Inutile de chercher à découvrir le lien entre les trois mots qui coiffent cette section. Ils correspondent simplement à ce que l’on pourrait appeler les thèmes privilégiés par chacune des OIG dans leurs rapports annuels de 1998. Le CAD, en continuité avec les années précédentes, met l’accent sur la notion de «partenariat» alors que la Banque mondiale et le PNUD s’intéressent respectivement aux thèmes du «savoir» et de la «consommation».
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L’année 1998 représente, pour le Président en exercice du CAD, l’occasion de dresser le bilan de ce que promeut et fait son organisme depuis le milieu des années 1990. Son mandat, entrepris en 1994, s’achève. Il s’emploie donc à faire le point. La notion de partenariat est celle qui prédomine dans son discours, comme d’ailleurs dans la stratégie d’aide au développement que le CAD met de l’avant depuis 1996. Le bilan que dresse le président du CAD est ambivalent «avec d’un côté, des avancées vers l’instauration de réels partenariats pour le développement et, de l’autre côté, une réduction des ressources allouées et de l’attention portée aux pays et aux personnes dont les besoins sont les plus patents» (CAD, 1998: 2). Et le Président commente en précisant que «ce décalage conduit à s’interroger sur la crédibilité des engagements pris par les donneurs et met en péril la pérennité du consensus en faveur du principe de partenariat» (CAD, 1998: 2). Le ton, comme on peut le constater, n’invite guère à l’optimisme et tout indique que la diminution de l’APD au cours des années qui viennent de s’écouler y est pour beaucoup.
Cela dit, on ne perd pas espoir de voir les choses s’améliorer et le CAD a un rôle à jouer en ce sens, celui d’un «facilitateur» afin que s’instaure un véritable consensus mondial en faveur du développement. Quatre points sont privilégiés par le CAD dans son rôle de «facilitateur»: fixer des objectifs et des moyens pour en mesurer l’atteinte (indicateurs), renforcer le partenariat, accroître les ressources mobilisées et, finalement, veiller à la cohérence des politiques. Chose certaine, même si «les réels partenariats sont encore relativement rares dans la pratique quotidienne de la coopération pour le développement» (CAD, 1998: 17), le partenariat reste pour le Président du CAD la voie à suivre. C’est cette voie qu’a choisie l’OIG au milieu des années 1990 et c’est la bonne. Il invite ainsi la communauté internationale à se fixer des objectifs «pour l’instauration d’un partenariat mondial pour le développement», partenariat visant «à appuyer les efforts déployés à l’échelon national pour atteindre des objectifs nationaux en matière de réduction de la pauvreté, d’amélioration des conditions sociales et de respect de l’environnement» (CAD, 1998: 19). Ces objectifs, rappelons-le, sont ceux que prônait le CAD dans la «nouvelle stratégie» mise de l’avant en 1995-1996. D’une conception plus
ou moins technique du développement, on est donc passé à une conception plus ambitieuse. Le problème, toutefois, c’est que l’APD est moins que jamais à la hauteur de ces nouvelles ambitions...
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La Banque mondiale, on le sait, entend livrer un combat sans merci à la pauvreté. En 1998, elle élargit d’ailleurs sa vision de la pauvreté en y incluant la dimension du «savoir»: «Être pauvre, ce n’est pas seulement avoir moins d’argent, c’est aussi avoir moins de connaissances» (BM, 1998: 1). Si le Président du CAD s’inquiète de voir les efforts en matière d’APD diminuer depuis plusieurs années, la Banque mondiale s’inquiète pour sa part de constater qu’il existe de fortes «inégalités16 face au savoir» et que cette réalité a d’importantes «répercussions sur le développement». Pour corriger la situation, l’OIG invite les PED à agir de manière globale en faveur de l’«acquisition, de l’assimilation et de la transmission des connaissances». De façon plus spécifique, elle les encourage à «mettre l’information financière au service de l’économie», à «développer les connaissances sur l’environnement» et à «remédier aux problèmes d’information qui pénalisent les pauvres (BM, 1998: 4).
L’année précédente, la Banque mondiale en avait étonné plusieurs en s’intéressant au rôle de l’État. Elle revient à la charge en 1998, mettant l’accent sur certains aspects du rôle que devrait jouer l’État en ce qui a trait au savoir, par exemple, en «libéralisant les échanges, en encourageant la formation permanente ou en instaurant un cadre réglementaire qui favorise la concurrence dans le secteur des télécommunications» (BM, 1998: 8). Comme on peut le constater, l’État a effectivement un rôle à jouer en ces matières, mais ce rôle n’est pas pour autant de nature à entraver l’action des forces du marché. Une bonne manière, en l’occurrence, de favoriser «l’acquisition des connaissances» selon la Banque mondiale, c’est de laisser libre cours à la circulation des connaissances étrangères par le «libre-échange, l’investissement étranger et l’exploitation sous licence de technologies importées»... L’État a pour rôle de faire en sorte que la circulation du savoir se fasse dans l’intérêt des acteurs concernés. Il doit, pour ce faire, adopter des politiques «permettant de remédier aux imperfections de l’information», incitant au respect des «règles de comptabilité et de publicité» ou favorisant «la communication dans les deux sens», c’est-à-dire de manière telle que les besoins et les préoccupations des pauvres ne soient pas systématiquement écartés du processus (BM, 1998: 11-16). C’est, comme elle le soutenait dans son rapport de l’année précédente, un rôle de «catalyseur et de régulateur» que doit jouer l’État. Et ce principe général s’applique aussi bien dans ce domaine plus spécifique qu’est la circulation du savoir.
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Comme il l’a fait à quelques reprises depuis le début de la décennie, le PNUD s’emploie en 1998 à démontrer, en mettant l’accent cette fois-ci sur la consommation, que le fonctionnement du marché ne se traduit pas forcément par une amélioration des conditions de vie pour l’être humain. Le PNUD prône ainsi, non pas un simple accès à la consommation, mais bien une consommation mieux partagée, dynamisante, socialement responsable et viable à long terme (PNUD, 1998: 1). Chiffres à l’appui, l’organisme insiste sur les inégalités qui affectent la consommation entre les populations du Nord et du Sud, ce qui est bien connu, mais ajoute que ces inégalités sont de plus en plus marquées à l’intérieur même de chacun des hémisphères. Du côté du Sud, l’Afrique est le continent qui souffre le plus de ces inégalités. Pour ce qui est du Nord, le PNUD affine ses instruments de mesure et, comme il l’a fait là encore à plusieurs reprises depuis le début de la décennie, propose un nouvel Indicateur de la pauvreté humaine (IPH-2)17 spécifiquement conçu pour les pays industrialisés. Ces derniers, selon cet indicateur et selon le pays, «comptent entre 7 et 17% de pauvres» (PNUD, 1998: 2).
Pour démontrer de façon concrète que la consommation ne constitue pas, en soi, un facteur de développement humain et qu’elle n’est pas non plus de nature à réduire les inégalités entre les populations, le PNUD cite quelques exemples des conséquences que peut entraîner la «croissance à tout va de la consommation». Il souligne notamment que la consommation entraîne souvent l’endettement et mine la capacité d’épargne, que la consommation «ostentatoire» amplifie l’exclusion et que la surconsommation accentue les risques de pollution. Les inégalités, dans chacun de ces domaines, frappent de plein fouet. Un enfant né dans un pays industrialisé «consommera et générera plus de pollution, au cours de sa vie, que 30 à 50 enfants nés dans les pays en développement» (PNUD, 1998: 5).
De cette analyse, le PNUD tire cinq objectifs (PNUD, 1998: 9):
-Accroître les niveaux de consommation pour plus d’un milliard de pauvres; -Adopter des modes de consommation plus compatibles avec le long terme; -Protéger et favoriser les droits des consommateurs;
-Décourager les modes de consommation ayant un impact négatif sur la société; -Parvenir à un partage international plus équitable du fardeau lié à la réduction et à la prévention des atteintes à l’environnement.
Comme nous le soulignions un peu plus haut, il n’existe pas de lien bien précis et direct entre les notions de partenariat, de savoir et de consommation utilisées pour titrer cette section. Par contre, les thèmes abordés par les trois OIG dans leurs rapports annuels de 1997 et de 1998, de même que leurs arguments, ne sont pas pour autant des droites parallèles. Outre les notions que nous venons d’évoquer, il y est question d’État, d’information, de sécurité, de cohérence, d’efficacité... Après avoir
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réagi aux bouleversements qu’ont entraînés la chute du mur de Berlin et l’éclatement du bloc soviétique, les trois OIG - de façons et à des degrés divers - s’emploient à «discourir autrement» sur le développement international. Pour l’instant, le résultat n’est pas clair. Le discours, dans l’ensemble, se présente tout de même sous un jour moins dogmatique.
Le PNUD avait pris l’initiative dès le début de la décennie avec le concept ambitieux mais un peu diffus de «développement humain». Depuis quelques années, il cherche à étoffer le concept et, surtout, à lui donner plus de crédibilité aux yeux de la communauté épistémique du développement international. C’est à cela que servent, entre autres, les divers indicateurs (observation, quantification, évaluation...) qu’il met de l’avant et c’est pour cela également qu’il soumet à l’aune critique du développement humain quelques-uns des concepts (financement, marché, croissance, pauvreté monétaire, consommation...) sur lesquels s’appuie la conception toujours prédominante d’un développement axé d’abord sur la croissance économique...
Le CAD a pour sa part effectué, en 1995-1996, un virage qui se voulait spectaculaire avec sa nouvelle stratégie axée sur le partenariat. Le problème, comme le reconnaît son Président en 1998, c’est que les efforts des pays industrialisés en matière d’APD ne sont pas à la hauteur des attentes que peut créer un tel virage et que cela peut pousser à en interpréter l’intention d’une façon négative. Si le CAD, depuis quelque temps, met l’accent sur la diffusion de l’information, c’est certes parce qu’il craint de ne pas être entendu, mais peut-être craint-il également de ne pas être cru...
Finalement, la Banque mondiale a voulu donner, elle aussi, un coup de barre significatif, particulièrement avec la publication de son rapport annuel de 1997 consacré au thème de L’État dans
un monde en mutation. Le simple fait de prévoir un rôle pour l’État, dans son cas, peut être interprété
comme un signe de changement. Par ailleurs, ce n’est toujours qu’en référence aux «dysfonctionnements du marché» que se justifie pour la Banque mondiale l’«intervention publique». On aurait tort d’interpréter l’orientation récente de son discours comme un virage. Il serait néanmoins injuste, comme le lui reproche souvent la mouvance altermondialiste, de dire que l’OIG ne peut envisager d’autres vérités que celles prescrites par la doctrine économique néolibérale.