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LES RACINES ET LES LIMITES DU REALISME NARRATIF

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Comme nous venons de le voir, presque tous les livres d’Helli Alexiou sont empreints d’un grand sens de réalisme, 11 ne nous a semblé ni souhaitable, ni nécessaire de les passer tous en revue pour analyser cette caractéristique de l’auteur, mais nous avons toutefois voulu nous pencher sur deux de ses ouvrages qui nous semblent particulièrement éclairants : il s’agit de SKkrjpo [

Yi-oi piKpfi ^cofj {Rudes combats pour une petite vie) et de

Aoûpnev {Lumpen). Le premier reprend des souvenirs de l’auteur lorsqu’elle était jeune et pratiquait le métier d’enseignante, le deuxième nous projète dans la vie d’un couple qui semble nous rappeler sa propre expérience. Comme nous le verrons, ces deux ouvrages offrent une dimension sociale dramatique que l’auteur nous révèle à travers la psychologie et l’histoire de ses personnages, qui nous font ainsi découvrir des réalités qui sont très différentes. §

§ 1. Indices d’une approche réaliste de l’enfance

Rudes combats pour une petite vie fut le premier livre publié par Helli Alexiou et grâce auquel elle est devenue tout de suite célèbre en se distinguant dans le monde dés lettres comme un écrivain digne d’attention, il s’agit d’un recueil de quinze nouvelles qui constitue un exemple frappant du réalisme de l’auteur. Il s’inscrit en plein dans le mouvement de renaissance littéraire de la période de l’entre deux guerres, puisqu’il fut publié en 1931, date qui, comme nous l’avons expliqué précédemment, fut importante dans l’histoire de la littérature grecque.

Souvenons-en que Helli Alexiou a beaucoup tardé à devenir écrivain, elle avait atteint l’âge de trente-sept ans lorsque parut Rudes combats pour une petite vie. Rappelons aussi que l’auteur découvrit par hasard son talent dans le

domaine de l’écriture^’ quand elle publia, en 1923, sa première nouvelle Francesco. Suite au succès de la publication de cette dernière, elle écrivit quatorze autres nouvelles qui racontent la vie dramatique de petits enfants pauvres. Avec son premier recueil, apparaissait soudain, dans la littérature grecque contemporaine, une autre manière d’exprimer la sensibilité et l’humanisme. Ce livre fut très vite qualifié de chef-d’œuvre par de nombreux spécialistes dans le domaine des lettres, parmi lesquels nous citerons un des plus grands critiques littéraires de l’époque, Fotos Politis. Celui-ci considérait que :

« (...) à travers les âmes simples, l’auteur réussit à donner toute l’ampleur de la vie réelle, qu’elle soit joyeuse ou qu’elle soit sombre et cruelle. Derrière ses descriptions, on retrouve un souffle profond de vérité, l’originalité de la nature (...)

Un autre grand critique grec, Marcos Avghéris, déclarait que :

« Toutes les nouvelles de ce recueil représentent d’agréables découvertes très bien décrites. La majorité des contes sont des situations dramatiques. L’auteur ne recherche pas les cas extraordinaires. À travers des faits communs, plausibles et éventuels de la vie quotidienne, elle réussit à créer son originalité. La position sociale qu’elle adopte dans la façon d’envisager la vie et son profond ton humaniste caractérisent l’expression et le talent d’Helll Alexiou. Son réalisme ne fait pas appel à des artifices. Il est même adapté au sujet. Il ne s’encombre pas de recherches formelles et de manières. Il est naturel et aisé.

En ce qui concerne comment Helli Alexiou a commencé à écrire, nous relatons l'histoire dans la première partie de notre thèse consacrée à la vie de l'auteur. Nous expliquons que c'est son mari Vassos Daskalakis qui l'a poussée à écrire et qui l'a conduite à découvrir son grand talent dans le domaine de l'écriture.

Cf. Takis ADAMOS, Une vie..., op.cit., p.27.

« ... Méaa anô tlç anXéç 4fuxéç, eypaça, KaTopGôvEL ri

auYVpotcpeûç, va 5àae l ôKo to piyoç triç npoypofT iKfjç ^wriç, eiie Xapoûpevr) eivai, elte paûpr) xat ^Àoaupri. Kato anô tlç

nEpiypacpÉç Trjç unâpxcL g 0Epvif| âxva irjç aXr|0E taç, ri npoiotunia

Le réalisme de la tradition grecque. Ce qui ia distingue dans notre prose contemporaine c’est seulement le sentiment humaniste aigu dans les relations des personnages et des situations. Ceci est la nouveauté qu’elle offre et qui la place dans le nouveau monde lequel se différencie de l’ancien.

En reprenant le langage que nous avons adopté, nous pouvons dire que ces auteurs discernent bien que Helli Alexiou cherche à configurer une vérité profonde pour l’homme, c’est-à-dire un humanisme vivant. Nous ajouterons un humanisme qui jaillit à travers l’observation des souffrances humaines.

A travers ses nouvelles, Alexiou s’applique à dépeindre les milieux défavorisés de l’époque de l’entre deux guerres en relatant des épisodes de la vie de tous les jours de ses jeunes élèves qui révèlent leurs souffrances. Elle réussit ainsi à transmettre au lecteur les sentiments de peine et de tristesse dans toute leur dimension. En outre, elle stigmatise les différentes formes d’inégalité sociale avec un tel sens du réalisme et un si profond humanisme qu’elle finit par émouvoir ceux qui la lisent. Et comme le fait remarquer si justement Marcos Avghéris, c’est dans cette aptitude à décrire la réalité de la vie avec un ton si humaniste que réside la grande originalité de son œuvre.

Cf. Helli ALEXIOU, Rudes combats..., op.cit., pp.18-19. Prologue écrit par Marcos AVGHERIS, médecin de profession, mais également critique littéraire, écrivain et gendre d'Helli Alexiou.

« DÀa TOf 5 autfiç xriç auXÀoYnç otnoTeXoûv euTuxLopéveç Eupéoeiç d\|;oYa nepLYpappéveç. Ta nepiaaoiepa xoppâi la etvai épapax LKÉç GepeXLaKéç KOfxaaxâaeLÇ. H 5ir|YJ1U®''^0YP“90Ç 5ev KUvriY^ei- f iç eÇaipexiKéç nepinxéae iç.Méoa anô la Koivâ nepLOxaxLKà xai xa niGovâ xai evôexôpeva xr^ç xpéxouoaç Çcùgç ôgpLoupYEL xgv npoxoxunia xgç. H KoivoviKfj 0éari nou natpvei oxri Beépriori xgç Çcoriç kl o uil;r|Xôç avGpconloxlkôç xôvoç

Xapaxxgp [ ^ouv xr|v éKcppaor] Kai xo xàXbfvxo xr|ç EXXgç AXe^ lou. O peaXLopôç xgç 5ev xPh<^ Lpono i e l Eivai looç Kai npooappoopévoç oxo Gépa. Ae OKOxL^ExaL YLa cpoppaX lox iKéç ovaÇr|xrias LÇ Kai paviépeç. Eivai cpuoLKÔç Kai ovexqç. O

psoXLopôç xr|ç eXXriviKfjç napâdooriç. Môvo g o^eia avGptün lox iKfj aioGriari oxlç oxéaeiç xov npooénov Kat x lç Kaxaaxàoeiç eivai eKctvo nou xgv ÇcxwplCe;l yéaa axr) oÛYXPOvr) neÇoYpacpia paç. Auxô eivai xo véo nou npooipépe i kl auxô xqv xonoGexei oxo véo

Dans Rudes combats pour une petite vie,\es héros sont de petits enfants qui essayent de se battre, d’une part, contre la dureté de la vie qu’ils subissent en raison des conditions défavorables du milieu social dans lequel ils sont nés et, d’autre part, contre l’injustice et l’inégalité. Ces histoires que raconte Helli Alexiou, sont une description très vivante des expériences qu’elle a vécues lorsqu’elle était institutrice notamment dans l’orphelinat du Vieux Phalère et à travers lesquelles elle s’est trouvée confrontée à un monde très différent de celui qu’elle connaissait ; des expériences qui lui ont permis de découvrir la vraie dimension de l’inégalité sociale et de l’injustice, à savoir l’émergence de souffrances parfois irréductibles, mais qu’il fallait combattre pour reconstruire les âmes innocentes des enfants. Notons que l’injustice qu’elle observait était d’autant plus révoltante qu’elle touchait précisément de jeunes enfants innocents.

L’auteur réussit à décrire avec pertinence la psychologie de ses personnages en faisant appel à un réalisme prenant. Elle raconte les choses telles qu’elles lui paraissent, même dans leurs aspects les plus sombres, sans omettre un seul détail, ni un seul défaut de ces petits héros. Elle ne se laisse à aucun moment aveugler par les sentiments personnels qu’elle éprouve envers eux et qui pourraient la pousser à vouloir enjoliver l’image qu’elle en donne. Car elle sait pertinemment bien que si elle cherche à révéler au lecteur cette dure réalité et à lui transmettre les messages de nature sociale et morale qu’elle défend, elle ne doit pas s’encombrer de sentimentalismes et doit veiller à demeurer, dans la mesure du possible, sincère.

Ces histoires qu’elle configure avec force, pourraient être dépourvues de toute forme d’attrait, mais grâce à l’amour que l’auteur éprouve pour ces enfants lorsqu’elle était leur professeur, et grâce à un style simple, concis et direct, elle arrive à émouvoir le lecteur et à éveiller en lui une vive sensibilité envers le sort de ces petites créatures. Chaque lecteur peut refigurer à sa façon le récit, mais personne ne peut rester indifférent face à ce qui surgit. À cet égard, Tatiana Gritsi Milliex avait fait remarquer très justement que :

« Ce monde de la tristesse et du sourire inattendu, du malheur intérieur et individuel, du combat externe et continu dans tous les domaines, est le fondement de toute l’œuvre d’Helli Alexiou; si, toutefois, cette œuvre demeurait seulement comme ça et s’il n’y avait pas son matériel linguistique, sa mesure et son comportement humaniste face à ses propres écrits, elle pourrait n’être considérée que comme des documents uniquement et elle ne pourrait pas prétendre d’être classée dans le domaine de l’art.

On ne pourrait mieux exprimer le réalisme de l’écrivain, qui dissimule si bien la fiction. Ainsi, ces histoires de la vie quotidienne qui semblent ne présenter rien de vraiment extraordinaire, et qui pourraient ne pas laisser de traces chez le lecteur, elle réussit à les configurer de telle façon, que tout, lecteur pénètre dans le jeu des refigurations grâce à ce style littéraire si touchant qui lui est tellement propre, en réalisant la fiction, comme s’il vivait réellement les situations narrées. 11 y a lieu d’insister ici sur le fait que rares sont les auteurs grecs qui ont su parler avec tant d’émotion et de réalisme et décrire l’aspect social et sentimental de la vie des enfants pauvres.

En sorrime, à travers les lignes de Rudes combats pour une petite vie, Alexiou décrit le monde de l’enfance, mais d’une enfance qui n’est pas très heureuse, car elle est remplie de peines, de décès, de responsabilités et de misère. Ces petits enfants sont condamnés à devenir des personnes mûres face à la vie plus tôt que les autres, sans jouir vraiment de l’enfance. Mais il y a plus...

Tatiana GRITSI-MILLIEX, H AaoKâAa fie. Ta ocvdpâniva pâz ta. . MLKpô Acpiépapa [L'Institutrice aux yeux humanistes. Dans Petit hommage), op.cit., p.58.

« Autôç o KÔapoç xr|Ç Aûnriç ko£L tou ÇacpviKoû x^V^ÔY^Aou, xriç eacûxepLKriç k«l axovuKfiç 5uaxuxiaç, xr|ç eÇcoxepLKfiç k«l

auvExôps'^^Ç of/cùv LOT LKÔxnxaç as ôAa xa nAâva, Eivai xo BEpÉAio ôAou xou épyou xr|Ç EAAqç AAe^lou, nou ôpuç ofv épEVE pôvo oxr| 0Éari KttL 5ev unf|pxe to yXcùaaiKÔ xqç uAlkô, xo péxpo kcxl n cxv9p6nLvri oupnEp upopà xriÇ otnÉvcxvx i oxo l5lo xr)Ç xo Ypotcpxô, 0a pnopouoE va pelvel aov ôoKoupÉvxo povàxa Kat va pqv aÇicù0EL xriv Kaxaxâpriafi xou oxo X“P° Téxvriç. »

En effet, Alexiou nous fait également découvrir ce lien très étroit qui s’est tissé entre une institutrice et ses jeunes élèves. L’histoire 6^ Francesco x\ow% prend au cœur et nous fait sourire avec un léger sentiment de pitié lorsque nous le voyons encore trop petit, quatre ou cinq ans seulement, se rendre tous les matins en classe avec sa sœur aînée, car sa mère, ne sachant que faire de lui et ne voulant pas le laisser traîner dans les rues, demande à l’institutrice de l’accepter dans sa classé. Se sentant soudain responsable du sort de cet enfant, elle acquiesce la requête de cette pauvre femme. Fatigué par un réveil un peu trop matinal, Francesco avait l’habitude de s’endormir en classe. Lorsqu’il se réveillait, il aimait participer aux différentes activités scolaires^ ce qu’il faisait généralement avec une certaine maladresse en raison de son jeune âge et de son manque de connaissance, 11 aimait tout particulièrement le cours d’arithmétique parce qu’il prenait sa petite boîte d’allumettes remplie de fèves et se mettait à Imaginer des armées de soldats, à fabriquer des maisons... En général, Francesco participait à la vie scolaire avec une grande conviction comme s’il faisait partie de la classe au même titre que les autres élèves. Ainsi demandait-il à son professeur :

« - Que nous as-tu dit d’écrire pour demain ? Alors qu’il n’écrivait jamais chez lui. Ou bien : - nous irons nous promener demain ? Ou : - nous avons école demain ? Ceci, il le demandait systématiquement, matin et soir.»”

Alexiou réussit à configurer une intrigue minimale et dépeindre les différentes attitudes de ce personnage avec beaucoup d’humour et une grande tendresse. Elle décrit comment Francesco arrivait à l’école et se dirigeait tous les matins vers sa classe comme suit :

Helli ALEXIOU, Rudes combats..., op.cit. , p.29.

« -Tl paç ELneç va Y>-c< aûpio; Ev6 5â 5ev eypacpe noté TOU oTo aniTL tou. H - 6a nôc\ie aûpio nepinaio; H - Koruoupe aûpLO OKOÀELÔ; Auto to tEÀEUTaio to patouaE taxtiKa, npaï Kai

« (...) Il rentrait triomphalement, il criait « bonjour » de toutes ses forces en regardant ailleurs; et il se dirigeait .officiellement vers sa place. S’il s’en souvenait, il : enlevait son bonnet, un ancien bonnet.de marin très torturé, sans cordon, sans inscriptions; et même s’il était un peu petit pour lui, il avait la manie de l’enfoncer dans ses oreilles. Pour le décoller, il le tirait avec force et d’un mouvement fier de la main il le jetait contre la fenêtre. S’il ne s’en souvenait pas, les filles le lui rappelaient.

Nous découvrons ici comment la fiction est investie d’éléments réalistes, certes exagérés et pointés avec précision, mais capables d’attirer l’attention et la syrhpathie du lecteur. Aussi l’auteur dit que ce petit individu était très comique pour les professeurs et très insolite pour les élèves, car c’était le seul garçon dans un monde uniquement réservé aux filles.

La façon donc dont Alexiou raconte cette nouvelle ne nous donne pas l’Impression de lire une histoire fictive et moins encore une histoire triste mais plutôt un conte attendrissant. Finalement, Francesco n’a pas l’air de passer un mauvais moment en classe, au contraire, on dirait que cela lui plaît. Ce qui nous consterne, c’est, d’une part, le sort de ce garçon qui ne peut pas profiter de la vie comme les autres enfants de son âge et doit forcer le temps, pour déjà se réndre à l’école^^ bien avant le moment propice, et, d’autre part, la rigidité de la directrice qui découvre la présence de ce petit intrus et demande à

Ibid., p.24.

« (...) Epnaive 0p lappeux LKOf, cpavcx^s pe, ôÀr) lou tf) 5ûvapr) k«l

KO LT.â^ovTcxç otXKoû «KaXr\]iépa», kojl ipoipoûae eniaripot yi-a iq 9éar|

TOU. Av TO BuiJÔTbcve, Koa to OKOûcpo tou, évofv

noXupaoofv Loviévo npûriv vauT ikô oKouqjo, ôlxcoç KopôéXa, 5lx®ç

Ypâpvi'^Ta' (XV K«L TOU 'pxÔTCxvs ]iLKpôç, etxe tii yiotvia va tov

XüVE L laavie T"a9Tiâ tou. Pia va tov Ç^^KoXXfiae l, XoLiiôv, tov

Tpapoûoe pe 5ûvapq, Ka i pe pia neprjçofvri KLvriari tou x^Pi-oû tov

ncTouae KaTà to napâGupo. Av 5ev to GupÔTCxv, tou to Gûp l Çcxv Ta

KopLTOta. »

Ibid., p.25.

« Téaaepcù xpové naLÔL pTove Kai va ÇeapKQveTaL Kaipôç va'pxstai OTO okoXelo anô tlç oxt6 napà eIkool, énecpTC pépaia

Papû npàpa. H TcTapTr) TàÇp pâXioTa noXXéç cpopÉç (xpxi-^e pâGppa Kai pia upa npiv anô paç, (...) ôpcùç o ôuotuxtopévoç o

ôpovT ÇÉKOÇ, nou TOV KOupaXoûae r| aôepcpf) tou, nTCXV unoxpecûpévoç va 'pxeTai kl auTÔç a^ppépuTa. »

l’institutrice de ie renvoyer chez lui. C’est sur ce double sentiment d’injustice sociale qu’Alexiou insisté en configurant la fiction. La fiction sert ici à faire voir une réalité courante et quotidienne. En fin de compte, cette injustice se transforme en un drame lorsque nous apprenons à la fin de la nouvelle que Francesco, dont le seul pêché fut de naître dans un milieu défavorisé, meurt en deux jours d’une simple rougeole en tenant dans ses mains un morceau de tissus en lin qu’on lui avait donné à l’école comme si c’était le seul bien qu’il possédait au monde.

La tournure que prend ainsi le récit, au fil d’une intrigue simple sans prétention, atteste la visée de l’écrivain : faire surgir à travers une description qui donne l’impression d’un excès (la dimension comique de la description de la présence d’un enfant dans un milieu qui le dépasse), un renversement, lui- même excessif (par la mort à cause d’un événement futil). C’est par ces excès que la réalité sociale que relate la fiction transperce et provoque l’émotion. Cette émotion est moins le résultat d’une réalité sociale que l’on côtoie dans l’indifférence, que l’effet de la façon dont le récit est configuré à travers ses excès et le renversement des situations. C’est en cela que Helli Alexiou apparaît comme un écrivain réussi, offrant à chacun l’occasion de refigurer l’intrigue à sa façon pour y réfléchir sur les conditions de la vie des enfants.

Dans la troisième nouvelle Ta rpia aôéXcpia {Les trois frère^, l’auteür nous relate l’histoire de trois petits frères, Kostia, Vassilis et Gérassimos, âgés de six, huit et onze ans respectivement qui perdent leurs parents et qui se retrouvent dans un orphelinat. Ils étaient très différents des autres enfants à la façon dont ils se comportaient^®. En effet, marqués par une expérience traumatisante, ils avaient toujours peur de se perdre, et de ce fait la première chose qu’ils faisaient à la récréation était de se retrouver et de rester bien ensemble. Bientôt, ils vont trouver qu’une des institutrices ressemble à leur mère et un des professeurs à leur père®®. Ils sont heureux chaque fois qu’ils les volent, car, à présent, ils se sentent moins seuls. Avant de s’endormir, ils demandent la permission d’embrasser la main du professeur comme ils faisaient

Ibid., p.52.

jadis avec leur père. Toutefois, ce bonheur ne va pas durer très longtemps parce que Tinstitutrice se marie et quitte l’orphelinat et le professeur est muté dans une autre école. Ges trois enfants se retrouvent alors orphelins encore une fols pour une seconde fois.

Bien que la situation soit moins dramatique que dans la Nouvelle précédente, le renversement s’accomplit cette fois-ci par le manque, exprimé à travers le thème de l’orphelin et la substitution du manque par un transfert d’affectivité. Mais cette affectivité naissante apparaît aussitôt précaire, soumise aux situations éphémères de la vie. Une fois encore l’écrivain réussit à provoquer l’émotion à travers la façon dont elle arrange son récit.

Une autre nouvelle, la cinquième du livre, H loxopia tou

ûrmqrpâKq [L 'histoire du petit Dimitn), raconte un épisode déterminant de la vie du petit DImitri, fils d’une Grecque, Lygéri, et d’un Turc, qui est victime des conséquences de la guerre. Après la libération de Smyrne, Lygéri prise d’un élan patriotique s’évade avec Dimitraki en Grèce où elle se trouve confrontée à de nombreux problèmes. Elle connaîtra la misère, la solitude et le désarroi, alors qu’auparavant elle vivait heureuse et protégée par un homme qui l’aimait beaucoup. La mère s’en veut profondément d’avoir ainsi, par une décision vitale, privé son fils de l’amour paternel. L’absence du père de son enfant pèse lourdement sur celui-ci, mais elle sait qu’il était désormais trop tard pour revenir en arrière. Embauchée en tant que servante à l’orphelinat du Vieux Phalère, Lygéri raconte à Alexiou le secret de sa triste histoire à l’époque où cette dernière y travaillait comme Institutrice externe. Une histoire qu’HellI écoutait comme si ôn lui lisait un roman, mais un roman qui retraçait en fait la

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