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Chapitre 1 : Vécu des soins sans consentement par les patients

1.2 Mme D

Il s’agit d’une femme de 30 ans hospitalisée dans le service des troubles du comportement alimentaire de la CMME à Sainte Anne pour une anorexie boulimie avec vomissements, chronicisée et compliquée d’une dénutrition sévère.

Mme D. vit seule et perçoit le RSA. Titulaire d’un bac Economique et Social elle fait du baby-sitting et des petites missions de secrétariat. Dernière d’une fratrie de 2, ses parents ont divorcés lorsqu’elle avait 3 ans.

A noter une obésité morbide chez sa sœur ayant nécessité une gastrectomie et une orthorexie chez la mère avec qui les relations sont décrites par la patiente comme conflictuelles.

On date le début des troubles vers l’âge de 17 ans, dans un contexte de départ de sa grande sœur du domicile familial. Les restrictions alimentaires quali-quantitatives sont associées à des crises de boulimie avec purge par vomissements lors des tensions familiales. Elle est hospitalisée quelques jours sous contrainte à la demande d’un tiers (sa mère) lorsqu’elle avait 20 ans sur son secteur (hôpital Les Murets) pour prise en charge de son trouble du comportement alimentaire. Pas d’autres prises en charge, pas de suivi proposé au décours d’après la patiente. Elle se stabilise autour d’un IMC 14kg/m2 pendant 10 ans sans suivi somatique ni psychiatrique.

En mai 2017 elle est adressée par le médecin traitant de sa sœur (l’ayant consulté suite à un malaise avec chute et plaie de l’arcade sourcilière) en réanimation nutritionnelle à Garches pour une dénutrition sévère, son IMC est alors de 10,9 kg/m2.

Devant un refus de soins avec une demande de retour à domicile et un déni de la gravité des troubles, la mise en place d’une mesure de contrainte à la demande d’un tiers (sa sœur) est nécessaire. Elle est transférée dans le service des troubles du comportement alimentaire de la CMME à Sainte Anne le 28 juin 2017. Le soin sous contrainte est maintenu.

• Comment vous êtes-vous retrouvée en hospitalisation sous contrainte ? Qui en pris la décision ? Qui est le tiers ?

Mme D : « En fait il s’agit d’un quiproquo, à Garches ils ont cru que je voulais partir et rentrer chez moi alors que je voulais aller chercher des vêtements qui me manquaient à Garches. Du coup lorsque ma sœur est passée me voir ils lui ont demandé de signer un papier pour que je sois mise sous contrainte. La contrainte est maintenue ici parce que comme le Dr Guy Rubin ne sait pas pourquoi elle a été mise en place, elle préfère la maintenir pour la phase 1. Mais je suis d’accord pour poursuivre les soins ici. Si j’avais

54 voulu sortir de Garches c’était pour venir ici. J’aurais préféré venir ici directement car les conditions d’hospitalisation à Garches sont difficiles, on doit rester alité dans sa chambre…Alors c’est vrai qu’à 27 kg vaut mieux rester assise ou allonger ! Là-bas d’abord on sauve la vie physiquement.

Je n’ai pas compris car j’ai dit que je voulais bien continuer l’hospitalisation sans contrainte mais par sureté ils ont fait une contrainte.

J’ai eu la même impression qu’avec ma mère, une sorte de contrôle sur moi…quoiqu’au final avec la maladie on essaye de contrôler mais on ne contrôle rien !

Je crois que je continue à être malade par habitude en fait, ça devient une routine, ce n’est pas par obsession du poids. »

« J’avais déjà été mise sous contrainte à la demande d’un tiers (ma mère) quand j’avais 19 ans dans un hôpital psychiatrique. J’étais avec les schizophrènes. J’avais peur. Et mon père m’a fait sortir au bout d’une semaine et demi, de toute façon ils ont bien vu que je mangeais. J’étais la seule qui n’avait pas de traitement, je ne suis pas de nature anxieuse moi, je prends plutôt les choses au jour le jour. C’est vrai qu’ici je vois que les autres patientes sont anxieuses, notamment pendant les groupes de paroles. Peut-être que je suis considérée comme une « je m’en foutiste » je sais pas…Parce que je n’arrive pas pour l’instant à m’inquiéter. Ce qui m’inquiète c’est par exemple quand je n’ai pas pris mon poids, ou de ne pas avoir le temps de finir mes plateaux. Mais j’ai pas envie de me prendre la tête. »

• Quelle aurait pu être l’alternative à ce mode d’hospitalisation selon vous ?

Mme D : « Ah mais sans la contrainte je serai venue ici.. sans doute plus tôt même ! Venir ici directement en soins libres j’aurai préféré. »

• Etait-il nécessaire de vous mettre en soins sous contrainte selon vous ?

Mme D : « Non parce que j’avais tellement de carences… que j’en avais conscience de toute façon qu’il me fallait des soins. C’est le mot « contrainte » que je n’aime pas. Je voulais que ça soit de mon plein gré. Ça me rappelle que ma mère voulait tout contrôler. »

• Sinon en quoi la contrainte peut-elle vous être défavorable ?

Mme D : « L’environnement de la réanimation j’ai trouvé cela morbide, on voit que c’est l’aspect somatique de la maladie. J’ai vu des comportements de patientes qui m’ont choquée, des choses auxquelles je n’aurais jamais pensé. Je me rappelle d’une dame qui avait une soixantaine d’année et quand je voyais son comportement je me disais que je ne voulais pas devenir comme elle plus tard. Elle mentait, elle volait, elle cachait...Ils ont été obligé de l’attacher. C’était vraiment grave ! »

• Quel est selon vous le meilleur endroit de prise en charge immédiat ? A long terme ? Mme D : « Dans l’immédiat la réanimation nutritionnelle de Garches et sur le long terme un psychiatre libéral. »

• Etiez-vous au courant des différentes structures de soin pour la prise en charge de l’anorexie mentale ?

Mme D : « Non pas trop. Une fois à Garches je m’étais renseignée un peu sur la CMME, j’avais même vu un reportage sur internet. »

• Selon vous la dénutrition peut-elle altérer vos capacités de jugement ?

Mme D : « J’étais plus souvent fatiguée, je me concentrais moins facilement mais j’avais conscience de ma maladie, c’est même moi qui ai dit plusieurs fois à ma sœur qu’il fallait

55 que je me soigne. Quand je me suis présentée aux urgences de Créteil parce que j’étais constipée, ils m’ont donné quoi ? Un doliprane ! Je leur ai demandé des analyses sanguines, j’ai dû leur demander à 2 reprises. Ils m’ont dit « faut peut-être manger pour aller aux toilettes ! » Et après ils m’ont laissée partir…Au médecin généraliste de ma sœur aussi j’ai dû demander des analyses sanguines, car elle ne me les a pas proposées. »

• Quel a été le délai entre le début des symptômes et le diagnostic ? Entre le début des symptômes et le début de votre prise en charge ? Entre le début de symptômes et une hospitalisation longue ?

« Le médecin généraliste de ma sœur a vu physiquement que j’étais maigre, d’ailleurs quand elle m’a vue elle m’a dit « vous sortez d’un camp de concentration ? », c’était violent mais c’est comme un coup de pied aux fesses, des fois on en a besoin ! Je lui ai demandé des adresses pour me soigner, elle a regardé sur internet et a vu qu’il y avait le service de réanimation de Garches. J’ai obtenu une place au bout de 3 jours. J’avais été la voir car j’étais constipée depuis 2 mois, j’avais très mal au ventre et mentalement je n’en pouvais plus. Je n’arrivais plus à faire mes crises de boulimie depuis 3 mois. Et puis physiquement je pouvais tenir sur mes jambes, faire mes courses mais la boulimie me prenait trop d’énergie. J’en avais assez, j’en pleurais. Mais en arrivant à Garches en voyant comment ça fonctionnait, ça ne m’a pas trop plu. A force de faire un certain poids ça constitue notre identité et ce qui est choquant c’est le fait que quand on prend du poids on a l’impression de perdre son identité. Parce qu’avant j’étais considérée comme la maigre de service, c’est les autres qui nous le renvoie à chaque fois, c’est un peu ce qui me différenciait des autres.

Les symptômes ont débuté vers 11 ans, au début c’était plus l’anorexie comme j’ai une mère qui aimait tout contrôler. D’ailleurs ma sœur aussi a eu des soucis mais elle, elle avait plutôt tendance à prendre du poids. Et ma mère la critiquait, alors j’ai voulu éviter les insultes mais au final ça n’a pas marché. Ma mère a un frigo géant mais y’a rien dedans. Elle cuisine tout à la vapeur. Le diagnostic d’anorexie mentale a été posé à l’adolescence par mon médecin généraliste mais moi je le savais. Parce que souvent on dit qu’on est dans le déni mais moi je n’étais pas dans le déni, je savais que j’étais malade mais je n’avais pas envie de le crier sur tous les toits. Ce n’est pas du déni c’est…le cacher aux autres. Je n’ai jamais eu vraiment de prise en charge. J’ai vu quelques fois des psychologues mais ça n’a jamais duré longtemps comme ils étaient choisis par ma mère et qu’elle voulait tout contrôler, elle avait tendance à les appeler, à vouloir tout savoir. Ça relève plus d’un état pathologique que d’une véritable inquiétude. Elle était pareille avec mon père. »

Ainsi, le délai entre le début des symptômes et la prise en charge spécialisée est de 17 ans.

• Auriez-vous des suggestions à faire pour améliorer la prise en charge de l’anorexie mentale ?

Mme D : « Je sais pas parce que de toute façon ce qui m’a été proposé et que j’ai refusé c’était parce que ça venait de ma mère ».

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