• Aucun résultat trouvé

4. Le processus en jeu dans la compréhension de l’oral et de l’écrit

2.2. La lecture émergente

En ce qui concerne la progression de l’apprentissage de la langue écrite, les stratégies de lecture ont été conceptualisées par Elster (1994) dans son article: « Patterns within

preschoolers’ emergent reading ». L’article de cet auteur étant rédigé en anglais, nous nous sommes appuyées sur la synthèse réalisée par Berthoud & Landry (2004) dans leur mémoire de licence intitulé : Micro-analyses en lecture et en écriture émergentes dans une famille.

La recherche menée par Elster porte sur la lecture émergente, d’un enfant en âge préscolaire à un adulte. Elle explicite les débuts du processus d’apprentissage de la lecture bien avant l’entrée à l’école. Selon Elster, l’école ne tient pas compte de ces débuts de compréhension et d’interprétation de la lecture. En effet, il considère que l’école amène l’enfant à se centrer sur quelques éléments techniques de la lecture, tels que la reconnaissance des lettres. C’est ce qui amène l’enfant à dissocier l’apprentissage de la lecture de la signification de l’écrit.

Afin d’étayer ses propos, il fait appel à plusieurs études qui ont montré que les jeunes enfants, dans les moments de lecture émergente, adoptaient des pratiques de lecteurs, comme par exemple de tourner la page ou encore d’être attentif aux images et aux textes.

Ces imitations d’habitus de lecteur expert sont adoptées par les enfants bien avant qu’ils ne connaissent le code alphabétique.

Grâce à la lecture émergente, les enfants construisent et développent leurs connaissances sur la lecture. Pour ce faire, ils développent différentes stratégies. Ce répertoire de stratégies est utilisé comme une source. Ils choisissent la (les) mieux adaptée(s) à la situation qu’ils rencontrent. Au fur et à mesure de leur progression dans ce domaine, ils délaissent les stratégies les plus « primaires » pour en adopter de plus adéquates et complexes.

Elster va s’intéresser aux stratégies développées par les enfants en lecture émergente et faire une microanalyse des séances de lecture émergente. Pour cela, il va dans les détails, travaille sur les variabilités inter et intra individuelles et sur les stratégies adoptées, qu’elles soient dominantes ou non. Dans sa recherche, Elster prend également en compte le livre

Elster (1994) a constaté que les enfants en âge préscolaire accordent peu d’attention à l’écrit en lui-même, tout en utilisant tout un panel de stratégies de lecture. En effet, ils emploient une variété de stratégies de lecture et de parole en parallèle. Puis, lorsqu’une nouvelle stratégie apparaît, les enfants n’abandonnent pas les stratégies plus anciennes mais les ajoutent à leur répertoire.

Dans ses constats, Elster (1994) s’est aperçu que les enfants possèdent toujours une ou plusieurs stratégies dominantes. Si une nouvelle stratégie pose trop de problèmes, ils pourront momentanément retourner à une stratégie utilisée antérieurement moins

« évoluée ». C’est ce que Saada-Robert et al., (2003) nomment « une pseudo-régression ».

La lecture émergente est un processus dynamique, qui est en continuelle adaptation et qui évolue en parallèle avec les stratégies utilisées par les enfants « lecteurs ». Pour s’aider lors de la lecture, les enfants ont recours à diverses techniques. Par exemple : ils se souviennent des séquences d’épisodes d’un texte pour lequel ils ont recours à des indices visuels (les images) et à d’autres indices, non visuels ceux-ci (la mémoire). Elster (1994) constate que plus un texte est narratif, plus les enfants ont recours à des stratégies différentes.

Sur cette base, Elster (1994) a établi une liste de types de stratégies, pour certains subdivisés en différentes sortes de stratégies.

1) Le premier type est la conversation non narrative. Ce type est subdivisé en trois sortes de stratégie :

• celle du commentaire : l’enfant regarde le dessin, n’utilise pas de verbe et ne fait pas de phrases complètes,

• celle du suivi de l’action : l’enfant regarde le dessin et le décrit,

• celle du dialogue oral : l’enfant parle avec l’adulte et lui pose des questions.

2) Le deuxième type est le langage oral narratif : l’enfant raconte l’histoire de façon unifiée en utilisant son propre langage.

3) Le troisième type est l’écrit de genre narratif. Ce type est subdivisé en deux sortes de stratégies :

• celle où l’enfant raconte l’histoire avec ses mots à lui, tout en utilisant des formules types de narration écrite comme par exemple les

conjonctions causales, les temps du passé, etc. La « lecture » de l’enfant ressemble à une histoire écrite, sans pour autant qu’il reprenne le langage exact du texte,

• celle où l’enfant raconte l’histoire en utilisant un langage proche du texte ou même le langage exact du texte.

4) Le quatrième type est la conscience des imprimés : l’enfant fait attention au texte écrit, demande à l’adulte de lui expliquer ce que cela veut dire, etc.

5) Le dernier type de stratégie regroupe les autres catégories :

• lorsque l’enfant refuse de lire (évoquant le fait qu’il ne sait pas comment faire ou qu’il ne se souvient pas de cette partie, etc.),

• puis, lorsque l’enfant fait des commentaires métalinguistiques (il parle du livre, de l’acte de lire, etc.),

• enfin, lorsque l’enfant lit ou commente de façon inaudible pour le chercheur.

Elster (1994) tire différentes conclusions de cette étude : la lecture émergente utilise un processus qui combine des séquences de lecture et de dialogue. Ces séquences utilisent un certain nombre de stratégies de lecture et de stratégies discursives. Dans la lecture émergente, l’enfant a recours à des indices visuels et non visuels. Il intègre aussi des éléments qui sont propres à la lecture, comme les hypothèses, le recours à la mémoire, l’interaction avec l’adulte. Ces processus, et donc l’emploi des stratégies, sont dépendants de certains facteurs, tels que le livre (le genre de texte, la correspondance entre les images et le texte), l’environnement, la mémoire de l’enfant, ses expériences, ses connaissances de base et aussi la place sociale qu’occupe l’écrit. Au fur et à mesure de son avancement dans ce processus, l’enfant maîtrise et utilise de plus en plus de stratégies variées.

La recherche d’Elster (1994) a été revisitée dans le cadre de la recherche « lecture/écriture

Tableau 1 : Liste des stratégies de lecture émergente repris de Saada-Robert et al., (2005, p.70)

EDI

Enonciation descriptive non narrative basée sur l’image (éléments de l’image, mention des actions).

ENS

Enonciation narrative respectant le sens de l’histoire (superstructure) sans respecter la structure syntaxique. Le contenu de l’énoncé peut se référer à l’image et non au texte. Certaines unités de sens peuvent être ajoutées ou supprimées.

EPV

Enonciation pseudo-verbatim respectant la structure syntaxique avec un lexique synonyme et/ou des mots-clés du texte. Toutes les unités de sens sont présentes.

EVE

Enonciation verbatim : l’enfant répète mot à mot un passage du texte mémorisé (+/- 1 mot).

(De même que pour EPV, mais dans une plus large mesure pour EVE, l’enfant « récite » de mémoire en s’aidant de l’image comme indice d’activation.)

EMO

Enonciation basée sur le traitement des mots (indices sublexicaux, essai de décodage, tentative de lecture).

ELM

Enonciation guidée par la lecture (identification rapide) de quelques mots. (Dans cette liste, ELM a un statut particulier dans la mesure où elle est peu utilisée par les enfants de l’âge étudié.)

EGN

Enoncés hors textuels en lien avec la gestion de la narration.