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Mécanismes temporels de décision collective

6.2 Les stimuli pertinents lors des transitions des déplacements collectifs . 158

6.3.1 Mécanismes temporels de décision collective

Dans le premier article présenté dans le Chapitre 3, nous développons le modèle des départs proposé précédemment pour rendre compte des réponses individuelles et collectives dans des groupes de 8, 16 et 32 individus. Expérimentalement, nous avons observé que l’initiateur n’était suivi que pendant qu’il était en déplacement en s’éloignant du groupe. Le premier suiveur n’a en effet jamais démarré après l’arrêt de initiateur. Dès lors, cela nous a motivé à considérer un modèle dans lequel les individus peuvent être dans 3 états comportementaux : arrêtés avant le départ (que nous avons appelé SS), en mouvement vers la cible et donc en s’éloignant de la position initiale (M) et arrêtés près de la cible (ST).

Comment expliquer les cas de non suivi ? Dans les groupes de 32, la latence moyenne du premier suiveur augmente de manière importante (du fait de l’effet de rétention exercé par les membres du groupes non partis). Ainsi, dans nos conditions expérimentales (des parcs de 50 m de côté), si les durées de déplacement des initia-teurs excèdent toujours les latences pour que se déclenche un premier suivi dans les groupes de 8 et 16 individus, ce n’est plus systématiquement le cas avec les groupes de 32 brebis (Fig. 3.3 A-C). Nous avons donc proposé l’équation (3.3) qui permet de calculer ce que nous avons appelé le commitment : la probabilité d’observer un premier suivi pendant l’initiation (le déplacement de l’initiateur vers la cible). Consi-dérer cette probabilité lors de l’estimation des paramètres nous a permis de prendre en compte à la fois les réponses qualitatives (l’existence de suivi ou non) et quanti-tatives (les dynamiques de départ) et de rendre compte fidèlement des observations

Chapitre 6. Discussion générale et perspectives

expérimentales.

Nous mettons en évidence que l’émergence d’un apparent consensus peut se faire par le biais d’une compétition entre deux durées : la durée du stimulus (l’initiateur en mouvement) et la latence du premier suiveur (qui dépend des règles mimétiques). De nombreux travaux s’attachent à identifier les mécanismes de prise de décisions in-dividuelles permettant l’émergence d’un consensus et proposent que ce dernier peut émerger via des mécanismes de quorum : lorsqu’un nombre déterminé d’individus convaincus est atteint, le système adopte une décision collective unifiée [104,108,154]. Cela peut se faire via la décision d’un nombre restreint d’individus définis selon leur statut social, l’information dont ils disposent ou encore de leur statut physiolo-gique [102, 111, 207, 208]. L’apparition du consensus peut dépendre des avantages associés aux différents choix possibles pour les individus [92]. Par ailleurs, une déci-sion collective prenant la forme d’un consensus peut apparaître lorsque des signaux sont émis par les initiateurs avec pour but de recruter leurs congénères [62, 209] ou par le biais d’indices que peuvent représenter les intentions de mouvement [210]. Dans les expériences que nous avons réalisées, nous n’avons jamais observé de suivi partiel de la part du groupe de naïves. Les individus initiateurs ne présentaient pas de statut social particulier et nous les considérons comme comparables aux indivi-dus naïfs. Suivis ou non, les initiateurs n’ont jamais présenté de comportement de recrutement. Il est fortement probable que l’information sociale stimulante, même complexe, se résume à une combinaison d’indices en rapport avec l’état comporte-mental des animaux (en déplacement ou a l’arrêt). Les consensus effectifs que nous

6.3. Durée du stimulus et décisions collectives

observons émergent de la combinaison de règles comportementales mimétiques et de la durée du stimulus que représente le déplacement de l’initiateur. Des travaux très récents utilisant le même type de protocole chez les poissons – des poissons naïfs sont confrontés au départ d’un poisson informé vers une source de nourriture – rapportent des résultats identiques : la durée du stimulus est un paramètre essentiel dans l’apparition d’un consensus apparent [195]. Le modèle que nous proposons ici permet de faire de nombreuses prédictions sur l’évolution des décisions collectives en fonction de la durée de l’initiation. Nous montrons que lorsque cette durée est très importante, les groupes vont toujours suivre collectivement. Cela implique que plus l’initiateur se déplace sur de longues distances, plus sa probabilité d’être suivi par tout le groupe augmente. La durée de l’initiation pourrait être un indicateur pour les individus non informés des avantages qu’ils peuvent retirer de suivre l’individu informé : plus ce dernier va se déplacer longtemps plus les bénéfices associés au changement de localisation sont importants. Par ailleurs, les prédictions que nous faisons indiquent que les groupes, lorsque la durée d’initiation est faible, ont ten-dance à ne pas suivre l’individu informé provoquant soit un consensus pour le non suivi (personne ne suit), soit une scission du groupe, lorsqu’une partie seulement du groupe d’individus naïfs suit. Cela correspond à des cas où la distance parcou-rue par l’initiateur est faible et donc que les deux sous-groupes sont séparés par une distance tellement faible qu’il est difficile de qualifier l’évènement de scission. Cependant, cela peut également concerner des cas où l’initiateur est très motivé à rejoindre la position ciblée et donc va se déplacer très rapidement vers celle-ci. Cela

Chapitre 6. Discussion générale et perspectives

est en accord avec des études d’apprentissage social dans lesquelles, il a été montré que les individus démonstrateurs peuvent être tellement entraînés qu’il s’isolent des individus observateurs et échouer à être suivis [211]. Ainsi, lorsque la différence de motivation à se déplacer est trop importante entre les individus informés et non-informés, l’information ne peut pas être transmise et mène à l’isolement social des premiers.