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Trois perspectives de recherche et une incertitude… quant à l’incertitude

Ch. 2 Des dispositifs élaborés et utilisés par des producteurs

I- Trois perspectives de recherche et une incertitude… quant à l’incertitude

Trois perspectives complémentaires amendent le regard initialement posé sur les dispositifs de qualité comme supports d’information. La première souligne le rôle de ces objets et démarches en termes de transmission de valeurs (et non pas de données factuelles sur une qualité préexistante). La deuxième étudie leur construction sociale. La troisième enfin, peu présente mais apparaissant malgré tout à la lecture de ces travaux, renvoie aux usages qui peuvent être faits de ces dispositifs par les producteurs et non plus par les seuls consommateurs. Ces approches semblent particulièrement intéressantes pour approfondir l’analyse des dispositifs de qualité de l’économie solidaire et répondre au paradoxe indiqué en introduction. Les grandes lignes de ces perspectives seront rappelées avant d’évoquer un désaccord parcourant ces travaux, quant à la place de l’incertitude sur la qualité.

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A-Analyser la conception de la qualité, les valeurs, véhiculées par les

dispositifs

Une partie des travaux présentés s’accorde sur le fait que les usages des labels et logos ne se limitent pas à la transmission d’une information sur une qualité supposée préexistante au bien ou service. Ces dispositifs véhiculent également un jugement sur celui-ci et participent à sa qualification. Ces objets et démarches sont, en d’autres termes, porteurs d’une certaine conception de la qualité et donc de choix en termes de valeurs. Abordée par A. Hatchuel (1995) et par l’économie des singularités (Karpik, 1989), cette voie est particulièrement approfondie par l’économie des conventions (Eymard-Duvernay, 1989). Tandis que les deux premiers mettent l’accent sur le rôle des dispositifs dans les échanges, cette dernière attache une attention particulière aux définitions de la qualité portées par les labels et les logos. La mobilisation d’un dispositif paraît liée au passage d’une conception de la qualité (industrielle, domestique…) à une autre. La recherche de B. Sylvander sur la certification obligatoire en agriculture biologique confirme la fécondité de cette approche pour le secteur qui nous intéresse. L’analyse des conventions de qualité sous-jacentes aux chartes, certifications et systèmes participatifs semble être une perspective intéressante pour appréhender la diversité de ces dispositifs au sein de l’économie solidaire.

B- Étudier la construction sociale des dispositifs de qualité

La construction sociale des dispositifs de qualité est la deuxième direction susceptible d’apporter de nouveaux éléments de connaissance sur ces objets. Il s’agit d’une approche nettement moins mobilisée que celle traitant de leurs usages par les consommateurs. Elle s’avère pourtant particulièrement intéressante pour s’écarter de la perspective problématique du rôle de ces dispositifs en termes de résolution d’incertitude. L’analyse de leur construction sociale renvoie à l’élucidation de la « séquence volontariste » qui conduit à leur mise en place. Il s’agit de retracer l’historique de chaque dispositif de qualité et de retrouver les acteurs individuels et collectifs qui en sont à l’origine. On s’intéressera le cas échéant à la figure de l’entrepreneur institutionnel, aux intentions initiales qui ont conduit à l’élaboration du dispositif, ou encore aux raisons de son éventuelle pérennité.

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C- Considérer les usages des dispositifs de qualité par les producteurs

La troisième et dernière direction de recherche mobilisée traite des usages des dispositifs de qualité par les producteurs. La majorité des travaux présentés privilégient l’étude de ceux qu’en font les consommateurs (dans le but de rendre leur choix possible à l’aide d’une information factuelle, d’un jugement…). Lorsqu’ils sont mentionnés, leurs usages par les producteurs sont reliés à l’objectif d’orienter les acheteurs (les capter, les attacher, les détacher, leurs permettre de calculer, de qualifier…). Or certains des travaux exposés au chapitre précédent laissent entrevoir la possibilité d’autres usages par les producteurs. C’est le cas en particulier lorsqu’il est question de consommation engagée. Si les consommateurs ont la possibilité de faire valoir des choix politiques par leurs actes d’achats grâce à la présence de labels et de logos distinctifs sur les produits, n’y a-t-il pas derrière ces « signaux » une production tout aussi engagée ? La recherche sur les mytiliculteurs mentionnée précédemment (Dubuisson-Quellier, 2003) laisse entrevoir une telle perspective. Un ensemble de professionnels élabore une marque collective, dans le but de mettre en avant la spécificité de ses modes et lieux de production ainsi que le goût particulier de ses produits. Un dispositif est mis en place pour proposer une définition de la qualité alternative à celle imposée par la législation. Les travaux de sciences politiques vont à cet égard plus loin encore en présentant les dispositifs de qualité comme issus de luttes entre acteurs cherchant à faire valoir leur intérêts divergents, concernant en particulier l’appropriation et l’exploitation de ressources naturelles telles que le bois (Cashore, 2002 ; Cashore et al, 2003 ; Boström et Klintman, 2008). Ces pistes n’ont pas encore été explorées pour l’étude des dispositifs de qualité de l’économie solidaire et s’avèrent à ce titre, particulièrement intéressantes.

D-Des dispositifs qui résolvent une incertitude ou créent les échanges en

général ?

Un désaccord parcourt les travaux présentés au premier chapitre, concernant le fait que les dispositifs présents lors des échanges remédient à une situation d’incertitude particulière ou sont au contraire nécessaires à l’ensemble des échanges. Dans le premier cas, les marchés apparaissent divisés entre des situations avec incertitude (face à des produits socialement

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construits comme « singularités » ou lorsque la convention de qualité est incertaine) et des situations sans. Dans le second, il n’y a pas lieu d’opérer une telle distinction, dans la mesure où l’ensemble des produits connaît un processus continu de qualification/requalification. Cette enquête a donc été propice à une interrogation sur les rapports existant entre les dispositifs étudiés et une forme d’incertitude sur la qualité des biens et services. Il convient de se demander le cas échéant si les incertitudes constatées présentent des spécificités justifiant qu’on les distingue de celles liées à la production et aux échanges ordinaires : les biens et services concernés par un dispositif de qualité peuvent-ils être désignés comme « singularités », pour quelles raisons ? Que dire des conventions de qualité auxquelles ils sont associés ?

Ce travail envisage les dispositifs de qualité comme des objets et démarches véhiculant une conception particulière de la qualité -c’est-à-dire un ensemble de valeurs, qu’il s’agit d’analyser. L’enquête s’inscrit dans la poursuite des travaux étudiant la construction sociale des dispositifs présents lors des échanges en tâchant d’élucider la séquence volontariste qui a conduit à leur élaboration. Elle étudie les usages qui peuvent être faits de ces dispositifs par les acteurs individuels et collectifs qui en sont à l’origine. Une attention particulière est prêtée aux conflits d’intérêts et rapports de force qui peuvent entourer aussi bien l’élaboration que l’usage de ces outils. Il convient à présent de préciser le terrain sur lequel porte cette recherche.