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2.2 Nucléation, croissance et séparation de phases

Chapitre I - Etude bibliographique

I- 2.2 Nucléation, croissance et séparation de phases

Nous allons dans cette partie passer en revue les mécanismes qui interviennent lors de l’élaboration de vitrocéramiques. L’élaboration d’une vitrocéramique peut se faire par différentes voies :

- par la voie conventionnelle : celle-ci a lieu lors d'un traitement thermique du verre et peut mettre en jeu des phases de nucléation de germes et croissance de ces derniers

- par des mécanismes de séparation de phases, puis de cristallisation sélective (nous n’emploierons pas cette voie)

- par la dispersion de cristaux au sein d’une matrice liquide en fusion - par assemblage et densification de verre et de cristaux…

En 1926, Volmer propose une théorie décrivant les phénomènes de nucléation et de croissance opérant dans les verres ; cette théorie est appelée théorie classique de la nucléation (CNT) [66]. Elle sera ensuite modifiée par Becker et Döring en 1935 [67]. La CNT, telle qu’elle est décrite dans l’ouvrage « Du verre au cristal » [68], est basée sur plusieurs approximations :

- Le germe et la phase cristalline qui va se former ont des propriétés identiques (même structure, même composition, même densité)

- Le germe initial a une forme sphérique

La CNT différencie deux types de nucléation : la nucléation homogène et hétérogène.

I-2.2.1 Nucléation homogène

La nucléation est un processus spontanée qui se produit lors de fluctuations de densité, de composition ou d’entropie et sont activées thermiquement. La nucléation est dite homogène, lorsque la formation d’un germe est équiprobable dans tout élément du volume du verre. D’un point de vue thermodynamique, la CNT repose sur la variation de l’énergie libre de Gibbs ou encore appelée enthalpie libre (noté G). Une transformation de phase s’accompagne d’une variation de G, de façon à la minimiser. Si on considère le refroidissement du liquide surfondu :

- Lorsque la température T du système est supérieure à la température de fusion, le liquide est la phase d’équilibre, il a l’enthalpie libre G la plus faible. L’état cristallisé n’est pas stable

- Lorsque T < Tf : la phase cristallisée devient plus stable, son enthalpie libre G est inférieure à celle du liquide surfondu

On définit ΔGv, la différence d’enthalpie libre volumique qui est égale à la différence de l’enthalpie libre du cristal par rapport à celle du liquide surfondu. A l’état liquide ΔGv représente la force motrice thermodynamique conduisant à la formation du cristal. ΔGv peut également s’exprimer en fonction de l’entropie (S) et de l’enthalpie (H) [68] :

ΔGv = ΔHv − TΔSv et ΔGv = 𝐺𝑐− 𝐺𝑝 (Eq. I - 29) à T = Tf∶ Gv = Gc, donc ΔGv = 0 ΔHv − Tf ΔSv = 0 ΔSv =ΔHv Tf ΔGv = ΔHv − TΔHv Tf ΔGv = ΔHv ΔTT f avec ΔT = Tf− T (Eq. I - 30)

Lors de la nucléation (passage de l’état liquide à l’état solide), la formation du cristal plus stable implique que Gc est inférieure à Gl, et donc que ΔGv est négatif. De plus, la présence d’une interface entre les deux phases (germe et liquide) induit une augmentation de l’énergie de surface. En outre, l’augmentation d’énergie élastique qui se produit peut être négligée dans le cas d’une transformation liquide-solide.

L’énergie libérée par la formation d’un germe de rayon r s’exprime à travers la grandeur W qui est le travail de formation du germe critique (Figure I-23) [68] :

𝑊 = 4𝜋𝑟2𝛾 +43𝜋𝑟3ΔGv (Eq. I - 31),

avec 𝛾 : tension de surface germe/liquide

Le terme de gauche représente la barrière thermodynamique à franchir, alors que le terme de droite est favorable à la nucléation. La courbe W = f(r) présente un extremum, la dérivée de W est donc nulle en ce point : 𝜕𝑊𝜕𝑟 = 0

4𝜋𝑟2ΔGv = −8𝜋𝑟𝛾 𝑟 = − 2𝛾

ΔGv (Eq. I - 32)

Ce rayon r pour lequel la dérivée de W est nulle est noté r* et appelé rayon critique. Il correspond à la taille minimale à partir de laquelle le germe devient stable et peut commencer à croître. Tant que r est inférieur à r*, le germe n’est pas stable et peut se redissoudre dans le liquide surfondu, W est dominé par le terme interfacial. Lorsque r est supérieur à r*, le germe peut croître (Figure I – 23). Le travail W* s’exprime en fonction du germe critique selon la relation :

𝑊= 4𝜋𝑟∗2 𝛾 +4 3𝜋𝑟 3 ΔGv 𝑊=16𝜋𝛾3 3ΔGv2 (Eq. I - 33)

W* représente le travail de formation maximum nécessaire pour la formation d’un germe. Pour des valeurs de tension superficielle 𝛾 élevées, la formation d’un verre est plus favorable que celle d’un cristal et pour des valeurs faibles, la nucléation est favorisée.

Figure I - 23 : Variation du travail de formation d’un germe sphérique et de ses deux composantes surfacique et volumique en fonction de r [68].

D’un point de vue cinétique, la nucléation d’un germe est fonction du nombre d’atomes qui viennent se déposer du liquide à la surface du germe au cours de temps. Le coefficient de diffusion D est ainsi donné par la relation de Stokes-Einstein [68] :

D = kBT

3πdλη (Eq. I - 34),

avec 𝑘𝐵 la constante de Boltzmann, 𝑑𝜆 la distance de saut et η la viscosité (sa mesure donne la valeur de D).

Le coefficient de diffusion est inversement proportionnel à la viscosité. En effet, plus la viscosité augmente et plus la mobilité des atomes devient difficile faisant diminuer le coefficient de diffusion.

Le taux de nucléation noté Ist est défini comme le nombre de germes critiques apparaissant par unité de volume et par unité de temps [68]. Il est représenté en Figure I-24.

𝐼𝑠𝑡3𝜋𝑑 𝜆

3𝜂 𝑒𝑥𝑝 (−𝑊𝑘

𝐵𝑇) (Eq. I - 35)

Figure I - 24 : Taux de nucléation I en fonction de la température [68].

La forme gaussienne de la courbe représentant le taux de croissance en fonction de la température, montre la compétition entre les forces thermodynamiques et cinétiques. En effet, pour des températures proches de la Tg, la mobilité des atomes est faible à cause de la viscosité élevée, la diffusion des atomes pour venir former le cristal devient alors un facteur limitant. Pour des températures proches de Tf, la viscosité diminue, la mobilité des atomes est donc facilitée, mais l’énergie interfaciale devient trop grande, les germes ne peuvent pas être stables. Une nucléation homogène ne conduit qu’à une cristallisation volumique.

I-2.2.2 Nucléation hétérogène

Lorsque les cristaux apparaissent sur des sites préférentiels (interfaces, défauts en surface, agents nucléants), la nucléation est dite hétérogène. La cristallisation qui s’en suit peut être soit volumique (nucléation autour d’agents nucléants dispersés dans le volume), soit souvent surfacique.

Dans la grande majorité des cas, les verres tellurites présentent une nucléation hétérogène conduisant le plus fréquemment à une cristallisation préférentiellement de surface [10].

I-2.2.3 Croissance cristalline

Une fois les germes formés, ils peuvent commencer à croître. Le taux de croissance cristalline dépend de la vitesse de croissance des cristaux et de la vitesse à laquelle

l’énergie thermique libérée peut être extraite du liquide surfondu. Si la croissance est continue, on peut considérer que les sites d’adsorption à la surface du cristal sont équivalents. L’adsorption est assimilée à un saut diffusif dans le liquide. La vitesse de croissance V effective dépend de la vitesse d’attachement (ou adsorption) d’un atome notée vlc et de la vitesse de détachement (ou désorption) vcl d’un atome (Figure I-25). Les vitesses d’adsorption et de désorption sont égales au produit de la distance de saut diffusif (dλ), de la fréquence des vibrations atomiques (ʋ) et de la probabilité de faire un saut diffusif (saut thermiquement activé). La vitesse de croissance s’exprime par [68] :

𝑉 = 𝑣𝑙𝑐− 𝑣𝑐𝑙 (Eq. I - 36) 𝑉 = 𝑑𝜆𝑣𝑒𝑥𝑝 (−𝛥𝐺𝐷 𝑘𝐵𝑇 ) − 𝑑𝜆𝑣𝑒𝑥𝑝 ( −(𝛥𝐺𝐷− 𝛥𝐺𝑉) 𝑘𝐵𝑇 ) 𝑉 =𝑑𝐷 𝜆𝑒𝑥𝑝 (−𝛥𝐺𝐷 𝑘𝐵𝑇) [1 − 𝑒𝑥𝑝 (𝛥𝐺𝑉 𝑘𝐵𝑇)] (Eq. I - 37)

Le taux de croissance est noté C [68] : 𝐶(𝑇) = 𝑓× 𝑉, où f* est la fraction de sites disponibles sur la surface du cristal.

Figure I - 25 : Schéma énergétique lors du passage d’un atome de l’état liquide surfondu à l’état solide et inversement [68].

L’enthalpie libre du cristal étant plus faible que celui du liquide, l’état cristallin est plus stable, la désorption est donc moins favorisée que l’adsorption, et le germe va alors pouvoir croître. Le taux de nucléation I et le taux de croissance C ont l’allure de gaussiennes, leur évolution en fonction de la température est représentée en Figure I-26.

Figure I - 26 : Evolution du taux de nucléation I et du taux de croissance cristalline C en fonction de la température [68].

Plusieurs zones peuvent être différenciées :

- T1 < T < T3 : formation de germes cristallins qui ne peuvent pas croître - T2 < T < Tf : les germes ne peuvent pas se former

- T3 < T < T2 : les germes cristallins peuvent se former et croître

L’extremum des courbes de nucléation et de croissance correspond respectivement au taux maximum de nucléation et de croissance. Ces courbes sont utilisées lors de l’élaboration de vitrocéramiques qui demande un contrôle strict de la nucléation et de la croissance des cristaux.

Il est à noter que la croissance ultérieure des cristaux s’effectue par le processus de mûrissement d’Ostwald développé par Lifshitz, Slyozov et Wagner [69], [70].

I-2.2.4 Séparation de phases liquide-liquide

La séparation de phases ou démixtion, est due à une immiscibilité du mélange à l’état liquide. Considéré comme désavantageux dans le cas des verres, puisqu’il peut détériorer la qualité du verre et nuire à sa mise en forme, il peut être en revanche recherché dans le cas de la fabrication de vitrocéramiques. L’intérêt étant alors de pouvoir contrôler la microstructure des vitrocéramiques et d’élaborer de nouvelles compositions de vitrocéramiques.

Des théories [71] ont été développées afin d’expliquer la démixtion dans les verres. Gibbs [72] a remarqué la signification particulière des points d’inflexion de la courbe d’enthalpie libre. En effet, le suivi de la variation d’enthalpie libre au cours du processus de séparation de phases permet de distinguer deux régions pour lesquelles correspondent deux processus différents de démixtion (Figure I-27).

Figure I - 27 : Evolution de la variation d’enthalpie libre et de la température en fonction de la composition. Morphologie des processus de démixtion opérant par a) nucléation croissance et par b)

décomposition spinodale [68].

La variation de la dérivée seconde de la fonction d’enthalpie libre (G’’) en fonction de la composition donne les conditions de stabilité des phases :

- G’’ > 0 : région stable

- G’’ = 0 : points spinodaux : C et D - G’’ < 0 : région métastable

Pour une température donnée, si on considère une fluctuation de composition autour de la composition :

- E1 : G(E1) augmente jusqu’à atteindre G’(E1) > G(E1) et l’apport d’une énergie supplémentaire provoque la séparation de phases de type décomposition par nucléation/croissance

- E2 : G(E2) diminue jusqu’à atteindre G’(E2) < G(E2), le système évolue spontanément vers son état d’équilibre, la séparation de phases est dans ce cas de type décomposition spinodale.

Dans le premier cas, le mécanisme de démixtion conduit à la formation de phases sphériques (aspect globulaire) dispersées dans une matrice résiduelle (Figure I-28 b)), la composition de ces phases n’évolue pas au cours du temps. Pour le second cas, la décomposition spinodale provoque la formation de phases de forte connectivité (Figure I-28 c)), de compositions chimiques proches et séparées par des interfaces diffuses qui évoluent au cours du temps.

La morphologie des phases est également dépendante de la vitesse de refroidissement. Pour une composition donnée M située entre les points spinodaux C et D, dans le cas d’un refroidissement très rapide, un processus par nucléation croissance peut se produire. Pour un refroidissement lent, on pourra avoir un processus par décomposition spinodale.

En jouant par exemple sur la composition du verre, il est possible de faire varier la taille des phases démixées et ainsi obtenir une nano-structuration dans le but de réaliser des vitrocéramiques transparentes composées de nanocristaux de ZnGa2O4 à partir du verre gallogermanate GeO2-ZnO-Ga2O3 [73]. La Figure I-28 montre que l’augmentation de la teneur en GeO2 a pour effet ici de diminuer la taille de la démixtion.

Figure I - 28 : Micrographies obtenues au TEM de verres du système (100-2x)GeO2-xZnO-xGa2O3

montrant l’influence de la teneur en GeO2 sur la taille de la démixtion [73].

I-2.2.5 Limites de la CNT

De nombreux désaccords sont apparus entre la CNT et les expériences, en raison des approximations faites dès le départ. La CNT ne prend par exemple pas en compte la présence, dans certains cas, de phases métastables pouvant présenter des propriétés différentes de celles de la phase stable finale. Par ailleurs, la CNT ne permet pas de prévoir les chemins conduisant à la cristallisation. La loi d’Ostwald prédit par exemple qu’il est possible de passer par des phases métastables avant d’arriver à la phase la plus stable. Le système dans son état de départ a tendance à transiter vers l’état métastable le plus proche, puis ce dernier peut transiter vers un autre état métastable plus bas énergétiquement jusqu’à atteindre l’état d’équilibre.

I-2.2.6 Théorie de Johnson-Mehl-Avrami-Kolmogorov (KJMA)

La théorie de la CNT est applicable uniquement dans le cas de verres à un seul composant, un autre modèle a donc été proposé pour les verres à plusieurs composants.

a) Expression générale de la fraction cristallisée

Les travaux menés par Göler et Sachs [74] sur les transformations de phase solide-solide ont été repris par Johnson, Mehl, Kolmogorov et Avrami et renommés la théorie KJMA (Kolmogorov-Johnson-Mehl-Avrami) [75] [76] [77]. Cette théorie traduit la cinétique globale de transformation au cours du temps au sein d’un matériau solide et permet de déterminer, au cours du temps, la fraction volumique transformée [68] :

𝑦(𝑡) = 1 − 𝑒𝑥𝑝 [−𝑔 ∫ 𝐼(𝜏)0𝑡 (∫𝑡−𝜏𝑢(𝑡)𝑑𝑡

0 )𝑚𝑑𝜏] (Eq. I - 38)

Avec y la fraction volumique transformée, I(𝜏) le taux de nucléation, l’intégrale de u représente le volume des particules apparues au cours de la transformation, g le facteur géométrique traduisant la forme de la phase précipitée et m le nombre qui traduit le mécanisme de croissance et la dimension du cristal. Enfin, l’application de cette formule est limitée à des transformations isothermes.

La théorie KJMA repose sur l’hypothèse que la nucléation est aléatoire et que les amas formés sont de forme sphérique. En réalité, les cristallisations sont souvent surfaciques, une extension du modèle a donc été proposée dans ce cas [78].

b) Transformation non-isotherme

Il est également important de considérer le cas d’une transformation non-isotherme qui est rencontré par exemple lors du refroidissement brutal (forte variation de la température) se produisant lors de la trempe du liquide vers la formation de verre ou de vitrocéramique. Pour décrire les mécanismes de transformation dans des conditions non-isothermes, les mécanismes de nucléation et de croissance sont supposés indépendantes du temps. L’équation précédente peut donc se simplifiée et devient [68] :

𝑦(𝑡) = 1 − 𝑒𝑥𝑝[−𝑔 𝐼 𝑢𝑚 𝑡𝑛] (Eq. I - 39),

avec n le paramètre d’Avrami et m la dimension spatiale de croissance. Les valeurs d’exposant d’Avrami sont données en Tableau I-2.

Tableau I - 2 : Valeurs des constantes n (paramètre d’Avrami) et m pour différents mécanismes de cristallisation [79].

L’équation précédente peut également s’écrire :

𝑦(𝑡) = 1 − 𝑒𝑥𝑝[−𝑘 𝑡𝑛] (Eq. I - 40),

avec k le taux de réaction qui varie en fonction de la température suivant une loi d’Arrhénius :

𝑘 = 𝑘0𝑒𝑥𝑝 [−𝐸𝑎

𝑘𝑇] (Eq. I - 41),

où Ea est l’énergie d’activation de la transformation globale (exprimée en kJ.mol-1

).

En outre, les paramètres I et u sont compris dans l’expression du coefficient k. Enfin, quand n = m +1, la nucléation est constante et lorque n = m, le nombre de germes est constant.