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Implications d’une lecture biblique qui prend parti S AMUEL A LMADA *

7. De la parole libératrice à l’engagement

La lecture de la Bible « en clé libératrice » a accompagné le mouvement de la théologie de la libération depuis ses débuts et a été une de ses principales ressources. Une des caractéristiques de ce mouvement est qu’il s’est répandu hors des églises, pour atteindre les universités, les mouvements ouvriers et d’autres acteurs sociaux ; il a aussi été une source d’inspiration sur d’autres continents, en éclairant et en

accompagnant différents mouve-ments de libération, et en proposant des alternatives à la manière de faire de la théologie et de lire la Bible dans les pays développés9.

Au fil des années, ce paradigme a commencé à montrer ses limites et sa difficulté à répondre aux nouveaux défis des changements sociaux et culturels. Il convient cependant de conserver l’essentiel de son intuition initiale. Une intuition d’autant plus pertinente dans la situation sociale actuelle de l’Amérique Latine qui, loin de s’améliorer, est en bien des as-pects et pour la majorité des gens, pire qu’il y a trente ans.

Dans ce contexte, nous affirmons à nouveau que la Bible appartient d’une manière préférentielle aux pauvres et aux opprimés, car ce sont eux qui ont l’approche la plus juste pour relire le kérygme biblique. Dans ce même ordre d’idée, un des défis actuels est l’émergence de nouveaux sujets et de nouvelles situations qui revendiquent

leur droit à interpréter la Bible et à être interprétés par elle : peuples indigènes, cultures afro-américaines, perspective écologique et modes de vie durable, perspective de genre10. C’est là une opportunité pour recréer le message biblique afin qu’il soit porteur de sens dans des contextes et des situations spécifiques. La lecture comme production de sens, a joué un rôle essentiel dans la formation de la Bible et dans l’histoire de sa réception, et elle est la manière de transmettre une parole vivante, signifiante et pertinente en tout temps.

9 On trouvera un aperçu plus actuel et détaillé de cette histoire, ainsi que des critères d’évaluation, dans l’article de Néstor Míguez, « Lectura Latinoamericana de la Bíblia – Experiencias y desafios », Cuadernos de Teología XX (2001), p. 77-99, et dans l’ouvrage de Juan José Tamayo et Juan Bosch (éd.), Panorama de la teología latinoamericana, Estella, Verbo Divino, 2001.

10 Voir, à ce sujet, la proposition de Pablo Richard dans « Hermenéutica – Camino de encuentro con la Palabra de Dios – Diez principios teóricos sobre la Lectura Comunitaria de la Biblia », Los caminos inex-hauribles de la Palabra, p. 539-541.

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Un autre défi consiste à mettre au centre du débat et de l’action nos propres capacités à chan-ger et à surmonter une histoire d’injustices et d’inégalités, en articulant un discours cohérent avec les processus et la dynamique de notre propre réalité sociale et culturelle. Selon le modèle dont on a parlé plus haut à propos de la révélation de Dieu dans l’histoire et les évènements, la praxis est le point décisif sur lequel se fonde la parole énoncée. C’est là aussi que sont vérifiées les idées et que la validité et l’efficacité de la théorie doivent être démontrées. Dans le schéma de l’herméneutique libératrice, la praxis joue un rôle essentiel dans la production de sens et dans l’enrichissement du cercle herméneutique.

L’engagement : conviction, éthique, mission

L’engagement est le premier pas sur le chemin de la libération. En premier lieu, nous parlons de la conviction car elle une composante essentielle de l’engagement et de l’éthique, et elle re-présente aussi un aspect important de la confession évangélique. La conviction est l’identification aux idées et aux croyances auxquelles on adhère, elle est le miroir d’une honnête-té intellectuelle qui n’est pas toujours évidente. Dans la pensée évangélique, la conviction est intimement liée à l’acte de foi ou à l’expérience de la foi et c’est une expression fondamentale de l’appartenance à la communauté ; c’est pourquoi on parle de « baptême de croyants » – on utilise de préférence le terme « croyant » pour désigner le chrétien et on donne en général moins de place à l’adhésion nominative. Cette position implique aussi une « expérience de conversion » et une tendance à la différenciation et la dissidence d’avec l’esprit du « monde », ce qui représente un potentiel de changement important qui n’a peut-être pas encore trouvé son expression défi-nitive et qui n’est suffisamment exploité.

En second lieu, nous affirmons la nécessité d’une éthique qui soit conséquente et cohérente avec nos idées et nos croyances, ce qui n’est pas non plus toujours évident. Le terme hébreu ha-lacha, qui signifie chemin ou parcours, illustre cette idée de l’éthique comme étant la conduite concrète au travers de laquelle nous exprimons ou nous interprétons la parole. L’éthique ne fait pas référence à ce que l’on doit ou devrait faire, mais à ce que l’on fait effectivement, aux faits qui sont habituellement plus éloquents que les paroles.

En dernier lieu, la mission, qui serait pratiquement une conséquence de la conviction, de l’éthique et de l’engagement. Mais il convient de développer un peu plus le concept car pour cer-tains, le terme est conflictuel et peut prêter à confusion. Le terme mission a trop souvent été utilisé pour désigner une pratique consistant à imposer des idées et à faire du prosélytisme compulsif ; ce qui a suffisamment de fondement historique pour provoquer le rejet de beaucoup.

Mais quoi qu’il en soit, nous ne devrions pas laisser tomber l’idée ou le concept fondamental de mission, un concept chargé de sens, hautement positif et constructif, puisqu’il implique l’attachement aux idées et l’engagement dans des actions de transformation.

Le concept de mission est étroitement lié à celui d’œcuménisme et dans les deux cas, l’absence de définition et l’indifférence sont tout aussi préjudiciables. On a parfois l’impression que le fait d’exprimer ses convictions, de prendre position ou d’avoir un point de référence est, pour certains, incompatible avec l’ouverture au dialogue et la tolérance. Être tolérant ne signifie pas accepter n’importe quoi, mais c’est être capable d’écouter et de comprendre celui qui pense différemment, afin de pouvoir établir un dialogue et chercher ensemble des terrains d’entente et de coopération.

Vers une idéologie prophétique mobilisatrice

L’idéologie prophétique est un composant essentiel de l’herméneutique et du mouvement de la libération. Nous pouvons signaler ici trois dimensions pertinentes du prophétisme biblique que met en avant Croatto dans l’un de ses ouvrages11 : la dimension critique, la conscientisation et l’interprétation des signes des temps. La prophétie est avant tout une critique du péché et du mensonge au sein du peuple ; et c’est pourquoi le prophète dénonce le mal et l’injustice sous

11 Voir Liberación y libertad – Pautas hermenéuticas, Buenos Aires, Mundo Nuevo, 1973, p. 77-91.

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toutes ses formes et en appelle à la conversion et au changement des comportements. La pro-phétie est un facteur de conscientisation pour des personnes inauthentiques et aliénées, il dé-masque ce qui est faux et remet dans la réalité ; il dédé-masque, par exemple, le faux culte rendu à Dieu et les annonces mensongères de paix. La prophétie interprète les signes des temps et le sens de l’histoire, et elle affecte en cela le politique et les sphères du pouvoir. La prophétie a aus-si un rôle fondamental dans l’orientation et l’élaboration de propoaus-sitions et elle proclame l’établissement d’Alliances. La force du prophète réside dans la Parole, et non dans son pouvoir politique, économique, militaire ou sacerdotal ; et en ce sens il n’est pas un chef ou un leader populaire. L’autorité de la Parole vient de l’Esprit de Dieu qui se manifeste dans la communauté, comme nous l’avons dit plus haut dans le cadre de la perspective communautaire.

Les domaines d’application privilégiés de l’idéologie prophétique mobilisatrice sont l’éducation et la culture ; c’est là aussi que se reflète la crise morale qui nous affecte en tant que société. Les processus de transformation et d’amélioration des conditions de vie sont intime-ment liés à l’éducation et la culture, car il s’agit de produire un vrai changeintime-ment à partir de la base ; c’est de là que sortira une meilleure distribution de la richesse, des politiques obéissant à la voix du peuple souverain et une intégration plus juste dans le monde.

Cela nous amène aussi à redonner du sens à l’action politique et sociale, dans un contexte où une grande partie de classe dirigeante politique est dépréciée et corrompue, et où le système de représentation est en crise. Il est fondamental de faire de la politique un espace pour l’exercice de la liberté et la défense des droits des citoyens, ce qui implique une présence et un rôle plus importants de la société dans le contrôle de la gestion publique.

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La Bible et la culture du martyre au Proche Orient