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Des panels citoyens délibératifs sur l’avenir du fédéralisme

B. L’éclosion d’expériences délibératives

III. Les panels citoyens

Cette recherche s’inscrit dans la lignée des outils de recueil de données qui utilisent la délibération comme moyen pour assurer la collecte d’opinions mieux informées. Cependant, notre dispositif méthodologique s’éloigne fortement des expériences décrites ci-dessus et singulièrement des sondages délibératifs. Tout d’abord, le coût d’un événement délibératif de grande envergure peut s’élever de plusieurs dizaines de milliers d’euros jusqu’à plus d’un million d’euros, selon l’ambition des organisateurs303. Le coût élevé

s’explique en partie par l’objectif quantitatif des inventeurs du sondage délibératif. Ils visent à « represent everyone in a given population, through a statistical microcosm empowered to think about the issues in question under favorable conditions »304 ; en d’autres mots, « a

Fondation Roi Baudouin et Vlaams Instituut voor Wetenschappelijk en Technologisch Aspectenonderzoek (viWTA), 2005), http ://www.viwta.be/files/Toolkit%20deliberative%20polling.pdf.

300 Voyez, par exemple, Vincent Price et Peter Neijens, « Deliberative Polls : Toward Improved Measures of

‘Informed’ Public Opinion? », International Journal of Public Opinion Research 10, n°2 (1998) ; Kasper M. Hansen et Vibeke Normann Andersen, « The Deliberative Poll : Opinion formation in the experimental context of Deliberative Polling », in Annual Meetings of the American Political Science Association (San Fransisco : 2001) ; Vibeke Normann Andersen et Kasper M. Hansen, « How deliberation makes better citizens : The Danish Deliberative Poll on the euro », European Journal of Political Research 46, n°4 (2007) ; Tomorrow’s Europe, « EU citizens accept need for pension form, resist enlargement : First EU-wide Deliberative Poll® reveals citizens’ considered preferences », (Bruxelles : 2007) ; EuroPolis, « More Informed Voters Select a Parliament in Unprecedented Experiment : Greens Make Dramatic Gains, Public Supports Action on Climate Change and Immigration », (Bruxelles : 2009).

301 Parmi les critiques, on consultera utilement : Norman L. Webb, « What, Really, Should We Think About

“The Deliberative Poll” », Public Perspective 5, n°5 (1994) ; Norman M. Bradburn, « How NORC Selected the Deliberative Poll’s Respondents », Public Perspective 7, n°1 (1996) ; Everett C. Ladd, « Fishkin’s ‘Deliberative Poll’ Is Flawed Science And Dubious Democracy », Public Perspective 7, n°1 (1996) ; Warren J. Mitofsky, « It’s Not Deliberative and It’s Not a Poll », Public Perspective 7, n°1 (1996) ; Frank Newport, « Why Do We Need a Deliberative Poll? », Public Perspective 7, n°1 (1996) ; Patrick Sturgis et al., « A different take on the deliberative poll », Public Opinion Quarterly 69, n°1 (2005). Les deux inventeurs ont, toutefois, répondu aux critiques qui leur étaient formulées : Fishkin et Luskin, « The Deliberative Poll : A Reply to Our Critics ».

302 Depuis la première expérience de sondage délibératif sur la politique criminelle à Manchester en 1994, de

nombreuses expériences ont été menées dans plusieurs pays et sur diverses thématiques. Parmi les expériences les plus récentes, on compte les premiers sondages délibératifs en Chine et en Hongrie ainsi que plusieurs expériences à l’échelle européenne. Pour un aperçu de ces sondages délibératifs, voyez le site : http ://cdd.stanford.edu/ (consulté le 10/02/2010).

303 Elliott. « Méthodes participatives. Un guide pour l’utilisateur. Deliberative Polling® ». 304 Fishkin, « Consulting the public through deliberative polling » : 128.

Deliberative Poll is designed to show what the public would think about the issues, if it thought more earnestly and had more information about them »305.

En contraste, le but de notre étude ne consiste pas à reproduire ce microcosme statistiquement représentatif ; il s’agit de mieux comprendre les perceptions et les préférences fédérales des citoyens ainsi que les relations entre elles, d’un point de vue qualitatif. Ainsi, en raison du coût et surtout d’un objectif scientifique différent, la méthode des panels citoyens développée dans le cadre de cette recherche se distingue largement des sondages délibératifs. Ensuite, comme l’étude repose sur une volonté comparative, un dispositif « exportable » et applicable dans les quatre terrains de la recherche était nécessaire. Enfin, et c’est un élément fondamental, les éventuels changements d’opinions ne constituent pas l’objectif principal de la recherche. En d’autres termes, la méthodologie mise en place n’a pas pour vocation première de susciter des évolutions chez les citoyens ; il s’agit plutôt de leur permettre de réfléchir sur ce sujet qui pourrait éventuellement conduire à certaines modifications d’opinions. Par conséquent, si l’analyse cherchera à éclairer ces évolutions au regard des données recueillies, elle ne pourra pas offrir des explications généralisables sur les raisons de celles-ci. L’accent porte donc sur la récolte de données mieux informées ; c’est dans cette perspective que les panels citoyens ont été organisés.

A. L’organisation

Les panels citoyens reposaient sur une organisation relativement lourde, tout en étant « exportable » dans les quatre terrains de la recherche. Celle-ci comportait trois volets principaux : le nombre et le recrutement des participants, le déroulement du panel, l’encadrement académique, technique et logistique. Ce canevas général a guidé l’organisation pratique de chaque panel en s’adaptant au contexte local et en faisant preuve d’une certaine dose d’imagination pour contourner les aléas de toute recherche de terrain en sciences sociales. À l’issue d’une vaste recension des expériences délibératives empiriques, David M. RYFE rappelle d’ailleurs que : « organizing deliberative initiatives […] is a daunting enterprise indeed »306.

1. Le nombre et le recrutement des participants

En termes d’effectif, l’objectif de chaque panel était de réunir une vingtaine de participants, formant un groupe le plus diversifié possible au regard des caractéristiques

305 Luskin et al., « Considered Opinions : Deliberative Polling in Britain » : 458. 306 Ryfe, « Does deliberative democracy work? » : 51.

sociodémographiques mais également des indicateurs politiques notamment l’intérêt politique et l’identification partisane et surtout des perceptions et préférences fédérales. Suivant les exigences classiques en recherche qualitative, le recrutement des participants visait ainsi à assurer la diversification et la saturation au sein du groupe-cible307. David M. RYFE indique que « [m]ost deliberative initiatives involve no more than 20–30 individuals talking directly to one another. […] [F]or the most part the practice of deliberation is constrained to relatively small groups »308. Compte tenu de ce petit nombre, l’analyse des données recueillies sera exclusivement qualitative – même si certains résultats seront parfois présentés sous forme de tableaux. Aucune volonté de généralisation statistique ne guide donc cette recherche. L’approche se veut qualitative et doit mener à la constitution d’idéaux types, comme nous l’expliquerons dans la troisième section de ce chapitre.

Quant au recrutement proprement dit, deux grandes options existent309, même si au final dans les deux cas le groupe réuni n’est jamais très grand310. Soit un recrutement direct

qui repose généralement sur la constitution d’un échantillon représentatif et aléatoire, mais dont le coût est élevé311. Soit un recrutement indirect qui passe par des annonces publiques et favorise un processus boule de neige. Cette option offre l’avantage d’être beaucoup moins coûteuse mais peut conduire à des groupes plus homogènes312. C’est pour ces raisons que, dans les quatre terrains de la recherche, nous avons recouru à des moyens directs et indirects de recrutement, sans volonté de constituer un échantillon représentatif et aléatoire313.

307 Alvaro Pires, « Échantillonnage et recherche qualitative : essai théorique et méthodologique », in La

recherche qualitative, Enjeux épistémologiques et méthodologiques, Jean Poupart et al. (dir.) (Montréal : Gaëtan Morin, 1997), 154-159.

308 Ryfe, « Does deliberative democracy work? » : 51.

309 Mark Button et Kevin Mattson, « Deliberative Democracy in Practice : Challenges and Prospects for Civic

Deliberation », Polity 31, n°4 (1999) ; David M. Ryfe, « The Practice of Deliberative Democracy : A Study of 16 Deliberative Organizations », Political Communication 19, n°3 (2002).

310 Ryfe, « Does deliberative democracy work? » : 51.

311 C’est la méthode employée par James S. FISHKIN que nous avons évoquée ci-dessus.

312 Or, selon certains auteurs, l’hétérogénéité d’un groupe favorise la délibération : Diana C. Mutz et Paul S.

Martin, « Facilitating Communication across Lines of Political Difference : The Role of Mass Media », The American Political Science Review 95, n°1 (2001).

313 De toute manière, dans la composition de petits groupes, une sélection aléatoire permet une plus grande

diversité mais n’assure pas la représentativité : John Burnheim, Is democracy possible? The alternative to electoral politics (Cambridge : Polity Press, 1985). Sébastien BRUNET et Pierre DELVENNE poussent même la réflexion plus loin sur ce sujet : « la représentativité des participants ne fait pas forcément l’unanimité, puisque finalement elle n’est que l’idée que l’on s’en fait et l’établissement de critères de représentativité relève forcément de l’arbitraire. La représentativité ne revêt pas la même signification dans les enquêtes fondées sur des entretiens que dans des enquêtes quantitatives, et ce pour deux raisons, l’une pratique et l’autre théorique. Il est tout d’abord impossible de prendre en compte toutes les variables sociographiques caractéristiques des individus, surtout lorsqu’on construit des groupes dont la taille est réduite. Ensuite, l’objectif n’est pas de reproduire à plus petite échelle la structure de la population entière, mais bien plutôt de tendre vers une diversification maximale du vivier afin d’optimiser la

Concrètement, cinq grands canaux ont été mobilisés. Premièrement, des invitations en format papier distribuées dans les boîtes aux lettres de plusieurs quartiers. Deuxièmement, des courriels envoyés aux associations ou groupes qu’ils soient engagés politiquement ou non (par exemple, les partis et autres mouvements politiques, les associations d’étudiants ou encore les associations sociales et culturelles locales). Troisièmement, les listes de diffusion de connaissances, d’associations ou de centres de recherches. Quatrièmement, des articles et des annonces dans les médias papiers (notamment des journaux régionaux et universitaires) et électroniques via les sites des universités où se déroulait le panel citoyen ainsi que des communiqués de presse. Cinquièmement, le bouche-à-oreille. Au total, pour chaque terrain, ce sont environ 2000 personnes qui ont été touchées par l’invitation sous une forme ou une autre. Enfin, la participation était volontaire et légèrement rémunérée dans certains cas (une indemnité de 10 dollars a été offerte à chaque participant aux deux panels canadiens afin de maximiser les chances de recrutement)314.

2. Le déroulement du panel

Chaque panel s’est ouvert par la passation d’un questionnaire écrit individuel d’une soixantaine de questions interrogeant principalement les participants sur leurs perceptions et préférences fédérales315. Une fois le questionnaire complété, les participants rejoignaient le groupe de discussions, identifié par une lettre, qui leur avait été assigné en début de panel. L’ensemble des participants au panel fut aléatoirement réparti en sous-groupes en essayant d’observer un double équilibre entre les groupes : entre les hommes et les femmes, d’une part, et entre les participants de moins de 30 ans et les participants de plus de trente ans, d’autre part316. Lors de cette première séance de discussions en focus groupes, en guise

d’introduction, les participants étaient invités à réaliser une carte du fédéralisme et à la

sélection des candidats et donc la probabilité d’obtenir des échantillons répondant aux exigences de départ et relativement similaires », Sébastien Brunet et Pierre Delvenne, « Politique et expertise d’usage en situation de haute incertitude scientifique : application de la méthodologie des Focus groups au risque électromagnétique », Cahiers de Sciences politiques de l’ULg, n°17 (2010), http ://popups.ulg.ac.be/csp/document.php?id=462.

314 D’une manière générale, recruter des citoyens pour de tels événements participatifs n’est guère aisé. Une

expérience récente menée par l’Institut du Nouveau Monde, mandaté par le Directeur général des élections du Québec – et disposant donc de moyens nettement plus importants – a connu certaines difficultés. En effet, un appel lancé auprès de 3400 citoyens inscrits sur la liste électorale du Québec et sélectionnés au hasard n’a permis de recueillir que 53 candidatures. Pour plus d’informations à ce sujet voyez la page Internet http ://www.inm.qc.ca/nos-actions-mainmenu-107/jury-citoyen/653.html (consultée le 22/03/2010).

315 Dans la section suivante, nous revenons plus longuement sur chacune des méthodes de collecte de

données.

316 Il s’agit donc de répartir l’ensemble des personnes de ces quatre sous-groupes (par exemple, les femmes de

présenter ensuite au reste du groupe. Sur cette base, l’animateur lançait les échanges autour des perceptions.

Entre ce premier temps en sous-groupes et le second317, les participants se sont

retrouvés en séance plénière pour écouter et échanger avec des experts du sujet318, dans un premier temps, et des personnalités politiques, dans un second temps. Concrètement, deux experts ont pris successivement la parole pour vingt minutes chacun. Le public a pu ensuite échanger avec les experts et réagir à leur intervention. Le déroulement fut identique avec les deux personnalités politiques : une présentation suivie d’une discussion avec l’assemblée319.

L’objectif de ces échanges entre les participants et les experts et les personnalités politiques n’était pas d’offrir une avenue pour un débat politique classique mais plutôt de constituer un forum d’informations – à la fois « objectives » de la part des experts et « subjectives » de la part des personnalités politiques – et d’interactions. Après cette double séance plénière, les citoyens, en focus groupes, ont discuté de leurs préférences pour l’avenir de leur pays, région et province. Enfin, un questionnaire quasi-identique à celui administré en début de journée fut distribué à la fin de la rencontre.

Entre la passation des deux questionnaires, le panel s’est articulé ainsi entre des moments en groupes de discussions et des séances plénières avec des experts et des personnalités politiques. Au total, les participants ont discuté et réfléchi sur des thèmes liés au fédéralisme pendant plus de quatre heures. Cette organisation reposait donc sur plusieurs méthodes de recueil de données qui se complètent, d’autant plus qu’elles sont reliées pour chaque participant. En effet, puisque chaque participant a reçu un code qui l’anonymise (par exemple, A1 ou W4), on peut suivre ses réponses aux deux questionnaires et les relier avec sa carte du fédéralisme et ses interventions tout au long de la journée. La combinaison de ces différents types de données offre ainsi une forte triangulation qui

317 À Liège, il y a eu quatre temps de discussions en focus groupes. Dans le chapitre suivant qui traite des

résultats du panel belge francophone, le déroulement de la rencontre est présenté en détails.

318 Par expert, nous entendons toute personne reconnue pour sa connaissance du fédéralisme dans le terrain

étudié ; cette personne peut être, entre autres et d’une manière non exhaustive, un professeur (de sciences politiques, de droit, d’économie, de sociologie, etc.) ou un observateur de la vie politique (journaliste de presse écrite, télévisée ou radiophonique, un chroniqueur, etc.), par exemple.

319 Parfois les organisateurs d’expériences délibératives préfèrent ne pas associer de personnalités politiques

aux discussions. Amy LANG commente ainsi les conséquences d’un tel choix dans le cadre de la British Columbia Citizens’ Assembly on Electoral Reform : « [t]he clear exclusion of political actors may have heightened pre-existing antiparty or antipolitician sentiment that Assembly members brought into the process with them and may have contributed to the development of an us-them sentiment that is a common part of forming a collective identity. It is unlikely that dialogue with political actors would have changed the Assembly members’ final decision, but the explicit consideration of the point of view of political actors was built out of the process », Lang, « But Is It for Real? The British Columbia Citizens’ Assembly as a Model of State- Sponsored Citizen Empowerment » : 60-61.

permet de mieux comprendre les liens entre les perceptions et les préférences fédérales des citoyens.

3. L’encadrement académique, technique et logistique

L’organisation d’un tel événement délibératif nécessitait, outre la présence de participants, d’experts et de personnalités politiques, un encadrement académique, technique et logistique. Le déroulement de l’ensemble du panel a suivi un protocole de recherche fort détaillé et préalablement défini et communiqué aux personnes qui constituaient l’encadrement académique (principalement les animateurs et observateurs des groupes de discussions). Ce protocole – que l’on trouvera en annexe – permettait d’assurer le bon fonctionnement de la rencontre mais également, d’un point de vue scientifique, une récolte la plus uniforme et valide possible des données. En effet, celui-ci précisait comment les échanges devaient se dérouler, notamment dans les focus groupes, et quelles thématiques, sous quel angle, devaient être discutées et à quel moment de la rencontre. En outre, l’application d’un protocole similaire dans les quatre terrains de la recherche assurait la comparabilité des données, tout en prévoyant certaines adaptations au contexte local.

À côté de cet encadrement académique, un encadrement technique a été prévu. Il reposait, quant à lui, principalement sur les moyens d’enregistrement des discussions en petits groupes et en séances plénières. Pour chaque enregistrement, un double système fut mis en place afin qu’un moyen de sauvegarde accompagne toujours le dispositif d’enregistrement principal. Les discussions constituant une source d’informations majeures de la recherche, il s’agissait d’éviter de les perdre. Enfin, un encadrement logistique complétait l’organisation pratique des panels. Celui-ci couvrait l’accueil des participants, la répartition de ceux-ci en sous-groupes, la gestion du bon déroulement de la rencontre en général ainsi que le service des boissons et du repas.

Après avoir exposé l’organisation et le déroulement des panels citoyens, il est une triple démarche importante à accomplir avant d’aborder les résultats concrets de la recherche dans les prochains chapitres : expliciter les différentes méthodes de collecte de données, le traitement des données recueillies ainsi que les limites du dispositif de recherche.

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