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COMME PRATIQUE PREMIÈRE

99 PLANA Muriel, op cit., p 202.

100 BÉNAC Henri, Guide des idées littéraires, Éditions Hachette, Paris, 1988, p. 505. 101 Ibid. p. 185.

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Dans le même registre théorique, dans l'école des Cahiers du cinéma103 André BAZIN soulève principalement le même problème fidélité/trahison et selon lequel le texte source demeure le texte de référence et condamne « toute intervention excessive, toute manipulation, toute "tricherie", qui attenterait à l'intégrité du réel représenté ».104 D'un tel souci de fidélité105, l'adaptation doit tout de même éviter les « équivalents » filmiques des œuvres littéraires, tout en restant le plus près possible de l'œuvre de départ. Car les modes choisis ne peuvent prendre en charge certaines scènes ou idées du roman adapté.

En réalité, chaque texte, littéraire ou cinématographique, original ou adapté, constitue en lui-même un système spécifique. Certains éléments seulement des textes originaux se révèlent capables de subir des transpositions. Ces dernières impliquent toujours des interactions complexes avec le nouveau médium iconique mais aussi avec l'environnement culturel et social dans lequel le système de diffusion industrielle de l'image va les projeter.106

Outre les arguments éthiques avancés contre le principe de l'adaptation entre fidélité et trahison, de l'avis des adeptes de la suprématie de l'œuvre littéraire, cette pratique est cependant condamnée artistiquement, dans la mesure où elle entraîne une rivalité hégémonique entre les différents arts :

Ces postions […] se fondent sur une hiérarchie des arts : les arts de l'image (la peinture et la scène du temps de Goethe, l'illustration des romans pour Pirandello, […]) seraient inférieurs à la littérature ou à la musique, arts de la suggestion plutôt que de la mimésis, arts qui incitent leurs amateurs à la création de leurs propres images sur leur scène intérieure.107

Critiquer l'adaptation comme beaucoup de théoriciens l'ont fait, dans le cas spécifique de GOETHE par exemple correspond à une période déterminée de l'histoire et paraît limitée pour les successeurs. Son enjeu réside dans l'alliance de l'effort du spectateur, l'adaptateur Jean Pierre ESQUENAZI souligne à ce sujet :

Celui qui adapte est d'abord un lecteur : dans le processus qui conduira à une œuvre nouvelle, le premier temps est, en effet, celui de l'accueil d'une œuvre initiatrice. Tout

103 Les cahiers du cinéma sont une revue de cinéma française créée en avril 1951 par André

BAZIN, Jacques DONIOL-VELCROZE, Joseph-Marie LO DUCA et Léonide KEIGEL.

104 AUMONT Jacques & MARIE Michel, Dictionnaire théorique et critique du cinéma,

Éditions Nathan, Paris, 2004, p. 19.

105 La référence à la fidélité est prise en compte par Alain GARCIA dans son ouvrage

L'adaptation du roman au film.

106 CLERC Jeanne-Marie & CARCAUD-MACAIRE Monique, op.cit., P. 12. 107 PLANA Muriel, op. cit., p. 186, 187.

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travail d'adaptation commence par une activité de réception. Le point de départ de l'adaptation est donc un dialogue, dialogue entre une œuvre première et un lecteur. 108 À des degrés divers, d'autres théoriciens considèrent le passage d'un mode à un autre non pas comme une transgression de l'œuvre adaptée mais plutôt une forme de d'expansion où l'œuvre est à la fois la même et autre et le problème de la fidélité n'est guère évoqué. Bien au contraire, selon les tenants de cette pratique, « le texte est d'abord un matériau pour le metteur en scène, une matière à travailler plutôt qu'une œuvre à respecter dans sa totalité de forme et de sens »109

Un travail consistant à rendre une œuvre adéquate à un espace de présentation différent de celui dans et pour lequel elle a été apparemment conçue. […] afin qu'un jeu (harmonieux ou pas) soit créé entre l'œuvre et les contraintes également variables de son nouveau lieu d'existence. […] qui n'implique pas seulement les transformations qu'elle peut connaître elle-même, mais aussi celles qu'elle peut faire subir à son lieu d'accueil.110

L'adaptation est de ce fait considérée « Comme une excellente occasion de mieux saisir la spécificité et la richesse du cinématographe dans sa capacité à créer par des modes d'expression qui lui sont propres, une gamme inépuisable de significations et d'émotions »111 Finalement, ce qui importe le plus à ce niveau, ce

n'est pas seulement le fait d'avoir les adaptations les plus fidèles, mais plutôt de mettre en œuvre des enjeux qui déploient les deux textes, le romanesque et le scénique.

I.3 Typologie de l'adaptation :

Cette tentative de classification des adaptations varie et change selon les époques et les théoriciens. Si l'on traite l'adaptation sous l'angle fidélité/trahison, nous distinguerons chez Alain GARCIA, dans son ouvrage L'adaptation du roman au film, trois types d'adaptations : l'adaptation qui « trahit le cinéma en étant trop près de la littérature »112, dans la terminologie d'Étienne FUZELLIER la qualifie en

108 ESQUENAZI Jean Pierre, « De l'adaptation à l'ingestion », Cinémaction N° 76, 1996, p.

38.

109 PLANA Muriel, op. cit., p. 36. 110 Ibid. p. 32.

111 SABOURAUD Frédéric, L'adaptation : le cinéma a tant besoin d'histoire, Éditions

Cahier du Cinéma, Paris, 2006, p. 3.

112 GARCIA Alain, L'adaptation du roman au film, Éditions Dujarric, Paris, 2000, p.

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l'occurrence « d'adaptation passive »113, effectuant de la sorte le passage d'un langage à un autre tout en respectant le plus fidèlement possible le récit d'origine.

C'est le cas par exemple de Madame Bovary de Claude CHABROL, de Germinal de Claude BERRI. Eu égard au travail monumental effectué par ses derniers afin de retranscrire le verbal vers l'audiovisuel, leurs adaptations ne semblent pas pour autant fidèles, et ce pour des raisons de subjectivités. D'ailleurs, l'adaptation fidèle où le cinéaste tente de respecter l'œuvre demeure donc une tâche impossible.

Contrairement à l'adaptation fidèle, l'adaptation libre « Où le rapport de dépendance se renverse mais où, de ce fait, c'est le roman qui se trouve trahi »114, ce type d'adaptation pratiqué par le metteur en scène Jean-Louis BARRAULT écarte le spectacle de l'œuvre adaptée, comme il invente avec ses propres techniques les actions scéniques ou cinématographiques distinctes de l'œuvre initiale. L'adaptateur s'inspire d'une œuvre, et se procure cette liberté de lui offrir un nouveau souffle.

C'est ce que fait à titre d'exemple René CLÉMENT, souvent inspiré par la littérature, transposant très librement Patricia HIGHSMITH avec Plein Soleil en 1960 d'après le roman Le talentueux Monsieur Ripley, en 1956, pensant aussi à Gervaise inspiré de L'Assommoir d'Émile ZOLA.

Quant à la transposition qui « ne trahit ni l'un ni l'autre en se situant aux confins de ces deux formes d'expressions artistiques »115 Une définition qui rejoint encore une fois l'idée de FUZELLIER, dans Cinéma et littérature, un ouvrage dans lequel l'adaptation est considérée comme transposition du moment que l'œuvre d'origine sert de manne où l'on puise un élément essentiel qui se trouve modifié. André BAZIN la définit aussi comme l'« être esthétique nouveau », produit ni d'une traduction fidèle ni d'une inspiration libre, mais d'une « dialectique de la fidélité et de la création » qui « se ramène en dernière analyse à une dialectique entre le cinéma et la littérature »116

La transposition, évoquée également dans les travaux les plus récents menés par Muriel PLANA, s'adonne « à une œuvre tirée d'une autre œuvre du même genre mais

113 SERCEAU Michel, L'adaptation cinématographique des textes littéraires : théories et

lectures, Éditions du CEFAL, Liège, 1999, p. 17.

114 GARCIA Alain, op.cit., p. 202,203. 115 Ibid., p. 202,203.

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où il y a modernisation ou modification d'un élément essentiel de l'œuvre ».117 Au même titre que l'adaptation libre, la transposition selon Muriel PLANA convoque parfois un personnage emblématique de l'œuvre source qui devient la figure centrale du film ou encore d'un spectacle telle Esméralda dans la comédie musical « Notre- Dame de Paris »118, souvent convoquée sur la scène contemporaine. Ou c'est encore

un argument, une thématique, ou un espace qui sont transposés de la littérature au champ scénique.

Pour le cinéaste ou le metteur en scène adaptateur, la transposition ne consiste pas uniquement en une modification ou modernisation du texte adapté, mais plutôt en une revendication nécessaire d'une différence structurelle qui s'impose entre univers verbal et univers audiovisuel par rapport au texte littéraire dont il est issu. Dans ce cas précis, la transposition s'éloigne du texte d'origine, réinvente et suggère d'autres éléments, en tenant compte d'une logique propre à la mimésis.

Pour ce qui est du montage-adaptation, cette dernière typologie, pour des raisons pragmatiques, elle exclut les questions relatives à la trahison/fidélité, et surpasse les contraintes du montage classique par les techniques de photographie numérique où l'adaptateur :

Dégage du texte d'origine des fragments autonomes qu'il combine parfois avec des extraits d'autres œuvres, romanesques ou théâtrales, essais, poèmes, documents […] Le montage choisit la discontinuité, l'agencement et la suture apparentes. On conçoit alors le spectacle comme […] de "morceaux" de textes entre eux.119

Cependant, quel sens une œuvre avec des traits non organiques peut-elle avoir ? Le montage-adaptation se mue visiblement vers le brassage de textes et de techniques différents qui se fait avec plus de subtilité. Contrairement au conservatisme littéraire de la majorité des fictions de genre, le montage-adaptation offre en effet des opportunités pour ouvrir des débats et stimule la discussion, et ce qui en résulte : l'émergence d'idées et de valeurs culturelles nouvelles voire universelles. En 1993, le metteur en scène et dramaturge Eugenio BARBA mêle, dans l'un de ses spectacles, des fragments de textes de Franz KAFKA à ceux d'autres auteurs.

117 PLANA Muriel, op.cit., p. 33, 34.

118 Notre dame de Paris est une comédie musicale inspirée du roman éponyme de Victor

HUGO. Elle a fait l'objet de nombreuses représentations : anglaise, américaine, canadienne, italienne, espagnole et russe.

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Eu égard à ce que cette dernière pratique offre comme assortiment de films, de pièces de théâtre, de comédies musicales, elle se rapproche de ce fait d'une dimension dite de cross-genre120 avec des textes qui se classent toujours entre deux ou plusieurs genres. De telles créations hybrides ne sont pas nouvelles, l'exemple le plus célèbre est Le Mariage du Ciel et de l'Enfer de l'artiste peintre, graveur et poète britannique William BLAKE121, avec son mélange de poésie, de prose et de gravure. Dans la littérature contemporaine la trilogie de Dimitris LYACOS Poena Damni, dans laquelle ce romancier et dramaturge grec combine la prose fictive avec le théâtre et la poésie dans un récit multicouche se développant à travers les différents personnages.