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Les violences exercées dans les groupes sectaires sont dirigées à l’en-contre de tous les membres du groupe, de leur famille et de leurs enfants.

Les maltraitances psychologiques et physiques ainsi que les abus sexuels peuvent apparaître en premier plan. Mais c’est surtout l’exacerbation de l’emprise et la mise à mort de la vie psychique qui caractérisent la violence sectaire.

La maltraitance se définit comme une atteinte à l’intégrité physique et psychique de l’enfant. Les conséquences engendrées par des actes de maltraitance peuvent causer des dommages immédiats ou à terme, que ce soit sur le plan comportemental, cognitif, affectif ou physique. L’American Professional Society on the Abuse of Children (APSAC, 1995) propose une typologie d’actes psychologiquement maltraitants :

– le rejet qui traduit une non-reconnaissance de la légitimité des besoins et des demandes de l’enfant ;

– le dénigrement qui vise à déprécier et dévaloriser l’enfant. Aussi, la culpabilisation, les paroles humiliantes induisent chez l’enfant le sentiment d’être en faute, l’idée d’être indigne ;

– la terreur liée à un climat capricieux, hostile ou imprévisible, terrorisant l’enfant ;

– l’isolement/le confinement, l’enfant est coupé de contacts sociaux, ce qui l’amène à croire qu’il n’a personne sur qui compter en dehors de ceux qui le maltraitent ;

– l’indifférence face aux demandes affectives de l’enfant traduit la non- disponibilité des parents à l’endroit de l’enfant ;

– l’exploitation ou la corruption consistent à favoriser les manifestations de comportements antisociaux et déviants chez l’enfant ;

– la négligence apportée aux soins, à la santé physique et mentale et/

ou à l’éducation de l’enfant.

Dans les groupes sectaires, nous retrouvons toutes ces formes de maltraitance. Nous notons aussi que les enfants se retrouvent face à des exigences disproportionnées par rapport à leur âge : les enfants ont de multiples contraintes et devoirs, ils sont obligés de participer aux activités du groupe, à suivre les rites du groupe, les journées peuvent être ponctuées de multiples lectures et de diverses « prières » ou autres, jusque tard dans la nuit. De même, l’on observe bien souvent une exploitation domestique : l’enfant se retrouve contraint d’effectuer de nombreuses tâches ménagères ingrates et des corvées quotidiennes. Enfin, les enfants vivent en permanence avec la menace d’être séparés de leurs parents s’ils n’obéissent pas.

Les violences physiques que nous avons observées dans les groupes sectaires s’exercent sous forme de punitions, de privations diverses, de

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châtiments corporels. Toutes ces formes de violence sont légitimées par le Maître et les membres du groupe : elles « forgent le caractère », elles « libèrent du mal », elles font parties de l’initiation, elles sont des

« épreuves à endurer » pour progresser. Elles sont aussi présentées comme des récompenses : elles sont « méritées », voire « désirées » par l’enfant lui-même. Aussi, les abus sexuels sont présentés comme « l’union sacrée » des corps et des esprits et font partie de l’initiation, c’est un moyen de transmission. Ainsi, certains parents, membres du groupe, peuvent encourager leur enfant à avoir des rapports sexuels avec le Maître et certains d’entre eux peuvent même y assister.

Toutes ces violences sont inhérentes au fonctionnement totalitaire du groupe. Elles s’exercent à partir de l’enseignement, des pratiques et rituels, elles s’exercent aussi au sein des relations instaurées avec le Maître et avec les autres membres du groupe. En effet, le fonctionnement totalitaire du groupe induit inévitablement fermeture, coupure et contrôle. Replié sur lui-même, monde autarcique, le groupe est un entre soi, un « entre nous » dans lequel le Maître, omniprésent, omniscient et auto-suffisant, exerce tous les pouvoirs, même celui du contrôle des corps et des esprits.

Il planifie l’existence de chacun, car il sait, il perçoit, il faut le suivre en toute confiance, aveuglément, humblement, sans se poser de questions, pour accéder à la « libération », à « l’élévation », au « perfectionnement » … Rien ne doit contredire la parole du Maître. Car ce serait une catastrophe pour tous. Dans un climat d’exaltation et de terreur, chacun est « invité » à participer activement au « Projet » idéal. Tout ce qui ne concerne pas le « Projet » est insignifiant, hostile, mauvais, dangereux. Il faut ainsi se protéger, se distancier, se séparer de tout ce qui concerne le monde extérieur au groupe.

Le Maître enseigne. C’est à partir de son enseignement que le Maître s’impose en tant que tel. Dans cet enseignement, son savoir inédit est divulgué aux membres du groupe, qu’ils soient adultes ou enfants. Le savoir du Maître est fait de ses recherches, de ses perceptions, de ses intuitions, de ses représentations, de ses croyances, de ses théories, de ses fantasmes, de ses projections et de ses interprétations. Il est la pensée unique du groupe. En fait, il s’agit d’interminables discours sur ce qu’il faut penser, ressentir, percevoir, aimer… À travers cet enseignement, le Maître impose sa perception manichéenne du monde, sa tendance à diaboliser les autres, son désir de perfection et d’idéal, il énonce ses règles, il formule ses attentes, ses exigences d’obéissance, de transpa-rence, de fidélité et d’abnégation de soi. Car, « il faut apprendre à servir le Maître pour devenir quelqu’un d’exceptionnel et régner à son tour ».

Aussi, l’enseignement prépare les adeptes à l’acceptation des pratiques de contrôle, des prescriptions, des restrictions et, par des sous-entendus, incite à l’agir, aux passages à l’acte. À partir de cet enseignement, les

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membres du groupe s’inscrivent dans un nouveau système de référence, dans une néo-réalité. Dans ce nouveau système de référence, une inter-prétation systématique et permanente du monde, des situations et des évènements conduit à une transformation radicale du réel. De même, la non-reconnaissance de la différence des sexes et des générations, le détournement et le renversement des valeurs morales, l’inversion du sens de certains mots participent à une perversion du penser. Cette pensée ne connaît aucune limite, elle subvertit tout. Enfin, dans la vérité et la complétude, le discours du maître s’impose, il n’y a pas de manque à penser, il n’y a ainsi pas de place pour les remises en questions, les doutes, les critiques. Ainsi, l’activité de la pensée est fortement dirigée et contrainte. La pensée se retrouve appauvrie, rigidifiée et dénaturée.

De cet enseignement découlent toutes sortes de pratiques et de rituels : l’on retrouve ici des procédures de désaffiliation et de réaffiliation, des rituels qui signent le pacte d’alliance, des exercices psycho-corporels ainsi que des prescriptions et des restrictions (vestimentaires, alimen-taires, culturels), des pratiques collectives d’initiation et des séances individuelles. Les procédés utilisés à partir de ces pratiques ont des effets confusionnants et sidérants sur la pensée, des effets d’emprise et des effets dissociatifs sur l’esprit et le corps.

La dynamique groupale a une fonction d’emprise sur les individus qui la composent : les liens entre les membres du groupe sont de nature pathologique, ils sont massifs, permanents, fusionnels, faits d’intrusivité et d’indifférenciation. Tous semblables, il n’y a pas de place pour le sujet, chacun doit être transparent, aucune intimité n’est préservée. Chacun doit se montrer garant et protecteur du système. Ainsi, selon sa position dans le groupe et son degré d’évolution spirituelle, chacun prend le relais du Maître en « veillant » aux autres. Chacun participe activement à un système de délation et de surveillance, tous se sollicitent en permanence, s’emballent, s’encouragent, se critiquent. Enfin, nous observons que la dynamique groupale est porteuse de processus pervers (non-reconnais-sance de la différence des sexes et des générations, déni de la castration, déni de l’altérité, déni d’intériorité).

Si l’on ne retrouve pas forcément de violence physique et/ou d’abus sexuels dans tous les groupes sectaires, en revanche, nous retrouvons systématiquement des actes de maltraitance psychologique ainsi que des procédés visant à exercer une forte emprise qui fait effraction de par ses empiètements et ses disqualifications.

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Destructivité de l’emprise et attaque de la vie