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C. Rôles de l’odorat chez les oiseaux

3. Qu’en est-il chez la mouette tridactyle ?

Il n’existe pour l’instant aucune preuve expérimentale montrant que les mouettes, et les Laridés en général, utilisent leur odorat. Les mouettes ont cependant des comportements (épouillage, reniflement des plumes) qui pourraient leur permettre d’enregistrer leur odeur et celles de leurs apparentés, et peut-être d’utiliser ces informations dans la reconnaissance

individuelle. Nous avons commencé pendant la saison 2007 des expériences sur l’usage de l’odorat par les mouettes : nous avons mesuré la réaction des adultes et des poussins à différentes odeurs (vinaigre, musc de mammifère, sécrétions uropygienne de canard, et eau comme contrôle négatif). Nous avons également placé les poussins dans un labyrinthe en Y afin de tester leur capacité à reconnaître l’odeur de leurs parents. Des échantillons de sécrétions uropygiennes ont été prélevés sur différents adultes et poussins tout au long de la saison pour analyser l’évolution de leur composition chimique et leur signature individuelle.

Les résultats préliminaires montrent que les adultes réagiraient aux odeurs les plus puissantes (en particulier celle du musc de mammifère) lorsqu’elle est déposée sur leur nid. L’ensemble de ces expériences et leur analyse feront l’objet de la thèse de Sarah Leclaire.

Conclusions et perspectives

J’ai démontré que les mouettes reconnaissaient le cri de leur partenaire, de leurs poussins et que les poussins reconnaissaient également leurs parents grâce au cri. Je n’ai cependant observé aucune réaction au cri des voisins, et le niveau de réaction aux cris des membres de la même famille est globalement plus faible que celui observé dans les espèces phylogénétiquement proches. Ceci pourrait être dû au fait que (i) les adultes comme les poussins restent sur le même nid pendant toute la saison ; à partir du moment où ils sont capables de reconnaître leur partenaire et/ou leurs poussins, ils n’auraient donc plus besoin de réagir à leur cri ; (ii) les mouettes pourraient utiliser d’autres indices pour identifier leurs congénères. La reconnaissance acoustique reste cependant très importante au moment du premier envol, et permet aux poussins de rentrer plus facilement au nid en présence du parent qu’en son absence. Le départ du site d'étude se fait malheureusement trop tôt dans l'année pour pouvoir démontrer expérimentalement que le cri du poussin lors de l’envol du poussin est suffisant pour déclencher une réaction de ses parents.

Il serait également intéressant d’enregistrer précisément ce qui se passe au tout début de la saison, au moment de la formation des couples. Le pic d’activité vocale à cette époque (Wooller 1979) pourrait en effet indiquer que les mouettes utilisent des indices vocaux pour retrouver leur partenaire précédent et/ou sélectionner un nouveau partenaire parmi ceux qu’elles auraient déjà rencontré lors de leurs prospections à la fin de la dernière saison. De plus, comme le long call évolue d’une année sur l’autre, cette intense activité vocale pourrait également permettre aux individus d’enregistrer ces modifications.

Les mouettes sont appariées avec des individus génétiquement différents, ce qui pourrait leur permettre de diminuer les coûts de l’homozygotie des poussins. En effet, les couples formés d’individus génétiquement semblables ont un succès de reproduction plus faible, et les poussins homozygotes grandissent moins vite et ont plus de chance de mourir avant 25 jours.

Par ailleurs, les couples génétiquement semblables semblent également s’investir moins dans la reproduction, puisqu’ils copulent moins souvent. Cependant, ces couples copulent et se reproduisent, pondant parfois des œufs et les incubant. Etant donné les effets négatifs de l’appariement avec des individus génétiquement semblables, on pourrait s’attendre à ce que de tels couples évitent complètement de se reproduire, et commencent à chercher un nouveau partenaire le plus tôt possible. Il est tout à fait possible que les couples les plus semblables génétiquement adoptent une telle stratégie : dans ce cas, ils n'apparaîtront jamais dans mes

données, puisqu’ils ne formeront jamais un couple établi. Il pourrait donc exister un seuil de similarité génétique en deçà duquel les couples ne se reproduisent pas du tout (voire ne se forment pas non plus).

Les indices vocaux (définis dans l’[Article 1]) ne sont apparemment pas corrélés à la génétique, et il est donc peu probable qu’ils influencent le choix du partenaire de façon importante. Ce choix pourrait donc se baser sur d’autres indices, olfactifs par exemple. En effet, les souris comme les êtres humains choisissent leur partenaire suivant certaines odeurs définies par le génotype CMH (Penn & Potts 1998b, Wedekind, et al. 1995, Yamazaki, et al.

1990), et les Procellaridés utilisent également l’odeur dans l’identification individuelle (Bonadonna & Nevitt 2004). Or, nous sommes à présent capables de génotyper le CMH de Classe II chez les mouettes tridactyles. Il serait donc particulièrement intéressant de voir si ces gènes présentent les mêmes tendances que les microsatellites, pour ce qui est de l’appariement des individus. Si c’est le cas, l’odeur pourrait potentiellement avoir une importance chez cette espèce, et pourrait être un indicateur du génotype.

J’ai montré des différences importantes, tant comportementales que génétiques, entre les populations de l’Atlantique et celles du Pacifique. Dans l’Atlantique (et notamment au Cap Sizun, France), les mouettes sont appariées selon la longueur du tarse, et il existe un dimorphisme sexuel important des paramètres fréquentiels du long call (population d’Hornøya, Norvège, cf. Aubin, et al. 2007). Ces deux résultats n’ont pas été retrouvés à Middleton, et il pourrait donc exister des différences importantes dans les comportements sexuels entre les mouettes Atlantique et Pacifique. Par ailleurs, les différences génétiques entre les deux populations sont évidentes lorsqu’on regarde les fréquences alléliques des microsatellites (McCoy, et al. 2005), mais nettement moins lorsque l’on regarde les séquences CMH. Ceci pourrait indiquer que les comportements et les cris peuvent évoluer plus rapidement que la génétique, ce qui est consistant avec les modèles courants de spéciation en allopatrie (e.g., Edwards, et al. 2005). Enfin, comme les mouettes sont présentes sur l’ensemble du pourtour de l’océan Arctique, il pourrait exister un gradient autour du pôle Nord dans les différences enregistrées sur les paramètres de long calls (ce qui a par ailleurs été démontré pour certains paramètres morphologiques, comme la répartition des taches noires à l’extrémité des ailes, Chardine 2002). Il pourrait également au contraire y avoir des différences marquées entre certaines populations très proches géographiquement. Ce type d’études pourrait permettre de mieux comprendre l’histoire évolutive des mouettes tridactyles.

Dans cette optique, le fait que les mouettes de l’Atlantique ont une variabilité génétique plus faible à la fois aux microsatellites et au CMH pourrait indiquer que (i) les populations de

l’Atlantique proviendraient du Pacifique, ou (ii) que les populations de l’Atlantique ont subi une goulot d’étranglement, c’est à dire un épisode de diminution drastique de leur taille ce qui aurait pu affecter leur diversité génétique. Cette dernière hypothèse est apparemment confirmée par les études historiques : ces populations étaient effectivement beaucoup plus réduites à la fin du XIXème et au début du XXème siècle qu’aujourd’hui, Coulson 1983, Coulson & Thomas 1985, Lloyd, et al. 1991). Ces différences de variabilité génétique pourraient également affecter les mécanismes du choix du partenaire et les taux de paternité hors couple chez ces populations (Cohen & Dearborn 2004, Kokko & Ots 2006, Krokene &

Lifjeld 2000). En effet, on pourrait imaginer que, dans les populations à faible variabilité génétique, les individus préfèrent les individus génétiquement proches, car (i) les coûts liés à la destruction d’associations d’allèles adaptés localement seraient plus importants, et (ii) il est beaucoup plus facile de trouver des individus génétiquement semblables que des individus très différents dans une population peu variable, et donc choisir un tel partenaire permettrait de limiter les coûts liés à la recherche d’un partenaire adéquat.

La monogamie génétique semble donc avoir des implications profondes sur le choix du partenaire et la reconnaissance individuelle, mais ces deux facteurs ne sont sans doute pas les seuls affectés. Par exemple, on peut supposer que les mécanismes de dispersion sont également modifiés : en effet, comme les mouettes sont longévives et utilisent souvent le même nid pendant de nombreuses années, il est sans doute difficile pour les jeunes oiseaux de trouver un nid où s’installer, notamment dans une colonie aussi saturée que la tour de Middleton, où la survie adulte est particulièrement élevée (Hatch, et al. 1993) et le nombre de nids potentiels limités.

SYNTHESIS

(English version)

Introduction