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La production de savoirs au moyen de la réflexivité

CHAPITRE 2: RECENSION DES ÉCRITS

2.2. Le concept de réflexivité dans la science infirmière

2.2.3. La production de savoirs au moyen de la réflexivité

Dans les écrits infirmiers, la réflexivité semble être privilégiée pour reconnaître, développer et améliorer le savoir pratique (Burns et Bulman, 2000; Conway, 1994; Durgahee, 1997; Heath, 1998b; Johns, 1995a, 1998a; Johns et Freshwater, 2005; Kim, 1999; Mackintosh, 1998; Maggs et Biley, 2000; Patenaude, 1998; McBrien, 2007; Taylor, 2000). Plusieurs théories et approches qui portent sur le processus de production de savoirs dans la pratique professionnelle par le biais de la réflexivité sont en train de gagner de la

popularité et font de plus en plus l’objet de recherches (Giddens, 1987; Schön, 1994; St- Arnaud, 1992; Racine, 2000, entre autres).

Quelques auteurs ont d’abord considéré le processus réflexif comme un moyen permettant d’authentifier le savoir moral et personnel des infirmières (Kramer et Chinn, 1988; Chinn et Kramer, 2008; White, 1995) ou comme la porte d’accès au savoir personnel qui a été normalement vu comme difficile à articuler (Johns, 2000). D’autres auteurs ont brièvement cité le fait que la réflexivité dans la pratique était nécessaire à l’art de soigner, surtout parce que la réflexion permet de mettre en évidence et de développer les savoirs pratiques qui dérivent de l’art infirmier (Conway, 1994; Newell, 1994; Heath, 1998b). En ce sens, Chinn (2001) unit l’art de soigner à la pratique réflexive, en disant que c’est une façon de raffiner la pratique elle-même.

Or, Johns (1995b, 2000, 2005) intègre les quatre sources de savoirs décrites par Carper (1978) dans son modèle de réflexion structurée. Cet auteur affirme que lorsqu’on fait une révision des apprentissages dérivés de la réflexion, les infirmières peuvent se demander quelles sont les sources de savoir qu’elles ont changées. Heath (1998b) suggère cependant qu’on devrait introduire dans le modèle de réflexion structurée de Johns la source de savoir inconnue développée par Munhall (1993) et la source sociopolitique développée par White (1995) afin d’avoir une plus grande vision des savoirs produits dans la pratique au moyen de la réflexion. En ce sens, nous croyons aussi indispensable d’introduire dans ce modèle de réflexion structurée la source de savoir émancipatoire développée par Chinn et Kramer (2008).

Mitchell (1995), en se basant sur les idées de Bernstein (1988), affirme que la réflexion « détruit » les savoirs. En d’autres mots, la réflexion est considérée comme le processus pivot de la rupture avec ce qu’on connaît et ce que l’on a accepté; c’est la rupture avec la tradition. La destruction des savoirs au moyen de la réflexion peut offrir des opportunités pour la création de nouveaux savoirs qui peuvent être davantage « responsables » envers les êtres humains ayant vécu des expériences de santé.

Les savoirs pratiques se créent de façon individuelle et collective (Meleis, 2007). Les savoirs collectifs se produisent quand des infirmières ayant une expérience, une expertise et un point de vue différents réfléchissent ensemble (Benner et al., 1996; Dick, 1997; Gadow, 1999; Morgan et Johns, 2005; Stringer, 1996). D’ailleurs, Racine (1997) signale aussi que les praticiens produisent des savoirs et l’apprentissage est un acte social où l’être humain construit, incorpore et structure son expérience à travers ses interactions avec d’autres. En effet, chaque jour les infirmières perfectionnent et modifient leurs savoirs et créent ainsi de nouveaux savoirs à travers les rencontres avec les patients, les familles et les collègues.

Bref, plusieurs écrits infirmiers ont démontré que grâce à la réflexivité, le savoir pratique peut être identifié, révisé et compris. Cette production de savoirs est toujours faite de façon individuelle et collective autant avant, durant qu’après la réflexion (Jarvis, 1992; Conway, 1994). Toutefois, il existe peu d’écrits s’intéressant à découvrir le processus de production de savoirs au moyen de la réflexivité. En ce sens, Atkins et Murphy (1993), dans leur révision des écrits sur la réflexion, ont identifié trois étapes dans le processus de réflexion: l’auto-conscience où les infirmières deviennent plus conscientes des aspects de leur pratique qu’elles vivaient de manière inconsciente, l’analyse critique de la situation et le développement d’une nouvelle perspective de la situation. Ces étapes ont été corroborées de façon empirique auprès de huit infirmières travaillant dans des milieux urbain et rural (Thorpe et Barsky, 2001).

D’ailleurs, Kim (1999) a développé une méthode de recherche (Critical Reflective

Inquiry) fondée sur les idées de l’action-recherche, la pratique réflexive et les théories de

Habermas et Bourdieu. Cette méthode est composée de trois phases où dans chacune d’elles le processus et le produit s’explicitent. La première phase est une phase descriptive où l’infirmière fait la description et l’examen de sa pratique. Le produit de cette phase ce sont des narrations descriptives. La deuxième phase est la phase réflexive où l’infirmière réfléchit sur les standards, la situation et les intentions de la pratique. Le produit ce sont des savoirs concernant le processus de la pratique et l’auto-conscience. La dernière phase

est la phase émancipatrice ou critique où l’infirmière critique la pratique en recherchant des conflits, des distorsions ou des inconsistances et s’engage dans un processus émancipateur et de changement. Le produit de cette phase est l’apprentissage, le changement de la pratique, l’autocritique et l’émancipation des infirmières. Les phases de cette méthode de recherche sont similaires à celles qu’Atkins et Murphy (1993) ont identifiées dans la révision des écrits sur la réflexion.

Toutefois, malgré les efforts d’Atkins et Murphy (1993) pour essayer de clarifier et d’unifier les étapes du processus réflexif à travers l’analyse des écrits et de Kim (1999) qui se centre exclusivement sur le développement d’une méthode de recherche qui pourrait aider les infirmières à s’émanciper et à changer leurs pratiques, il continue à y avoir une lacune dans les écrits infirmiers sur la façon dont le processus réflexif produit des savoirs pratiques. En ce sens, King (1998), en explorant les niveaux d’expertise des infirmières travaillant dans des salles de chirurgie et de soins intensifs, suggère la nécessité d’étudier les façons dont les infirmières développent les savoirs à travers la réflexion individuelle et collective sur la pratique.

D’ailleurs, la pratique réflexive requiert une compréhension des actions, des valeurs, des conceptions mais aussi un entendement de l’influence des contextes pratique, professionnel et institutionnel sur cette production de savoirs. Dans les écrits infirmiers, l’influence de ces facteurs a été succinctement citée (Johns, 1998b, 2000). Richardson (1995) considère nécessaire d’analyser les facteurs historiques, politiques, culturels et éthiques qui influencent les institutions dans lesquelles les infirmières travaillent et Reid (1993) affirme que la pratique réflexive devrait entourer l’analyse critique du contexte social de la santé et des soins et, conséquemment, il s’avère essentiel d’identifier comment le contexte influence la production de savoirs pratiques.

On a donc besoin des approches qui nous aident à comprendre davantage le processus de production de savoirs pratiques au moyen de la réflexivité et à analyser les facteurs contextuels qui peuvent influencer cette production. En ce sens, plusieurs auteurs

ont développé des théories qui portent sur la production de savoirs dans la pratique professionnelle (Barbier, 1996; Bourdieu, 1972; Cervero, 1988; Giddens, 1987; Schön, 1994; St-Arnaud, 1992; Racine, 2000), entre autres. Le but de la prochaine section est de nous pencher sur trois théories portant sur la production de savoirs dans la pratique professionnelle à travers la réflexivité.

2.3. Les théories qui portent sur la production de savoirs dans la