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Pour effectuer un premier bilan de la séquence ERC, le CESE s’est référé aux expériences existantes. Les retours d’expériences d’agents des directions régionales de l’OFB ont notamment été pris en compte37. De même, a été auditionné un des auteurs38 d’un article paru dans la revue Biological conservation en 2019, et intitulé

« Compensation en matière de biodiversité : certitude d’une perte nette mais incertitude d’un gain net »39. Cet article étudie 24 infrastructures réalisées entre 2012 et 2017 (routes, chemin de fer, aqueducs, lignes électriques), soit avant la mise en œuvre de la loi du 8 août 2016, mais alors que la séquence ERC était déjà intégralement applicable, en application des articles L.122-1 et suivants du code de l'environnement.

Les personnes auditionnées s’accordent sur un certain nombre de constats négatifs :

- les dossiers de demande d’autorisation déposés par les maîtres d’ouvrage renseignent peu ou sous-estiment l’état écologique initial (nombre et effectifs des espèces, habitats, etc.). Or cette mauvaise estimation de l’état initial conduit à minimiser les mesures d’ERC à adopter par la suite.

Dans les dossiers, les inventaires disponibles peuvent être relativement anciens, ce qui peut obliger à des prospections coûteuses et réalisées sur une longue période (couvrant au minimum la saison du printemps pour les inventaires faunistiques et floristiques);

- pour certains observateurs, les impacts apparaissent souvent sous-estimés. Ce risque est accru pour les grands projets, aux dossiers très volumineux, où s’observe souvent une disproportion entre les moyens de contrôle et de suivi de l’administration et la puissance d’expertise technique et juridique du porteur de projet ;

- les mesures d’évitement demeurent très rares. Et des mesures de réduction sont souvent présentées à tort comme de l’évitement (par exemple la construction d’un viaduc, alors qu’en réalité il était techniquement impossible de procéder autrement). Dans quelques cas, les mesures

37 Entretien av ec Vincent Vauclin, Ingénieur projet de l'Of f ice français de la biodiv ersité (OFB), direction du Centre-Val-de-Loire.

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AVIS DECLARATIONS/SCRUTINANNEXES d’évitement peuvent avoir existé mais ne pas être retracées dans les dossiers

(cas de grandes infrastructures linéaires pour lesquelles une phase amont d’examen de différents tracés peut être considérée comme de l’évitement) ; - les mesures de compensation sont rares, ne portent que sur une fraction

de la biodiversité impactée et sur des parcelles trop réduites pour être efficaces. La régulation et le suivi par l’État depuis 1976 étaient très insuffisants. Le site « Géoportail » mentionne seulement 3 000 mesures en cours (la plupart postérieures à 2010)40. Beaucoup d’opérations ciblent une ou quelques espèces protégées et menacées localement41 au lieu de prendre en compte l’ensemble de la faune et de la flore présentes ainsi que leurs habitats, les écosystèmes et services écologiques spécifiques. En négligeant la fonctionnalité écologique globale, ces mesures de compensation reposent donc sur une vision très réductrice et appauvrissante de la biodiversité. Par ailleurs, les sites de compensation apparaissent plus petits que ceux impactés42 et plus nombreux ;

- contrairement aux termes de la loi, l’autorisation d’aménager est délivrée par le préfet avant qu’aient été obtenus les gains liés à la compensation écologique. Le dossier mentionne les actions qui seront conduites afin de justifier l’autorisation d’impact, sans garantie d’une réelle compensation d’autant que les parcelles sont trop réduites. L’objectif d’équivalence écologique et d’anticipation est donc perdu de vue. Afin de remédier à cette situation, des mesures de suivi sont désormais prescrites dans les arrêtés d’autorisation des projets afin de s’assurer de l’efficacité des mesures de compensation;

- l’état initial du site de compensation choisi est souvent mal expertisé43 ou sous-estimé, ce qui peut rendre vague et incertain le gain écologique final.

Ce site serait le plus souvent un site naturel et non un site dégradé. L’étude précitée montre ainsi que 358 des 468 ha des sites de compensation cumulés pour lesquels le type d’habitat était mentionné (dans le référentiel européen de classification Corine Biotope) étaient au départ naturels ou semi-naturels, voire parfois proches d’une biodiversité « remarquable »44. Il semble que le résultat final, l’affichage du bon état du site, prévale sur la réalité de l’absence de perte nette de biodiversité. La logique voudrait au contraire que l’on parte d’habitats aussi dégradés que ceux que l’aménagement a détruits, voire de friches industrielles, pour leur redonner la fonctionnalité écologique initiale des habitats détruits ;

40 L’article 69 de la loi du 8 août 2016 prév oit la géolocalisation et la description dans un sy stème d’inf ormation géographique national (SIG) des mesures de compensation. La mise en ligne de la cartographie des mesures compensatoires sur le Géoportail, qui est mis en œuv re par l’Institut géographique national (IGN), est ef f ective depuis le printemps 2019. Les inf ormations principales sont décrites dans une f iche associée à chaque inf ormation géographique.

41 En moy enne 4 % des espèces présentes selon l’étude précitée.

42 En moy enne 6 f ois plus petits dans l’étude précitée.

43 Dans l’étude précitée, la qualité écologique initiale des sites de compensation n’est connue que pour 34 ha sur les 577 ha cumulés de compensation.

44 Au total, selon cette étude, 2 400 ha artif icialisés ont donné lieu à 577 ha de compensation, dont 80 % sur des espaces déjà naturels et seulement 3 % sur des espaces dégradés.

Avis

- facteur aggravant, la relative faiblesse du suivi des mesures de réduction et de compensation ne permet pas d’en vérifier l’existence et l’efficacité.

Faute d’effectifs suffisants, seuls les agents départementaux de l’OFB procèdent parfois à des contrôles sur place, ce qui n’est que très rarement le cas de la direction départementale des territoires (DDT) placée sous l’autorité du préfet ;

- le mécanisme des « sites naturels de compensation » est à ce jour inutilisé. Depuis 2011, la loi autorise à titre d’expérimentation cette compensation dite « par l’offre » pour le maître d’ouvrage, public ou privé, toujours sous contrôle du préfet. L’expérimentation a été validée par l’article 69 de la loi du 8 août 2016. Cette loi a prévu un agrément pour des sites naturels de compensation, mais à ce jour seules deux demandes d’agrément ont été déposées45. Les aménageurs, et les services de l'État chargés d'apprécier la validité des offres de compensations proposés, jugent en général plus simple et plus adapté de trouver localement, au coup par coup, les compensations répondant au mieux aux caractéristiques des impacts à compenser. En conséquence, rien ne permet d’envisager qu’à l’avenir ce mécanisme rencontre davantage de succès.

Au total, la gradation prévue par la séquence ERC constitue à elle seule un outil très insuffisant. Trop souvent détournée en un droit à artificialiser, elle se limite quasi-exclusivement aux termes réduire et compenser « RC », quand ce n’est pas à la seule lettre R, car les impacts sont à tort présentés comme non significatifs, ce qui peut dispenser de la compensation. Complexe, exigeante en moyens de contrôle, aux gains incertains, la compensation est souvent synonyme en réalité de perte nette de biodiversité. Trop fréquemment, ce sont les associations qui veillent au respect du droit, par la contestation en justice des arrêtés d'autorisation, alors que c'est la responsabilité directe de l'État, chargé d'autoriser le projet, de fixer les obligations d'évitement de réduction ou de compensation au bon niveau.

À cet égard, les mesures d’amélioration actuellement mises en œuvre à la suite du rapport Dubois46 ne touchent pas au cœur du problème, même si elles sont bienvenues. Ce rapport rendu en 2015 identifiait six groupes de propositions : assurer le partage de la connaissance pour tous via un « centre de ressources ERC » ; intensifier et déployer la formation de tous les acteurs de la chaîne de décision à la séquence ERC ; mutualiser et articuler les mesures ERC pour différentes procédures et un même projet ; rendre plus lisible la chronologie de la démarche ERC et l’articulation entre toutes les phases d’un projet ; développer des éléments méthodologiques sur la compensation ; mutualiser les mesures compensatoires de différents projets.

45 Respectiv ement par CDC Biodiv ersité concernant le domaine de Cossure sur la commune de Saint-Martin-de-Crau (Bouches-du-Rhône) sur 357 ha et par le groupement d'intérêt public Biodif (GIP Biodif ), concernant le site de Mare à Palf our situé sur la commune de Montesson (Yv elines) sur 6 ha.

AVIS DECLARATIONS/SCRUTINANNEXES Les carences de la séquence ERC appellent à améliorer ce mécanisme (cf. axe

n° 1 des préconisations de la seconde partie) et surtout à agir beaucoup plus en amont, par le dialogue entre parties prenantes afin d'éviter certains projets d’aménagement et d'en faire évoluer d'autres (cf. axe n° 2 des préconisations de la seconde partie), ce qui revient à agir sur les déterminants d’une des principales pressions néfastes à la biodiversité : la fragmentation des habitats et l’artificialisation des sols.