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LES RE`GLES DE PREUVE EN RESPONSABILITE´ PE´NALE

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OUS-SECTION

1. L

A LIBERTE´ DE LA PREUVE PE´NALE

§ 1. Principe

143. Le principe de la liberte´ de la preuve, applicable en matie`re pe´nale, signifie qu’aucun moyen de preuve ne s’impose au juge par rapport a` un autre1, la seule limitation re´sidant dans l’exigence de moyens de preuve rationnels2et soumis a` la contradiction des parties3. En outre, la liberte´ de la preuve vise aussi l’appre´cia-tion souveraine par le juge du fond des moyens de preuve qui lui sont soumis et sur lesquels il fonde sa conviction4. Par ailleurs, le le´gislateur a interdit, pour certains moyens de preuve, de fonder une condamnation pe´nale de manie`re exclusive ou de´terminante sur ceux-ci5.

1. N. COLETTE-BASECQZet N. BLAISE, Manuel de droit pe´nal ge´ne´ral, o.c., p. 379.

2. Voir Cass. (2e ch.), 19 avril 2006, J.T., 2006, p. 328 : ‘aucune disposition le´gale n’impose qu’une incapacite´ de travail soit prouve´e par un certificat me´dical ou une expertise, le juge du fond disposant a` cet e´gard d’un pouvoir d’appre´ciation souverain’.

3. J. DECODT, ‘Preuve pe´nale et nullite´s’, R.D.P.C., 2009, p. 637. Une condamnation pe´nale ne peut se fonder sur des e´le´ments de preuve que les parties n’auraient pu contester en temps utile, de manie`re ‘ade´quate et suffisante’, dans l’exercice plein et entier de leurs droits de la de´fense.

4. Cass. (2ech.), 21 oct. 2006, NoP.06.0927.N, www.cass.be. Le juge doit aussi respecter la foi due aux actes (R. DECLERCQ, Ele´ments de proce´dure pe´nale, Bruxelles, Bruylant, 2006, pp. 834-835).

5. Voir l’article 189bis, aline´a 3 du C.i. cr. en matie`re de te´moignage anonyme complet (‘la condamnation d’une personne ne peut eˆtre fonde´e de manie`re exclusive, ni dans une mesure de´terminante, sur des te´moignages anonymes obtenus en application des articles 86bis et 86ter. Ces derniers doivent eˆtre corrobore´s dans une mesure de´terminante par des e´le´ments recueillis par d’autres modes de preuve’, l’article 47bis, § 6 du C.i. cr. selon lequel aucune condamnation ne peut eˆtre prononce´e contre une personne sur le seul fondement de de´clarations qu’elle a faites en violant de son droit a` la concertation confidentielle pre´alable ou a` l’assistance d’un avocat au cours de l’audition.

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§ 2. Exceptions

A. PREUVES RE´GLEMENTE´ES

144. Il arrive que le le´gislateur re´serve un mode spe´cial de preuve a` des infractions de´termine´es1. C’est notamment le cas de l’ivresse au volant ou de la conduite sous l’influence de produits stupe´fiants2.

B. LES QUESTIONS PRE´JUDICIELLES: L’APPLICATION DES RE`GLES DE PREUVE DU DROIT CIVIL

145. Si le juge pe´nal est, en principe, compe´tent pour trancher les questions de droit civil incidentes, conforme´ment a` l’article 15 du titre pre´liminaire du Code d’instruction criminelle, il existe toutefois certaines exceptions. L’article 16 pre´voit ainsi que lorsque l’infraction se rattache a` l’exe´cution d’un contrat dont l’existence est de´nie´e ou dont l’interpre´tation est conteste´e, les re`gles de preuve sont celles du droit civil. Il s’agit donc d’une de´rogation au principe de la liberte´ de la preuve en matie`re pe´nale.

En outre, si l’admissibilite´ de la preuve testimoniale de´pend d’un e´crit de´savoue´ par celui auquel on l’oppose, la ve´rification en sera ordonne´e devant les juges civils compe´tents.

F. KUTYrele`ve que ‘la ratio legis de ce texte consiste a` empeˆcher que la personne le´se´e n’e´lude les re`gles de droit civil relatives a` l’administration de la preuve en portant une question de droit civil devant les juridictions re´pressives’3.

L’obligation qui, en vertu de l’article 16 du titre pre´liminaire du Code d’ins-truction criminelle, s’impose au juge pe´nal d’observer les re`gles de preuve du droit civil, s’applique lorsque la preuve de l’infraction ou de l’un de ses e´le´ments de´pend d’un fait juridique civil pre´existant a` l’infraction4.

Lorsque la conclusion du contrat constitue en soi l’objet de l’infraction, ce sont alors les re`gles de la preuve du droit pe´nal qui trouvent a` s’appliquer5. Par exemple, l’article 16 du titre pre´liminaire du Code d’instruction criminelle ne s’applique pas au de´lit d’escroquerie consistant a` recourir a` diverses manœuvres frauduleuses en vue de se faire remettre des choses en exe´cution d’un contrat que le pre´venu n’a aucune intention d’honorer6. Il en va de meˆme de l’abus de confiance lorsque l’infraction vise la formation du contrat ou a pour re´sultat cette formation7.

L’article 17 contient aussi une autre exception pre´judicielle visant l’hypothe`se ou` le pre´venu se pre´vaut d’un droit de proprie´te´ ou d’un autre droit re´el immobilier en produisant un titre apparent ou en se fondant sur des faits de possession pre´cis qui suppriment le caracte`re infractionnel du fait qui sert de base aux poursuites. L’article 18 pre´cise que le juge pe´nal pourra, selon les circons-tances, dispenser le pre´venu de l’obligation de saisir la juridiction civile. A de´faut de cette dispense, il fixera un de´lai de deux mois au plus dans lequel la partie qui a soumis la question pre´judicielle devra saisir le juge civil compe´tent. A de´faut pour cette dernie`re de faire diligence, il sera passe´ outre aux de´bats. L’article 19 ajoute

1. Dans certaines matie`res, le le´gislateur organise la manie`re dont la preuve peut eˆtre recueillie. Voir M. FRANCHIMONT, A. JACOBS, A. MASSET, Manuel de proce´dure pe´nale, o.c., 4ee´d., p. 1163.

2. De meˆme, les e´coutes te´le´phoniques peuvent eˆtre utilise´es exclusivement pour l’une des infractions e´nume´re´es dans la liste figurant a` l’article 90ter, § 2 du Code d’instruction criminelle. Cette liste conditionne d’ailleurs la mise en œuvre d’autres mesures d’enqueˆte, qui pourront ulte´rieurement servir de moyens de preuve des infractions constate´es (te´moignage anonyme complet, observation a` l’aide de moyens techniques afin d’avoir une vue dans un domicile, ...).

3. F. KUTY, Principes ge´ne´raux du droit pe´nal belge, t. I, La loi pe´nale, 2ee´d., o.c., p. 105. 4. Cass. (2ech.), 20 mai 2008, NoP.08.180.N., www.cass.be.

5. Cass. (2ech.), 2 oct. 2001, Pas., 2001, I, p. 1555.

6. F. KUTY, Principes ge´ne´raux du droit pe´nal belge, t. I, La loi pe´nale, 2ee´d., o.c., p. 105.

7. H.-D. BOSLY, ‘L’abus de confiance’, in Les infractions contre les biens, Bruxelles, De Boeck & Larcier, 2008, p. 225. Copyright Kluwer - for internal use only

qu’en cas de contestation, le juge civil de´signera la partie qui, a` l’e´gard des preuves a` fournir, sera conside´re´e comme demanderesse.

C. LES PROCE`S-VERBAUX

146. Certains proce`s-verbaux sont reveˆtus d’une force probante particulie`re, faisant foi jusqu’a` preuve du contraire1 ou jusqu’a` inscription en faux2. Les autres proce`s-verbaux, dont ceux qui constatent les crimes et les de´lits, valent quant a` eux comme simples renseignements.

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2. L

A PRE´SOMPTION D’INNOCENCE ET LA CHARGE DE LA PREUVE

147. La charge de la preuve de la responsabilite´ pe´nale repose sur le ministe`re public et la partie civile. C’est une conse´quence de la pre´somption d’innocence3. Celle-ci est consacre´e aux articles 6, § 2 de la Convention europe´enne de sauvegarde des droits de l’homme et des liberte´s fondamentales et 14, § 2 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, et a e´te´ e´rige´e en principe ge´ne´ral du droit4. Elle signifie que toute personne accuse´e d’une infraction est pre´sume´e innocente jusqu’a` ce que sa culpabilite´ ait e´te´ le´galement e´tablie. Les pre´somptions de responsabilite´ ne sont pas admises en droit pe´nal, du moins lorsqu’elles sont irre´fragables puisqu’elles seraient contraires a` la pre´somption d’innocence5.

148. Il a e´te´ de´duit de la pre´somption d’innocence le droit de garder le silence et de ne pas s’auto-incriminer. Le droit au silence de l’inculpe´, e´nonce´ a` l’article 14.3 g) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et consacre´ principe ge´ne´ral de droit par la Cour de cassation6, a e´te´ expresse´ment reconnu a` l’article 47bis du Code d’instruction criminelle tel que modifie´ par la loi du 13 aouˆt 2011 ‘modifiant le Code d’instruction criminelle et la loi du 20 juillet 1990 relative a` la de´tention pre´ventive afin de confe´rer des droits, dont celui de consulter un avocat et d’eˆtre assiste´e par lui, a` toute personne auditionne´e et a` toute personne prive´e de liberte´’ (dite ‘loi Salduz’7).

149. Toutefois, le pre´venu peut toujours apporter la preuve d’un e´le´ment sus-ceptible de l’exone´rer de sa responsabilite´.

150. La charge de la preuve s’e´tend a` tous les e´le´ments constitutifs ou aggravants de l’infraction, mais elle impose aussi a` la partie poursuivante d’e´tablir la preuve de l’inexistence des moyens de de´fense (p. ex. des causes de justification objective, de non-imputabilite´ ou d’excuse), de`s lors que ceux-ci ne sont pas de´pourvus de toute vraisemblance8.

1. Par exemple, en matie`re de roulage.

2. Par exemple, pour certaines infractions en matie`re forestie`re ou de douane. 3. L. KENNES, Manuel de la preuve en matie`re pe´nale, Bruxelles, Kluwer, 2009, p. 13.

4. Cass. (2ech.), 17 sept. 2003, J.T., 2003, p. 730, note O. KLEES, ‘L’article 10, 1ode la loi du 18 mars 1998 instituant les commissions de libe´ration conditionnelle’.

5. N. COLETTE-BASECQZ, ‘Re´flexions critiques sur les pre´somptions de responsabilite´ en droit pe´nal’, o.c., pp. 417-426.

6. Cass. (2ech.), 13 mai 1986, concl. Avocat ge´ne´ral DUJARDIN, R.D.P.C., 1986, p. 905. 7. Voir C.E.D.H. (Gde Ch.), 27 nov. 2008, Salduz c. Turquie, www.echr.coe.int.

8. H.-D. BOSLY, D. VANDERMEERSCHet M.-A. BEERNAERT, Droit de la proce´dure pe´nale, 6ee´d., o.c., p. 990. Remarquons qu’en matie`re d’infractions contraventionnelles, le principe est e´galement inverse´ pour ce qui est des moyens de de´fense ; il appartient au pre´venu d’en rapporter la preuve (voir Cass. (2ech.), 6 mars 1934, Pas., I, p. 207 et Pol. Wavre, 5 nov. 1985, R.G.A.R., 1986, no11148).

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151. Le juge ne peut retenir la responsabilite´ pe´nale d’un pre´venu que s’il a la certitude, ‘au-dela` de tout doute raisonnable’ qu’il est coupable1. Cette certitude peut aussi de´couler d’un faisceau de pre´somptions graves, pre´cises et concor-dantes2.

S’il demeure un doute sur la culpabilite´, celui-ci doit ‘profiter a` l’accuse´’ (‘In dubio pro reo’) et entraıˆner l’acquittement3.

Notons que la loi du 21 de´cembre 2009 relative a` la re´forme de la Cour d’assises4a impose´ une obligation de motivation des verdicts5et a pre´vu qu’une condamnation ne peut eˆtre prononce´e que s’il ressort des e´le´ments de preuve admis que l’accuse´ est coupable au-dela` de tout doute raisonnable des faits qui lui sont incrimine´s6.

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A RE´GULARITE´ DE LA PREUVE

152. Depuis le revirement jurisprudentiel7ope´re´ par l’arreˆt ‘Antigone’ de la Cour de cassation du 14 octobre 20038, le juge ne peut e´carter un e´le´ment de preuve obtenu irre´gulie`rement que dans trois cas9: si le respect de certaines conditions de forme est prescrit a` peine de nullite´10, ou si l’irre´gularite´ commise a entache´ la fiabilite´ de la preuve, ou encore si l’usage de cette preuve est contraire au droit a` un proce`s e´quitable. Lors de son appre´ciation, le juge peut prendre en conside´ra-tion notamment la circonstance ou l’ensemble des circonstances suivantes : – soit que l’autorite´ charge´e de l’information, de l’instruction et de la poursuite

des infractions a ou non commis intentionnellement l’acte illicite ;

– soit que la gravite´ de l’infraction de´passe de manie`re importante l’illice´ite´ commise ;

– soit que la preuve obtenue illicitement ne concerne qu’un e´le´ment mate´riel de l’existence de l’infraction11.

1. Cass. (2e ch.), 10 nov. 1992, Pas., 1992, I, p. 1247 ; H.-D. BOSLY, D. VANDERMEERSCH et M.-A. BEERNAERT, Droit de la proce´dure pe´nale, 6e e´d., o.c., p. 1022 ; R. DECLERCQ, Ele´ments de proce´dure pe´nale, o.c., p. 807.

2. M. FRANCHIMONT, A. JACOBS et A. MASSET, Manuel de proce´dure pe´nale, 4e e´d., o.c., p. 1200 ; Ch. HENNAUet J. VERHAEGEN, Droit pe´nal ge´ne´ral, o.c., pp. 137-138.

3. H.-D. BOSLY, D. VANDERMEERSCHet M.-A. BEERNAERT, Droit de la proce´dure pe´nale, 6ee´d., o.c., p. 994. Voir Cass. (2ech.), 31 mai 1989, Pas., 1989, I, p. 1035.

4. M.B., 11 janv. 2010.

5. Art. 334, al. 2 C.i. cr. (‘Sans devoir re´pondre a` l’ensemble des conclusions de´pose´es, ils formulent les principales raisons de leur de´cision’).

6. Voir not. art. 326, al. 2 C.i. cr.

7. F. KUTY, ‘La sanction de l’ille´galite´ et de l’irre´gularite´ de la preuve pe´nale’, in La preuve. Questions spe´ciales en droit pe´nal, Lie`ge, Anthe´mis, 2008, p. 27.

8. Cass. (2ech.), 14 oct. 2003, NoP.03.0762.N, concl. Avocat ge´ne´ral DE SWAEF, www.cass.be. En ce sens, voir Cass. (2ech.), 21 nov. 2006, NoP.06.0806.N, www.cass.be : ‘L’usage d’une preuve que l’autorite´ charge´e de la recherche, de l’enqueˆte et de la poursuite des infractions ou qu’un de´nonciateur, en vue de fournir cette preuve, ont recueillie a` la suite d’une infraction, en violation d’une re`gle de la proce´dure pe´nale, a` la suite d’une atteinte porte´e au droit a` la vie prive´e, en violation des droits de la de´fense ou en violation du droit a` la dignite´ humaine, n’est en principe pas autorise´ ; le juge ne peut toutefois ne pas tenir compte d’une preuve recueillie ille´galement que si le respect de certaines conditions de forme est prescrit a` peine de nullite´, ou si l’ille´galite´ commise a entache´ la fiabilite´ de la preuve, ou encore si l’usage de la preuve viole le droit a` un proce`s e´quitable’. Voir e´g. Cass. (2ech.), 2 mars 2005, NoP.04.1644.F, www.cass.be (arreˆt ‘Manon’). Dans cet arreˆt, la Cour a pre´cise´ : (‘lorsque l’irre´gularite´ commise ne compromet pas le droit a` un proce`s e´quitable, n’entache pas la fiabilite´ de la preuve et ne me´connaıˆt pas une formalite´ prescrite a` peine de nullite´, le juge peut, pour de´cider qu’il y a lieu d’admettre des e´le´ments irre´gulie`rement produits, prendre en conside´ration, notamment, la circonstance que l’illice´ite´ commise est sans commune mesure avec la gravite´ de l’infraction dont l’acte irre´gulier a permis la constatation, ou que cette irre´gularite´ est sans incidence sur le droit ou la liberte´ prote´ge´s par la norme transgresse´e’). 9. Ce test ‘Antigone’ s’applique e´galement devant les juridictions d’instruction. Celles-ci ne peuvent donc

pas e´carter automatiquement une preuve recueillie irre´gulie`rement (Cass. (2e ch.), 20 sept. 2006, R.D.P.C., 2007, p. 80).

10. Dans le Code d’instruction criminelle, tre`s peu de formalite´s sont prescrites a` peine de nullite´ (audition de te´moins sous couvert d’anonymat complet, e´coutes te´le´phoniques, prestation de serment des te´moins entendus a` l’audience, ...).

11. Cass. (2ech.), 23 mars 2004, NoP.04.0012.N, www.cass.be.

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Dans l’arreˆt ‘Lee Davies’ contre Belgique du 28 juillet 2009, la Cour europe´enne des droits de l’homme a juge´ que les e´le´ments de preuve recueillis de manie`re irre´gulie`re n’avaient pas porte´ atteinte aux exigences du proce`s e´quitable1. De meˆme, la Cour constitutionnelle a estime´ que ‘le test Antigone’ ne violait ni les articles 10 et 11, ni les articles 12 et 22 de la Constitution2.

153. Un e´le´ment de preuve ille´gal ou irre´gulier peut ne´anmoins eˆtre utilise´ a` de´charge par le pre´venu, dans le cadre de la mise en œuvre de ses droits de la de´fense3.

SECTION 2. LES RE`GLES DE PREUVE EN