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Le vrai combat de l'avenir sera basé sur l'imaginaire, l'impalpable, qui consolide la vie économique des nations.

Bernard ESAMBERT, La guerre économique mondiale Il n'y a pas cinquante manières de combattre, il n'y en a qu'une, c'est d'être vainqueur. Ni la révolution ni la guerre ne consistent à se plaire à soi-même.

André MALRAUX, L'Espoir

« Nous nous sommes trompés ! »

Pascal Mazodier, le directeur des études et synthèses économiques à l'INSEE n'essaie pas de noyer le poisson. Il le montre : c'était un poisson d'avril ! Involontaire bien sûr.

« Il est exact que nous nous sommes trompés il y a juste un an, lorsque nous avons prévu pour l'année 92 une croissance de 2,5 %. [...] Aujour- d'hui nous estimons que la croissance en 1992 a été inférieure à 1,5 %. J'ai perdu mon pari. »1

Martine Gilson, la journaliste qui l'interroge, essaie d'en savoir plus.

« Les outils dont vous vous servez pour faire vos prévisions ne sont-ils pas dépassés ?

- C'est vrai, nos modèles sont calibrés sur le passé, et leur utilisation sup- pose implicitement une certaine permanence des agents économiques. [...]

... ils prennent mal en compte le sentiment des consommateurs. [...] Ils ont à peu près bien fonctionné tant que les raisonnements en termes de demande et de flux suffisaient à décrire les comportements des Français qui étaient loin d'avoir encore tous une télé et une voiture par ménage. »

1. Le Nouvel Observateur, 15-21 juillet 1993.

Ainsi les outils de prévision utilisés par l'INSEE seraient inchangés depuis l'époque où ni la télévision, ni la voiture n'étaient répandues. C'est- à-dire ? Trois ans ? Cinq ans ?

D'après les chiffres mêmes de l'INSEE, depuis 1978, plus de 95 % des ménages français ont la télévision et plus de 70 % ont une voiture ; depuis, en quinze ans, le taux d'équipement n'a progressé respectivement que de 3 % environ pour la télévision et de 7 % pour l'automobile.

Depuis au moins quinze ans, les outils de prévision de l'INSEE sont inadaptés !

« Vous allez changer ces outils ? interroge la journaliste du Nouvel Observateur.

- Nous y travaillons », répond le directeur des études de l'INSEE.

En effet, il était temps de s'y mettre...

La guerre économique, nous y sommes entrés il y a vingt ans Aujourd'hui, la France n'y fait pas mauvaise figure. Quatrième expor- tateur mondial, elle exporte comme l'Allemagne 30 % de son PNB quand le Japon n'en exporte que 10 %.

Mais les vraies difficultés sont devant nous : les marchés de l'Europe communautaire resteront stagnants, les marchés de l'Europe centrale res- teront incertains - ils seront largement fournis par les productions locales et les entreprises « délocalisées » -, les marchés d'Extrême-Orient seront très fortement concurrentiels, les marchés d'Amérique du Sud resteront dans la mouvance américaine. Et d'une manière générale, dès qu'apparaî- tra, ici ou là dans le monde, une opportunité intéressante, la concurrence y sera présente, pugnace et retorse.

Finies, pour nous Européens, les zones d'influence privilégiées. Nous restera seulement, pour certains produits, une partie de l'Afrique... Et encore : déjà les Japonais et surtout les Américains y mènent des combats acharnés. Les marchés de l'automobile ou des cigarettes nous ont échappé ; la production et la commercialisation du bois suivent la même voie.

La guerre économique, nous y sommes entrés il y a vingt ans.

Ce n'est plus une donnée nouvelle et nous n'avons plus le temps de nous y préparer. L'INSEE peut mettre quinze ans pour s'apercevoir que le monde économique a changé, pas la petite ou la moyenne entreprise. Elle serait morte depuis longtemps. Et de fait, beaucoup ont déjà disparu.

La guerre économique, quand elle prend les formes radicales qui sont les siennes aujourd'hui, ne nous laisse pas le choix : il faut la faire. Sans tergiverser.

Nous savons où mène la valse-hésitation de la « drôle de guerre » type 1939 : perte de l'initiative, manipulation totale par l'adversaire et finale- ment occupation. Cette version guerrière a été révisée « marketing » : c'est notre indécision et notre confiance dans la supériorité technique de nos produits (le « syndrome Maginot ») qui a permis, par le passé, aux Améri- cains d'abord et aux Japonais ensuite de se rendre maîtres de marchés entiers.

La guerre économique internationale est, avant tout, un conflit impi- toyable de méthodes et d'intelligence. Dans ce combat, le marketing joue un rôle de premier plan : il est le bras armé de l'entreprise. C'est lui qui, avec les forces d'appui de la fonction commerciale et de la logistique, assure la conquête et l'occupation des marchés.

La guerre économique impose à nos entreprises une économie de guerre.

C'est-à-dire l'abandon du culte des placements financiers et du contrôle de gestion au profit de l'investissement dans la mise au point, l'utilisation et le perfectionnement d'armes nouvelles, capables d'assurer une supério- rité aux forces de conquête des marchés.

S'entraîner avant le match 1

En marketing, les nouvelles armes, développées par les maîtres du jeu, sont les armes de l'intelligence : la réflexion, le renseignement et l'entraînement.

La réflexion nécessite des méthodes nouvelles et une volonté.

Le renseignement nécessite des moyens, de la constance et une volonté.

L'entraînement nécessite une prise de conscience, une organisation des outils et... une volonté.

Avec les méthodes de créativité, la réflexion a fait beaucoup de progrès ; par contre, le renseignement reste encore trop souvent une disciple négli- . gée ; mais c'est l'entraînement qui est la nouvelle arme marketing la plus méconnue. Et pourtant elle représente des sommes considérables par les échecs ou les gâchis que son absence engendre.

Que penser des budgets consacrés aux opérations marketing et à la publicité et qui servent d'expériences à ceux qui les commanditent ? Ainsi

dix campagnes sur dix ans permettent dix séances d'entraînement à un res- ponsable marketing. Que penser d'un joueur de tennis qui, à 35 ou 40 ans, n'aurait disputé que dix parties ? Et ne se serait entraîné qu'en jouant les tournois internationaux ?

Aujourd'hui, en marketing, les méthodes de simulation opérationnelle existent. Comme, par exemple, les kriegspiels marketing qui permettent d'entraîner les responsables en leur permettant, à blanc, de confronter leurs talents à différentes éventualités des actions concurrentes. Assurant ainsi, à coût réduit, un indispensable exercice, une possibilité de test, une méthode de créativité et un outil de motivation. Et la possibilité de répondre, avec aisance, aux situations imprévues.

Mais combien de dirigeants d'entreprise prévoient de tels jeux d'entraî- nement et de simulation dans leurs budgets ?

Au XVIIe siècle, le Japonais Kaïbara Ekikenn écrivait déjà : « Un homme sait dépenser un million pour marier sa fille, il ne sait pas en dépenser cent mille pour l'élever ! »

L'âme de l'entreprise conquérante !

La mobilisation créée par le marketing est une donnée de l'expérience.

La gestion, la productivité ne sont pas faites pour mobiliser : elles coûtent d'abord en efforts personnels ce qu'elles font gagner en argent collectif.

Le marketing est, avec la fonction « recherche et développement », l'une des seules fonctions de l'entreprise réellement et concrètement tournées vers des projets gratifiants et constructifs. Comme le sport, il parle de manœuvres, de tactique et de stratégie. Comme l'art, il demande créativité et sens de la communication. Comme le commerce, il cherche le gain.

L'esprit marketing, c'est vraiment l'âme de l'entreprise conquérante ! Avoir, comme les maîtres du jeu, l'esprit marketing, c'est remettre à sa juste place - indispensable mais limitée - le marketing-management.

Comment en effet être mobilisé et mobilisateur si l'on passe le plus clair de son temps dans ses chiffres de DN/DV, ses graphes et ses diagrammes ? Si, chaque matin, au moment où l'esprit est le plus tonique et le plus posi- tif, on s'adonne à la lecture des listings des ventes comme les banquiers à

« l'état des écarts » ou, chaque trimestre, les analystes financiers américains à leurs chers quarterly earnings ?

Comment être combatif quand on vous demande des « plans à 5 ans » dans un monde en perpétuel changement ?

Le terme « management » vient du français « ménage ». Quelle femme se passionne encore aujourd'hui pour le ménage et les tâches domestiques, si elle n'a d'autres buts que de nettoyer ? Quelle femme ou quel homme peut se passionner pour la gestion marketing s'il n'a d'autre but que de manager des produits imposés et d'exposer un plan annuel à son agence de publicité ?

Avoir l'esprit marketing, c'est utiliser la formation et l'entraînement pour sortir le marketing du cercle fermé des spécialistes : chefs de produit, responsables des études et dircoms.

Former et entraîner tous les acteurs du développement au marketing renforce leur cohésion, homogénéise leurs objectifs, améliore leur prise en compte des réelles conditions du combat — critères de préférences discri- minants des clients convoités et caractéristiques effectives des images des offres en présence.

C'est toute l'entreprise qui s'oriente alors vers la satisfaction, avant et après-vente, des clientèles.

S'organiser en « unités combattantes » !

La dureté des combats qui s'annoncent nous impose de réorganiser dif- féremment la fonction marketing.

Il ne s'agit nullement de singer l'organisation hiérarchisée et autoritaire des armées. Ce serait, dans l'entreprise moderne, suicidaire et inefficace.

Au contraire, plutôt même que de créer ou de maintenir un « service marketing », les maîtres du jeu considèrent le marketing comme une fonc- tion de direction générale qui irrigue toute l'entreprise et confie des mis- sions concertées à des « unités combattantes » dotées de « grandes oreilles », de moyens offensifs et de capacités de mouvements. Et assez autonomes une fois lancées en opération.

Ces structures souples peuvent réunir, le temps d'une manœuvre, « un plateau de compétences » regroupant des techniciens, des commerciaux, des chercheurs, des financiers, des informaticiens, etc. Totalement vouées au combat, elles s'entourent à chaque niveau de conseillers, instructeurs ou commandos extérieurs à l'entreprise.

L'organisation en « unités combattantes » permet :

- de développer le renseignement (études clientèles et renseignement concurrentiel) ;

YVES H. PHILOLEAU • DENISE BARBOTEU-HAYOTTE

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