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Le poids des protocoles sanitaires sur l’activité et les pratiques professionnelles

Lorsque les vingt entreprises s’expriment sur ce qu’ont été les effets de l’année 2020 sur leurs résultats économiques, près de la moitié d’entre elles évoque les conséquences de la mise en place des gestes barrières. Force est de constater cependant que la charge financière et les difficultés logistiques que cela a pu représenter n’ont pas été les mêmes selon leur secteur et leur type d’activité. Pour les

13L’entretien avec Adrien s’est déroulé le 22/10/2020.

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entreprises du secteur de l’agroalimentaire par exemple, les règles d’hygiène strictes à respecter font partie intégrante de leur processus de production, d’une obligation à observer dans leur quotidien de travail. Pour d’autres, l’application de ces règles a représenté un investissement à part entière, pour le secteur du commerce en particulier.

Un autre impact de la mise en place des gestes barrière sur sites concerne l’organisation du travail.

Nombreux ont été les témoignages décrivant les conséquences d’une prévention sanitaire renforcée sur les façons de travailler. Ici aussi, les situations sont disparates selon les secteurs auxquelles appartiennent les entreprises. Celles de l’agroalimentaire par exemple en ont l’habitude. Pour d’autres, les protocoles de prévention et la mise en œuvre de la distanciation sociale sont une découverte. La soudaineté de la pandémie a nécessité de leur part une adaptation dans l’urgence à ce nouveau contexte, ce qui n’a pas été sans poser des difficultés.

Des mesures sanitaires, routinières pour les uns…

Chez PANIFEX, le regroupement de meuniers et son réseau de boulangers, « (…) la technologie de l’hygiène et de la sécurité c’est une partie importante du métier et aussi des apprentissages dans les formations », comme l’indique Jacques. Bien qu’ayant entrainé un surcoût en 2020, les couts liés aux mesures de protection sanitaire supplémentaires semblent être restés circonscrits et assumés sans problème majeur.

Chez CIBUS TRAITEUR - autre société de l’agroalimentaire - les normes d’hygiène y sont bien rodées.

Le problème rencontré a été davantage dans la réactivité à avoir par rapport à des informations changeantes. Comme le souligne Anouk responsable RH : « (…) les infos tombaient au fur et à mesure, on n’avait pas de visibilité sur ce qui était demandé. On est dans l'agroalimentaire, les masques, gel hydroalcoolique, ce sont des produits qu'on utilise hors Covid, donc on a juste renforcé nos niveaux de commandes pour pouvoir élargir et renforcer leur utilisation ; ça ne nous a pas changé grand-chose après il y avait des règles de distanciation, des mesures de passage de sens de circulation mais ce n'est pas comme si c'était inconnu pour nous ce genre d'outils en fait. Parce que pour nous, les mesures d'hygiène c'est toute l'année ».

Pour GIMEL IDF, la PME de restauration collective, les gestes barrières ont représenté une charge plus importante qu’à l’ordinaire. Dans le quotidien, la société pratique la méthode HACCP14, reconnue aux plans national et européenne, pour l’hygiène des cuisines, pour la congélation ; son personnel y est déjà bien préparé. En revanche, c’est la mise en conformité des lieux de restauration aux nouveaux protocoles de protection qui a généré une activité nouvelle durant la crise. Alors que le nombre de repas servis était en diminution, ces nouveaux protocoles d’installation des salles a créé davantage d’activités, ce qui a permis de justifier vis-à-vis des clients le maintien des prix des prestations et de tous les personnels en emploi. Toutefois, ce coût en main d’œuvre liée à l’application des mesures sanitaires pourrait être remis en question par les clients si la situation devait durer, comme l’explique l’un des responsables de la PME : « (…) avec les gestes barrières et le nettoyage des tables systématique, les gens sont occupés de la même manière. Pour moins de couverts on a toujours la même masse salariale qui intervient. Après si le télétravail se généralise, il y a certaines entreprises qui

14 La méthode HACCP (Hazard Analysis Critical Control Point) est un outil de travail permettant d’identifier, d’évaluer et de maitriser les dangers significatifs au regard de la sécurité alimentaire.

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vont nous demander de revoir la masse salariale, peut-être que là on sera obligé d'envisager des licenciements, mais pour l'instant il n'y a rien de tel. ».

Dernier exemple dans le secteur agroalimentaire : l’entreprise FAFNIR producteur de farines. Elle intervient dans un secteur en tension pour les recrutements de personnels qualifiés. Parmi les critères d’embauche, le respect des règles d’hygiène est important mais la profession déplore que les candidats y soient peu préparés, comme le pointe une de ses responsable RH : « (…) et puis il y a aussi les règles d'hygiène ça malheureusement il y en a beaucoup qui les oublient. On les forme à çà en priorité mais aussi à des nouvelles choses, réseaux sociaux, comment communiquer, comment promouvoir sa boulangerie pour professionnaliser le métier. La profession, c'est un métier en tension ». Durant la crise sanitaire, les exigences en matière d’hygiène ont été renforcées, ce qui a mis davantage en exergue l’aspect problématique du recrutement de nouveaux boulangers en CDD pour arriver à satisfaire la forte demande des ménages durant la période.

Enfin, pour GAMA, fabricant et distributeur de produits désinfectants pour l’eau, l’hygiène est son domaine et ses salariés y sont aguerris. En revanche, la nouveauté durant la pandémie a été de garantir leur distanciation physique, ce qui a débouché sur une modification de l’organisation du travail avec l’introduction du travail posté. Le responsable formation s’exprime à ce sujet : « (…) nous, sur la partie gaz, quand le montage en atelier a repris, ils (les salariés) ont ré équipé les ateliers avec du plexi pour bien les séparer et ils ont mis en place les 2/8 qu’ils n’avaient pas avant ; ils ont fait une équipe du matin qui prenait à 6h00 qui finissait très tôt et une équipe d’après-midi, parce qu’on avait des demandes pressantes et qu’il fallait qu’on travaille mais en sécurité pour les techniciens ».

Ces exemples éclairent ce qu’a pu être la mise en place des protocoles sanitaires pour des entreprises déjà familières des normes d’hygiène renforcées. Pour d’autres, dont le processus de production ne les prévoyait pas spécialement dans le monde d’avant, le coût d’entrée en la matière s’est révélé parfois élevé et synonyme de brusques changements des pratiques et des comportements.

… Une découverte pour d’autres

Quelques cas illustrent ce que l’introduction des gestes barrières a pu signifier pour certaines entreprises de secteurs éloignés de ce type de pratiques de prévention. POLARIS France, la filiale du constructeur autrichien de grues hydrauliques, a pris le sujet à bras le corps en créant en son sein une cellule Covid chargée de décliner le protocole sanitaire et de trouver les solutions techniques adaptées pour le rendre opérationnel. Certes, la filiale est concernée en permanence par la question de sécurité sur chantier mais cci est d’une autre nature que le sanitaire. Soutenue par son groupe, et elle-même en croissance pendant la pandémie, elle a pu financièrement mettre les moyens pour relever le défi comme l’évoque l’un de ses dirigeants : « ce que l’on a engagé pour la protection de nos personnels était au top mais ça a couté ». En outre, les mesures prises ont conduit à modifier la gestion du personnel en fonction de la distanciation sociale, ce qui a impliqué un réaménagement des lieux de travail, la cellule Covid ayant piloté l’ensemble.

Du côté de la filiale du groupe SYGMA, spécialisée dans le génie électrique, industriel et climatique, celle-ci a dû s’adapter rapidement aux nécessités de protection pour ses personnels. Son activité a été en légère baisse durant la période à cause notamment du désengagement de certains de ses clients.

La productivité y a chuté en raison des contraintes liées à l’instauration des gestes barrières auxquelles personne n’était vraiment prêt. L’obligation de distanciation sociale a été ressentie par certains personnels comme une nouvelle obligation agissant négativement sur leurs conditions de travail,

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comme le souligne un de ses responsables : « (…) la productivité n'est pas bonne non plus parce qu'avec toutes les mesures de protection et de limitation que l'on met en face, ça impacte fortement notre productivité et ça crée du stress auprès de nos monteurs (…) ».

Dans le cas de la PME NAOS SERVICES, le fabricant de remorques et d’élévateurs à nacelles pour le bâtiment et les travaux publics, les mesures de protection sanitaire ont été prises semble-t-il sur la base du minimum requis. L’entreprise semble avoir enregistré sur la période de nombreux cas de contamination parmi ses salariés en dépit du fait que la plupart des tâches s’effectuent en plein air.

L’absentéisme au sein de ses effectifs a donc augmenté et à ce déficit de main d’œuvre s’est surajoutée une augmentation de la demande de ses clients du bâtiment lorsque ces derniers ont repris leur activité après le premier confinement de 2020. La conjugaison de ces deux facteurs a conduit la PME à ébaucher en urgence des intérimaires et des personnels en CDD. Cependant, le problème d’une (trop) faible prévention semble n’avoir pas été complétement réglé comme le concède un responsable du service formation : « (…) on reconnait qu’on aurait pu faire mieux (…) qu’on pourrait mieux faire ; les ajustements que l’on aurait dû faire sont au niveau de la gestion des cas contacts du Covid pour notre personnel, mais ça on l’a découvert au fur et à mesure. On avait peu de moyens de tests, pas de barnum pour tester massivement à proximité, dans la zone industrielle où l’on se trouve, après on arrive à gérer (…) on a des stagiaires et des intérimaires, au dernier moment on nous dit ce monsieur est cas contact, là il y a suspicion de Covid ; on lui dit « restez chez vous » ; c’est plutôt ça au niveau de l’organisation aujourd’hui ; ça arrive toutes les semaines qu’on ait des annulations pour cas contact, suspicion de Covid. Moi, j’essaie de garder le contact avec eux, de les informer, de leur transmettre un certain nombre d’informations sur la continuité de l’activité, et puis ne pas les laisser trop dans le flou pendant toute cette période ».

Enfin, pour DELTACOM, la chaine de magasins commercialisant les produits d’un opérateur de téléphonie, la notion de protection sanitaire a fait éruption dans son quotidien, accompagnée d’une conscience brutale de ce que cela pouvait signifier en termes de contraintes et de coûts. Cela n’était pas un sujet auquel les responsables étaient sensibilisés avant que n’éclate la pandémie, en quelque sorte un domaine situé hors champ du travail. Le directeur évoque le fait d’avoir été pris au dépourvu collectivement et d’avoir eu à affronter le début de la crise dans le dénuement des équipements nécessaires. Il précise le prix des mesures barrières pour l’entreprise : « (…) c’est que se protéger de la pandémie nous a couté 30 000 € de frais voire de produits de protection, de produits de désinfection ; je penche déjà qu'on sera mieux armés pour l’avenir. Les masques on en aura jusqu'à Noël (2020) pour l'instant, ce qu'on ne nous a pas donné il y a six mois ».

Cette même entreprise n’a pas été au bout de ses peines. Au-delà du coût des nouveaux protocoles, elle a subi d’autres dommages. Comme pour la plupart des activités de commerce, à la réouverture des boutiques, la distanciation sociale et les gestes barrières ont bouleversé en profondeur sa relation client et la nature même de l’acte de vente. D’autres entreprises ont été aussi dans ce cas.