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L’ouverture des facultés de droit aux autres sciences sociales : l’introduction de l’économie politique à la fin des années 1870

Section seconde : L’évitement des réformes par le repli vers les traditions institutionnelles

A. L’ouverture des facultés de droit aux autres sciences sociales : l’introduction de l’économie politique à la fin des années 1870

Au début de la Troisième République, la modernisation des facultés de droit apparaît comme une nécessité. Le ministre de l’Instruction publique Jules Simon annonce dès 1872 qu’un changement est imminent, eu égard à la libéralisation de l’enseignement supérieur qui se dessine439. La primauté qui semble devoir être accordée au droit dans les universités catholiques place par conséquent les facultés juridiques au centre du processus de réforme. La réforme se présenterait comme une tentative de l’État de conserver sa prééminence sur la formation juridique malgré l’ouverture de son monopole. En réalité, la faculté de droit de l’État jouit d’une avance incontestable face à son homologue religieuse, car sa prépondérance ne semble pas pouvoir être remise en cause dans l’enseignement d’une science jugée comme aussi dépendante de l’État que celle du droit. La libéralisation de l’enseignement supérieur, à laquelle se rallient finalement les républicains sous couvert de libéralisme, est en réalité une opportunité pour eux d’imprimer leur marque dans les facultés de droit, afin d’éteindre ces foyers de réticences à l’égard du jeune régime qu’ils entendent renforcer.

L’Empire entretenait une certaine indifférence à l’égard de l’Université, et notamment des études juridiques. Jusque-là considérées comme une antichambre n’ouvrant guère que sur la pénombre des cabinets ou la promiscuité des prétoires, les républicains s’écartent de cette vision par trop restrictive. Le fort engagement des avocats dans leurs rangs les pousse très certainement à considérer le poids réel des juristes dans la société, qu’ils souhaitent voir rallier leur projet de modernisation sociale. Les facultés de 439 Le Journal des Débats politiques et littéraires, 1872/03/29, p. 2. Comme la libéralisation de l’enseignement supérieur, l’évolution du programme des facultés de droit de manière à permettre davantage de libertés dans l’enseignement n’est pas une demande nouvelle. Le lecteur de la presse se rappelle ainsi de débats houleux qui ont eu lieu à ce sujet entre Jules Simon et le ministre de l’Instruction publique de l’Empire Victor Duruy à la tribune. Cf. par exemple « Corps législatif », Le

droit, qui se sont efforcées jusqu’à présent de former des techniciens du droit, sont davantage versées dans l’étude du droit privé440, intéressant les futurs praticiens du droit, que dans celles des sciences sociales, favorables à une meilleure appréhension des phénomènes collectifs. Une impulsion réformatrice découle donc d’un constat de carence, postulant que si les juristes sont effectivement appelés à exercer la « direction politique et morale de la société »441, ils se doivent de faire preuve d’une certaine intelligence sociale. C’est ainsi que l’on procède en quelque sorte à la socialisation des études juridiques442. Le développement du droit public remet ainsi en question l’individualisme ombrageux d’un enseignement presque exclusivement dédié au droit privé, notamment par le rétablissement, certes timide, de l’étude du droit constitutionnel à la Faculté de droit de Paris, en 1871, mais qui se systématise à partir des années 1880443. La science juridique reçoit également le renfort d’une science sociale en plein essor qui part du postulat que les rapports juridiques entre les individus ne sont pas toujours les mieux à même de permettre l’appréhension des rapports sociaux444: l’enseignement de l’économie politique est rendue obligatoire en deuxième année de licence en droit dès 1877. Enfin l’histoire du 440 Cet aspect est notamment palpable chez les professeurs de la Faculté de droit de Paris, parmi lesquels un « bloc conservateur » affirme vouloir « se borner au droit et ne pas sortir du droit ». Cf. Frédéric Audren et Jean-Louis Halpérin, La culture juridique française. Entre mythes et réalités XIXe -XXe

siècles, op. cit. , p. 115.

441 Frants Despagnet, « La fonction sociale des Facultés de droit », Revue internationale de

l’enseignement, t. 12 (1891), p. 533. (533-560)

442 Pour une synthèse de l’évolution des programmes en facultés de droit, cf. Frédéric Audren et Jean-Louis Halpérin, La culture juridique française. Entre mythes et réalités XIXe -XXe siècles, op. cit.,

pp. 114-121.

443 Sur ce point, cf. Guillaume Sacriste, La République des constitutionnalistes, Presses de Science Po (PFNSP), 2011, pp. 27-94.

444 Contrairement aux pays de droit jurisprudentiel, ceux de tradition civiliste, c’est-à-dire de droit codifié, montrent davantage de réticences à considérer l’empire de l’économie sur les rapports sociaux (Thierry Kirat, Économie du droit, La découverte, 2012, p. 9). L’introduction de l’économie politique dans les facultés de droit françaises constitue donc un événement scientifique important, puisqu’il remet en cause la conception traditionnelle des rapports sociaux. Au-delà, c’est aussi une nouvelle conception de l’État lui-même qui devient envisageable, celle d’un régulateur de la vie économique. Cf. Bruno Dumons, Gilles Pollet, « Universitaires et construction de l’État-Providence : la formation économique et juridique des élites françaises (1890-1914) », Revue d’histoire des facultés de droit et de la science

droit, introduite en 1880 dans le programme de première année de licence, rompt avec le dogmatisme du démiurge napoléonien pour faire la lumière sur la construction progressive de l’édifice juridique445.

Ce qui peut apparaître comme de simples ajustements aux yeux d’un public non averti, est inégalement traité dans la presse quotidienne. Les titres les plus populaires passent sous silence des informations qui exigeraient de trop longues explications qui ne seraient que de peu d’intérêt pour une clientèle peu soucieuse de l’enseignement juridique car peu susceptible d’intégrer les facultés de droit. La presse quotidienne bourgeoise est donc la seule à relayer véritablement ces informations, et à les commenter. Le lecteur assiste alors à une mutation assez inédite des études juridiques. Aux matières juridiques absentes jusque-là des programmes et qui trouvent à s’y implanter, comme celles de droit public, il faut ajouter celles qui bien qu’extérieures au champ juridique, n’en demeurent pas moins un complément essentiel, comme l’économie446. La commission parlementaire chargée de la préparation d’un projet de loi en la matière rend dès 1875 un rapport prônant un grand nombre de réformes, en matière d’accès aux études juridiques, de carrière des enseignants, ainsi que de programmes447. C’est cependant ce dernier point qui semble capter davantage l’attention du public. Partant des journaux quotidiens, le point d’orgue de la réforme des études juridiques au début de la Troisième République semble être en effet leur ouverture programmatique, tout particulièrement vers les sciences sociales.

445 Sur l’introduction de l’histoire du droit dans les facultés de droit ainsi que sa pérennité jusqu’en 1914, cf. Jean-Louis Halpérin, « L’histoire du droit constituée en discipline : consécration ou repli identitaire ? », Revue d’histoire des sciences humaines, n°4 (2001), pp. 22-27.

446 En soutenant le projet d’un enseignement économique sur les deux premières années de licence, Jules Léveillé rappelle avec justesse que si la famille, la propriété et le gouvernement dans une moindre mesure sont des sujets capitaux pour les études juridiques, le quatrième, pourtant fondamental, c’est-à-dire l’économie, et donc le travail, est pourtant demeuré à l’écart. Cf. Jules Léveillé, « La réforme de la licence en droit. Au directeur du Temps », Le Temps, 1905/07/17 (n°16098), p. 1.

Parmi les multiples mesures entreprenant la refonte des facultés de droit depuis le début des années 1870 jusqu’à la fin des années 1880, c’est la question de l’introduction de l’économie politique qui mobilise le plus de commentaires dans la presse448. Elle apparaît comme un événement notoire de l’histoire de l’institution aux yeux de ses contemporains pour plusieurs raisons. Contrairement à d’autres évolutions, celle-ci possède tout d’abord une visibilité particulière, non sans lien avec sa soudaineté : depuis son apparition dans la sphère des facultés de droit jusqu’à sa généralisation, il ne s’écoule que cinq années, de 1872 à 1877. Ce succès tient d’ailleurs au soutien que les républicains apportent au développement de la matière449, alors que leurs réticences sont plus grandes à l’égard du droit constitutionnel, que l’on soupçonne d’être par trop subversif450. D’autre part cette évolution est symbolique de la réalisation d’une attente populaire forte concernant les facultés de droit : celle de leur ouverture à des matières servant à une meilleure compréhension des phénomènes sociaux. Le public déplore en effet bien souvent l’excès de technique chez le juriste, et il semble considérer que le recours aux autres sciences humaines en est le remède. Enfin, elle est le prolongement d’un engouement pour la matière en elle-même, dont les lecteurs eux-mêmes sont assez friands, à en juger par les annonces de cours et conférences publics d’économie politiques qui fleurissent dans la presse dès les années 1860451. Cet engouement populaire452 pour

448 Il faut entendre par « commentaire » un article qui ne se limite pas à la simple diffusion de l’information. Il s’agit donc d’articles polémiques où l’auteur prend position par rapport au sujet, soit en s’impliquant lui-même, soit en cherchant à influencer le lecteur.

449 Sur le lien étroit entre les sciences sociales et l’idéologie républicaine, cf. George Weisz, « L’idéologie républicaine et les sciences sociales. Les durkheimiens et la chaire d’histoire d’économie sociale à la Sorbonne », Revue française de sociologie, n°20 (1979), pp. 83-112.

450 Cf. Le Journal des Débats politiques et littéraires, 1881/07/22, p. 3.

451 Dès 1864, le cours public d’économie politique dispensé à la Faculté de droit de Paris avait dû être réservé aux seuls étudiants de troisième année en raison de l’affluence excessive d’auditeurs, que l’amphithéâtre de 600 places ne parvenait pas à contenir. Cf. Le Petit Journal, 1864/12/05 (n°674), pp. 1-2.

452 Ce dernier est plus récent que celui des hommes de sciences pour l’ensemble des sciences morales, qui prennent leur essor au XIXe siècle et dont l’économie politique fait partie. Cf. Julien Vincent, « Les “ sciences morales ” : de la gloire à l’oubli ? », La revue pour l’histoire du CNRS, n°18 (2007), mis en ligne le 03 octobre 2009.

l’économie est le prolongement d’un intérêt développé durant le Second Empire453, et que l’on pourrait dire accru par un souffle démocratique qui tend à faire sortir bon nombre de sciences des cercles aristocratiques où elles étaient jalousement retenues. On peut ainsi assister librement à des conférences d’économie politique dans de hauts lieux de la vie scientifique française comme le Collège de France ou le Conservatoire des Arts et Métiers, ou plus modestement dans des salles municipales, sous l’égide des communes elles-mêmes ou de sociétés savantes riveraines454.

Les facultés de droit rallient tardivement ce mouvement général. Après un rapport parlementaire portant sur l’enseignement du droit en Angleterre455 en 1872, des voix françaises, notamment celle de Jules Léveillé, s’élèvent en faveur du développement 453 Cf. par exemple l’ouvrage du professeur genevois Claude-Marie Dameth, dit Henri Dameth,

Introduction à l’étude de l’économie politique : cours publics professés à Lyon pendant l’hiver 1864-1865, sous les auspices de la Chambre de commerce, Guillaumin, 2e éd., 1878.

454 Comme exemple de l’expansion de ces initiatives, cf. Le Temps, 1875/08/15 (n°5233), p. 1. L’économie politique n’est pas la seule matière dont s’emparent les cours municipaux, qui traitent aussi très souvent de médecine, de droit ou d’histoire. Ces conférences présentent bien souvent un caractère pratique et ont pour but de répandre des indications utiles aux auditeurs dans leur vie quotidienne, comme du droit usuel ou de l’hygiène. Les cours publics d’économie politique s’apparentent donc sous certains aspects à de l’économie domestique, mais à l’instar des autres conférences, ils présentent bien souvent plusieurs niveaux d’information eu égard au statut de ceux qui les dispensent. Les conférenciers sont en effet le plus souvent des personnalités politiques locales intéressées au moins pour leur loisir aux questions traitées ou des universitaires, soit diplômés et exerçant un métier à forte valeur sociale en dehors de l’Université, comme les avocats ou les médecins, soit appartenant au corps enseignant. Tous présentent donc les traits de l’intellectuel. Leur participation aux conférences populaires trouve généralement sa motivation dans leur croyance à l’éducation des masses. Dès lors s’ils peuvent être tentés d’édulcorer leur discours, parfois à l’excès, ils tentent néanmoins d’initier leur auditoire au fruit de leur expérience ou de leurs recherches en lui permettant de gravir les degrés jusqu’à une réflexion intellectuelle aboutie.

455 Le ministre de l’Instruction publique Jules Simon a engagé quelques mois plus tôt une réflexion sur les réformes à engager en faculté de droit, invoquant la nécessité pour l’Université de faire face au développement de l’enseignement supérieur privé. Le Journal des Débats politiques et littéraires, 1872/03/29, p. 2. Le rapport en question met en avant le bénéfice d’un enseignement juridique diversifié et plus tourné vers les carrières dans le milieu des affaires. Sa réception par le corps politique français est néanmoins mitigé et le corporatisme universitaire anglais est vertement critiqué, notamment par Jules Ferry. Cf. « Assemblée nationale : compte-rendu sommaire, séance du 12 juin 1875 », Le Journal des Débats politiques et littéraires, 1875/06/13, p. 3. La réforme engagée ne vise donc pas à l’importation du système anglais, jugé vicié par les républicains.

de l’enseignement de l’économie politique dans les facultés de droit456. La même année, le professeur de la Faculté de droit de Paris Colmet de Santerre fonde dans cette ville une « école libre de droit et de science politique » à l’usage des « jeunes gens qui se destinent aux affaires »457 où l’on dispense des cours d’économie politique. Certains professeurs semblent devenir conscients d’un fait dont ils faisaient jusque-là abstraction : celui de ne pas former la jeunesse aux seules professions juridiques, au sein desquels la recherche du profit est généralement tue, mais de délivrer un diplôme servant aussi, dans de nombreux cas, à intégrer des professions à vocation clairement lucratives. L’exemple de l’ « école libre » fondée à Paris est cependant révélatrice de l’attitude réfractaire de la faculté de droit à l’égard du savoir économique. Ce dernier présente une méthode particulière qui s’oppose à celle des juristes458, et cela vaut à ceux de ces derniers qui s’intéressent à l’économie, d’être pointés du doigt par leurs collègues qui lisent dans leurs penchants la corruption du champ juridique proprement dit459. La discipline parvient finalement à intégrer progressivement les programmes de licence de la plupart des facultés de droit dans la première moitié de la décennie 1870460, mais c’est au prix d’encouragements répétés de la part du pouvoir politique, qui ne s’appuie guère que sur une poignée d’universitaires favorables. Les établissements catholiques se montrent quant à eux bien 456 Adolphe Viollet-le-Duc, « Instruction publique en Angleterre : enseignement du droit », Le Journal des

Débats politiques et littéraires, 1872/10/25, p. 3.

457 « Conseil municipal de Paris. Séance du 20 janvier », Le Journal des Débats politiques et littéraires, 1872/01/21, p. 3.

458 Sur l’opposition entre sciences juridique et économique, consulter Frédéric Audren, « Le légiste, l’économiste et la liberté testamentaire. Aux origines de l’analyse économique du droit ? », Revue

d’histoire du XIXe siècle, n°47 (2004), pp. 47-61. A propos de la difficile introduction de la matière en

faculté de droit, cf. Lucette le Van-Lemesle, Le juste ou le riche. L’enseignement de l’économie

politique 1815-1950, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 2004.

459 Des dissonances se font en effet entendre dans le corps enseignant jusque dans la presse. Par exemple, le traditionnel Valette, professeur à la Faculté de droit de Paris s’exprime avec véhémence contre l’introduction de l’économie au sein des facultés de droit en 1877. Cf. « L’enseignement du droit et l’économie politique », La Gazette des tribunaux, 1877/04/04, p. 323.

460 C’est en vertu d’une généralisation en dehors de tout cadre législatif ou réglementaire que le conseiller général Hubert-Delisle demande l’ « égalité » de la Faculté de droit de Bordeaux avec les autres par la création d’un cours d’économie politique. Amédée Couraud, son doyen, aurait omis de le réclamer « par excès d’optimisme ». Cf. « Conseils généraux », Le Temps, 1875/08/21 (n°5239), p. 2.

moins prompts à accepter l’intromission de la matière économique, même s’ils ne semblent pas contester ses vertus culturelles. Le dilemme de l’introduction de la discipline se fait jour au même moment que dans les établissements publics mais il tarde à l’opposé à être résolu. Après une tentative avortée à Lyon en 1876461, l’Institut catholique de Paris se dote d’un cours l’année suivante462 mais une telle initiative demeure sporadique et cet enseignement reste le plus souvent en dehors du cursus juridique. Dans la ville de Lille par exemple, il faut attendre l’année 1895 pour voir apparaître au sein de l’Université catholique une « section des sciences sociales et politiques »463 destinée aux futurs hommes politiques, journalistes, mais également aux prêtres. Les cours dispensés dans ce cadre sont en réalité des conférences car ils ne reçoivent aucune sanction par le biais d’un examen et lorsqu’une « école des sciences sociales et politiques » est créée en 1899, elle débouche sur un diplôme autonome délivré après un cursus de trois ans464.

L’intégration progressive de l’économie politique au diplôme juridique implique une conception nouvelle de celui-ci. Pour son détenteur qui intègre une carrière économique, il ne consiste plus seulement en un capital social, mais devient un véritable appui théorique dont il pourra se servir dans sa profession. L’introduction de la matière a cependant eu lieu à marche forcée. Ses promoteurs eux-mêmes n’ont pas toujours invoqué les bons motifs de cette introduction, s’attachant davantage à vanter ses vertus politiques, notamment pour lutter contre le socialisme465 plutôt qu’à démontrer sa 461 Alors que la Décentralisation, journal catholique, annonce cette création, le concile suivant choisit de repousser l’évocation de cette question. Cf. Le Temps, 1876/10/03 (n°5648), p. 3 ; Le Temps, 1876/10/22 (n°5667), p. 2.

462 Le Temps, 1877/04/14 (n°5840), p. 3.

463 « La section des sciences sociales et politiques de l’Université catholique de Lille », La Croix, 1895/07/24 (n°3751), p. 2.

464 « École des sciences sociales et politiques de Lille », La Croix, 1899/09/01 (n°5041), p. 4.

465 Alfred Jourdan, professant avec renommée l’économie politique à la Faculté des lettres de Marseille et à la Faculté de droit d’Aix, met le plus souvent en avant dans la presse les vertus de sa spécialité comme remède contre le socialisme. Cf. Alfred Jourdan, Des rapports entre le droit et l’économie

259-complémentarité avec les matières juridiques. L’introduction, puis l’extension de l’économie à toutes les facultés en 1877466, n’est certes pas perçue comme une hérésie par l’observateur, qui y voit finalement la digestion par l’institution universitaire d’une certaine modernité. Le malaise est pourtant bien palpable et l’argumentation en faveur de la discipline par ses promoteurs, qui s’attachent bien souvent à en démontrer les vertus politiques plutôt que ses liens avec le domaine juridique, lui appose le sceau de l’extériorité. Dans la frénésie qui a poussé la société toute entière à s’intéresser à la science économique, la faculté de droit s’est en effet montrée trop timorée à se l’attacher. Son introduction, puis son extension à tous les établissements en 1877, apparaît certes comme un effort salutaire de l’institution pour se conformer à la modernité scientifique, mais cela ne parvient pas à faire de l’économie un véritable élément de la formation juridique. La place d’ailleurs fort modeste qu’elle se voit consacrer, soit un cours d’un semestre en deuxième année, participe de cette idée.

La socialisation du cursus juridique, qui apparaît certes comme une réussite du point de vue de l’enseignement économique, est donc en réalité très limitée. L’échec de l’introduction de la sociologie dans la dernière décennie du XIXe siècle467 le confirme. Du point de vue des matières juridiques en elles-mêmes, l’enseignement juridique peine à se défaire de sa matrice. Au moment où il met en place les Universités, le politique libère

266. Cette vision est somme toute classique, dans un contexte d’adhésion généralisée des économistes français au dogme libéral. Cf. Jacqueline Cahen, « La réception de l’œuvre de Karl Marx par les