhésion au traité LoI est possible après son entrée en vigueur dans les six pays et à condition que ces derniers l’approuvent à l’unanimité. La question d’une ouverture à d’autres pays européens est posée, mais tout semble indiquer aujourd’hui que les pays LoI sont décidés à continuer leurs travaux dans un cadre restreint, préférant l’approfondissement à l’élargissement94. Etant donné qu’ils représentent plus de 90% de la production d’armement en Europe, cette préférence est compréhensible pour parvenir à un niveau suffisant d’efficacité95.

La question de l’exclusivité ne se pose pas seulement pour la LoI, mais de façon plus générale pour la coopération en matière d’armement. Le problème est de trouver un arrangement satisfaisant à la fois pour les pays producteurs et pour les pays qui n’ont pas ou peu de capacités industrielles.

Il y a deux raisons pour ne pas laisser ces derniers de côté : d’abord, les pays non-LoI dans leur ensemble représentent un marché non négligeable ; les impliquer dans la construction d’une Europe de l’armement pourrait les inciter à acheter plus souvent des systèmes européens. Le second argument

93 EUCLID est le programme R&T de l’OAEO. Jusqu’à présent, son succès reste très limité dans la mesure où pour les grands pays et les grands groupes, les éléments clés d’EUCLID sont peu attractifs. Le droit absolu de chaque pays de s’associer à un projet donné, la répartition des coûts à parts égales et les dispositions en matière de propriété intellectuelle constituent des freins qui diminuent de leur point de vue l’intérêt du programme. Pour plus de détails voir Assemblée de l’UEO, « La coopération en matière d’armement dans la construction future de l’Europe de défense – Réponse au rapport annuel du Conseil », Rapport présenté au nom de la Commission technique et aérospatiale par M. O’Hara, 10 novembre 1999, Doc. 1671, p. 13.

94 Le seuil d’entrée est en effet assez élevé et discriminatoire : les autres membres de l’UE peuvent postuler pour leur adhésion. Dans ce cas, les Six doivent examiner la candidature et se prononcer ensuite à l’unanimité. Pour les pays européens non membres de l’UE, les Six sont seuls habilités à prendre l’initiative. Ils peuvent décider à l’unanimité d’inviter le pays concerné à adhérer au traité.

95 Grâce à leur statut politique et au poids de leur industrie de défense, les Pays-Bas sont le candidat le mieux placé pour adhérer au processus LoI, ainsi qu’à l’OCCAR.

est politique : comme l’armement fait partie de l’Europe de défense, il vaudrait mieux ne pas créer de nouvelles divisions parmi les Européens.

Reste à savoir comment et dans quels domaines impliquer les pays non LoI.

Bien qu’il soit trop tôt pour dire à quoi ressemblera l’architecture finale, l’émergence d’une Europe de l’armement à deux niveaux semble probable : l’OCCAR et la LoI montrent en fait que la gestion des programmes et la réglementation gouvernant la coopération peuvent être développées indépendamment l’une de l’autre. Cette expérience pourrait se transférer au niveau européen et à d’autres domaines : tous les pays européens étant des clients, il serait sans doute rationnel qu’ils définissent des règles communes pour le marché d’armement ; mais comme le développement et la fabrication de systèmes d’armes n’impliquent qu’un nombre limité de pays producteurs, pourquoi ne pas organiser leur coopération dans un cadre restreint ? Dans ces conditions, l’OCCAR pourrait s’occuper de la R&T et de la gestion des programmes en coopération, laissant l’acquisition et – pourquoi pas ? – la maintenance à une Agence européenne englobant tous les membres du GEAO96.