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D'UN MÉDECIN NIVERNAIS

Dans le document LE DÉJEUNER DE LA CROIX DE VERNUCHE (Page 21-40)

LA « DROLE DE GUERRE »

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E fut dans le petit salon de la maison fami- liale de Poussignol, où j'écoutais la radio en compagnie de mon père, de ma mère, et de deux de mes sœurs, se rappela le Dr Raymond Chanel, que j'appris l'irruption en Pologne des Panzerdivisionen allemandes. Le lendemain, la guerre était déclarée à l'Allemagne hitlérienne par la Grande-Bretagne et la France.

« Cette guerre, nous nous y attendions comme tout le monde. Mes deux frères étaient aux armées. Quant à moi, j'avais été réformé en 1935 pour une prétendue faiblesse de constitution, et laissé dire afin d'utiliser cette décision pour achever plus facilement mes études, tout en étant bien résolu à remettre cette affaire en question si jamais la guerre venait à se présenter. J'allai donc rendre visite au commandant du recrutement local, qui me prit pour un fou, et eut beaucoup de mal à se rendre à mon insistance. Le 11 octobre 39, je passais devant la commission de réforme de la Nièvre, où l'on m'a dit : « Mais vous êtes un imbécile de troquer une

situation de médecin spécialiste contre celle de troufion peu ragoûtante tandis que les camarades s'apitoyaient sur mon sort, me posant mille questions. Les visages professionnels, j'obtins du lieutenant auquel j'avais affaire, la permission d'aller les fermer. En uniforme de soldat de deuxième classe je pris le train, passai trois heures de nuit dans la salle de la gare d'attente de Tours, pleine de militaires en provenance de la Ligne Maginot, de toutes armes et de toutes couleurs, arrivai

chez moi, et regagnai le soir même Vendôme au volant qu'ils avaient révolutionnées par leurs bruyants ébats.

Nous avions pour instructeurs deux jeunes sous-lieute- nants, et comme chef de chambre un tire-au-flanc de la saleté repousante. Un soldat d'une quarantaine d'années, gras et sale, pas rasé, s'indignait avec éclat qu'un

sous-officier se fût avisé de donner l'ordre de laver les

affecté à un train sanitaire. Un autre Nivernais, le sergent-infirmier Brunet, de Neuvy-sur-Loire, exerçait les fonctions de secrétaire médical, assisté d'un 2e classe guêtres ou molletières au choix, chaussés d'espadrilles aussi bien que de souliers, tous résolus à travailler le

J'avais surtout affaire à Raymond Trésillard, marchand forain spécialiste de la pantoufle, et à Poireau, chauf-

« Oto-rhino-laryngologiste, j'appris que je devais ma soudaine mutation à un confrère qui, sans ma venue, n'aurait pu partir en permission. Je dois dire qu'il y avait fort peu à faire dans son service, et encore moins à la clinique Duncombe, devenue l'annexe chirurgicale de l'hôpital, où s'était camouflée toute une bande d'offi- Saint-Gildard était le plus recherché. Après l'avoir équipé

avec amour, les religieuses qui en assuraient la gestion n'eurent de cesse qu'on leur envoyât des blessés, ce qui ne fut pas si facile car la guerre demeurait au point mort, et le communiqué répétait inlassablement :

« Activité de patrouilles, rien à signaler. » Sans le conflit russo-finlandais, qui défrayait la chronique, les journaux n'auraient su quoi mettre dans leurs colonnes.

Enfin, les sœurs de Saint-Gildard obtinrent satisfaction, et il fallut voir comment elles chouchoutèrent leurs frères venus en permission, Christian ayant provisoire- ment abandonné le standard téléphonique de sa batterie demandé quelqu'un pour vous remplacer... Allez-vous revenir ? » disposer à l'infirmerie d'une pièce chauffée. Bien entendu,

je tombai malade avec une forte fièvre, mais n'inter- rompis pas mon service et fus gavé par les infirmiers de vin chaud sucré. En dépit de son petit poêle, la grande salle d'examen où des hommes complètement nus défilaient par centaines était d'une température sibérienne... Le 2 février, je fus convoqué avec une demi-douzaine de camarades médecins ou dentistes devant un jury chargé de décider de notre nomination au grade de médecin-auxiliaire. Son président demanda quelle était la note éliminatoire. « Il n'y en a pas, lui répondit-on. C'est une simple formalité, tout le monde est reçu. » Ainsi promu, je fus affecté au quartier Châtillon, qui abritait le dépôt d'artillerie n° 5. Il communiquait largement avec le quartier Dunois par une cour encombrée de voitures, ce qui me permit de rendre fréquemment visite à mes anciens infirmiers, auxquels j'offris un gueuleton d'adieu.

« Me voilà donc nanti d'un galon sur la manche de l'infirmerie. L'âme du service est un adjudant-infirmier de carrière, gros homme qui entend que tout soit

« réglo ». Il dirige un personnel qui me donne du « Mon

lieutenant », y compris une gouape sympathique de la région parisienne qui s'est fait le pilier des maisons closes d'Orléans.

« Levé peu après la diane, je me mets au boulot avec l'assistance de l'adjudant et du secrétaire, jeune garçon cultivé. Les tire-au-flanc sont nombreux et comportent de nombreux Alsaciens qui prétendent ne pas savoir tier, petit lieutenant pète-sec qui s'emporte facilement comme une soupe au lait. Le repas terminé, je laisse abandonne la table précipitamment, cependant que les hommes sont dirigés vers un jardin public où ont été

vent attendu près de la porte du quartier par ceux de arriver Raymond Trésillard, mon ex-infirmier au 5"

train, qui profitant d'une permission se présente à ma

consultation, dans l'espoir qu'une vague laryngite le tamment objecter qu'on avait besoin de spécialistes dans les hôpitaux de l'arrière, sont sinistres. Des infirmières

Quelques-unes portent les traces des balles qui, tirées du effectuées aux alentours, et permettent de découvrir les restes d'un appareil descendu en flammes, mais il

fournir. Un quatrième larron se présente en la personne d'un médecin gras et grisonnant, ophtalmologiste pari- sien. Trois infirmières nous assistent : une jeune mère minable de réfugiés traverse lentement Nevers, engor- geant le pont sur la Loire que, par centaines et cen- d'une formation aérienne importante. Sporadiquement, on entend la nuit notre D.C.A. tirer sur un ennemi qui

Quelques secondes plus tard, un avion de chasse Curtiss arrêt. Là, sous l'infernal tintamarre d'avions français qui vont et viennent au-dessus de nos têtes, passant à ras des toits on ne sait pourquoi, nous compulsons consciencieusement des dossiers et examinons des hom- mes dont nous savons qu'ils ne seront jamais appelés Victor-Hugo des soldats hâves, dépenaillés, moralement choqués, ayant jeté leurs fusils faute de munitions, quelques-uns pour fuir plus vite... Tandis que les Alle- mands découvrent à La Charité, dans une salle d'attente de la gare, le plus gros des archives du 28 Bureau fran- çais, nous recevons un flot de blessés, soldats ou civils,

qui pour la plupart sont des victimes du mitraillage chaussée qu'encombrait un matériel d'artillerie roulant vers le sud. Dans ma 202, j'ai déjà mis mon sac et beaucoup être vivant. Soudain une pétarade retentit dans la cour, puis diminue d'intensité cependant qu'une tôt, toutes les voitures présentes sont réquisitionnées pour évacuer l'hôpital.

« A l'arrière de ma 202 prennent place nos deux plus jeunes infirmières encombrées de paquets, tandis qu'un de mes confrères, ancien combattant volontaire de la Grande Guerre qui se refuse à admettre notre défaite.

s'assied près de moi. Nous n'avons pas couvert un kilo- mètre que, violemment ému, il me conjure de rebrous- ser chemin et nous revenons à Victor-Hugo où nous ne trouvons plus personne. Les grandes caisses qui devaient servir au transport de notre matériel sont là, inutiles véhicules hétéroclites, nous collant derrière les ambu- lances car elles bénéficient d'un semblant de priorité.

tion ont été admis à coucher : hiérarchie commande ! Le lendemain, après une toilette sommaire faite en plein air, à la pompe, et laissant derrière nous le plus gros de nos bagages, dont ma cantine, nous reprenons la route en direction de Châteauroux. A Bourbon- l'Archambault, premier arrêt prévu, nous apprenons que le maréchal Pétain a demandé l'armistice et un vent de quelques coups de feu, accompagnés d'explosions loin- taines. Immédiatement, c'est la panique : le bruit court

ACHEVÉ D'IMPRIMER — SUR LES PRESSES

DE L'IMPRIMERIE CARLO DESCAMPS CONDÉ-SUR-ESCA UT

Dépôt lég&I : 4' trimestre 1968 N° d'éditeur 219 Imprimé en France

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