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I. SYNTHÈSE BIBLIOGRAPHIQUE

2. Les NTs dans la Maladie d’Alzheimer

2.3 NTs et stratégies neuroprotectrices

Dans la plupart des travaux étudiant le rôle des NTs par des approches de délétion, les déficits synaptiques et comportementaux induits sont réversibles par l’administration de ligands (Patterson

52 efficace in vivo. Nous avons vu précédemment que la diminution des NTs mime certaines altérations caractéristiques de la MA comme la dégénérescence des neurones cholinergiques, la présence de plaques amyloïdes et de DNF, ainsi que les altérations de l’activité synaptique et des performances cognitives (Ruberti et al., 2000 ; Korte et al., 1996 ; Capsoni et al.,2000, 2002 ; Heldt et al., 2007). La restauration de leurs fonctions dans la MA semble donc pertinente. De plus, les NTs ayant un spectre large d’activité, leur potentiel neuroprotecteur a aussi retenu l’attention vis-à-vis de nombreuses autres pathologies comme la dépression, la maladie de Parkinson, la maladie de Huntington ou la sclérose amyotrophique latérale (Tuszynski, 2002). Différentes approches sont envisageables : l’inhibition de l’activité néfaste des pro-NTs, la restauration de l’expression des NTs ou leur apport exogène.

2.3.1 L’inhibition de la signalisation pro-apoptotique de p75

L’apoptose induite par les pro-NTs requiert la sortiline et p75. In vitro, l’utilisation de la neurotensine, un antagoniste de la sortiline, prévient l’apoptose induite par le pro-BDNF (Teng et al., 2005 ; Al-Shawi et al., 2008). Cependant, la sortiline vient d’être positivement impliquée dans le transport antérograde des Trk in vivo (Vaegter et al., 2011), ce qui suggère qu’il vaut mieux cibler son interaction avec des partenaires comme p75, plutôt que la sortiline elle-même. Selon le même principe, la signalisation de p75 étant double (i.e. pro- ou anti-apoptotique), il a été proposé l’établissement de stratégies visant à réduire son interaction avec les pro-NTs ou l’Aβ (Longo & Massa, 2005). Ainsi, des petites molécules agonistes de la fixation du pro-NGF sur p75 (LM11A) permettent d’inhiber l’activité pro-apoptotique de p75 tout en activant les voies de neuroprotection PI3K et NFkB (Massa et al., 2006). Ces composés préviennent la dystrophie et la mort cellulaire induite par l’Aβ via p75 in vitro sur des tranches d’hippocampe en inhibant l’activation de la GSK3β et de la calpaïne, mais aussi en levant l’inhibition d’Akt et en activant la PI3K. Ces composés permettent aussi de préserver l’activation de CREB et de la LTP suite à l’exposition d’Aβ (Yang et al., 2008). Des antagonistes sélectifs de p75 ont été également développés (Yaar et al.,2007).

2.3.2. L’induction de l’expression des NTs.

De nombreuses conditions permettent d’influer sur l’expression des NTs. Les études chez l’animal montrent que l’exercice physique induit l’expression du BDNF et du NGF dans l’hippocampe (Neeper et al., 1996) et améliore les performances et les marqueurs de dégénérescence dans des souris modèles de MA (Nichol et al., 2009). Le traitement avec des antidépresseurs augmente l’immunoréactivité du BDNF dans l’hippocampe (Chen et al., 2001). L’administration de l’antagoniste NMDA mémantine induit également une augmentation de l’expression du BDNF et du TrkB dans le cortex de rat (Maranová et al., 2001).

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2.3.3 L’apport de NTs au SNC.

2.3.3.1 Les infusions icv

La perméabilité sélective de la barrière hémato-encéphalique (BHE) limite considérablement la demi-vie et l’apport au SNC des NTs (BDNF, NGF et NT-3) administrées par voie périphérique (Poduslo & Curran, 1996). Des approches visant à améliorer le passage des facteurs trophiques à travers la BHE ont été développées, comme la conjugaison des NTs avec des anticorps anti-transferrine (Kordower et al., 1994a), la synthèse de protéines de fusion (Qu et al., 2008) ou l’utilisation de transporteurs (pour revue Garcia-Garciaet al., 2005). Bien que ces alternatives se

soient avérées efficaces en terme de neuroprotection, les doses périphériques requises pour ces effets sont extrêmement importantes ce qui exclue une perspective thérapeutique.

Par conséquent, l’administration des NTs au SNC nécessite une application directe in cerebro. De plus, le caractère progressif de la MA nécessite également une application prolongée des facteurs neuroprotecteurs. Les premières approches ont consisté à infuser les NTs dans le ventricule cérébral. Chez le primate, l’infusion icv de NGF augmente efficacement les taux de NGF dans le LCR et restaure partiellement la perte cholinergique dans le septum dans un modèle lésionnel de MA par transsection de la fimbria (Tuszynski et al., 1990). Malgré l’apparente efficacité chez le primate, d’autres travaux sur l’infusion continue de NGF au SNC ont mis en évidence une amélioration de la perte cholinergique chez le rat âgé, mais surtout un effet délétère sur les performances comportementales des animaux jeunes (Markowska et al., 1994). En accord avec cette observation, il a été montré que les NTs en excès pouvaient induire l’apoptose sur des cellules hippocampiques en culture (Friedman et al., 2000). En revanche, lorsque l’infusion est réalisée directement au niveau du septum chez l’animal jeune, les performances des animaux jeunes sont améliorées (Conner et al., 2009). Ces données indiquent que l’administration des NTs doit être ciblée pour être bénéfique. Chez l’Homme, l’infusion icv de NGF (de 16 à 75 µg/24h) chez 3 patients MA n’a pas apporté d’amélioration notable (diminution du MMSE) et a eu des effets secondaires indésirables notamment des douleurs intenses et une importante perte de poids à l’origine de l’arrêt du traitement au bout de trois mois (Eriksdotter Jönhagen et al., 1998). D’autres effets secondaires ont été répertoriés chez l’animal suite à l’infusion continue de NGF. L’infusion de NGF chez le rat et le primate pendant 6 mois provoque un épaississement des méninges causé par des infiltrations de cellules de Schwann et leur hyperplasie (Day-Lollini et al., 1997). De plus, une sur-innervation sympathique de la vascularisation cérébrale a également été rapportée suite à des traitements icv courts chez le rat (2 semaines) (Isaacson et al., 1990 ; Isaacson & Crutcher, 1998).

De manière similaire au NGF, la dispersion de BDNF dans le LCR peut aussi avoir des effets délétères. Chez des patients atteints de sclérose amyotrophique latérale, l’infusion icv de BDNF induit des paresthésies et des troubles du sommeil (Ochs et al., 2000). La voie icv ne semble donc pas appropriée pour l’administration de facteurs trophiques. D’autres conséquences pourraient découler d’une administration non-contrôlée de BDNF. Les animaux surexprimant le BDNF, outre une susceptibilité à l’épilepsie, possèdent des troubles de mémoire et une anxiété accrue (Croll et al., 1999 ; Papaleo et al. 2011). L’analyse en microscopie de cultures organotypiques d’hippocampe incubées avec du BDNF montre la formation de nouveaux branchements synaptiques aberrants qui provoquent une hyperexcitabilité et un phénotype épileptique des cellules granulaires (Koyama et

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al., 2004). Des modifications de la nociception comme l’allodynie, sont parmi les potentielles

conséquences d’une trop forte concentration centrale de BDNF : la formation de contacts synaptiques aberrants des fibres C nociceptives (dans la moelle épinière) provoque des épisodes hyperalgésiques dans les périodes de régénération neuronale chez le rat (Endo et al., 2009). Au final, les administrations périphériques ou les infusions icv de NTs, ou d’autres composés trophiques comme l’IGFI, sont peu efficaces et présentent souvent des effets secondaires dans les essais cliniques (pour revue, Thoenen & Sendtner, 2002).

En bref, l’administration de NTs doit permettre d’atteindre des concentrations efficaces aux sites précis de dégénérescence neuronale tout en limitant la diffusion à des sites distants à l’origine d’effets secondaires indésirables. De plus, la méthode d’administration doit pouvoir assurer la délivrance continue de faibles concentrations de peptide sur de longues périodes, probablement de manière chronique. Ces concepts posent des limites quant à la possibilité de déterminer le réel potentiel curatif des NTs.

2.3.3.2 Les infusions intrathécales de NTs.

L’administration de NTs dans le parenchyme cérébral via des pompes osmotiques pourrait correspondre à ces impératifs. L’implantation de pompes osmotiques délivrant du GNDF icv ou dans le parenchyme (striatum) de patients Parkinson n’est pas efficace et induit de nombreux effets secondaires (nausées, hallucinations, fourmillements) (Kordower et al., 1999b ; Nutt et al., 2003). L’implantation bilatérale de canules dans le putamen n’a qu’un effet limité sur la capture du 18F-DOPA et est sans effet sur la récupération fonctionnelle. De plus, les injections mensuelles ont conduit au retrait du dispositif d’infusion ou son repositionnement chirurgical chez une partie des patients (Lang et al., 2006). Les données cliniques suggèrent que l’implantation parenchymale de pompes osmotiques a besoin d’être optimisée. Il convient de remarquer qu’en parallèle des systèmes de pompes implantables, des capsules résorbables enfermant des composés thérapeutiques ont été développées et ont montré leur efficacité à libérer ces composés à un site donné. Toutefois, la limitation -inéluctable- dans la durée et le manque de contrôle de la libération de l’agent thérapeutique constituent des limites incompatibles avec un traitement de fond et ne seront pas évoquées davantage (pour revue, Shoichet & Winn, 2000). Enfin, il est aussi possible que la séquestration à long terme de composés neuroprotecteurs dans un dispositif d’infusion en altère l’efficacité biologique : par exemple le GDNF contenu dans des pompes osmotiques perd jusqu’à 90% de son activité biologique en 2 semaines (Lu & Hagg, 1997). Ces données suggèrent que pour être efficace, l’apport ,mais aussi la synthèse des composés neuroprotecteurs doivent être continus.

2.3.3.3 La production in situ de NTs.

Parmi les alternatives par rapport à la répétition d’actes chirurgicaux invasifs, l’injection intracérébrale de virus recombinants permet d’assurer l’expression localisée de NTs. Cette méthode possède l’avantage de pouvoir restaurer l’expression de protéines au niveau intracellulaire, mais la

55 taille de la séquence à introduire dans le génome de l’hôte constitue une limite (pour revue, Björklund et al., 2000). Cette approche consistant à intégrer un gène dans le génome d’un hôte pour y induire son expression est qualifiée d’ « in vivo gene delivery ». L’infusion d’un lentivirus BDNF-GFP dans le cortex entorhinal de modèles murins de vieillissement, lésionnels et transgéniques de MA et dans leurs équivalents primates, réverse les atteintes cellulaires, les déficits cognitifs et l’expression aberrante de gènes induits par l’Aβ, la déafférentation de l’hippocampe ou le vieillissement (Nagahara et al., 2009a). Chez le singe âgé, la même approche d’injection bilatérale de lentivirus NGF dans le cerveau antérieur basal permet d’induire localement l’expression de NGF et permet de reverser la perte cholinergique liée à l’âge. L’immunoréactivité du NGF ou l’expression de la GFP (suite à l’infection par un lentivirus GFP) est toujours visible au bout d’un an. L’analyse immunohistochimique a permis de déterminer que l’expression de NGF ainsi induite est limitée dans un rayon de 2 mm autour des sites d’injection, tandis que les niveaux de NGF dans le LCR demeurent indétectables, confirmant le confinement de l’expression de NGF dans la structure ciblée (Nagahara

et al., 2009b). Aucun effet secondaire n’a été relaté suggérant l’innocuité de la méthode. Cependant,

il n’est pas possible d’éteindre l’expression induite dans l’éventualité de l’apparition d’effets secondaires indésirables, ce qui pose un problème de sécurité et de transposition à l’Homme. En dépit de ce risque, le bénéfice de l’injection du CERE-110 (un adéno-virus modifié pour l’insertion du gène du NGF) dans le noyau basal de Meynert est actuellement testé en phase II chez des patients MA (Mandel, 2010).

Une autre possibilité est d’infecter in vitro des cellules pour leur faire exprimer une protéine, puis de les réimplanter dans l’organisme. Cette approche de thérapie cellulaire est qualifiée de « ex

vivo gene delivery ». Cette approche permet la sécrétion de peptides dans le milieu extracellulaire. La

greffe de fibroblastes autologues recombinants pour le NGF chez le singe reverse efficacement la perte cholinergique liée à l’âge et permet une sécrétion de NGF sur un minimum de 8 mois (Smith et

al., 1999). Chez les patients MA, la greffe de fibroblastes autologues recombinants pour le NGF dans

le noyau basal de Meynert améliore considérablement les scores neuropsychologiques au MMSE et l’ADASCog. De plus, le métabolisme cérébral (FDG-PET) est rétabli et la méthode ne présente aucun effet secondaire au cours des 24 mois de l’expérience (Tuszynski et al., 2005). La greffe de fibroblastes exprimant le BDNF dans la moelle épinière axotomisée stimule le bourgeonnement et la restauration partielle des neurones lésés (Tobias et al., 2003). Ainsi, cette approche semble tout aussi efficace que l’ « in vivo gene delivery », mais présente deux avantages. Le premier des avantages est le fait même de ne pas utiliser un virus recombinant in vivo. Le deuxième avantage est la possibilité d’insérer (en plus du gène d’intérêt) un gène conférant une sensibilité particulière. Par exemple, l’insertion du gène de la thymidine kinase issue du Herpes Simplex Virus confère aux cellules recombinantes implantées une sensibilité au ganciclovir en cas d’effets indésirables (Déglon et al., 1996 ; Bachoud-Lévi et al., 2000b). Au final, bien que l’ « in vivo gene delivery » ne présente pas d’effets secondaires, l’ « ex vivo gene delivery » semble plus sûr. Afin d’améliorer la survie des implants, les cellules implantées peuvent être encapsulées.

L’ensemble de ces données indique que les approches alliant la thérapie cellulaire et la thérapie génique seraient les plus efficaces et les plus adaptées à l’administration de facteurs trophiques au SNC. En effet, ces approches permettent de cibler précisément une structure. En comparaison des injections icv ou périphériques, le produit est retenu à son lieu de synthèse et sa

56 production est durable et inoffensive, mais aussi suffisamment importante pour obtenir un effet. La greffe de cellules recombinantes semble la plus sure méthode et peut être optimisée grâce au procédé d’encapsulation cellulaire.