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1.3 Coagulation et cancer

1.3.3 Pathophysiologie du syndrome de Trousseau

L’existence d’un lien moléculaire entre l’activation de la coagulation et le cancer est appuyée sur de nombreuses études histologiques utilisant des méthodes d’immunohistochimie et de microscopie électronique démontrant la présence de dépôt de fibrine à l’intérieur et autour du foyer tumoral. L’induction de l’état procoagulant par une tumeur est un phénomène qui nécessite des interactions parfois encore mal comprises entre les cellules cancéreuses et les différentes composantes du système hémostatique, provoquant un déséquilibre entre les facteurs procoagulants et les facteurs anticoagulants (De Cicco, 2004). Ces interactions font intervenir des mécanismes intrinsèques et extrinsèques à la tumeur qui sont résumés à la Figure 5.

Figure 5 : Le rôle central des cellules tumorales dans la pathogenèse de l’état pro- coagulant des patients cancéreux

(a) interaction directe avec les plaquettes qui induisent l’agrégation; (b) interaction avec les CEs par le biais des protéines TNF (tumour necrosis factor), IL-1 (interleukin-1), VEGF qui induisent l’expression endothéliale de TF, le relarguage de PAF (platelet activating factor) et de PAI-1 en plus de diminuer l’expression de la thrombomoduline et de tPA; (c) stimulation des leucocytes à produire TF et des cytokines (TNF, IL-1); (d) expression directe de molécules procoagulantes telles que : TF, CP, le récepteur du facteur V et la mucine.

1.3.3.1 Mécanisme intrinsèque : activités procoagulantes de la tumeur

La tumeur peut influencer directement l’état procoagulant de son environnement en augmentant la synthèse de protéines procoagulantes comme TF, qui est anormalement exprimé à la surface de plusieurs types de cellules cancéreuses (Loreto et al., 2000). En plus de TF, les cellules cancéreuses peuvent également exprimer le procoagulant du cancer (CP). Cette protéase à cystéine dont la synthèse est dépendante de la vitamine K est reconnue pour activer directement le FX, indépendamment du FVIIa. Chez l’adulte sain, CP n’est pas exprimé. Cette protéine est surtout présente au niveau des tissus néoplasiques incluant les sarcomes, les neuroblastomes, les mélanomes, les carcinomes du poumon, le cancer du sein, le cancer du rein et les leucémies (Loreto et al., 2000; De Cicco, 2004). Outre TF et CP dont le rôle est d’activer le FX en FXa, les cellules cancéreuses de plusieurs tumeurs peuvent également produire de la mucine et le récepteur du FV (FVr). Ces deux protéines contribuent à l’établissement d’un état procoagulant en convertissant la prothrombine en thrombine soit de manière directe dans le cas de la mucine ou de manière indirecte via l’activation du FV en FVa dans le cas du FVr (Loreto et al., 2000).

1.3.3.2 Mécanisme intrinsèque : activités fibrinolytiques de la tumeur

La tumeur peut également influencer directement l’activité fibrinolytique en augmentant la synthèse des deux activateurs du plasminogène (tPA et uPA). L’expression d’uPA est corrélée à l’agressivité ainsi qu’au grade histologique de différents carcinomes. Conséquemment, l’uPA est utilisé comme marqueur diagnostique de la progression du cancer de la prostate (Loreto et al., 2000). De plus, la tumeur peut moduler l’expression de l’inhibiteur PAI-1, ce qui provoque une diminution marquée de la fibrinolyse au profit de la coagulation (De Cicco, 2004).

1.3.3.3 Mécanisme intrinsèque : activités pro-inflammatoires de la tumeur

Finalement, la tumeur relâche dans son environnement certaines cytokines favorisant l’établissement d’un état inflammatoire. Ces cytokines, entre autres, le TNF-α et l’interleukine-1β (IL-1β) induisent l’expression de TF et de PAI-1 en plus de diminuer l’expression de la thrombomoduline au niveau des CEs. Cette diminution d’expression de la thrombomoduline provoque une diminution d’activation de la protéine C (Esmon et al., 1999). De surcroît, la présence de ces cytokines au site d’inflammation provoque une accumulation de neutrophiles et de macrophages qui une fois activés produisent une quantité de protéines, dont les MMPs. Certaines de ces protéases, notamment les MMP-1, - 7, -8, -9 et -12, sont capables de cliver le TFPI et ainsi diminuer l’efficacité de l’inhibiteur (Belaaouaj et al., 2000). L’activité pro-inflammatoire des tumeurs contribue donc grandement à réduire les défenses anticoagulantes.

1.3.3.4 Mécanisme intrinsèque : interactions entre les cellules cancéreuses et les plaquettes L’agrégation plaquettaire est un processus essentiel nécessaire à la formation d’un thrombus. Il fut démontré que plus de 30% des patients atteints de cancer possèdent un nombre élevé de plaquettes (De Cicco, 2004). Les cellules cancéreuses peuvent également contribuer à l’activation du système de coagulation en interagissant avec les plaquettes. En effet, les cellules tumorales ont la capacité d’exprimer la glycoprotéine Ibα (GPIbα), qui joue un rôle important dans l’activation et l’agrégation des plaquettes sanguines (Rickles et Falanga, 2001). Une fois que ces dernières sont activées, elles participent non seulement à la formation du clou plaquettaire, mais elles vont aussi libérer dans l’environnement une multitude de facteurs nécessaires à la réaction hémostatique, à la stimulation de l’angiogenèse et à la survie des CEs (Rickles et Falanga, 2001).

1.3.3.5 Mécanisme extrinsèque : la chimiothérapie

Les traitements de chimiothérapie peuvent également contribuer à l’induction de l’état prothrombotique. Les cas les mieux étudiés se rapportent aux patients recevant la thérapie combinée CMF (cyclophosphamide, méthothrexate, 5-fluoro-uracile) utilisée dans le traitement du cancer du sein. Ces agents thérapeutiques sont reconnus pour interférer avec la synthèse des facteurs de coagulation dépendant de la vitamine K, comme c’est le cas pour la protéine C. Le tamoxifène est un autre agent thérapeutique couramment utilisé dans le traitement du cancer du sein. Cet agent aux propriétés estrogéniques peut influencer le système hémostatique en diminuant lui aussi les niveaux d’expression des protéines anticoagulantes. Selon les mécanismes reconnus pour l’estrogène, le tamoxifène inhibe l’expression de la protéine C et de l’antithrombine III (De Cicco, 2004). De plus, le tamoxifène favorise l’activation de la coagulation induite par TF en inactivant TFPI (Erman, 2004). Donc la chimiothérapie peut favoriser l’établissement d’un état procoagulant, principalement en diminuant l’expression des protéines anticoagulantes.