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LIEUX DES RECHERCHES

QUELQUES NOTIONS CHOISIES

Au fil du travail mené, des choix de définition ont été faits. Certains de ces termes ont fait ou ne peuvent faire l’objet d’une revue de littérature à eux-seuls, il est utile de donner les éléments de définition retenus.

La notion de projet est intéressante tout d’abord. Sans étudier un projet en lui-même, il est cependant l’objet et la situation de travail des professionnels observés dans cette thèse. A priori, la définition qui se rapproche le plus de ce type de projet est celle donnée par Nadia Arab qui distingue trois grand types de projets. Le projet qui semble être celui qui désigne le mieux le réaménagement des sept places est le « type C » (Arab, 2007). Ce sont des « projets urbains complexes » ou « grandes opérations d’urbanisme » qui « se traduisent par une transformation concrète de l’espace », il s’agit souvent de « périodes longues ». Nadia Arab désigne par ailleurs le programme comme une des activités les plus importantes du processus de projet. Au-delà d’une définition du type de projet, il s’agit de s’appuyer sur tout ce qui caractérise le projet dans les textes sur le projet urbain : sa temporalité, la commande politique, le nombre croissant de professionnels spécialisés en font un objet complexe et incertain pour ses acteurs. Pour être honnête, ces éléments de définition ont été pris comme un point de départ dans notre travail, un état de fait. Notre travail, sur le temps long, donne des éléments de définition de ce qu’est un projet d’espace public à Paris, sans que cela soit l’objectif de ce travail, à travers les activités et le regard des professionnels. La thèse vise à présenter notamment l’adjonction de ce qui serait un nouveau temps du projet d’aménagement d’espace public à Paris : la préfiguration. Il y a plusieurs façons de commenter ce changement. Ce choix est éminemment politique, le projet est un outil de discours politique pour reprendre le travail de Genestier (2001). Notre thèse a souhaité l’analyser à travers les réorganisations des acteurs, leurs réactions, ce que les acteurs du projet pensent et font de cette phase du projet – mais aussi, dans quelle(s) mesure(s) cette phase modifie peu ou prou la division des tâches entre ces acteurs. Aussi, le projet d’aménagement d’espace public accueille des acteurs qui s’y adaptent. En échange, ses réorientations par le politique principalement, ont des effets sur les métiers des espaces publics. Le projet est perçu différemment en fonction de l’action – politique ou technique – ou entre un ingénieur des services municipaux et un collectif de professionnels qui est intégré plus en aval. Cette perception change aussi dans le temps, à mesure que la forme du projet, ses objectifs évoluent. Le projet des sept places est ainsi un contexte donné, un ensemble d’objectifs politiques pris en main par plusieurs acteurs en charge de réaliser un programme puis des aménagements concrets dans un temps donné, celui d’une mandature municipale44.

Il est ensuite nécessaire de distinguer les savoirs, des pratiques, des compétences professionnelles. « La compétence professionnelle ne consiste pas à savoir choisir parmi divers modèles de pratiques

qui se font concurrence » (Schön, 1983, 1994). Elle renvoie directement à un savoir que possède un

professionnel qui la fait valoir au titre de son corps professionnel ou de son territoire d’activité pour reprendre Abbott. Nous retenons l’idée selon laquelle la compétence est un savoir ou un savoir-faire propre à chaque professionnel. Une compétence, celle de l’ingénieur par exemple, est souvent associée soit à l’idée que l’on se fait d’une profession - l’ingénieur a des compétences techniques - soit aux savoirs

44 Il est important de dire que si le « projet » n’avait pas d’importance d’un point de vue théorique dans ce travail, il est in fine apparu important de mobiliser ce terme en tant que situation concrète – contexte - qui (1) dit beaucoup sur les objectifs de la Ville de Paris et (2) nous informe sur les évolutions des activités de certains corps professionnels.

venus des formations initiales ou à l’expérience professionnelle passée. Les savoirs ou connaissances seraient a priori des maîtrises - en théorie – de tel ou tel activité ou objet par un professionnel. La mise en pratique de ces connaissances renvoie quant à elle à la constitution d’une expérience : ce processus est souvent décrit en sciences de l’éducation et/ou en didactique, bien que des divergences demeurent sur l’origine de la constitution d’un nouveau savoir ; le savoir issu de l’expérience concrète et/ou d’une formation plus théorique.

D’autres notions ont été choisies dans des textes de références ou des champs disciplinaires pour appuyer la thèse. Ils permettaient le plus souvent de rendre compte de nos observations avec justesse ou de mener une réflexion à partir de ces observations. Les modes de travail et les « corps professionnels » ont été empruntés à Godier et Tapie (2008) et à la sociologie des groupes professionnels. Le terme de « corps » suppose une unité de ces professionnels mais implique des statuts et des parcours différents (une finalité et/ou un titre et/ou une culture commune). Claude Leclerc45 (IUFM Créteil, In : Astolfi, 2005) s’interroge sur les formateurs d’enseignants : peuvent-ils être considérés comme appartenant à une profession. Il semblerait que ce corps de professionnels soit « disparate » (Leclerc, 2005, p.112) avec d’un côté des « permanents » et de l’autre, les « intervenants en temps partagé » (p.112). L’auteur indique qu’ils ont plusieurs statuts, différentes expériences professionnelles et donc plusieurs « pratiques de référence » (p.112). Ils ont ce faisant un but semblable, celui de former des enseignants. A celui de corps, s’adjoint celui de groupe professionnel ou de « groupe de professionnels » plus malléable lorsque plusieurs professions tels que les ingénieurs et les architectes peuvent être identifiés comme un même corps au sein d’un service technique.

L’étude des professions est l’objet de plusieurs champs disciplinaires. Ce terme de « profession » que l’on utilise le plus souvent semble être façonné dans ses contours en fonction du champ disciplinaire qui l’emploie. La notion de groupe professionnel, reprise à la sociologie des groupes professionnels, permet de ne pas mobiliser la notion de profession souvent attachée au modèle restreint de la profession. Dans ce dernier cas, la profession désigne un monopole d’exercice, des compétences reconnues légitimes, des règles éthiques ou encore « la valeur sociale et économique » d’une activité (Gadéa, Demazière, 2009, paragraphe 20). Ces professions désignent ici des professions très qualifiées, les ingénieurs en font partie mais aussi les professions libérales qui est l’exemple cité par les deux auteurs. Le groupe professionnel désigne quant à lui, et nous reprenons cette définition : « Elle désigne alors des ensembles de travailleurs

exerçant une activité ayant le même nom, et par conséquent dotés d’une visibilité sociale, bénéficiant d’une identification et d’une reconnaissance, occupant une place différenciée dans la division sociale du travail, et caractérisés par une légitimité symbolique. Ils ne bénéficient pas nécessairement d’une reconnaissance juridique, mais du moins d’une reconnaissance de fait, largement partagée et symbolisée par leur nom, qui les différencie des autres activités professionnelles. En l’absence de réglementation et de codification formelles, les groupes professionnels sont des ensembles flous soumis à des changements continus, caractérisés à la fois par des contours évolutifs et une hétérogénéité interne » (ibid., paragraphe 23). Dans certains cas, au sein de l’organisation d’acteurs de « Réinventons

nos places », il est difficile de définir si tel ou tel acteur est bien « professionnel » ou intégré à un « groupe professionnel ». Les acteurs qui portent une expertise sur le genre sont nommées ici « spécialistes du genre » car elles n’appartiennent pas nécessairement au même monde professionnel, n’ont pas de nom

45 Leclerc Claude, « Le formateur d’enseignants, entre directivité et réflexivité », chapitre au sein de l’ouvrage dirigé par Jean-Pierre Astolfi, 2005 (référencé en bibliographie).

spécifique pour les distinguer. Elles se rassemblent cependant en raison de cette expertise et de cet objectif commun. Le scénographe de la Mission PAVEX est quant à lui désigné comme un professionnel : il est reconnu et a une forte légitimité pour la Mairie de Paris tant du côté des activités de la scénographie urbaine que de l’aménagement de l’espace public. A travers ce projet, le professionnel de la scénographie construit une légitimité de ses actions dans le champ de l’aménagement, après l’aménagement jugé réussi de Paris Plages. Il participe à un mouvement de professionnalisation tout en appartenant déjà à un groupe professionnel donné. Les ingénieurs et architectes de la Ville de Paris appartiennent, quant à eux, à des groupes professionnels qui acquièrent des spécificités en fonction de leur titre et des services au sein desquels ils exercent. Les notions de profession ou de groupe professionnel ne sont pas simples à comprendre ni à apposer. Cependant, les questions soulevées ici et les données empiriques recueillies permettent d’étayer notre problématisation : il s’agit de voir des adaptations de professionnels en situation, entre des demandes politiques et la réalité des tâches du travail dans un contexte de mouvement des professions qui se spécialisent, se concurrencent, élargissent leur territoire d’activité.