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La composante religieuse

I.3 Unité de religion : Interdiction du protestantisme

I.3.4 Notion de pureté

Dès le début du XVIIesiècle, plusieurs auteurs français associent aux colo-nies une image de pureté, de renouveau198. Des explorateurs mènent des ex-péditions pour aller découvrir de nouvelles terres, des lieux vierges de toute présence chrétienne. Ces lieux ne sont pas considérés comme des endroits païens ou maudits. Au contraire, la France, à travers ses colons, ses explo-rateurs et ses ordres missionnaires, doit amener la religion chrétienne à des peuples qui n’attendent que sa venue. Il en va de même de la conception des lieux et de leur géographie. Il s’agit de terres vierges, encore inexploitées, que les Français vont devoir cultiver et où ils vont amener la civilisation. Ces terres ne sont pas mauvaises, elles sont pures, en attente de civilisation.

Cette idée de pureté est beaucoup utilisée par certains auteurs afin de criti-quer la politique de l’Empire français ou les mœurs des Français. Les peuples autochtones nouvellement convertis ou à convertir sont mis sur un piédestal, présentés comme des êtres parfaits. De la part des missionnaires, ce choix est essentiellement religieux, dans l’espoir de démontrer aux habitants de France métropolitaine que leur manière de pratiquer la religion catholique doit être améliorée. Cependant, qu’il s’agisse de missionnaires, d’officiels du gou-vernement ou d’historiens, la religion est utilisée comme accessoire critique, dans le but de reprocher quelque chose à la métropole.

Cette opposition entre la pureté des Amérindiens et la perversion des Fran-çais est visible dès les premièresRelationsdes Jésuites datant de 1611. Dans celles-ci, Pierre Biard, jésuite missionnaire en Nouvelle-France, décrit les ver-tus des Amérindiens dans leurs relations sociales afin de critiquer l’attitude des Français dans des situations semblables :

«[…] ains tousiours un grand respect et amour entre eux ; ce qui nous donnoit un grand creve-cœur, lors que nous tournions les yeux sur nostre misere : car de voir une assemblée de François, sans reproches,

198 Jaenen, Cornelius, J., «Les Sauvages Ameriquains: Persistence into the 18thCentury of Traditional French Concepts and Constructs for Comprehending Amerindians», pp. 43-56.

mespris, enuies et noises de l’un à l’autre, c’est autant difficile que de voir la mer sans ondes […] »199.

Les vertus sociales des Amérindiens sont souvent mises en avant par les missionnaires jésuites, dans l’optique de critiquer les mœurs des Français.

Paul Le Jeune, qui écrit sesRelationsquelques années après Pierre Biard, en 1633, reprend exactement les mêmes arguments. Les Amérindiens sont solidaires, ils s’entraident et n’éprouvent pas de jalousie les uns envers les autres au contraire des Français200. Dans saRelationde 1634, l’auteur va plus loin en effectuant une comparaison directe entre les nations amérindiennes et les paysans français et en concluant à la supériorité des premiers sur les seconds :

« Je compare volontiers nos Sauvages avec quelques villageois, pour ce que les uns et les autres sont ordinairement sans instruction ; encore nos Paysans sont-ils precipuez [sic] en ce point ; et neantmoins je n’ay veu personne jusques icy de ceux qui sont venus en ces contrées, qui ne confesse et qui n’advoüe franchement que les Sauvages ont plus d’esprit que nos paysans ordinaires. »201

Les Jésuites ont recours à cette image de pureté afin de faire appliquer leur politique de séparation, que nous verrons plus en détail ci-dessous202. En prônant l’image de peuples nouveaux, vierges de tout contact avec les Euro-péens, au même titre que la terre sur laquelle ils vivent, les Jésuites veulent tenter de préserver les Amérindiens de la « perversion » des Français et, pour ce faire, empêcher l’envoi de « mauvais » colons qui pourraient donner un mau-vais exemple aux autochtones à convertir. Les Jésuites, par la voix de Paul Le Jeune, s’opposent donc à l’envoi de prisonniers et de vagabonds dans les colonies203. Ils désirent créer un Nouveau Monde pur, au même titre que les

199 Biard, Pierre,Relations des Jésuites contenant ce qui s’est passé de plus remarquable dans les missions des pères de la Compagnie de Jésus dans la Nouvelle-France, année 1611, p. 12.

200 Le Jeune, Paul,Relations des Jésuites contenant ce qui s’est passé de plus remarquable dans les missions des pères de la Compagnie de Jésus dans la Nouvelle-France, année 1633, p. 6.

201 Ibid., année 1634, p. 28.

202 Au point I.4.6.

203 Op. cit., année 1635, p. 5.

nouveaux convertis qui, avec leurs qualités naturelles, doublées des vertus chrétiennes, seront des êtres parfaits. Ces êtres parfaits se doivent de vivre dans un monde parfait, une colonie qui aura été épargnée par les vices de l’ancienne France :

« Je crains fort que le vice ne se glisse dans ces nouvelles peuplades […] Il est bien aisé dans un pays nouveau, où les familles arrivent toutes disposées à recevoir les loix qu’on y establira, de bannir les meschantes coustumes de quelques endroits de l’ancienne France, et d’en introduire de meilleures. »204

Les populations autochtones ne sont pas les seules à se révéler exemptes de défauts. La nouvelle société en devenir, dans les colonies, doit être meilleure que l’ancienne. Si la France fonde des établissements dans le Nouveau Monde, ceux-ci doivent être, conformément à la composante religieuse, des terres où les valeurs chrétiennes s’appliqueront dans tous les domaines. Les Jésuites effectuent donc un véritable plaidoyer en faveur d’une Nouvelle-France paisible, exempte de crimes et autres tares attachées à la métropole :

« Les exactions, les tromperies ; les vols, les rapts, les assassins, les perfidies, les inimitiez, les malices noires, ne se voyent icy qu’une fois l’an sur les papiers et sur les Gazettes, que quelques uns apportent de l’Ancienne France […] Pleust à Dieu que les âmes amoureuses de la paix peussent voir combien douce est la vie esloignée des gehennes de mille complimens superflus, de la tyrannie des procez, des ravages de la guerre, et d’une infinité d’autres bestes sauvages qu’on ne rencontre point dans nos forests. »205

Gabriel Sagard, qui appartient à l’ordre des Récollets, a recours aux mêmes arguments de pureté et de perfection. Il critique le manque de solidarité parmi les Français en se basant sur l’exemple des Amérindiens :

«[…] & trouvoient fort mauvais entendans dire qu’il y avoit en France grand nombre de necessiteux & mendians, & pensoient que cela fust faute de charité qui fust en nous, & nous en blasmoient grandement »206,

204 Ibid., p. 5.

205 Ibid., année 1636, p. 42.

206 Sagard, Gabriel,Le grand voyage du pays des Hurons ; suivi du Dictionnaire de la langue huronne, éd. critique par Jack Warwick, p. 177.

et affirme qu’une fois convertis, les autochtones seront de meilleurs chrétiens que les Français :

« […] encore ayment-elles [les femmes huronnes] communément leurs marys plus que ne font pas celles de deçà : & s’ils estoient Chrestiens ce seroient des familles avec lesquelles Dieu se plairoit & demeureroit. »207 Sagard veut convaincre de l’utilité de son travail. Puisque les Amérindiens feront un jour d’excellents chrétiens, il est nécessaire d’envoyer davantage de missionnaires en Nouvelle-France et de multiplier les travaux de conver-sions. Comme chez les Jésuites, la notion de pureté est utilisée dans un but politique.

Le père de La Chasse, missionnaire jésuite en Nouvelle-France un siècle après Pierre Biard et Paul Le Jeune, utilise cet argument de pureté pour justifier son travail. Puisque les Amérindiens sont de meilleurs croyants que les Français, les Jésuites doivent continuer leur mission dans le Nouveau Monde et doivent y être encouragés :

«[…] mais le Sauvage ne compte pas les momens qu’il donne à la Religion, il se montre avec décence & avec empressement dans nos Temples. Les libertés que les François s’y permettent, & l’ennui qu’ils portent peint jusques sur leur front ne sont que trop souvent le sujet de leur scandale. Ce sont là d’heureuses dispositions pour en faire un jour de parfaits Chrétiens. »208

Le père de La Chasse utilise la notion de pureté dans un but politique. En effet, dans sa lettre, quelques lignes plus loin, il dépeint les Amérindiens d’une manière beaucoup moins positive :

«[…] le cœur des Sauvages ne semble pas fait comme celui des autres hommes : vous diriez qu’il est, par sa nature, le siege de l’inhumani-té. »209

207 Ibid., p. 191.

208 La Chasse,Lettres édifiantes et curieuses, écrites des missions étrangères, 1724, vol. 6, pp.

252-253.

209 Ibid., p. 303.

Il s’agit, cette fois-ci, de décrire la difficulté du travail auquel sont confron-tés les missionnaires. La notion de pureté n’étant nécessaire que dans un objectif de revendication vis-à-vis de la métropole ou de critique des mœurs françaises, elle disparaît lorsqu’il est question de présenter, d’une manière objective, les populations avec lesquelles travaillent les Jésuites. Plusieurs textes de religieux comportent ainsi cette part de contradiction, faisant tan-tôt l’éloge des peuples autochtones puis, quelques chapitres plus loin, les décrivant comme des êtres à peine humains, barbares et ignorants.

Même Lafitau, qui écrit un ouvrage la même année que le père de La Chasse, célèbre pour avoir réalisé l’une des premières études d’ethnologie210, a re-cours à l’image de pureté. Cette image a, chez lui également, pour but d’ap-puyer ses arguments. En effet, Lafitau estime que les Amérindiens ont bel et bien une religion et qu’elle est semblable à celle des Anciens. À travers une longue comparaison de toutes les croyances et coutumes amérindiennes avec celles des Européens, Lafitau veut prouver que les Amérindiens ont eu connaissance du christianisme et qu’ils l’ont oublié. C’est donc aux mission-naires de leur enseigner ce qu’ils ignorent et de leur montrer les erreurs conte-nues dans leurs traditions afin qu’ils puissent les modifier pour être en confor-mité avec les pratiques du catholicisme. Comme les Amérindiens sont d’an-ciens chrétiens et que leurs origines sont les mêmes que les habitants de l’Europe, il est dans l’intérêt de Lafitau de présenter ces peuples non comme des barbares, mais comme des gens civilisés, prêts à recevoir la foi chré-tienne. Selon Lafitau, les Amérindiens :

« […] exercent envers les étrangers & les malheureux une charitable hos-pitalité, qui a de quoi confondre toutes les Nations de l’Europe. »211

Comme les religions des Amérindiens et des Français ont des origines com-munes, on retrouve également des similitudes au niveau des coutumes de ces

210 Pagden, Anthony,The Fall of Natural Man : the American Indian and the Origins of Compar-ative Ethnology, p. 198 et Fenton, William N.; Moore Elizabeth L., « J.-F. Lafitau (1681-1746), Precursor of Scientific Anthropology», pp. 173-187.

211 Lafitau, Joseph-François,Mœurs des sauvages ameriquains comparées aux mœurs des pre-miers temps, vol. 1, pp. 105-106.

deux peuples. L’auteur tente de rapprocher les coutumes guerrières amérin-diennes avec les pratiques chevaleresques du Moyen Âge afin de conférer à ces nations une idée de noblesse commune avec la noblesse d’Europe :

« Tout ce que j’ai rapporté des Initiations des Guerriers chez les Na-tions barbares & policées de l’Amerique, doit concevoir à ceux qui ont quelque idée de l’ancienne Chevalerie des Peuples de nôtre Europe, que les épreuves que devoient subir ceux qui aspiroient à l’honneur d’être faits Chevaliers, étoient à peu près semblables à celles dont je viens de donner le détail dans le temps que les Peuples, encore barbares, étoient plongés dans les ténebres de l’Idolatrie. »212

On retrouve cette image de pureté chez Charlevoix, auteur jésuite du XVIIIe siècle. Non seulement il présente les Amérindiens comme un peuple pur, n’at-tendant que l’apport de la religion chrétienne, mais il insiste aussi sur la per-fection des nouveaux convertis qui, n’ayant aucun vice originel, vivent dans un état proche de la sainteté :

« Ce sont des sauvages, mais qui n’ont plus de leur naissance & de leur origine, que ce qui en est estimable, c’est-à-dire, la simplicité & la droi-ture du Premier Age du Monde, avec ce que la Grace y a ajouté ; la Foi des Patriarches, une Piété sincere […] »213.

Cet auteur va d’ailleurs jusqu’à affirmer, dans son désir de critiquer la France et les Français, que :

« Les Sauvages du Canada sont plus aisés à convertir que les nations les plus policées. »214

Comme ses prédécesseurs, Charlevoix attribue à la terre une notion de pureté, de perfection :

« Je puis vous assûrer qu’on voit rarement ailleurs des Terres plus fé-condes & d’une meilleure qualité. »215

212 Ibid., p. 324.

213 Charlevoix, Pierre-François-Xavier de,Journal d’un voyage fait par ordre du roi dans l’Amé-rique septentrionale, vol. 1, p. 239.

214 Ibid., p. 551.

215 Ibid., p. 242.

Or, cette idée est d’autant plus renforcée à l’époque de Charlevoix, puisque de nombreuses critiques ont déjà été émises à l’encontre du Canada qui ne rapporte aucun profit à la métropole. L’idée de terres pures, fertiles, est donc un argument en faveur de la conservation de la colonie et de l’augmentation de sa population. Tout comme les peuples autochtones, les terres n’attendent que la venue des Français pour être exploitées.

Cette idée de pureté n’est pas seulement présente dans les écrits des reli-gieux. D’autres auteurs, apparentés ou non au gouvernement, utilisent éga-lement cette notion. Ainsi, même Nicolas Perrot, coureur des bois216et mar-chand de pelleteries y a recours. Malgré son excellente connaissance des us et coutumes autochtones, ses nombreux voyages et les années passées au sein des tribus, l’explorateur utilise l’image de pureté pour servir ses inté-rêts217.

Un autre exemple d’auteur non religieux ayant recours à l’image de pureté est Bacqueville de la Potherie, qui occupe une fonction administrative pour le gouvernement français. Comme Nicolas Perrot et les Jésuites, de la Potherie met en avant, dans sonHistoire de l’Amérique septentrionale, les vertus des Amérindiens afin de faire réfléchir les Français à leur comportement social :

« Ils ignorent la Fourberie, et le Mensonge est en horreur chez eux. Celui que l’on reconnaît tel est repris publiquement. »218

Bien que les documents concernant le Canada soient plus nombreux, l’image de pureté et de prédisposition à recevoir la foi chrétienne est également vi-sible dans toutes les colonies où vivent des populations « à convertir ». Dans une relation de 1743 au sujet de la Guyane, Pierre Barrere insiste lui aussi sur les peuples sauvages en attente des lumières de la foi chrétienne :

216 Au sujet des coureurs des bois, voir par ex. : Wien, Thomas, « Vie et transformation du coureur des bois », pp. 179-186 et Havard, Gilles,Histoire des coureurs de bois : Amérique du Nord, 1600-1840.

217 Perrot, Nicolas,Mœurs, coutumes et religion des sauvages de l’Amérique septentrionale, p. 215.

218 Bacqueville de la Potherie, Claude Charles Le Roy,Histoire de l’Amérique Septentrionale, Relation d’un séjour en Nouvelle-France, vol. 1, p. 106.

« Quel dommage, que tant de Nations répanduës dans cette grande par-tie de l’Amérique, ne soient pas éclairées des lumiéres de l’Evangile ! Car, d’ailleurs, tous ces Indiens ont un fond de docilité pour écouter les vérités de notre Religion, & paroissent même avoir assez de disposi-tions pour les mettre à profit. »219

Nous la retrouvons également au Brésil, sur l’île de Maragnan, lors d’un es-sai de colonisation et de conversion par les Capucins en 1612, rapidement mis en échec par les Portugais. Ici aussi, les Amérindiens sont considérés comme des êtres encore vierges, purs, auxquels il faut apporter la religion catholique220. Il en va de même en Louisiane, où un mémoire221met en garde contre l’administration de la colonie par une compagnie commerciale qui ris-querait de dénaturer les bontés naturelles du pays. Selon l’auteur, les popu-lations autochtones de Louisiane sont accueillantes, la terre y est riche et fertile et il ne tient qu’aux Français de s’y rendre pour en profiter. Ici égale-ment, l’image de pureté est utilisée dans un but politique. En effet, l’auteur de l’Instruction sommairecraint que la compagnie qui administre la colonie de la Louisiane au début du XVIIIesiècle, ne l’empêche de s’agrandir et de prospé-rer. Il est en faveur de l’administration royale de la colonie, au même titre que le Canada. Il utilise pour ce faire les mêmes arguments que les Jésuites du Canada un siècle avant lui222. Toujours en Louisiane, l’ordre des Capucins a également recours à la notion de pureté pour argumenter en sa faveur. Dans cette colonie, Jésuites et Capucins sont en concurrence pour l’évangélisation des Amérindiens. Il est donc dans l’intérêt du père Raphaël, supérieur des Ca-pucins de la Louisiane, de reprendre, en 1725, la comparaison des Jésuites entre Français et Amérindiens afin de convaincre le ministère de la Marine

219 Barrere, Pierre,Nouvelle relation de la France Equinoxiale, contenant la Description des Côtes de la Guiane ; de l’Isle de Cayenne ; le Commerce de cette Colonie ; les divers chan-gemens arrivés dans ce Pays ; & les Mœurs & Coûtumes des différens Peuples Sauvages qui l’habitent, pp. 219-220.

220 Abbeville, Claude d’,Histoire de la mission des pères capucins en l’isle de Maragnan et terres circonvoisins, p. 61.

221 Instruction sommaire pour achever en peu de temps un solide établissement dans la Loui-siane, dirigée par les S. Droûot de Valdeterre Ecuyer Capitaine Reformé au regiment du Prince de Pons, cydevant commandant l’isle Dauphine & les Biloxy dans la Louisiane,[XVIIIesiècle], FR ANOM COL C13A 6 F°352.

222 Ibid.

que son ordre est parfaitement capable de mener à bien son travail d’évangé-lisation :

« Au reste je ne vois rien d’impossible dans cette entreprise : Car je connois plusieurs Sauvages de l’un et l’autre sexe, qui sont assez bons cretiens, pour me faire souhaitter que nos Europeans leur ressem-blassent d’ailleurs Dieu a ses elus partout et je croirois manquer a la foi de la redemption generale du genre humain si je doutois que le salut des pauvres infideles au milieu desquels nous vivons, fut possible. »223 L’on retrouve donc cette notion chez la plupart des auteurs appartenant à des ordres religieux ainsi que dans la correspondance ministérielle. Le baron de Lahontan, de son côté, effectue un déplacement. La notion de perfection, de noblesse, n’est plus attachée à la religion et au christianisme, mais à la terre de la Nouvelle-France.

Si Lahontan critique abondamment les actes des Jésuites et, d’une manière générale, tout ce qui a trait à la religion, il est le seul à attacher aux colons vi-vant dans la colonie l’image de noblesse habituellement liée aux Amérindiens ou à la terre :

« Quand je dis Païsans je me trompe, il faut dire habitans, car ce tître de Païsan n’est non plus receu ici qu’en Espagne, soit parce qu’ils ne payent ni sel ni taille, qu’ils ont la liberté de la chasse & de la pêche, ou qu’enfin leur vie aisée les met en paralele avec les Nobles. »224

Dans cet extrait, la mention de la chasse est importante car, au XVIIIesiècle, il s’agit d’une prérogative réservée à la noblesse. Les paysans n’ont, en prin-cipe, pas le droit de s’adonner à cette activité225. Or, dans les colonies, les colons n’appliquent pas les mêmes coutumes que dans la métropole : les

223 Raphaël, supérieur des capucins de la Louisiane, 15 septembre 1725, FR ANOM COL C13A 8 F°409.

224 Lahontan, Louis Armand de Lom d’Arce,Nouveaux voyages de Mr. le Baron de Lahontan dans l’Amérique Septentrionale […], vol. 1, p. 10.

225 « Il est venu à Nostre connoissance par le rapport de plusieurs personnes dignes de foy […]

que plusieurs personnes non nobles, laboreurs et autres, sans qu’ils soient a ce privilégiez,

que plusieurs personnes non nobles, laboreurs et autres, sans qu’ils soient a ce privilégiez,