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Jésus parcourait toutes les villes et tous les villages, enseignant dans leurs synagogues, proclamant l’Évangile du Royaume et guérissant toute maladie et toute infirmité. Voyant les foules, Jésus fut saisi de compassion envers elles parce qu’elles étaient désemparées et abattues comme des brebis sans berger. Il dit alors à ses disciples : « La moisson est abondante, mais les ouvriers sont peu nombreux. Priez donc le maître de la moisson d’envoyer des ouvriers pour sa moisson. » (Mt 9,35-38)

Quand la Parole se traduit en engagement caritatif : une expérience qui nous nous rappelle ce passage de l’Évangile de Matthieu qui a inspiré Annibale Maria Di Francia, prêtre diocésain, fondateur de la Congréga-tion des RogaCongréga-tionistes à laquelle j’appartiens. En sa personne, la Parole étudiée et prêchée est devenue un acte concret d’amour au service des pauvres et des nécessiteux.

Le commencement d’un chemin

Dès le début de mon ministère, mon expérience sa-cerdotale s’est inspirée de l’exemple d’Annibale Di Francia. Après l’ordination presbytérale (29.06.1975), j’ai été envoyé en mission au Brésil où j’ai travaillé au service de la formation des séminaristes, de la pasto-rale familiale et dans l’enseignement. Sur cette terre, j’ai découvert la richesse des « communautés de base » et la vitalité de la lecture de la Bible. Dans mon

travail pastoral, j’ai pu voir comment les familles les plus pauvres puisaient dans la Bible la force de vivre la Parole de Dieu, de l’annoncer et d’en être les témoins. Ainsi, aider une famille pauvre, visiter les malades, les prisonniers, les personnes handicapées ou bien encore se mettre à la dis-position de la paroisse pour le service liturgique ou la catéchèse, toutes ces formes d’engagement et de service étaient la conséquence logique et naturelle de la lecture et de la mé-ditation de la Bible.

En 1987, j’ai été envoyé comme formateur des séminaristes dans notre toute nouvelle mission rogationiste dans l’État du Kerala, en Inde. Je me suis retrouvé dans un contexte social et religieux très différent de celui du Brésil, mais très dynamique. L’Église catho-lique du Kerala, par le fait même d’être mino-ritaire par rapport aux hindous et aux musul-mans, fait preuve d’une remarquable vitalité pastorale et est aussi très engagée dans le domaine social. Un travail pastoral de fond, la formation catéchétique des enfants, la prière au sein des familles, la lecture et la méditation

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de la Bible, ont réellement permis aux communautés chrétiennes de mûrir.

Après quelques années consacrées à la formation des séminaristes, j’ai éprouvé le besoin de m’engager dans la pastorale. Ce besoin est né après avoir vu tellement de pauvreté dans les fa-milles, tellement d’enfants qui ne pouvaient pas aller à l’école, même si l’école était gratuite. La situation précaire des hôpitaux et l’absence de protection sociale engendraient beaucoup de problèmes d’insécurité. Il suffisait qu’un accident ou une maladie mette le chef de famille en in-capacité de travailler et c’est tout le noyau familial qui se retrouvait dans une situation critique : on perd son travail, on vend la terre, on commence à s’endetter et on tombe dans la précarité.

Toute la famille finit alors par se retrouver dans une situation désespérée.

Je n’étais pas en paix dans mon ministère, j’étais tourmenté, je n’arrivais pas à prêcher la Pa-role de Dieu aux séminaristes en leur parlant de compassion et d’engagement social alors que je ne vivais pas moi-même cet engagement au service de la charité. C’est avec ce désir au cœur, que j’ai alors commencé à organiser une petite soupe populaire. J’aidais ceux qui venaient frapper à notre porte mais je ne voyais pas de véritable changement dans la situation des pauvres. Je vou-lais surtout que les enfants pauvres ne voient pas seulement l’extérieur de notre institut, mais qu’ils puissent le découvrir de l’intérieur et qu’ils s’y sentent comme à la maison. Je voulais que le début de l’année scolaire soit un moment de joie pour les mamans qui devaient envoyer leurs enfants à l’école, et non qu’il devienne un cauchemar s’il leur manquait l’argent pour acheter les livres ou l’uniforme de l’école.

Le projet de « l’adoption à distance »

Un jour, j’ai été invité par une famille hindoue, au mariage d’une de leurs filles. J’ai participé avec grand plaisir au mariage, j’ai fait un cadeau aux époux et une belle amitié s’est établie avec le jeune couple. Ils ont eu deux enfants et la famille vivait une vie digne et heureuse…

Quelques années plus tard, à mon retour d’Italie, je suis allé visiter cette famille, mais la maison était inoccupée. Les voisins m’ont dit que le papa des deux enfants était mort dans un accident et que la famille avait dû vendre tous ses biens et partir, mais nul ne savait où. Ce n’est qu’au bout de deux mois et après de nombreuses recherches que j’ai pu enfin trouver où ils avaient déménagé.

La famille, très pauvre, habitait près d’une rizière, dans une cabane sur pilotis. J’ai dé-couvert alors ce qu’était la vraie pauvreté et je me suis souvenu de la Parole du Christ :

« J’avais faim, et vous m’avez donné à man-ger » (Mt 25,35). Je n’ai pu retenir mes larmes… la maman et la grand-mère m’ont dit qu’elles ne savaient pas comment faire pour vivre, pour élever les deux enfants et leur permettre d’étudier.

Depuis ce jour, j’ai commencé à mettre en pratique cette Parole de l’Évangile, en demandant de l’aide à des familles italiennes pour une adoption à distance des deux enfants. Ce fut le début du projet des « Adoptions à distance ».

La maman a pu envoyer ses enfants à l’école, puis quelqu’un les a aidés à acheter une parcelle de terre et à y construire leur petite maison. Aujourd’hui la famille va bien, les jeunes ont termi-né leurs études et ils sont entrés dans le monde du travail. Après l’aide apportée à ces deux or-phelins, nous avons étendu cette action de soutien à beaucoup d’autres enfants. Les curés et les nombreux collaborateurs présentent les situations d’urgence concernant les familles les plus

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pauvres de leurs paroisses. Actuellement, parmi les enfants adoptés, plus de 600 ont perdu au moins un de leurs parents.

En peu de temps, le nombre des enfants adoptés est passé de 10 à 100 et à plus de mille.

Vingt-cinq ans après le lancement du programme d’action sociale, les enfants adoptés sont au nombre de 1750 et ils sont plus de 1500 à avoir déjà terminé leurs études universitaires ou leur formation professionnelle. Nous travaillons aujourd’hui avec des enfants orphelins, des enfants des rues, des enfants handicapés, malades, des enfants abandonnés…

Bible et prière pour les vocations

L’engagement caritatif s’est transformé en prière pour les vocations. En trente ans de nom-breuses vocations sacerdotales sont nées et plusieurs maisons ont été ouvertes pour les sémina-ristes.

En l’an 2000 ont été ordonnés les premiers prêtres indiens de notre congrégation. Ils sont 55 et notre séminaire est florissant. Les séminaristes ont été les premiers à participer à ce projet caritatif. Plusieurs de nos prêtres ainsi que de nombreux laïcs coordonnent cette activité soli-daire dans les différents pays et régions où nous sommes présents.

Visiter les familles des enfants, animer des rencontres au niveau du quartier ou du village, participer à la construction de plus de 300 maisons, traduire les lettres aux bienfaiteurs, etc., tout cela a aussi beaucoup aidé nos séminaristes dans leur formation. L’écoute de la Bible et l’expérience caritative font partie intégrante de leur programme de formation.

La présence des séminaristes et des premiers prêtres rogationistes indiens lors les ren-contres avec les familles des enfants adoptés a permis de partager la prière de Jésus : « Priez donc le maître de la moisson d’envoyer des ouvriers pour sa moisson » (Mt 9,38). Et cette expé-rience d’engagement solidaire est progressivement devenue interreligieuse.

L’engagement social et le dialogue interreligieux

Lors de nos rencontres avec les enfants adoptés à distance et avec leurs familles, tous sont in-vités à prier pour les « Bons Ouvriers » : car chacun d’eux, quelle que soit sa religion, souhaite que se lèvent des hommes et des femmes de paix, comme le Mahatma Gandhi (qui était hindou), ou comme l’ex-président de l’Inde, Abdul Kalam (musulman), tous dési-rent que Dieu envoie beaucoup de personnes comme Mère Teresa de Calcutta, des hommes et des femmes de foi qui sachent faire preuve d’une grande humanité. Ces hommes et ces femmes-là n’auront jamais de difficul-tés à se rencontrer, à dialoguer et à assurer à notre monde un avenir meilleur. Il faut donc que tous prient Dieu pour qu’il envoie dans le monde des « bons ouvriers » comme ceux-là.

Nos séminaristes sont invités, eux aussi, à ouvrir largement et sans li-mite leur esprit et leur cœur. À la lumière de la Parole de Dieu vécue dans la charité, nous comprenons mieux ce que Paul affirme en 1 Tm 2,4 : « Dieu veut que tous les hommes soient sauvés ».

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Bible et charité aujourd’hui

Notre projet caritatif s’adresse à tous les enfants, sans distinction, qui vivent dans des situa-tions particulièrement difficiles, et qui, par conséquent, appartiennent à des familles de diverses religions. Ce que l’on demande aux familles, c’est le respect réciproque envers tous, l’enseignement scolaire pour tous, y compris pour ces enfants qui, porteurs d’un handicap, ne peuvent fréquenter que des écoles spécialisées. Une des valeurs que nous voulons cultiver est celle de la gratitude envers Dieu et

vers les bienfaiteurs. La gratitude en-vers Dieu se cultive par la prière de louange et d’action de grâce tandis que la gratitude envers le prochain s’exprime à travers la correspondance épistolaire avec les bienfaiteurs et la prière d’intercession adressée à Dieu pour eux et pour leurs familles.

La Bible se trouve dans toutes les maisons ou les masures où habitent des chrétiens, mais beaucoup de non-chrétiens lisent aussi la Bible et parti-cipent à des retraites et à des exercices spirituels dans des centres spirituels.

Pour donner un exemple, dans la

mai-son de retraite voisine appartenant aux Vincentiens, entre 10 000 et 20 000 permai-sonnes de toutes religions participent chaque semaine à des temps de retraite qui sont toujours fondés sur la Bible. Nous invitons souvent les familles qui rencontrent des difficultés à y participer et on ob-tient beaucoup de conversions avec des changements qui, s’ils ne sont pas de religion, touchent surtout le style de vie et l’engagement au sein de la famille.

Dans les familles chrétiennes, y compris dans celles qui vivent dans les masures les plus pauvres, il y a toujours un coin de la maison destiné à la Bible. Ils sont plus de 4000 enfants et jeunes à avoir été rejoints, au fil des années, par cette action caritative : des orphelins, des han-dicapés, des pauvres, des sans-abris, venant tous de familles de différentes religions et origines sociales. Toutes ces familles entrent en contact avec autant de familles de bienfaiteurs qui, par leur charité, donnent un témoignage très important et très positif auprès des familles des enfants adoptés, qu’elles soient chrétiennes ou pas !

Il est fréquent d’entendre les jeunes adoptés dire à leurs bienfaiteurs : « Quand j’aurai un travail, j’aiderai moi aussi les enfants nécessiteux afin de leur per-mettre d’étudier, comme vous le faites pour moi ».

Beaucoup de ces jeunes, ayant terminé leurs études, sont maintenant engagés dans le projet et c’est pour nous un motif de joie. La Parole de Dieu produit et continuera de produire des fruits. Il n’est pas rare de voir des hindous et des musulmans citer des passages de l’Écriture Sainte, et de l’Évangile en particulier, dans leurs lettres aux bienfaiteurs.

La Bible, quand elle se décline en charité envers les petits, devient un instrument de partage et de dia-logue interreligieux. Lorsqu’on est touché par l’Amour de Dieu qui se fait don et charité pour tous, on ressent moins les différences et cela facilite le dialogue inter-religieux. Lors de la rencontre qui a eu lieu à l’occasion des 25ans du Programme des Adoptions à

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Distance et à laquelle ont participé près de 4000 personnes, trois enfants – un hindou, un mu-sulman et un chrétien – ont apporté ensemble un cierge. On en a expliqué le symbole : ce n’est que dans la rencontre des diverses religions que peut naître cette vraie Lumière qui mène à la culture de la rencontre, de la solidarité et de l’Amour.

L’adoption à distance permet à beaucoup de familles de se rapprocher de leur paroisse. En effet, les curés sont impliqués dans ce projet, ils s’occupent des familles des enfants et ils sont garants du bon usage de l’aide économique. Même dans le cas des non catholiques, l’adoption à distance crée toujours un climat de sympathie entre les familles et les prêtres. De plus, grâce au soutien apporté à leurs enfants, beaucoup d’hommes, victimes du vice de l’alcool ou du jeu, sont orientés vers les centres sociaux pour une cure de désin-toxication et bénéficient d’un

suivi. Même dans des cas comme ceux-là, la lecture de la Bible aide les personnes à demeurer fidèles à leurs engagements.

La Parole de Dieu, qui est Lumière, Feu et Amour, a agi et continue d’agir dans la transforma-tion des personnes et des milieux où elles vivent. Lorsque des évêques ou un curé nous signalent un quartier laissé à l’abandon qu’il faut réhabiliter, on commence par identifier les enfants les plus nécessiteux et on procède à l’adoption à distance. Jusqu’à présent nous n’avons pas eu de difficulté à trouver des bienfaiteurs pour les enfants orphelins, handicapés ou issus de familles en grande difficulté. Dans cette région du Kerala, ce type d’action a été reprise dans plus de 50 localités, dans un rayon de 300 kms. Plusieurs bienfaiteurs italiens sont venus visiter notre mis-sion ainsi que les familles des bénéficiaires, ce qui nous a permis d’obtenir d’autres aides et de réaliser d’autres projets, grâce au bouche à oreille. Même lorsque le message biblique ne peut être transmis par la parole, il entre dans les familles avec toute la force de la Solidarité et de l’Amour.

L’évangélisation comme engagement pour la promotion humaine