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Méthodes d’évaluation de la résilience

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 76-82)

Si la notion de vulnérabilité est attachée majoritairement au système technique, nous avons vu que la notion de résilience s’intéressait à la notion de réponse active, et donc à un système sociotechnique. Pour rappel, nous avons défini la résilience des réseaux techniques comme construite sur trois capacités : la capacité d’absorption, celle d’adaptation et celle de récupération. L’absorption correspond à la réaction passive du système technique, et donc à la définition de « vulnérabilité » choisie (perte de performance du système mesurée à la fin de la réaction passive de celui-ci). L’adaptation correspond à la réaction active du système sociotechnique pour gérer la crise et mettre en place des solutions palliatives temporaires.

Enfin, la capacité de récupération correspond à la mise en œuvre de solutions durables pour atteindre le « retour à la normale ». La résilience sera évaluée dans ce travail en fonction des scénarios détaillés et localisés, et non pas comme une résilience détachée de l’évènement (capacité qui serait alors intrinsèque). Cela implique que les méthodes liées à la théorie des graphes (voir [Lhomme, 2012] pour plus de détails sur celle-ci) ne soient pas considérées ici, car elles sont utilisées pour évaluer une propriété intrinsèque de résilience. Ce paragraphe présente les méthodologies d’évaluation de la résilience qui se basent sur une définition proche de celle retenue dans le présent travail.

Marie Toubin propose une évaluation de la résilience des services urbains de Paris face à la crue centennale de la Seine selon trois axes : la capacité de résistance, la capacité d’absorption, la capacité de récupération. Il est intéressant d’observer le glissement sémantique entre les définitions qu’elle propose et la dénomination que ce travail utilise. Le Table 10 est nécessaire pour comprendre en quoi les résultats de ces enquêtes (Table 11) correspondent au découpage de notre travail.

Table 10 : Comparaison entre les capacités de résilience utilisées par Toubin [Toubin, 2014] et celles adoptées dans notre travail

Définitions de Toubin Définitions de ce travail

« La capacité de résistance traduit la capacité du réseau à limiter les endommagements matériels face à des contraintes du fait de sa

conception, des matériaux utilisés, etc. »

Cela correspond à la définition de la capacité d’absorption comme « réaction passive du

système technique mesurée en termes de perte de performance »

« La capacité d’absorption est la capacité du système en réseau à répartir la contrainte ou à

mobiliser des alternatives en s’appuyant sur sa structure »

« La capacité de récupération traduit la capacité du système à rétablir son fonctionnement en mobilisant les moyens nécessaires, en organisant les interventions,

notamment au regard des priorités et de l’accessibilité des équipements. »

Elle est scindée en deux phases dans ce travail : la capacité d’adaptation correspond à

la réaction active du système sociotechnique pour gérer la crise et mettre en place des solutions palliatives temporaires. La capacité

de récupération correspond à la mise en œuvre de solutions durables pour atteindre le

« retour à la normale ».

Table 11 : Evaluation des capacités de résilience des services urbains de Paris face à la crue centennale sans prise en compte des interdépendances [Toubin, 2014]

Le Table 11 montre les résultats qualitatifs fournis par les opérateurs après les interviews. Ces résultats sont valables opérateur par opérateur, sans prise en compte à ce stade de leurs interdépendances. Ils illustrent le fait que l’on peut être bon pour certaines capacités de résilience, et plus mauvais pour d’autres. Le découpage dans une sorte de « signature » des capacités de résilience permet de mettre en lumière les points à améliorer : la résilience n’est pas homogène selon les capacités. Cependant cela reflète également les choix stratégiques réalisés par les opérateurs face à un scénario de crue centennale. En effet, Toubin a mis en évidence que ceux-ci priorisaient des indicateurs différents, selon qu’ils étaient orientés plutôt vers la continuité de service ou le rétablissement. Elle recense par exemple les indicateurs de surface ou de nombre de clients impactés, de nombre de jours de défaillance, de coût des dommages ou encore de coûts d’exploitation ou de maintenance. Par exemple, toujours selon Toubin, ERDF cherche à minimiser le temps de fonctionnement dégradé (nombre d’heures de coupure) plus que le nombre de clients impactés, et va donc prioriser l’arrêt et la mise en protection des équipements vulnérables avant la crue. La Figure 22 propose le positionnement stratégique des opérateurs sur la capitale face à la crue centennale de la Seine.

On voit ainsi que l’évaluation de la résilience est dépendante des objectifs fixés par les opérateurs et qu’il faut en tenir compte lorsque l’on évalue la résilience d’un système.

Figure 22 : Positionnement stratégique des opérateurs de services urbains de Paris face à la crue centennale de la Seine. Adaptation d’une figure de [Toubin, 2014]

Johansson [Johansson, 2010] s’appuie également sur l’expertise des opérateurs pour évaluer la résilience. Cependant lui conçoit la résilience selon deux propriétés, la robustesse et la rapidité de retour à la normale, propriétés qu’il mesure sur une courbe de niveau de performance en fonction du temps. Ces courbes sont établies par un groupe d’experts du réseau technique, en prenant en compte la réponse technique et organisationnelle qu’ils estiment comme la plus probable. Ces courbes sont définies face à un lot de scénarios.

Johansson part d’un scénario réel -par exemple un arbre tombé sur une voie ferrée qui fait dérailler un wagon- et le décline en différents scénarios : deux wagons puis trois et quatre wagons qui déraillent simultanément. Pour chacun de ces scénarios détaillés et regroupés en catégories, il demande aux experts d’estimer un temps de retour à la normale et un niveau de perturbation de la fonction du système. Il obtient alors par catégorie de scénarios, des courbes de réponse du système. Ces courbes lui permettent d’identifier les limites de gestion des acteurs en termes d’intensité de scénario. Elles lui permettent également de comparer la qualité des courbes entre les scénarios pour apprécier les différences de résilience du système face à ceux-ci.

Figure 23 : Estimation du temps de réparation selon le nombre de lignes de traction électrique arrachées en même temps [Johansson, 2014]

Le travail de Johansson introduit la notion de « courbe de performance ». La constitution de courbes de performance par scénario permet d’améliorer la connaissance du système et d’identifier sa limite de capacité en gestion des crises. Cependant celle-ci n’est pas calculée sur la base d’un modèle sociotechnique, mais estimée sur la base de connaissances, et elle ne distingue pas les trois capacités de résilience du système.

Alsubaie [Alsubaie, 2015] propose une simulation du système sociotechnique à l’aide d’I2Sim (voir l’état de l’art sur les outils de modélisation pour en savoir plus sur ce dernier) afin de mesurer la résilience d’un système. Même si dans son approche théorique il distingue bien trois attributs de résilience (la structure du système, sa dynamique, et les capacités organisationnelles), il suppose que la modélisation d’une courbe de performance d’un système avec I2Sim tient compte de ces trois attributs. La résilience correspond alors à l’aire sous la courbe de performance en temps de crise, normalisée par la durée de la crise. Même si cette approche ne distingue pas des capacités de résilience, l’utilisation d’une simulation permet de

faire varier les paramètres des décisions prises lors d’une crise (priorisation des ressources), et de comparer les décisions prises pour les optimiser. La figure ci-dessous illustre les différentes performances d’un hôpital (en termes de nombre de patients traités par heure) selon le scénario ci-dessous (extrêmement détaillé) et le fait qu’il y ait une évolution indépendante des réparations des services, ou bien une priorisation des réparations pour améliorer la performance de l’hôpital. Tout comme Alsubaie, Bruneau reconnaît plusieurs aspects de la résilience mais n’utilise que l’aire de la courbe de performance pour en évaluer un indicateur global [Bruneau, 2003].

Figure 24 : Frise chronologique du scénario utilisé par [Alsubaie, 2015]

Figure 25 : Evolution de la performance d’un hôpital suite au scénario de la Figure 24, en nombre de patients traités par heure, selon qu’il n’y ait eu aucune optimisation de ressource (gauche) ou une optimisation de la ressource disponible (droite) avec l’outil

I2Sim

Les travaux de Francis [Francis, 2014] distinguent sur une courbe de performance les trois phases de résilience. Sur la courbe ci-dessous, il considère Sp comme la vitesse de récupération, Fo la performance initiale du système (associée à td), Fd la performance immédiatement après l’évènement (associée à td´), Fr* la performance après que le système ait trouvé un état stable temporaire (associée à td), et Fr la performance finale du système (associée à tr, à distinguer de tr* qui correspond au moment où il n’y a plus aucune action de réparation en cours). La capacité d’absorption est définie comme la perte immédiate de fonctionnalité, soit le rapport Fd/Fo, et la capacité d’adaptation est définie comme le rapport Fr/ Fo. Francis observe également l’état intermédiaire où le système a mis en place des solutions palliatives (par exemple les groupes électrogènes pour compenser une coupure électrique) en utilisant Fr* au lieu de Fr. La capacité de réparation est définie par la rapidité de réparation Sp, caractéristique présentée par Francis comme adimensionnel et proportionnel (facteur k) au rapport du temps nécessaire pour obtenir un état stable temporaire sur le temps

nécessaire pour obtenir un état stable final. Le facteur k est explicité dans l’article sans justification précise et ne sera pas présenté ici. Il définit alors un facteur de résilience r, adimensionnel lui aussi, comme le produit de ces trois indicateurs :

• • •

!

• #$ • • %$&

$

Équation 1 : Calcul de la résilience selon [Francis, 2014]

Figure 26 : Courbe de performance illustrative des temps caractéristiques. Le temps td

correspond à un évènement brutal, tr correspond à la phase où le système à intégrer le retour d’expérience et s’est amélioré [Francis, 2014]

Francis applique ensuite sa méthodologie sur un réseau électrique fictif, en considérant le nombre de clients impactés comme mesure de performance. Cependant il ne justifie pas la façon dont il obtient la courbe de performance, et il suppose une réaction du système « réseau électrique » qui le ramène au niveau initial quasiment instantanément.

Conclusion sur les méthodes d’évaluation de la résilience

Seule l’approche d’Alsubaie propose de modéliser le comportement du système d’infrastructures pour évaluer la résilience, les autres approches se basant sur une explication de la réaction et la connaissance des experts. Pourtant Alsubaie ne distingue pas les trois phases de la résilience, alors que Toubin a bien mis en évidence l’intérêt d’obtenir une signature de ces trois capacités. Beaucoup d’approches utilisent une « courbe de performance » pour mesurer l’indicateur global de résilience. Comme Toubin l’a fait remarquer, le choix de l’indicateur de performance va influencer le score de résilience. Il s’agit donc d’utiliser la stratégie de l’opérateur (donc ses propres indicateurs) pour évaluer sa résilience. La définition de la fonction mathématique pour évaluer la résilience en fonction de la courbe de performance ne fait pas non plus consensus. Enfin l’auteur remarque que Francis a évalué la performance de l’ensemble du réseau électrique en nombre de clients perturbés, mais qu’Alsubaie parle de la performance de chaque hôpital et non pas de l’ensemble du parc hospitalier. Si le choix de l’échelle d’observation ne fait pas non plus consensus, l’auteur

souhaite mettre l’accent sur la capacité du système sociotechnique à se réorganiser à l’échelle du réseau pour faire face à une situation de crise. L’échelle du système avec des indicateurs globaux sera donc privilégiée par la suite pour l’évaluation de la résilience.

Enfin l’utilisation d’une courbe de performance implique trois possibilités :

· soit les défaillances ont été constatées sur un évènement antérieur, et il s’agit alors d’une évaluation de la résilience a posteriori ;

· soit la courbe de performance a été simulée, ce qui suppose un modèle sociotechnique, qui intègre les prises de décision sur les allocations des ressources palliatives ou de réparation. La résilience peut alors être évaluée sur une courbe de performance a priori, ou plutôt « estimée ». On parlera alors de résilience potentielle ;

· soit la courbe de performance a été estimée par les opérateurs, en tenant compte d’un scénario précis et des capacités de réaction connues. Dans ce cas le tracé de la courbe ne peut pas être considéré comme exact et seuls des niveaux de performance à des instants caractéristiques peuvent être estimés avec une marge d’incertitude. Cette approche permet difficilement d’utiliser des opérateurs mathématiques tels que l’intégrale. Là encore, on parle d’une estimation et donc d’une résilience potentielle.

Analyse des manques et premiers éléments de réflexion sur les orientations à retenir pour la méthodologie développée

2.4.1 Synthèse des manques constatés dans l’état de l’art

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