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Les règles « contra » supposent une ambiguïté

La subordination des deux règles «contra» à la nécessité d’une ambiguïté est fermement rappelée par les juges83. Si cette exigence ne pose pas de problème pour la règle «contra stipulatorem», étant donné le libellé même de la première phrase de l’article 1432 (« Dans le doute, […] »), on a pu se demander si la codification de 1991-1994 ne remettait pas en cause cette exigence pour la règle «contra proferentem». En effet, l’emploi, dans la seconde phrase de l’article 1432, de la précision « dans tous les cas » ne signifierait-il pas que le contrat d’adhésion ou de consommation « s’interprète » contre le contractant rédacteur dans toutes les circonstances, y compris en

83 Sous l’empire de l’article 1019 C.c.B.C., voir : Bates c. Sun Life du Canada, précité, note 2, 918 et 919 (C.A.); Tamper Corp. c. Kansa General Insurance, [1998] R.J.Q. 405, 413 (C.A.); Belcourt Construction Co. c. Automobile et Touring Club de Montréal (A.T.C.M.), [1987] R.J.Q. 1151, 1155 (C.S.). À propos de l’arti-cle 2499 C.c.B.C., voir : Hamel c. Assurance-Vie Desjardins, (1987) 7 Q.A.C.

24; Poulin et Lacroix Ltée c. Assurances Federated, précité, note 46; cf. Tremblay c. Madill, [1988] R.R.A. 596 (C.S.). Sous l’empire de l’article 17 L.p.c., voir : Lambert c. Jean Fréchette Ltée, précité, note 78. Sous l’empire de l’article 1432 C.c.Q., voir : Bytewide Marketing Inc. c. Cie d’assurances Union Commerciale, précité, note 61, 759; Collections de style R.D. internationales Ltée c. Trade Indemnity, [1996] R.R.A. 1062 (C.S.); Gariépy c. Immeuble populaire Desjardins de Montréal et de l’Ouest-du-Québec, précité, note 61, 412; Hyundai Motor Ame-rica c. Automobiles des Îles (1989) Inc., précité, note 61; Astral Communications Inc. c. Complexe du Fort Enr., précité, note 6, p. 11 du texte intégral; Autobus Johanaise Inc. c. Société de transport de la Rive-Sud de Montréal, précité, note 7;

Godbout c. Hydro-Québec, précité, note 2, par. 24; Caisse populaire Desjardins du quartier chinois c. Addendum recrutement et formation Inc., précité, note 62;

Jean Pineau & associés c. Société de gestion d’assurance Encon, précité, note 62; Soprema Inc. c. La Gerling Globale, cie d’assurances générales, [2002] R.R.A.

361, par. 31 (C.S.); Roy c. Compagnie mutuelle d’assurances Wawanesa, [1998]

R.J.Q. 2169, 2171 (C.Q.).

cas d’absence d’ambiguïté84? La réponse est, bien sûr, négative.

Selon toute vraisemblance, cette mention signifie tout simplement que la lecture favorable à l’adhérent ou au consommateur a lieu même si ce dernier est le créancier de l’obligation en cause85. B. Les règles «contra» ne s’appliquent qu’à titre subsidiaire

Le caractère subsidiaire des règles «contra stipulatorem» et

«contra proferentem », jadis suggéré avec force par la doctrine86, est constamment rappelé par les juridictions supérieures. Ce n’est que lorsqu’il subsiste une ambiguïté, malgré le recours aux règles nor-males d’interprétation, que le juge peut recourir à la lecture forcée.

Le magistrat ne va pas directement lire une clause, qu’il estime ambiguë, dans le sens des intérêts du débiteur ou, le cas échéant, de l’adhérent ou du consommateur. Il va d’abord s’assurer que les règles d’interprétation fournissent une réponse satisfaisante87.

84 Cf. Maurice TANCELIN, Sources des obligations, 5e éd., Montréal, Wilson &

Lafleur, 1993, n° 224, p. 146.

85 Jean-Louis BAUDOUIN et Pierre-Gabriel JOBIN, Les obligations, 5e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1998, n° 433, p. 355; Maurice TANCELIN, Des obligations : actes et responsabilités, 6e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 1997, n° 321, p. 158; voir aussi : GOUVERNEMENT DU QUÉBEC, Commentaires du ministre de la Justice, op. cit., note 32, p. 868 et A. POPOVICI, loc. cit., note 31, 158 et 159; cf. J. PINEAU, D. BURMAN et S. GAUDET, op. cit., note 6, n° 229, p. 407, à la note 776; V. KARIM, op. cit., note 33, p. 183 et 184; comp. F. GEN-DRON, op. cit., note 1, p. 107.

86 C. DEMOLOMBE, op. cit., note 5, n° 23, p. 21 : « on ne doit l’appliquer qu’autant que toutes les autres règles d’interprétation (sic) font défaut ».

87 Sous l’empire de l’article 1019 C.c.B.C., voir : Exportations Consolidated Bathurst c. Mutual Boiler & Machinery Insurance Co., [1980] 1 R.C.S. 888 et L’Industrielle, compagnie d’assurance sur la vie c. Bolduc, [1979] 1 R.C.S. 481, 493; Belcourt Construction Co. c. Automobile et Touring Club de Montréal (A.T.C.M.), précité, note 83, 1154; Bates c. Sun Life du Canada, précité, note 2, 918 et 919; Astral Communications Inc. c. Complexe du Fort Enr., précité, note 6, p. 12 du texte intégral; Fernand Gilbert Ltée c. Municipalité de St-Gervais, J.E.

2000-495, p. 18 du texte intégral (C.S.). Les autorités appliquaient la même solu-tion à la règle de l’article 2499 C.c.B.C.: J.-G. BERGERON, op. cit., note 46, p. 105; implicitement : Poulin et Lacroix Ltée c. Assurances Federated, précité, note 46. Sous l’empire de l’article 1432 C.c.Q., voir : Len-Jay Inc. c. J.R.S.

Transport Inc., [2001] R.R.A. 799, par. 36 (C.S.). Voir, cependant : Exportations Consolidated Bathurst Ltée c. Mutual Boiler and Machinery Co., précité dans la présente note, 899-901 : « ce n’est que si le texte est ambigu que l’on doit appli-quer la règle “contra proferentem”, deuxième étape du processus »;

Le caractère quasi magique des règles «contra» ne devrait donc pas créer des espoirs indus, qui risqueraient d’être déçus : « Les règles d’interprétation pour déterminer la commune intention des parties priment le principe de l’interprétation contra proferentem»88. Une décision de la Cour suprême a rappelé de manière presque dra-matique le caractère secondaire des règles «contra». Ces dernières doivent s’incliner devant une solution fournie par les règles d’inter-prétation, comme la globalité, les circonstances ou les usages89. La subsidiarité des règles «contra proferentem» et «contra stipulatorem», se trouve même renforcée par le nouveau Code qui leur assigne la dernière place dans l’ordre des articles de l’interprétation90.

Rappe-88 dans le même sens : Groupe Desjardins, assurances générales c. Général Acci-dent, compagnie d’assurance du Canada, [1998] R.R.A. 942, 943 (C.A.); Amiska Corporation immobilière c. Bellerive, précité, note 56 : ces juges semblent sauter la deuxième étape (celle de l’interprétation proprement dite), pour aller directement à la troisième, qu’ils qualifient de deuxième étape! Mais, ce n’est qu’une façon de s’exprimer, car dans l’arrêt-phare Exportations Consolidated Bathurst, la Cour a tout de même procédé à la deuxième étape en procédant à la lecture globale de la police!

88 Len-Jay Inc. c. J.R.S. Transport Inc., précité, note 87.

89 L’Industrielle, compagnie d’assurance sur la vie c. Bolduc, précité, note 87. La Cour suprême, dans ce jugement divisé, a refusé d’appliquer la règle «contra proferentem », à propos d’une clause d’une police d’assurance, excluant la dou-ble indemnité au cas où l’assuré exercerait une « fonction quelconque relative-ment à l’envolée ». Ce dernier, aéropointeur, était chargé de donner au pilote les indications nécessaires pour l’efficacité des largages des tonnes d’eau destinées à éteindre des incendies de forêt. S’il n’était pas un pilote ou un agent de bord, était-il un passager ordinaire? Cette clause n’a pas été lue dans un sens favo-rable à l’assuré, son sens pouvant être donné par la lecture coordonnée d’autres dispositions du texte contractuel. Pour la majorité, la clause devenait ainsi compréhensible, et le risque était exclu. Pour la minorité, cependant, la clause comportait une ambiguïté qui devait être interprétée contrairement aux préten-tions de l’assureur. Pour des commentaires critiques de l’arrêt Bolduc, voir : Jean-Louis BAUDOUIN, « Chroniques de droit civil québécois : session 1978-79 », (1980) 1 S.C. Law Rev. 249, 251-254; Marvin G. BAER, « New Develop-ments in Insurance Law », (1980) 1 S.C. Law Rev. 347, 352-354. Cette décision est d’autant plus dramatique que la commune intention des parties était loin d’être évidente, même après une lecture globale! Nous sommes loin, ici, de l’attente raisonnable de l’assuré, dont la Cour suprême semble faire tant état ces derniers temps!

90 Cette décision judicieuse aurait certes fait plaisir à un grand juriste de France qui adressait au législateur de son pays le reproche d’avoir improprement localisé l’article 1162 C.c.fr. : C. DEMOLOMBE, op. cit., note 5, n° 23, p. 21. Le même reproche aurait pu être adressé aux rédacteurs du Code civil du Bas Canada, à propos de l’article 1019, noyé dans la masse des dispositions sur l’interprétation.

lons-le : ces règles, loin de constituer un guide interprétatif, fournis-sent plus exactement un outil de lecture brutale en cas d’impasse dans la recherche de la probable intention des parties.

IV. Bilan de la mise en œuvre des deux règles de lecture forcée

A. Les règles «contra» sont assez souvent utilisées

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