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Les thèmes de la LoI Sécurité de l’approvisionnement

Chapitre Trois

III.1 Les thèmes de la LoI Sécurité de l’approvisionnement

Face à l’internationalisation des entreprises de défense, la sécurité de l’approvisionnement est primordiale : pour les industries, d’une part, parce que la restructuration transnationale nécessite le transfert des produits et des

88 Pierre de Vestel, « The future of Armaments Cooperation in NATO and the WEU » , dans Kjell A. Eliassen (dir.), Foreign and Security Policy in the European Union, London/Thousand Oaks/New Dehli, 1998, pp. 197-215.

composants ainsi que la possibilité de rationaliser la production à travers les frontières ; pour les gouvernements, de l’autre, parce que leur politique de défense dépend d’une base industrielle et technologique qui est de moins en moins nationale.

La rationalité économique et le souci d’une meilleure productivité voudraient que les entreprises transnationales déterminent elles-mêmes l’organisation et la distribution interne de leur travail. La conséquence serait sans doute à terme la disparition de certaines capacités nationales et l’interdépendance des Etats concernés. Ce qui pose plusieurs problèmes.

Il est possible qu’un Etat considère un secteur comme stratégique et indispensable pour sa sécurité nationale. Tant qu’il s’agit d’une activité précise comme, par exemple, celles liées à la dissuasion nucléaire, des réglementations spécifiques sont concevables sans trop entraver la rationalisation interne de l’entreprise. Dans d’autres secteurs, les Etats pourraient envisager des procédures qui permettent de reconstituer une capacité nationale d’approvisionnement (par exemple licences, leader/follower arrangements). Le risque est pourtant que les Etats acceptent l’interdépendance comme principe, mais la diluent par trop d’exceptions.

Les Etats ont un intérêt légitime à ce que l’européanisation de l’industrie mène à une répartition équilibrée des capacités entre les pays concernés.

La question est de savoir comment définir l’équilibre. Tout pays participant à un programme donné veut qu’une partie appropriée de la valeur soit créée sur son territoire, ne serait-ce que pour des raisons d’emploi. Le danger est de revenir ainsi à une version nouvelle du fastidieux principe de « juste retour », obligeant une entreprise internationale à répartir les sites et les charges de travail selon une logique politique et non économique.

La sécurité de l’approvisionnement concerne également la propriété des sociétés de défense. Les entreprises sont-elles libres de déterminer la structure de leurs actionnariats ou faudrait-il établir des restrictions au changement de contrôle ? Le capital des entreprises est-il complètement ouvert aux investisseurs étrangers ? Que faire alors en cas d’OPA hostile par un concurrent non européen ? Certains pays disposent des sauvegardes nationales contre un changement de contrôle non souhaité, mais sont-elles suffisantes pour protéger une entreprise européenne ?

Dans ces conditions, ne faudrait-il pas créer au niveau de l’Union européenne un dispositif législatif comparable au système américain ?

La sécurité d’approvisionnement ne préoccupe pas seulement les gouvernements, mais aussi les entreprises. Pour utiliser un composant ou un sous-système produit dans un autre pays, les firmes de défense doivent en effet être sûres de l’obtenir sans difficulté. Faute d’un marché commun d’armement, ce type de transfert oblige les entreprises en Europe à passer par des procédures d’exportation longues et non harmonisées. De plus, l’octroi d’une licence d’exportation pour un composant dépend de la destination du produit final : si ce dernier est destiné à un pays tiers, il se peut que le pays exportateur du composant refuse la livraison pour des raisons politiques. Cette hypothèse constitue pour les entreprises un facteur d’insécurité qui pèse sur la coopération.

Procédures d’exportation

La question des exportations est d’autant plus complexe qu’elle concerne à la fois :

les transferts de composants et de sous-systèmes dans le cadre d’une coopération internationale ;

les exportations d’un produit issu d’une coopération internationale vers des pays tiers, européens et non européens ;

les exportations d’un produit national vers des pays européens ou non européens.

Même au niveau des coopérations intra-européennes, il faut distinguer les transferts selon le cadre :

programme de coopération couvert par un accord inter-gouvernemental (MoU) ;

coopération industrielle agrée par les gouvernements ;

coopération industrielle sans « chapeau » politique.

Face aux différents types d’exportation et de transfert, on constate une multitude de réglementations nationales peu homogènes. « Hors de règles générales, directement liées au droit administratif des Etats, il existe toute

une série de clauses que ces derniers incluent dans les contrats de vente d’armes. Ces clauses varient suivant les pays qui les énoncent, mais fournissent, en tout état de cause, des standards que les industriels nationaux doivent impérativement respecter pour leurs ventes à l’étranger »89. A l’hétérogénéité des réglementations s’ajoutent les divergences d’orientation politique en la matière. Partie intégrante de la politique étrangère, l’exportation d’armes varie dans la pratique selon les ambitions, les traditions et les intérêts (économiques et de sécurité) des Etats. La sensibilité de l’opinion publique, beaucoup plus prononcée dans certains pays européens que dans d’autres, constitue un autre facteur déterminant et porteur de divisions.

L’absence de politique et de réglementations d’exportation communes pèse sur la coopération industrielle en général et le fonctionnement des sociétés transnationales en particulier. Concernant les transferts dans le cadre d’un programme commun, par exemple, les entreprises sont obligées de passer par des procédures d’exportation pour transférer un composant d’un site à l’autre. La situation est encore plus complexe pour les coopérations purement industrielles qui deviennent cependant de plus en plus importantes. Pour les systèmes issus d’une coopération internationale, l’exportation vers des pays tiers est normalement réglée par l’accord intergouvernemental chapeau, ce qui n’exclut pourtant pas que les interprétations puissent diverger. Le code de bonne conduite, adopté dans le cadre de l’Union européenne en mai 1998, est fondé sur des principes très généraux et reste non contraignant ; il n’est donc qu’un premier pas vers une politique d’exportation commune90.

Sécurité de l’information

Dans ce domaine, le défi est double : assurer que des mesures de sécurité appropriées pour la protection des informations classifiées sont en vigueur au sein d’une société transnationale de défense sans imposer des restrictions superflues à la circulation du personnel, des informations et des matériels.

89 Scaringella, op. cit. dans note 24, p. 68.

90 Elisabeth Clegg et Alexandra McKenzie, « Developing a Common Approach? The EU Code of Conduct on Arms Exports », dans Bulletin of Arms Control n. 32, décembre 1998, pp. 22-28.

Harmoniser les réglementations de sécurité pose une multitude de questions techniques : habilitation de sécurité du personnel et des sites, accès aux informations classifiées, protection et transmission des informations, etc.

Sans reconnaissance mutuelle des habilitations nationales du personnel, par exemple, un employé d’une société transnationale de défense, tout en disposant d’une habilitation de sécurité de son pays, est tenu de demander, à chaque fois qu’il visite un site de sa firme dans un autre pays, l’approbation des autorités nationales de ce dernier. De même, un ingénieur habilité dans un pays, ne peut pas adhérer à une équipe intégrée sans l’approbation explicite des autorités des autres pays participant au projet. Comme les procédures pour obtenir ces approbations sont longues et fastidieuses, le fonctionnement des sociétés transnationales devient très compliqué.

Les progrès dans ce domaine sont entravés par les traditionnels réflexes nationaux, mais aussi par les arrangements de sécurité avec des partenaires extérieurs à la LoI, notamment les Etats-Unis. On estime en effet que la libre circulation de l’information entre Européens accroîtrait les réticences américaines vis-à-vis de la coopération transatlantique.

Recherche et Technologie (R&T)

Il est évident que la recherche de base et les études en amont constituent le fondement d’une industrie de défense compétitive. Les tentatives d’établir un système européen, notamment par la création de l’OAEO, se sont toujours heurtées à des divergences sur des questions comme l’admissibilité des projets restreints, la nature des contrats (passés ou non en concurrence) et l’application du principe de juste retour. Faute d’une instance centrale, il n’y a jusqu’à présent ni échange d’information systématique sur les programmes en R&T, ni coordination des politiques de R&T, ni définition commune des futurs besoins technologiques. Ces insuffisances provoquent de nombreuses duplications dont le coût s’avère d’autant plus élevé que les budgets européens de R&T sont relativement modestes.

Les duplications en R&T aboutissent facilement à des développements parallèles de plusieurs systèmes de la même catégorie d’armes. A elle seule, la création d’entreprises transnationales n’y change rien ; pour celles qui existent aujourd’hui, la plus grande partie du financement gouvernemental en matière de recherche et développement reste réservée aux programmes

nationaux. La seule possibilité d’éviter ce type de duplication est effectivement d’harmoniser le processus d’acquisition le plus en amont possible, à savoir dans le domaine de la recherche de base et lors de la définition des besoins.

Harmonisation des besoins opérationnels

L’harmonisation des besoins est essentielle pour toutes les parties : pour les industries il importe de rationaliser les méthodes de fabrication et d’améliorer ainsi leur compétitivité. Pour les gouvernements, il s’agit de combiner leur pouvoir d’achat et d’améliorer l’interopérabilité de leurs forces armées. Depuis quelques années, on assiste en effet à une multiplication des exercices dans ce domaine, au sein de l’OTAN, du GAEO et maintenant de la LoI.

Le bilan de ces tentatives est cependant modeste : l’acquisition des systèmes d’armes est en effet un processus très complexe dans lequel interviennent de nombreuses instances militaires, politiques et industrielles. Il est déjà délicat de concilier les intérêts des différents acteurs dans un cadre purement national ; lorsqu’il s’agit de faire converger plusieurs processus de décision nationaux, les difficultés augmentent de façon exponentielle à chaque fois qu’un nouvel Etat rejoint le projet.

Les Etats européens ont souvent des priorités différentes, ne serait-ce qu’en raison de leur orientation géostratégique. Un besoin en principe commun ne les empêche d’ailleurs pas de formuler pour un même système d’armes des spécifications différentes, en raison de doctrines militaires distinctes. Il faut également tenir compte des philosophies divergentes d’acquisition et des intérêts concurrents dans le domaine industriel qui compliquent la mise au point de projets communs. Ces problèmes sont très difficiles à surmonter sans politique de défense commune, ni instance militaire de haut niveau chargée de l’harmonisation des besoins, ni autorité compétente pour suivre la coopération tout au long du processus d’acquisition91.

91 Voir Keith Hayward, « Vers un système européen d’acquisition des armements », Cahier de Chaillot n. 27, juin 1997, pp 4-17.

Traitement des informations techniques

Les restrictions actuellement imposées à la communication et à l’utilisation des informations techniques risquent également de faire obstacle au fonctionnement efficace d’une société transnationale de défense. Il faudrait donc inventer des dispositions garantissant, d’une part, aux gouvernements que la création d’une entreprise transnationale n’endommagerait pas leurs droits relatifs aux informations techniques, et, de l’autre, aux industries que les gouvernements n’interviendraient pas dans le fonctionnement de l’entreprise si cela n’est pas nécessaire.

Les problèmes pratiques liés la sécurité des informations techniques sont lourds de conséquences pour les entreprises qui fusionnent avec un partenaires à l’étranger. L’un des problèmes principaux dans ce domaine est la différence entre les philosophies des Etats : dans certains pays, les informations techniques appartiennent presque exclusivement au gouvernement, tandis que dans d’autres, les droits intellectuels incombent avant tout aux entreprises. Certains pays disposent d’un cadre réglementaire très strict ; dans d’autres, la déréglementation est telle que les négociations d’un contrat se font souvent au cas par cas. Face à cette diversité, il est très difficile d’inventer une cadre réglementaire commun ou d’harmoniser les réglementations nationales.

III.2 Quid de la LoI ?