Les fosses sépulcrales

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ARCHÉOLOGIQUE DU XIII e AU XVIII e SIÈCLE

4.1 Le monde des morts et son évolution

4.1.2 Architectures des tombes

4.1.2.2 Les fosses sépulcrales

La forme des fosses

Si les tombes sont largement individuelles, la forme des fosses pour les 381 d’entre elles qui ont pu être déterminées est variable : 293 sont rectangulaires (76,9 % des formes déterminées), 62 oblongues (6,3 %) et 26 trapézoïdales (6,8 %) (annexe 3.2). L’iconographie représente davantage des tombes ovales au XIVe siècle alors qu’elles semblent systématiquement rectangulaires à partir du XVe siècle (Alexandre-Bidon 1996, 85). Les observations réalisées au couvent, sans être statistiquement significatives, semblent plutôt confirmer cette homogénéisation des structures où 79,5 % de fosses déterminées sont rectangulaires à la phase 3 alors qu’elles ne sont que 70 et 69,9 % aux phases précédentes57. Les fosses de la dernière période et du groupe A sont moins bien restituées (61 % pour la phase 3 et 56,7 % pour le groupe A), sans doute à causes des recoupements plus nombreux entre sépultures. Si les fosses du groupe A sont significativement moins rectangulaires que celle du groupe B58 (fig. 61), c’est sans doute à cause des formes trapézoïdales qui peuvent être considérées comme une variante de ces mêmes formes.

Figure 61 : Distribution en nombre des formes de fosse selon leur phase et leur groupe et lien significatif en rouge.

57 La différence entre les phases 2 et 3 est seulement significative au seuil p = 0,4865 (khi² d’indépendance = 0,4842).

58 Différence entre les groupes A (139/319) et B (114/188) est significative au seuil p = 0,0346 (khi² d’indépendance = 4,4865).

~ 113 ~ La profondeur des fosses

Les niveaux de sols ont pu être exclusivement restitués pour les zones funéraires situées à l’intérieur des bâtiments conventuels grâce à la conservation des élévations. Ils permettent d’appréhender la profondeur des fosses dans le but de voir si les gabarits sont conformes aux standards mentionnés dans les textes, plutôt « très longue et très profonde » (Chiffoleau 2011). L’évêque de Saint-Malo puis d’Angers, Guillaume Ruzé (†1587) recommande au synode de 1586 une profondeur de 4 pieds (1,30 m) et, deux siècles plus tard, le Parlement en impose 6 (soit 1,95 m) (cité dans Prigent, Hunot 1996, 79). Ces objectifs ne semblent pourtant que rarement atteints dans la réalité : la profondeur moyenne des fosses calculées (474 données) est de moins de 3,5 pieds (1,08 m) sur l’ensemble du couvent des Jacobins (annexe 3.3)59. Les fosses les moins profondes ont été retrouvées dans la chapelle Saint-Joseph, puis par ordre ascendant de profondeur : le chœur de l’église, la salle du chapitre, la chapelle Notre-Dame et la nef de l’église60 (fig. 62).

La très grande majorité des fosses est creusée entre 2 et 4 pieds (0,65 m à 1,30 m) (fig. 63). Certains secteurs présentent un profil de fosses plus standardisé que dans d’autres. Ainsi dans la chapelle Notre-Dame, 62 % des fosses mesurent entre 0,90 et 1,10 m de profondeur, plus 58 % des fosses de la chapelle Saint-Joseph font entre 0,80 et 0,99 m. Dans la nef de l’église, où elles sont le plus profondes, 37 % d’entre elles mesurent entre 1,20 et 1,39 m. C’est dans la salle capitulaire que les creusements sont les plus homogènes où près de 80 % des fosses sont comprises entre 0,80 et 1,19 m. Le chœur de l’église présente

Figure 62 : Boites de dispersion des profondeurs de fosses et liens statistiques significatifs selon les sexes, les groupes, les phases et les secteurs de fouille (en rouge). En grisé, médiane générale (pointillés) et variance à plus ou moins 1 quartile près (50 %).

59 La distribution des profondeurs de fosse suit une Loi normale (Test de Shapiro : W = 0,9327, p = 8,795e-14).

60 Différences significatives entre les cinq secteurs de fouilles au seuil p < 2e-16 (ANOVA).

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par contre une très grande variété de creusements. In fine, seuls 15 % des fosses offrent une profondeur supérieure à 4 pieds (1,30 m). Les sépultures les plus profondes (supérieures à 2 m) proviennent d’un caveau de la chapelle Notre-Dame (sépulture 288). Cela correspond aux observations réalisées sur la collégiale de Saint-Martin d’Angers (Maine-et-Loire) où peu de sépultures se caractérisent par une profondeur réelle de 4 pieds et celles de l’abbatiale de Fontevraud (Maine-et-Loire) sont un peu plus profondes avec une moyenne autour de 4 pieds sous le niveau de sol moderne avec peu de sépultures d’enfants recensées (Prigent, Hunot 1996, 79).

Les sépultures de moindre profondeur61, inférieures à 50 cm, ne sont pas nécessairement liées à un âge au décès plus jeune de leurs occupants puisqu’une seule de ces tombes (sépulture 233) correspond à un bébé décédé avant un an. Les trois autres inhumations proviennent cependant soit d’enfeu (sépultures 182 et 1326) ou de leur proximité immédiate (sépulture 1002). Les critères architecturaux environnants ne sont pas à négliger dans la construction de la tombe par les fossoyeurs. La profondeur des fosses sépulcrales des six bébés de moins d’un an, recensées sur l’intégralité de la fouille, est comprise entre 0,48 m et 1,09 m avec une moyenne autour de 0,73 m. Les profondeurs des fosses des sujets de moins de 20 ans (moyenne

= 1,01 m) sont quand même significativement inférieures à la moyenne générale (1,08 m) observée sur le site62. Les femmes sont significativement inhumées moins profondément que leurs homologues masculins63. Les sujets du groupe B (ici exclusivement B’) présentent au contraire les fosses les plus profondes64 (fig. 62).

Figure 63 : Distribution en nombre des sujets selon la profondeur de leurs fosses sépulcrales et selon le secteur d’inhumation.

61 Il s’agit des sépultures 182 (19 cm de profondeur), 1002 (40 cm), 1326 (46 cm) et 233 (48 cm) par ordre croissant des profondeurs.

62 Différences significatives entre les sépultures de moins de 20 ans et les autres au seuil p = 0,0136 (ANOVA).

63 Différences significatives entre les hommes et les femmes au seuil p = 0,0115 (test de Tukey HSD).

64 Différences significatives entre A et B au seuil p < 1e-7 et entre B et C au seuil p = 1,19e-4 (tests de Tukey HSD).

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Selon Danièle Alexandre-Bidon, les représentations iconographiques de fosses sépulcrales ne reflètent généralement pas la réalité et figurent souvent des tombes superficielles, pour des raisons graphiques et esthétiques qui permettent à la fois d'observer le corps mort et les vivants participants ou assistants à la scène de l'enterrement (Alexandre-Bidon, 1996 ; 85). Il existe pourtant bien des images où ces mises en scène suggèrent une variété des pratiques, que l'archéologie confirme, avec des creusements de tombes qui ne semblent pas spécialement standardisés ni répondre aux impératifs administratifs ou religieux. Ainsi certaines tombes sont représentées peu profondes (entre 2 et 3 pieds) (fig. 64/A) contrairement à d’autres où seules les épaules du fossoyeur apparaissent, déterminant une estimation de la profondeur autour de 4,5 à 5 pieds (fig. 64/B). Ces variations sont conformes aux observations effectuées sur les tombes du couvent des Jacobins.

Figure 64 : Représentation du creusement de fosses sépulcrales (A) et d'une mise en terre (B) ; A : E. Witte, Interior of the Nieuwe Kerk, Amsterdam, 1677, huile sur toile 116,9 x 127,6 cm, détail, Museum of the fine arts, Boston. B : Heures, XVe s., Lyon BM, MS 5145 F°119, détail publié dans Alexandre-Bidon 1996, p. 86.

L’orientation

Les sépultures dans leur quasi totalité sont orientées ouest/est (n=578/605 soit 95,5 %65). Cette standardisation de l’orientation des tombes s’accentue au cours du temps, de 75 % des effectifs à la phase 1 à plus de 97 % à la dernière période (tab. 12). Cette orientation préférentielle concerne tous les groupes

65 L’orientation des sépultures est bien évidemment significative par rapport à une répartition aléatoire et résulte bien d’un choix des opérants, p < 2,2e-16 (khi² de conformité = 3262,7).

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dans des proportions identiques : 96,5 % des effectifs du groupe A, 94 % du groupe B, 95 % pour les C et 93 % pour les D. Les positions déviantes concernent majoritairement : 1) des variations de l’orientation préférentielle, avec 9 sujets inhumés la tête au sud-ouest et 2) des positions inversées avec 9 sujets inhumés la tête à l’est. Trois de ces derniers, issus de la phase 1, proviennent de sépultures multiples où le caractère collectif de la tombe et le manque d’espace (profondeur) a possiblement contraint cette disposition particulière des corps, les 6 autres cas appartiennent à la phase 3. La moitié de ces derniers proviennent de la salle capitulaire (groupe C) permettant de proposer un statut ecclésiastique privilégié pour ces défunts, comme celles de prêtres (Bourry et al. 1991, 108 ; Langlois, Gallien 2004, 213 ; Hunot, Prigent 2012, 186). À partir du XVIIe siècle, les exemples où les prêtres sont orientés vers l’assemblée des fidèles se multiplient comme c’est le cas en Anjou dans la cathédrale Saint-Martin d’Angers, l’abbaye de Fontevraud ou l’église rurale de Brain-sur-l’Authion (Prigent, Hunot 1996, 79). Il est possible que la sépulture « inversée » provenant de la chapelle Saint-Joseph concerne un personnage ayant le même statut. Par contre, les 2 derniers sujets sont très partiellement conservés (les pieds pour l’un et le tronçon médian d’un squelette en connexion pour l’autre). L’orientation observée révèle peut-être plus une gestion de restes déshumanisés par les frères dominicains, liée à des contraintes d’inhumations trop rapprochées dans le temps. Le qualificatif « secondaire » de ces inhumations, impliquant une décomposition de l’individu dans un autre lieu, pourrait dans ce cas être retenu.

Orientation Phase 1 Phase 2 Phase 3 A B C D Total

Tableau 12 : Répartition des sujets selon l’orientation de leur sépulture (tête / pieds) en fonction de leur phase et de leur groupe.

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