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perspectives d’évolution en matière de filtrage et de motivation des arrêts de rejet non spécialement motivés

S’il est aujourd’hui hasardeux de prédire l’avenir, concernant la procédure de filtrage, et subséquemment, de la motivation qui y est attachée. Il demeure cependant possible de tracer des perspectives, à la lumière des propositions de la commission Jean (sous-section 1). Ou encore à la lumière des débats qui oppose les partisans et les contempteurs de la motivation nouvelle (sous-section 2).

Sous-section 1 : À la lumière des propositions de la commission

Selon la commission, il serait erroné de considérer l’actuelle procédure de non admision, comme une procédure de filtrage des pourvois déguisée. Car un filtrage impliquerait une instruction allégée du dossier. Or même les arrêts de non-admission, procèdent également (autant que les arrêts de cassation ou de rejet, classiques) d’une décision rendue au terme d’une instruction complète du pourvoi. Il en résulte que contrairement à une opinion générale, la procédure de non admission n’a pas pour objet de faire baisser le nombre de pourvois603.

Le rapport de Monsieur Jean-Paul Jean (président de la commission de réflexion sur la réforme de la Cour de cassation) propose dès lors, une double perspective d'évolution. Des mesures d’ajustement de court terme, conjoncturelles, et d’autres mesures de transformation structurelle, de plus long terme. Les premières peuvent se faire, pour l'essentiel, à droit constant et concernent pour l’essentiel des mesures d’administration de la justice, si on excepte la motivation enrichie604. Les autres nécessiteront un changement législatif, voire constitutionnels et ne pourront pas être adoptées, en l’état actuel de la législation. En particulier l’évolution vers le statut de Cour suprême comme aux États-Unis.

Au nombre des mesures conjoncturelles, dont certaines sont déjà entrée en vigueur, nous pouvons citer :

603 B. Louvel, « Pour exercer pleinement son office de Cour suprême, la Cour de cassation doit adapter ses modes de contrôle », JCP, 2015, n° 1122.

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1 -l'institutionnalisation des différents circuits déjà en pratique, de traitement des pourvois (en introduisant une nouvelle procédure rapide de traitement de l'urgence). Il existe la « possibilité dans un second temps d’inscrire ces circuits procéduraux dans un texte réglementaire ou législatif (notamment si la composition des formations de jugement en est affectée) » 605. Par ailleurs, en raison du succès de son expérimentation, la chambre criminelle poursuivra les pratiques nouvelles de traitement des pourvois qu’elle a mises en œuvre606.

2 -l’instauration d’une motivation des avis et des arrêts, modulée en fonction de leur portée plus ou moins normative ;

3 -la redéfinition du rôle des différents acteurs de la procédure, singulièrement du parquet général, qui devrait intervenir dès le seuil de procédure dans l'orientation des dossiers607.

C’est surtout dans les mesures envisagées de transformation structurelle, que se fait ressentir l’influence de la jurisprudence européenne, et des autres cours suprêmes européens et internationaux. Cependant, l’évolution des débats laisse entrevoir une revue à la baisse des ambitions de la Cour de cassation. Il semble en effet, que son projet de se transformer en Cour suprême, porté par les partisans d’une réforme radicale ait avorté (voir infra., le débat entre partisans et opposants à la réforme). Il ne s’agit désormais que d’évoluer vers un filtrage renforcé sur le modèle de ce que l’on observe déjà dans la plupart des pays d'Europe.

Deux types de filtrage existent aujourd’hui dans ce paysage extérieur608 :

-le filtrage externe des pourvois, sur le modèle allemand, qui prévoit une procédure de filtrage à un double niveau : devant la Cour suprême, et aussi de vant la juridiction d’appel. Celle-ci, agissant comme un premier filtre, vérifie si les conditions du pourvoi sont réunies. Ce premier examen pouvant être lui-même l’objet d’un recours auprès de la Cour suprême. Recours à

605 (Dir.) J.-P. Jean, « Rapport de la commission de réflexion sur la réforme de la cour de cassation-Synthèse introductive et propositions avril 2017 », prop. n° 1, p. 39 et 40, [En ligne], Disponible sur : https://www.courde cassation.fr/IMG/Rapport%20sur%20la%20réforme%20de%20la%20Cour%20de%20cassation.pdf (Consulté le 15/04/2017).

606 F. Ferrand « Des circuits différenciés au filtrage des pourvois », D., 2017, p. 1770.

607 L. Cadiet, « Cour de cassation : la réforme à pas comptés », op. cit., repère n° 5.

608 (Dir.) J.-P. Jean, « Rapport de la commission de réflexion sur la réforme de la cour de cassation-Synthèse introductive et propositions avril 2017 », p. 34, [En ligne], Disponible sur : https://www.courdecassation.fr/IMG /Rapport%20sur%20la%20réforme%20de%20la%20Cour%20de%20cassation.pdf (Consulté le 15/04/2017).

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l’occasion duquel, ladite Cour suprême examine le sérieux du projet de pourvoi, retoqué par la juridiction d’appel. Ce système permet de rendre parfaitement compatibles le droit au pourvoi du justiciable d’une part. et d’autre part, la nécessité d’écarter des pourvois fondés sur un moyen qui n’est pas de nature à entraîner la cassation609.

-Le filtrage interne à la Cour de cassation consistant en une procédure d'admission des pourvois, avant tout examen des onclusions complémentaires610. Cette solution permettrait d’examiner plus rapidement certains pourvois en réduisant les motifs d’admission au seul moyen sérieux de cassation611, à l'instar de ce qui se fait au Conseil d'État. Le dépôt d'un mémoire ampliatif y est, serait toujours, systématiquement exigé, à la différence que le défendeur ne sera tenu d’y répondre que lorsque le pourvoi est admis.612. Cette procédure rappelle la requête tendant à voir sa demande admise613. Ce filtrage se ferait à partir de cinq critères de « non-admission » que propose la commission :

1 -l'absence de violation d'un principe fondamental 2 -l'irrecevabilité du pourvoi

3 -l'absence de question juridique de principe

4 -l'absence d'intérêt pour le développement du droit

5 -l'absence d'intérêt pour l'unification de la jurisprudence614.

En 2016, les propositions de la Cour de cassation évoluent, vers un nombre de critères plus réduit, au nombre de trois. Ainsi, sous la plume de M. Pireyre, il est indiqué que : « le projet prévoit que l’autorisation de former pourvoi est conditionnée à l’exigence d’une autorisation, préalable délivrée en fonction de trois critères alternatifs : l’affaire soulève une question de principe présentant un intérêt pour le développement du droit ; elle soulève une question présentant un intérêt pour l’unification de la jurisprudence ; est en cause une atteinte grave à un droit fondamental »615.

609 Ibid.

610 Ibid.

611 M. Babonneau, « Filtrage des pourvois : la Cour de cassation espère retrouver sa "mission normative" », Dalloz

actualité, 17 juin 2015.

612 Ibid.

613 B. Louvel, « Pour exercer pleinement son office de Cour suprême, la Cour de cassation doit adapter ses modes de contrôle », JCP, 2015, n° 1122.

614 M. Babonneau, « Filtrage des pourvois : la Cour de cassation espère retrouver sa " mission normative" », Dalloz

actualité, 17 juin 2015.

615 B. Pireyre, « libres propos sur le projet de dispositif de filtrage des pourvois en cassation », Gaz. Pal., 15 mai 2018, n° 17, p. 84-86.

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Cependant, le processus de filtrage resterait soumis au contrôle de la CourEDH, concernant en particulier, la motivation. C’est ce que la CourEDH a fermement rappelé à propos du filtrage des appels616. Il faut y voir, comme dans l'arrêt du 25 juin 2015 contre la France, un avertissement pour le pourvoi en cassation au cas où le projet de resserrer l'actuel processus de filtrage serait accompagné d'une motivation réduite, car : « une décision statuant sur l'irrecevabilité d'un recours a une incidence déterminante sur le droit civil invoqué et entre donc dans le champ d'application de l'art. 6, § 1 617.

Sont visées ici, les formalités imposées à l’auteur du pourvoi en cassation, rapportées, au droit au pourvoi en cassation (l’art. 979 du C.P.C.). Le contrôle de conventionalité s’exercera au regard du formalisme excessif618, de ce texte et des limites qu’elle impose, au regard du droit d'accès à un juge.

La nécessité d’une motivation même brève est aussi illustrée, dans un arrêt de la CEDH, dans lequel, elle valide la motivation faite par la Cour de cassation, au moyen des « notes brèves » par lesquelles, la Cour de cassation rejette au fond, par un motif unique, un ensemble de moyens qui ne relèvent pas d'un examen approfondi ». Elle les a ainsi déclarées conformes à la Conv. EDH, mais à la condition qu’il ressorte clairement de l'arrêt que lesdits moyens ont été rejetés, au motif : « qu'ils soulevaient des questions de fait et non de droit et que la Cour de cassation ne pouvait donc en connaître »619.

Sous-Section 2 : À la lumière des débats entre partisans d’une réforme radicale et opposants

Le débat longtemps dominé par les partisans d’une évolution de la Cour de cassation vers une Cour suprême à l’américaine, semble actuellement s’équilibrer en faveur des opposants d’une telle évolution.

Il convient tout d’abord, de se rappeler, que l’argument principal que la Cour de cassation avance, en faveur du renforcement du mécanisme de filtrage, est lié aux quelques

616 S. Guinchard, « Procès équitable », op. cit., n° § 249.

617 Ibid.

618 Ibid., n° § 250.

619 CourEDH, 20 juin 2000, Martine Nisse c/ France, [décision d'irrecevabilité], req. n° 47592/99. ; V. également S. Guinchard, « Procès équitable », op. cit., n° §251.

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30.000 pourvois annuels, qu’elle juge excessif. Ainsi Pour M. Pireyre, membre de la Cour de cassation et en faveur de la réforme du filtrage, « L’obligation où se trouve la haute juridiction de traiter, chaque année, plus de 20 000 pourvois en matière civile [..] ne lui permet pas de remplir son rôle de cour supérieure »620. Le professeur Molfessis, également en faveur de la réforme du filtrage, la justifie en écrivant que la Cour de cassation : « doit rendre moins de décisions, les motiver suffisamment »621. Ce à quoi s’oppose Messieurs Théron, Boré, et Guinchard.

M.Théron se pose la question de savoir, pourquoi changer quand tout va bien ? il souligne que la procédure d'admission instaurée par la loi n° 2001-539 du 25 juin 2001 a parfaitement rempli son rôle et permis de réduire les délais de traitement des affaires622. Aujourd’hui, La Cour traite les 30 000 affaires nouvelles par an dans un délai de 12 à 14 mois en matière civile et de six mois en matière pénale (avec un taux de non-admission de 21 % pour les affaires civiles et de 58 % pour les affaires criminelles).

M. Boré aussi, s’oppose à la lecture quantitativiste de la Cour de cassation au motif que : « sur ces 20 000 pourvois, 5 000, sont abandonnés avant tout jugement, 5 000 font l’objet d’un rejet non motivé, 5 000 d’un rejet motivé et 5 000 d’une cassation. La Cour rend donc, en matière civile, 10 000 décisions motivées par an qui statuent sur des pourvois fondés ou qui soulèvent des difficultés sérieuses »623. Il en résulte implicitement, que l’argument du trop-plein de pourvois, tombe.

M. Guinchard pointe lui plus généralement le risque que représente une telle évolution, pour ni plus, ni moins, l’existence du droit d'accès au juge de cassation624. En lieu et place de faire table rase de la Cour de cassation sous sa forme et son fonctionnement actuels, il serait selon lui, plus judicieux, de s'interroger sur toute l'architecture judiciaire depuis le premier degré et les cours d'appel, ainsi que sur la répartition des moyens humains entre ces juridictions du fond et la Cour de cassation. Si l’on tient à réduire fortement le nombre de pourvois examinés

620 B. Pireyre, « libres propos sur le projet de dispositif de filtrage des pourvois en cassation », op. cit., p. 84-86.

621 N. Molfessis, « Filtrage des pourvois, ne pas renoncer à réformer », Gaz. Pal., 15 mai 2018, n° 17, p. 90-91.

622 J. Théron, « Sublimer l'essence de la Cour de cassation ? - À propos du rapport de la Commission de réflexion sur la réforme de la Cour de cassation » JCP, 2017, n° 666.

623 L. Boré, « Questions sur la question de filtrage des pourvois », Gaz. Pal., 15 mai 2018, n° 17, p. 87-89.

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au fond, il faudra alors dans le même temps poser la question du sous-effectif, des juges de cassation (exception faite des avocats généraux qui sont eux en sureffectif). Malgré ce sous-effectif, il leur est autorisé de cumuler les emplois de magistrats avec des fonctions d'enseignants comme professeurs ou maîtres de conférences associés625. Toujours selon M. Guinchard, un des pourfendeurs les plus résolus de ce projet de réforme, le véritable objectif celui-ci est de réduire l’accès au pourvoi sous couvert de filtrage renforcé. Cela, en vue de redonner à la Cour sa fonction normative. S'inspirant en cela de certaines pratiques étrangères (Allemagne, Suisse notamment), sans tenir compte de la différence de culture juridique et historique propre à chaque système. Cette évolution se ferait aussi au détriment de la fonction disciplinaire de la Cour de cassation, sur les décisions rendues par les juridictions du fond. Le mobile d’un tel projet serait, non pas l’intérêt du justiciable, mais précisément, celui de recouvrer sa fonction normative (dire le droit) et récupérer le terrain perdu face au Conseil constitutionnel, et à la Cour de justice de l'Union européenne ou la CourEDH626.

Monsieur Guinchard en veut pour preuve, le fait que le rapport souligne expressément qu’: « il en va de la fierté même de la juridiction face principalement à la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) et la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) ». Cela, après avoir noté que : « La multiplication des arrêts rendus fait perdre à la jurisprudence de la Cour de cassation en clarté et en accessibilité, de sorte que la Cour de cassation s'éloigne de son rôle de cour normative ». Car c'est bien là le cœur de l'argumentaire du document : la mission principale de la juridiction n'est pas d'opérer « un contrôle systématique des décisions des juridictions du fond » mais de « dire le droit et [de] veiller à son interprétation uniforme ». Bref, une « mission normative », d'ailleurs contestée par certains universitaires. Pour cela, il faut filtrer, comme certains voisins européens, en amont de l'examen au fond du pourvoi »627.

Même s’il est ouvert à des de simples ajustements pour une meilleure efficacité du système, M. Guinchard prône la prudence et le sens de la mesure. Il reste cependant résolument optimiste pour l’avenir, car il note avec satisfaction que des avis divergents commençaient à rééquilibrer les débats en faveur du maintien du cadre juridique et constitutionnel du système actuel, auquel il reste attaché628. En clair, il s’agirait d’un double contrôle à la fois disciplinaire,

625 Ibid.

626 Ibid.

627 M. Babonneau, « Filtrage des pourvois : la Cour de cassation espère retrouver sa "mission normative" », Dalloz

actualité, 17 juin 2015.

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et normatif. D’autant plus que, malgré les critiques des tenants de la réforme, c’est dans ce contexte de critiques, que la justice française a gagné en rapidité, cela, devant toutes les chambres de la Cour de cassation629.

Enfin, pour le Professseur Haftel, ce projet de réforme du filtrage, -en pratique de la non admission-, est d’autant moins bienvenu, qu’il pose avec acuité le problème de la motivation. Ainsi, contrairement à l’affirmation de la Cour de cassation selon laquelle : « l’admission du pourvoi [en cas d’adoption du projet de réforme] ne se trouve nullement soumise à l’appréciation discrétionnaire, au bon vouloir, de la formation compétente pour en connaître »630. Le Professeur Haftel estime que le refus de l’autorisation ne sera pas motivé. Ainsi écrit-il que : « le projet prévoit ainsi, en cas de refus d’autorisation, l’utilisation d’une simple formule indiquant de manière générique qu’aucune des causes d’autorisation n’est satisfaite, et sans aucun recours »631. Il ajoute avec pertinence, qu’aucun recours n’est prévu contre un tel refus.

629 S. Guinchard, « Procès équitable », op. cit., n° § 249.

630 B. Pireyre, « libres propos sur le projet de dispositif de filtrage des pourvois en cassation », op. cit., p. 84-86.

631 B. Haftel, « Pour la Cour de cassation, contre la réforme du filtrage des pourvois », Gaz. Pal., 15 mai 2018, n° 17, p. 92-94.

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Chapitre III : L’effet potentiel des réformes