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La nécessité d’une coordination contractualisée au niveau local La prise en charge des problématiques sanitaires (et de logement) des personnes sans chez soi

apparaît donc emblématique des limites et de l’émiettement des politiques et programmes de lutte contre l’exclusion au sens le plus général.1

Comme nous le rappelions en introduction, l’investissement consacré à la lutte contre le sans-abrisme par l’Etat (de l’ordre de un milliard d’euros uniquement pour l’urgence et la réinsertion sociale, sans compter les prestations sociales) est en effet parmi les plus importants en Europe, pour des résultats décevants comparativement aux autres pays européens dont l’investissement est comparable.2 D’une façon générale, s’agissant des politiques de lutte contre l’exclusion en matière de santé comme, en particulier, celles concernant spécifiquement les personnes sans chez soi, les constats des dysfonctionnements sont connus. On peut les rappeler et les lister brièvement.

Il persiste une insuffisance de coordination au niveau de l’Etat entre les différents acteurs : notamment, s’agissant des personnes sans chez soi, entre le Ministère de la santé et les autres ministère, entre l’administration centrale de la santé et celle de l’action sociale mais également au niveau local, dans les services déconcentrés de l’Etat. Cette situation nous apparaît devoir impérativement être prise en compte – pour le bénéfice des populations les plus vulnérables – au moment où se réorganise, au niveau régional et départemental, le pilotage des politiques de santé et l’organisation de l’offre de soins. S’agissant des personnes sans chez soi (mais, évidemment, plus largement aussi, des personnes les plus vulnérables et les plus exposées, du fait de leurs conditions de vie, à la maladie et/ou aux obstacles dans l’accès aux soins), il nous apparaît – comme l’a signalé et s’en inquiète la FNARS3 - injustifiable et délétère qu’un lien fort, institutionnel et fonctionnel, ne soit pas mis en place auprès des ARS en interface avec l’administration responsable des affaires sociales (en l’occurrence, les Directions régionales de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale).

Recommandations

• Identifier, dans chaque ARS, une personne en charge de la santé des

personnes sans chez soi, qui établisse des liens fonctionnels avec les responsables régionaux de l’action sociale et qui participe à la coordination et au suivi des « Groupements locaux de santé pour les personnes sans abri » (voir infra).

• S’assurer de la représentation des collectifs de personnes sans chez soi dans

les nouvelles Conférences régionales de la santé et de l’autonomie prévues dans la loi HPST, ainsi que dans les conférences de territoirei.

Entre l’Etat et les collectivités territoriales, l’articulation des politiques et des actions en faveur de la santé des personnes sans chez soi nécessite également une concertation et une collaboration renforcées, qui transcendent d’une certaine manière les limites (ou les interrogations) sur la légitimité institutionnelle de leurs compétences respectives. On a montré précédemment comment ces éventuels conflits de compétence étaient délétères pour les

i La loi HPST spécifie que « dans chacun des territoires de santé, le directeur général de l'ARS constitue une

conférence de territoire, composée de représentants des différentes catégories d'acteurs du système de santé du territoire concerné, dont les usagers. La conférence de territoire contribue à mettre en cohérence les projets territoriaux sanitaires avec le projet régional de santé et les programmes nationaux de santé publique ».

personnes sans chez soi et de toute façon assez vains, entre l’Etat qui a compétence en la matière et les élus locaux qui y sont confrontés en première ligne…

Recommandations

• Favoriser et développer des contrats locaux de santé décliné spécifiquement

pour la prise en charge des personnes sans chez soi dans tous les territoires concernés

C’est, dans tous les cas, au niveau local que se détermine l’efficacité des moyens mis en œuvre pour tenter – enfin !- de « régler » la question des personnes sans chez soi ; « régler » dans le sens de leur apporter des conditions dignes et sures d’existence, de prévenir les impacts sanitaires du sans-abrismeii et de prendre en charge les troubles psychiatriques et somatiques des personnes.

Mais qu’entend-on par « niveau local » ? Il nous semble difficile, avant d’aller plus loin dans nos recommandations pour une meilleure coordination et une meilleure efficacité des actions, de trancher, en ce qui concerne spécifiquement les personnes sans chez soi, sur une définition univoque de l’échelle pertinente de ce niveau opérationnel. Cette échelle doit être avant tout guidée par les besoins. De ce point de vue, il n’est pas certain – et il nous semble même tout à fait illusoire - de penser que les « territoires de santé » utilisés actuellementiii pour le pilotage administratif des politiques de santé et/ou d’organisation des soins pour la population générale correspondent aux besoins de la population qui nous occupe ici. S’agissant des personnes sans chez soi, nos auditions nous ont bien montré qu’il n’y avait rien de comparable entre les très grandes métropoles où le nombre de personnes sans domicile nécessite une approche infracommunale (comme à Paris) pour être au plus près des personnes et des quartiers qu’elles fréquentent, les villes moyennes où le niveau communal peut-être pertinent, d’autres villes où la question doit être traitée en intercommunalité (que les effectifs soient faibles ou les personnes mobiles dans une communauté de communes), d’autres, enfin, en milieu rural où la problématique est encore différente (là aussi en termes d’effectifs, de déplacement, de saisonnalité, etc.)iv. Nous touchons là du doigt, sans doute, une spécificité des populations sans chez soi, difficile à prendre en compte par les décideurs, en particulier à une époque où l’action en faveur des territoires tend à prendre le pas sur celles des populations défavorisées. Même si cette approche territoriale apparaît extrêmement pertinente dans certains domaines de la santé et pour certains objectifs de santé publique (et qu’elle est, d’ailleurs, loin d’avoir été conduite à son terme dans ces domaines), ses limites apparaissent clairement pour ce qui concerne les personnes sans chez soi, ou du moins certains d’entre eux (les « itinérants »).

ii De ce point de vue, à l’objectif d’une « obligation collective : [celle de] s’interdire qu’une personne puisse

dormir dehors » cité par J. Damon, nous ajouterons l’objectif, non moins collectif et partagé, de s’interdire que

l’hébergement d’urgence puisse constituer une solution de logement, aussi temporaire soit-elle, ni même une solution d’hébergement itérative.

iii ou redéfinis dans l’avenir lors de la mise en place des ARS puisque la loi HPST spécifie que « l'agence

régionale de santé définit les territoires de santé pertinents pour les activités de santé publique, de soins et d'équipement des établissements de santé, de prise en charge et d'accompagnement médico-social ainsi que pour l'accès aux soins de premier recours. Les territoires de santé peuvent être infrarégionaux, régionaux ou

interrégionaux. Ils sont définis après avis du préfet de région, d'une part, de la conférence régionale de la santé et de l'autonomie, d'autre part et, en ce qui concerne les activités relevant de leurs compétences, des présidents des conseils généraux de la région ».

iv Sans parler, a fortiori, des villes et des territoires qui ne disposent d’aucune estimation fiable de la taille des populations sans chez soi présentes sur leur territoire. On rappelle notamment que l’enquête Insee ne concernait pas les villes de moins de 20.000 habitants… et remonte maintenant à 8 ans !

Dans ce sens, ce que nous appellerons le « niveau local » par la suite ne peut être défini qu’en fonction des spécificités locales (et en concertation avec tous les partenaires susceptibles de les connaître et d’en débattre) sur au moins 3 critères :

• les effectifs des populations concernées,

• leur occupation de l’espace et leur mobilité quotidienne,

• la disponibilité et la répartition géographique des services et des intervenants.

A ce niveau local, il nous apparaît essentiel de mieux coordonner l’intervention des différents acteurs. On a vu précédemment comment, dans certains territoires, l’accumulation des dispositifs – d’Etat, des collectivités territoriales, de grandes ou petites associations - et des intervenants – travailleurs sociaux, soignants, bénévoles - crée en pratique les conditions d’un quasi-harcèlement institutionnel dans la vie quotidienne de certaines personnes sans domicile (en tout cas celles les plus visibles) quand, pour d’autres, leur invisibilité les laisse à distance de tous les dispositifs. Cette accumulation est également la source d’un émiettement des services, des phénomènes de « patates chaudes » dont nous avons parlé et d’une véritable déresponsabilisation des intervenants, tous persuadés de bien faire sans jamais – ou trop rarement – prendre en compte les problèmes d’une personne dans leur globalité et sur le long cours, réinterroger leurs pratiques, ni avoir de compte à rendre (ni vis-à-vis des moyens mobilisés, ni a fortiori vis-à-vis des personnes qu’ils prennent en charge).

Il s’agit donc bien à la fois de rationaliser les interventions et de s’assurer que tous les publics cibles sont atteints. Comme le souligne J. Damon, « depuis une trentaine d’années un système sophistiqué et alambiqué s’est étendu, avec des interventions d’opérateurs et de financeurs variés. Tout ce système est en quête de coordination. [...] Il paraît urgent, aux yeux de la plupart des opérateurs et observateurs, de simplifier l'architecture générale de ce système. Chaque hiver voit naître son lot d’initiatives médiatiques […] et de polémiques concernant l'adaptation des centres, le financement des services, la coopération des associations, les responsabilités des uns et des autres. Or la solution tient probablement bien moins d'un manque de moyensv que de leur dispersion et de l’absence d’un objectif substantiel clair. ».4 Encore faut-il quelque peu modérer ce point de vue, notamment en ce qui concerne les initiatives associatives. Leur foisonnement, aussi médiatique peut-il être parfois, aussi désordonné soit-il, ne doit pas être stérilisé par une puissance publique trop régulatrice si on considère – comme nous - que ce champ associatif constitue une sorte de « laboratoire social » qu’il serait bien dangereux de stériliser. Encore faut-il que ce « tiers secteur » remplisse pleinement ce rôle d’innovation, réinterroge ses pratiques, capitalise ses expériences et évalue sérieusement sa démarche.

Cette coordination locale doit donc être une coordination de proximité, responsabilisée, aux objectifs et aux moyens contractualisés, associant des représentants des publics concernés ainsi que l’ensemble des intervenants que les personnes sans chez soi sont susceptibles de croiser dans leur quotidien (et donc pas seulement les acteurs sanitaires et sociaux, mais également, par exemple, les forces de l’ordre, voir p. 52)

v Même si nous modérerons cette appréciation, concernant les moyens et les ressources disponibles pour hébergement digne et pérenne…

Recommandations

• Généraliser dans les territoires concernés des « Groupements locaux de santé

pour les personnes sans abri »

• Chaque groupement local est responsable de :

- l’évaluation du nombre de personnes sans chez soi présentes sur son

territoire,

- l’évaluation de leurs besoins sanitaires et sociaux, - leurs prises en charge sanitaires et sociales,

- leur accompagnement vers un logement pérenne.

• Il s’agit d’un GIP, possédant une personnalité juridique et disposant d’un

budget propre, dans le cadre d’une déclinaison pour les personnes sans chez soi des contrats locaux de santé prévus par la loi.

• Il contractualise avec les différents partenaires présents sur son territoire de

responsabilité, notamment :

- les hôpitaux (et tous leurs services, notamment les Urgences, les PASS, les

consultations externes mais bien entendu l’ensemble de l’hospitalisation)

- les équipes mobiles de proximité

- les maisons d’accueil, de liaison et d’accompagnement - Le dispositif de veille sociale départementale

- le secteur psychiatrique

- les services d’hébergement d’urgence - les associations

• Outre les élus, les représentants de l’Etats et les partenaires contractuels, il

associe à son pilotage et à son évaluation les partenaires suivants :

- les associations de quartier

- des représentants des professions de santé libérales : médecins généralistes

et pharmaciens d’officine

- les représentants de l’Etat (DDASS) - les coordonnateurs ASV quand ils existent - le responsable de la veille sociale départementale - la police

- les bailleurs sociaux

• Il associe également et systématiquement des représentants des personnes

sans chez soi. Leur nombre doit être significatif. Il doit s’agir de personnes ayant été sans domicile et/ou connu des situations d’extrême précarité.

• L’évaluation de ses activités est systématique et indépendante. Elle fait l’objet

d’un financement spécifique et conséquent, et d’un cahier des charges minimal qui sera préalablement défini

o Il est fortement incité à faire appel à des personnes ayant une

expertise dans le domaine de l’évaluation : médecins de santé publique, chercheurs, spécialistes de la recherche action participative, etc.

o Un objectif prioritaire sera d’analyser les freins à l’accès aux soins

et à l’hébergement effectifs des personnes sans-abri.

• Des rencontres annuelles régionales et nationales devront permettre des

échanges et une mutualisation des savoirs. Chaque année un compte-rendu détaillé des résultats les plus significatifs de l’évaluation sera publié et largement diffusé.

• A moyen terme, une coordination nationale devra produire des guides de

bonnes pratiques entre partenaires et avec les personnes usagères. Les membres de cette coordination nationale seront issus des groupes locaux, et respecterons une représentation importante des usagers.

Références bibliographiques

1

Cour des Comptes. Rapport public thématique sur les personnes sans domicile. Paris, La documentation française, mars 2007.

2

Damon J. Les politiques de prise en charge des sans-abri dans l’Union Européenne. Rapport au

Ministre du Logement ; Paris, avril 2009.

3 Maestrachi N. Courrier à Mr Jean-Marie Bertrand, Secrétaire général des ministères chargés des affaires sociales.

http://www.fnars.org/images/stories/2_les_actions/sante/courrier_fnars__jm_bertrand-7_sept_09.pdf