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Les déterminants de la cohabitation dans la littérature

Chapitre II: Structures des ménages de l’observatoire d’Ambohimahasoa

I- Les déterminants de la cohabitation dans la littérature

Dans la littérature, la cohabitation renvoie à une analyse des relations entre le bien-être et le mariage. A la suite des travaux de Becker (1974) sur la théorie microéconomique du mariage, l’indisponibilité de certains « biens » sur le marché tels que les enfants, ou « la compagnie » poussent les personnes à cohabiter. Ainsi, la cohabitation entre dans une analyse de maximisation du bien-être et de l’utilité selon un calcul coût/avantage. Un homme et une femme cherchent à travers le mariage un meilleur équilibre entre les avantages et les inconvénients qu’ils auraient par rapport à leur situation s’ils demeuraient seuls.

1-Les avantages et les inconvénients de la cohabitation

Les avantages de la cohabitation sont à la fois d’ordre social et économique. Elle permet de profiter de la compagnie des autres et de bénéficier de leur soutien dans les différentes activités économiques et domestiques. Mais si la cohabitation peut constituer une source de solidarité entre les différents membres, des tensions et des conflits peuvent en émerger.

1.1-La recherche de la compagnie et les avantages qui sont liés

La recherche de la compagnie constitue la première motivation à la vie commune dans un ménage. La cohabitation avec la famille permet de produire des biens domestiques spécifiques aux ménages à l’origine de l’accroissement de la productivité. Ainsi pour Lafèrere (1997) l’affection et le soutien moral améliorent l’efficacité productive d’un individu ; pour Weiss (1997), la compagnie permet de bénéficier des services domestiques des autres membres grâce à la division des tâches.

76 Pour Becker (1974), elle permet de réaliser une économie à travers la spécialisation et le partage des biens collectifs. Ces derniers sont des biens qui peuvent être consommés par plusieurs personnes en même temps. C’est le cas par exemple, des meubles, de l’énergie et du logement. La cohabitation permet donc à un individu en besoin d’assistance d’avoir à sa disposition ces biens collectifs. La spécialisation peut consister pour le couple à se consacrer totalement à une activité rémunérée, pour celui qui a un salaire élevé, et à s’occuper du travail domestique pour celui qui gagne le moins. Nous verrons plus en détail cette théorie dans le chapitre V sur l’organisation familiale des activités.

1.2-La cohabitation : une assurance contre les risques

La cohabitation permet aux individus de s’assurer contre différents risques, comme la maladie ou la perte de revenu. Elle constitue également une assurance vieillesse, plus précisément, une prise en charge sous forme de crédit entre les générations.

Lorsqu’un individu est malade, la cohabitation donne une possibilité d’assurer la subsistance par le travail d’un autre membre du ménage (Weiss, 1997). En outre, elle permet une diversification des activités et des sources de revenu pour chaque actif du ménage. A Ambohimahasoa, par exemple, comme nous le verrons dans le troisième chapitre, la diversification des activités chez les paysans permet à un membre du ménage de travailler dans un secteur où les revenus sont incertains mais les gains escomptés sont élevés, par exemple en partant en migration temporaire de travail, et à un autre d’exercer une activité à faible revenu mais dont les risques sont moindres.

La cohabitation en tant que forme de crédit est mise en œuvre à deux moments de la vie : de la petite enfance à l’âge adulte et durant la période de la vieillesse.

Lorsque l’enfant n’a pas encore acquis suffisamment de capital (physique, économique, social, etc.), il demeure chez ses parents pour assurer la continuité de sa formation ou devenir aide familial. C’est le cas, par exemple, des jeunes enfants de 15-19 ans de l’observatoire d’Ambohimahasoa qui ont quitté tôt l’école mais qui restent chez leurs parents jusqu’au jour où ils se marient et reçoivent un lopin de terre.

Dans les centres urbains, il arrive que la cohabitation entre parents et enfants adultes soit également prolongée. Le recul de l’âge au premier mariage et la difficulté à trouver un emploi constituent les principales raisons. Il existe également des cas où les enfants exercent une

77 activité économique mais restent encore chez leurs parents pour bénéficier du logement et d’autres avantages matériels tout en prenant part à la prise en charge des parents.

A la fin de la vie active, généralement, les personnes âgées ne peuvent plus travailler et ne disposent pas de ressources suffisantes pour subvenir à leurs besoins. Les Etudes de Rein et Turner (1999) montrent que la cohabitation constitue une forme essentielle d’assistance aux personnes âgées dans les sociétés du Sud. Même dans les pays développés, la cohabitation comme assistance aux personnes âgées est importante. Par exemple, Rendall et Speare (1995) montrent qu’aux Etats-Unis, le taux de pauvreté des personnes âgées diminue de 42% grâce à la cohabitation avec d’autres membres de la famille.

1.3-Les inconvénients de la cohabitation

La vie en commun provoque une baisse de l’intimité et de l’indépendance des individus. En effet, les individus sont soumis à des règles, des contraintes et des obligations qui limitent la pratique de certaines activités. Comme il est généralement admis qu’un ménage a un chef qui a autorité sur les autres membres (modèle unitaire), des différends peuvent émerger de chaque individu. Des tensions peuvent donc régner dans le ménage et les effets psychologiques comme le stress peuvent entraîner une baisse de la productivité des membres.

Le concept de modèle collectif essaye de solutionner les divergences de préférences et de contraintes, sources des différends. Pour cela, le chef de ménage permet aux autres membres de prendre part à la prise de décision : « Dans ce cadre, les pouvoirs économiques et affectifs des individus prennent une place importante dans les négociations » (Eckhardt, 2002).

1.4-La cohabitation dans la culture malgache

«De nos jours, l’adage « ny havan-tiana tsy iaraha-monina », signifiant qu’on ne doit pas habiter sous le même toit que des parents (ou amis) qu’on aime, est encore fréquemment utilisé dans les conversations quotidiennes. Bien entendu, ce n’est pas la cohabitation avec son conjoint ou ses jeunes enfants qui est déconseillée, mais celle avec la parentèle plus éloignée, par exemple les frères et les sœurs ou encore la belle-famille. Il semble qu’à travers cet adage, la sagesse populaire cherche justement à prévenir les difficultés engendrées par la cohabitation : les différences d’habitudes ou de personnalité qui, du fait de la proximité physique ou de l’obligation de partage, peuvent devenir des sources de conflits, ce qu’on évite d’avoir avec des parents qu’on aime. Les normes sociales à Madagascar semblent notamment insister sur l’importance, pour les couples, de s’installer dans un logement indépendant de celui de leurs

78 parents. Dans la région d’Antananarivo, l’équivalent en langue malgache du mariage est

« manorin-tokantrano », « littéralement créer son propre foyer » (Razafindratsima, 2005b, p.89-90).

Dans la culture malgache, la cohabitation constitue une marque de l’unité familiale. Mais dans la pratique, il est difficile d’éviter les conflits. Ainsi chaque couple est appelé à avoir son propre foyer. Cette situation ne supprime cependant pas l’unité familiale. En effet, les ménages unis par des liens familiaux forment un réseau de solidarité grâce auquel chacun peut compter sur le soutien des autres. Des mécanismes de solidarités et même des principes et des règles de conduites sont donc instaurés. Ne pas s’y conformer revient à renoncer au réseau et à briser l’unité familiale.

Beaucoup d’adages et de proverbes traitent les questions liées à la famille et aux relations familiales. Ces derniers montrent à la fois les avantages et les inconvénients de la cohabitation.

Ils distinguent aussi ce qu’il faut faire ou ne pas faire pour garder de bonnes relations. Les quelques exemples suivant montrent bien ces contrastes :

A propos de la cohabitation, en général, on en dit du bien : « izay iray vatsy, iray aina » ou

« ceux qui partagent le même revenu partagent la même vie » et « Izay iray trano, iray dinidinika » ou littéralement « ceux qui sont sous le même toit ont les mêmes affaires ». La cohabitation avec la famille offre donc le soutien de chacun des membres. Les individus qui vivent sous le même toit partagent les mêmes soucis. Mais d’un autre coté, comme énoncé ci-dessus, on dit que « ny havan-tiana tsy iaraha-monina », c’est-à-dire que « l’on ne doit pas habiter pas avec ceux que l’on aime », cela dans un objectif d’éviter les conflits.

Créer son propre foyer ne signifie cependant pas s’isoler. Un autre proverbe mentionne que

« Aleo miady toy izay mankany Ankaratra tsy misy olona » ou « il vaut mieux se disputer avec les gens que de partir dans l’Ankaratra où il n’y a personne ». Ainsi, ce qu’il faut faire c’est d’entretenir de bonnes relations avec sa famille à travers l’application des règles, des conventions entre les différents réseaux de solidarité. Par exemple, on dit que « Ny hava-tiana tsy mahalavi-tany » ou « pour ceux que l’on aime, on ne se trouve jamais loin ». On n’est jamais loin pour l’entraide agricole, pour les visites de solidarité après un décès ou pour les diverses cérémonies. Ne pas se prêter à ces règles implique des sanctions. Pour les règles du don/contre-don, si un individu ne les respecte pas, le lien social est rompu par les autres.

Chez les couples, la cohabitation avec un enfant qui est marié est souvent caricaturée par les mauvaises relations qu’entretiennent les gendres ou brus et les beaux- parents : « sakafo

omen-79 drafozana, manta tsy omby vilany, masaka tsy lany » qui signifie « la nourriture donnée par les beaux-parents, si elle est crue, aucune marmite n’est assez grande pour la mettre, si elle est cuite, on n’en vient pas à bout (car elle est tellement mauvaise) ». Mais un autre proverbe dit également que « raha tiana ny vady, ny rafozana tsinjovi-mandeha » ou si « l’on aime son conjoint, on prend soin de ses beaux-parents ».

Tous ces proverbes font référence à l’importance de bien garder les relations sociales, qui comme nous l’avons vu dans le cadre théorique, constituent en l’absence ou défaillance du marché de l’assurance et de crédit, le meilleur réseau de solidarité pour s’assurer contre les risques et les aléas de la vie.

Ainsi, traditionnellement, un Malgache ne quittera sa famille que pour fonder la sienne et généralement, pour favoriser l’aide de proximité, les enfants mariés s’installent ou construisent leur maison sur la terre de leurs parents, à coté de leur domicile (Ottino, 1998).

2-Méthodologie d’analyse

Le module Ménage a été le principal fichier de travail. Les diverses caractéristiques du chef de ménage ont permis de construire la typologie de ménages. D’autres modules tels l’« activité principale 11» et les « activités secondaires »12 ont été utilisés pour la création des variables économiques telles que le statut économique, la superficie rizicole exploitée, etc.

Les indicateurs démographiques liés au chef de ménage :

- Le sexe : permet de distinguer si le chef de ménage est un homme ou une femme - L’âge : détermine l’âge du chef de ménage

- La situation matrimoniale du chef de ménage, avec les modalités suivantes : o Célibataire

o En union : marié(e) de manière traditionnelle, union libre, marié civilement o Divorcé(e), séparé(e)

o Veuf/veuve

- Le niveau de scolarisation du chef de ménage, avec les modalités suivantes :

o N’ont pas été à l’école : pour les chefs de ménage qui n’ont pas fréquenté l’école ;

o Préscolaire : pour ceux qui ont été à l’école mais se sont arrêtés en maternelle

11 La première occupation économique de l’individu.

12 Les autres activités économiques pratiquées par l’individu en dehors de l’activité principale.

80 o Primaire : pour les chefs de ménage qui ont fait le niveau primaire (de la classe

de 12ème à la classe de 7ème)

o Secondaire 1er cycle: pour les chefs de ménage qui ont atteint le niveau secondaire (6ème – 3ème);

o Secondaire 2ème cycle : pour les chefs de ménage qui ont fait le lycée (de la classe de 2nde à la terminale)

o Etudes universitaires

Pour chaque cycle, la possession d’un diplôme distingue les individus qui ont fini les différents cycles avec succès.

Les autres indicateurs

- Le lien de parenté avec le chef de ménage (les différentes modalités seront présentées dans l’élaboration de la structure des ménages)

- Les ratios de dépendance économique et démographique (RDE et RDD)

II- Analyse de la structure familiale des ménages de l’observatoire d’Ambohimahasoa