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D’après le dernier rapport du Haut Conseil de l’Education (2007), les difficultés scolaires se construisent très tôt. En CM2, 25,8% des élèves ont des acquis fragiles et 15% ont des difficultés de lecture, dont 3,4% sont considérés comme étant en grande difficulté scolaire, c'est-à-dire ne maîtrisant aucune des compétences attendues en fin d’école primaire (MEN, 2004). Parmi les 60% qualifiés comme étant les meilleurs, la moitié d’entre eux (28,5%) sont seulement capables d’identifier et de comprendre les informations explicites d’un texte. Ces proportions sont comparables à celles observées au cours de la scolarité obligatoire (Ferrand, 1991 ; INSEE, 2004 ; JAPD, 2003 ; Lafontaine, Baye, Burton, Demonty, Matoul, & Monseur, 2003). Selon Chauveau (2005), dès la fin de la première année de l’école primaire que près de 25% des élèves sont considérés comme étant en risque d’échec. La grande difficulté scolaire est un sujet de préoccupation et en particulier dans les apprentissages fondamentaux que sont la lecture, l’écriture et le calcul. Plus particulièrement, la lutte contre l’illettrisme et contre l'échec en lecture au CP revient périodiquement dans les propositions d'actions aussi bien des chercheurs, que des acteurs de terrain ou encore des politiques. Selon de nombreux auteurs, les difficultés d’accès à la langue écrite puisent leurs origines, pour une large part d’entre elles, au tout début de l’apprentissage formel de la lecture (Gaux, 2007). Ainsi, devant l'ampleur de ce phénomène, nous nous sommes intéressés aux mesures d’aides permettant de remédier aux difficultés d’apprentissage des élèves de début d’école primaire. Les plus fréquemment proposées sont le redoublement d’une classe et le suivi par le Réseau d’Aides Spécialisées aux Elèves en Difficulté (RASED) (Piquée, 2007 ; Troncin, 2005). Le redoublement, synonyme du terme « maintien », se définit comme le prolongement d’une année supplémentaire pour les élèves qui n’ont pas acquis les apprentissages exigés en fin de cycle (GSM, CE1, CM2). Les RASED sont spécifiques au premier degré et ont pour finalité de prévenir les difficultés d’apprentissage que peuvent rencontrer certains élèves scolarisés dans les structures scolaires ordinaires (Lesain-Delabarre & Pons, 2000).

Cependant, les recherches consacrées au redoublement et au RASED posent le problème de l’équité et de l’efficacité de ces derniers. Selon Cosnefroy et Rocher (2005) et l’Avis du Haut Conseil de l’Evaluation de l’Ecole de 2004, le redoublement est inéquitable. Il dépendrait plus de variables « subjectives » comme l’évaluation de l’enseignant ou de variables « déterministes » comme l’âge, le sexe ou l’origine sociale que de variables

« objectives » comme les performances à des tests standardisés. De son côté, un rapport de l’IGEN (Gossot, 1997) émet des mises en garde vis-à-vis des signalements au RASED. Les enfants nés à la fin de l’année seraient plus fréquemment pris en charge par le RASED. Cependant, nous avons noté que les résultats des études de Guimard (2000, 2004), Guimard, Cosnefroy et Florin (2007), du MEN (2002) et de Prêteur et Louvet-Schmauss (1993) nuancent l’idée selon laquelle les mesures d’aides sont inéquitables. Les décisions pédagogiques y sont mieux expliquées par l’évaluation standardisée et donc « objective » des performances scolaires, que par l’évaluation des enseignants qui serait « subjective » ou encore par l’âge ou le sexe de l’enfant, qui correspondraient plutôt à des critères « déterministes ». Ainsi, nous supposons que les décisions pédagogiques, au début de l’école primaire ne sont pas si inéquitables que cela. On s’attend à ce que, comparativement à des variables supposées « subjectives » ou « déterministes », les variables supposées « objectives » prédisent mieux les décisions pédagogiques ultérieures. Pour tester cette hypothèse, nous réaliserons une analyse discriminante qui permettra de savoir, parmi un ensemble de variables considérées comme « subjectives », « objectives » et « déterministes », lesquels expliquent le mieux les décisions pédagogiques prises en début d’école primaire.

D’autre part, le redoublement semble inefficace car il ne favorise pas les acquisitions de l’élève. Plusieurs études françaises et internationales (Caille, 2004 ; Cosnefroy et Rocher, 2005 ; Crahay, 2003 ; Grisay, 1993 ; Grissom & Shepard, 1989 ; Holmes, 1989 ; Paul, 1996 ; Seibel & Levasseur, 1983), réalisées à différents niveaux de la scolarité (école primaire et collège), indiquent, toutes choses étant égales par ailleurs, que l’élève redoublant réussit moins bien que celui qui est passé au niveau supérieur. L’inefficacité du redoublement précoce est quant à elle dénoncée par les rapports du Haut Conseil de l’Education (2004, 2007). Néanmoins, trop peu d’études ont été réalisées dès le début de l’école primaire, et ce concernant plus particulièrement le suivi par le RASED. C’est pourquoi notre recherche s’intéresse aux élèves de CP et de CE1 et aura l’originalité d’examiner à la fois l’efficacité du redoublement et du RASED. Par ailleurs, nous avons pu constater que les enseignants accordent une grande importance à la lecture au début du primaire dans leurs décisions pédagogiques (Troncin, 2005). Cette étude prend le parti d’examiner, non pas les performances scolaires générales comme c’est habituellement le cas dans les études sur les mesures d’aides proposées aux élèves en difficulté mais, plus spécifiquement, les performances en lecture. Ainsi, nous supposons que celles-ci sont inefficaces concernant les performances en lecture et ce, dès le début de l’école primaire. On s’attend à ce qu’à niveau initial identique en lecture, les élèves sujets à des mesures d’aide progressent moins que les

élèves passant sans en bénéficier. Nous examinerons alors, au travers d’analyses de variance et de t de student, les progressions des élèves en lecture en fonction de leurs trajectoires scolaires et de leur niveau initial en lecture.

Par ailleurs, d’après Caille (2004) le redoublement apparaît prédictif de faibles chances de réussite ultérieure et cette prédiction est d’autant plus forte que le redoublement a été précoce. Ainsi, au-delà de ces aspects descriptifs, il convient de comprendre les mécanismes psychologiques contribuant à expliquer les effets négatifs de cette mesure d’aide sur les performances et les trajectoires scolaires des élèves. L’une des hypothèses avancées actuellement considère que le redoublement affecterait les processus conatifs des élèves, et en particulier leur estime d’eux-même (Crahay, 2003). Dans une méta-analyse de 44 recherches portant sur le redoublement, dont 9 prennent en compte les aspects conatifs liés aux apprentissages, Holmes et Matthews (1984) concluent aux effets négatifs systématiques du redoublement sur l’estime de soi. De plus, une étude réalisée auprès de collégiens (Leboulanger, 1995) montre que le redoublement modifie la représentation que les élèves ont d’eux-mêmes et du « métier d’élève ». Chez la moitié d’entre-eux, l’image de soi s’est détériorée, un an après le redoublement. Nous pensons qu’en retour, l’estime de soi pourrait affecter négativement les processus d’apprentissage. En effet, de façon générale, les travaux de recherche récents attestent que l’estime de soi est une dimension conative directement impliquée dans l’évolution des apprentissages scolaires et en particulier ceux de l’écrit (Chapman et al., 2000 ; Fadhel, 2000 ; Prêteur & Louvet-Schmauss, 1994 ; Siaud-Facchin, 2005). De nombreux travaux ont pu mettre en évidence qu’une estime de soi élevée est liée à de bonnes performances en lecture (Allès-Jardel, Ciabrini, Castelli, & Salvelli, 2002 ; Chapman, Tunmer, & Prochnow, 2000 ; Fadhel, 2000 ; Martinot, 2004 ; Prêteur & Louvet- Schmauss, 1994). Pintrich et Schrauben (1992) ont montré qu’une estime de soi positive favorise une accentuation de l’effort, une persévérance lors de difficultés, une utilisation plus efficace des capacités et des stratégies acquises. Les travaux de Bandura (1982/1997) confirment l’existence d’un lien entre ce qu’un individu pense de lui-même dans un domaine (perception d’auto-efficacité personnelle) et ses performances dans ce domaine. De plus, les dimensions dites conatives créent une dynamique motivationnelle (Viaud, 2005) qui affecte directement le degré d’implication de l’élève dans les tâches scolaires (Florin & Vrignaud, 2007 ; Reuchlin, 1991). Cet enchaînement théorique nous amène à penser que l’estime de soi médiatiserait l’effet des mesures d’aide et des décisions pédagogiques en général sur l’acquisition de la lecture. De ce fait, d’une part, nous nous attendons à ce que les mesures d’aides aient un impact sur l’estime de soi. Conformément aux travaux de Crahay (2003),

Holmes et Matthews (1984), et Leboulanger (1995), nous postulons que, dès le début de l’école primaire, les mesures d’aide - le redoublement et le RASED - proposées aux élèves de CP et de CE1 affecteraient leur estime de soi en la stigmatisant. Ainsi, on s’attend à observer des niveaux différents d’estime de soi selon les parcours scolaires des élèves. D’autre part, nous nous attendons à ce que l’estime de soi ait un impact sur les performances en lecture. A l’instar de nombreux auteurs (Allès-Jardel, Ciabrini, Castelli, & Salvelli, 2002 ; Chapman, Tunmer, & Prochnow, 2000 ; Fadhel, 2000 ; Martinot, 2004 ; Prêteur & Louvet-Schmauss, 1994 ; Siaud-Facchin, 2005) on s’attend à observer une plus faible estime de soi chez les élèves en difficulté en lecture. Si ces postulats s’avèrent se vérifier, nous faisons l’hypothèse que, comparativement aux autres enfants, la plus faible progression en lecture des élèves de 6- 8 ans bénéficiant de mesures d’aide est due, au moins en partie, à l’influence de ces dernières sur le niveau d’estime de soi de l’enfant. Autrement dit, les décisions pédagogiques agiraient sur l’estime de soi des enfants qui, en retour, aurait un impact sur les performances en lecture. Cette hypothèse sera testée à l’aide de modélisations par équations structurales. En effet, les analyses en pistes causales offrent la possibilité de tester en un seul et même modèle si l’estime de soi médiatise les effets des décisions pédagogiques sur les performances des élèves en lecture.

Toutefois, bien que la prise en compte de l’estime de soi paraisse nécessaire pour mieux comprendre le fonctionnement des jeunes enfants et agir préventivement, à notre connaissance on ne dispose pas en France d’outils d’évaluation de l’estime de soi utilisables auprès d’enfant de moins de 9 ans. L’une des raisons est qu’il est difficile d’appréhender l’estime de soi des jeunes enfants. Selon Davis-Kean et Sandler (2001), ces difficultés ont conduit de nombreux chercheurs à penser que les jeunes enfants n’avaient pas le niveau cognitif nécessaire pour comprendre les concepts abstraits et être capable d’effectuer une évaluation sur eux-mêmes. Cependant, Marsh et al. (1991) ont mis en évidence que les enfants de 5 ans ont déjà formé une estime de soi générale et peuvent différencier jusqu’à sept domaines spécifiques du soi. D’autres recherches ont indiqué que les enfants, dès 5 ans (Verrier, 2004) voire dès 3 ans selon L’Ecuyer (1997), sont capables de s’auto-évaluer dans différents domaines. Par ailleurs, l’école est un lieu fondamental de construction de l’estime de soi de l’enfant (Jacobs et al., 2003 ; Maintier & Alaphilippe, 2007) et ses acteurs jouent un rôle dans son élaboration. En effet, le jugement de l’enseignant exerce un effet sur la perception des compétences scolaires, sociales et comportementales (Bressoux & Pansu, 2003). De plus, les interactions avec les pairs déterminent l’estime de soi sociale (Beauregard et al., 2000 ; Harter, 1982, 1985, 1998). En France, la scolarisation précoce est

particulièrement développée depuis longtemps. Cette spécificité n’est pas à négliger. Un enfant âgé de 6 ans a bien souvent déjà vécu trois ans de scolarisation qui lui ont permis d’être confronté à ses pairs et au jugement de l’enseignant. Ainsi, sous l’influence des expériences vécues dans le milieu scolaire, nous faisons l’hypothèse que, dès six ans, les enfants possèdent et développent une estime de soi générale et des estimes de soi spécifiques. Nous aimerions alors proposer un instrument permettant d’évaluer ces dernières de façon fiable.

Ainsi, une première étude se fixe pour objectif d’adapter et de valider un instrument de mesure de l’estime de soi en langue française, applicable dès l’âge de 6 ans. Pour cela, nous examinerons les principaux questionnaires utilisés dans la recherche anglo-saxonne et française. Nous adapterons l’outil qui semblera le plus adéquat en prenant en compte les difficultés et recommandations pour mesurer l’estime de soi des jeunes enfants. Nous testerons alors plusieurs modèles théoriques à l’aide d’analyses confirmatoires afin de sélectionner celui qui s’ajuste le mieux. Nous vérifierons ensuite la fiabilité et la stabilité de cet instrument.

Une deuxième étude se donne pour objectif d’examiner les questions de l’équité et de l’efficacité des mesures d’aides proposées aux élèves de CP et de CE1, et plus particulièrement sous l’angle des compétences en lecture. Pour cela, on examinera à la fois le redoublement et le suivi en RASED, et des mécanismes fondamentaux de la lecture en cours de construction.

Une troisième étude se donne pour objectif de tester un modèle de médiation de l’estime de soi, permettant d’expliquer les effets des décisions pédagogiques sur l’acquisition de la lecture. Ce modèle propose que les décisions pédagogiques influencent l’estime de soi qui, en retour, agit sur l’acquisition de la lecture. Avant de tester ce modèle, nous chercherons à savoir si les mesures d’aide proposées aux élèves en difficulté au début de l’école primaire influencent négativement leur estime de soi. Enfin, nous examinerons les relations entre l’estime de soi et les performances en lecture des jeunes élèves.

DEUXIÈME PARTIE :

APPROCHE EMPIRIQUE