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Le voyage pathologique et le voyage pathogène

PARTIE I : APPROCHE CONCEPTUELLE DES NOTIONS D’IDENTITE, DE VOYAGE ET DE LIEU

CHAPITRE 3 : PERSPECTIVES POUR L’AN PROCHAIN

I. Le voyage pathologique et le voyage pathogène

REGIS AIRAULT était psychiatre au consulat de Bombay pendant quelques années, chargé de diagnostiquer et rapatrier les français qui se seraient égarés sur les terres indiennes. Dans son ouvrage Fous de l’Inde il décrit son expérience face à ces « voyageurs fous ». Il établit deux catégories de voyageurs fous (2000, p.20) : ceux pour qui le voyage est pathologique et ceux pour qui le voyage est pathogène.

1. Le voyage pathologique

L’adjectif « pathologique » renvoie directement à la définition suivante « Qui a trait à la maladie, qui est dû à une maladie. »40. Il y a donc un lien entre la pathologie et le voyage qui est fait par REGIS AIRAULT, et il décrit les personnes qui en font l’expérience comme des

voyageurs fous qui se rendent en Inde. C’est donc le voyage pathologique car le voyageur

aurait déjà une prédisposition à la pathologie avant son départ, mais dans la sécurité et stabilité de son environnement il ne s’en était peut-être pas rendu compte et la pathologie qui ne s’était pas encore manifestée. Une fois sur place, le vécu de déréalisation est tel et met le voyageur face à une réalité tellement différente qu’elle déclenche chez lui le réveil de ses pathologies qu’il avait jusque-là réussi à camoufler dans sa vie quotidienne.

40 Définition du Larousse en ligne disponible sous le lien suivant :

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HELOISE BLANCHE, une doctorante en médecine s’est intéressée à ce qu’elle appelle la psychopathologie du voyage à savoir : « L’étude des troubles psychiques nécessitant des soins chez une personne éloignée de son lieu de vie habituel » (2016, p.20). Elle rejoint AIRAULT en parlant du voyage comme symptôme et précise que parmi les personnes atteintes d’une certaine pathologie certains l’exprimerons en voyageant. Elle nous rappelle également que le voyage serait comme une mise à l’épreuve pour le psychisme d’un individu :

« Mais au-delà de ces motivations conscientes, le voyage, loin de mettre « en jachère » le psychisme du voyageur par la diversion du quotidien, supposerait plutôt une mise en travail psychique de l’individu en situation de voyage. » (2016, p.24)

Ainsi elle met en évidence que l’individu se retrouvant dans une situation incertaine et parfois inconfortable est en quête d’expérience forte à une volonté inconsciente de s’aborder de manière différente. La modification de l’environnement serait en fait vectrice d’une modification psychique susceptible de causer des troubles pour les voyageurs déjà fragiles.

2. Les effets pathogènes du voyage

Les voyages pathologiques tels que décrits précédemment sont peut-être un peu plus éloignés du sujet étant donné le fait que le voyage n’aurait pas de conséquence mais serait une conséquence d’un mal différent. Il conviendra peut-être mieux de parler de voyage pathogène.

Tel que AIRAULT les décrits, les voyages pathogènes concernent les voyageurs qui

deviennent fous une fois en Inde, ces voyageurs sont soumis au même vécu de déréalisation.

La nouvelle terre sur laquelle le voyageur met les pieds est comme un train de folie en marche dans lequel le voyageur monte afin de s’enivrer de cette nouvelle réalité. En effet selon l’auteur le voyage modifierait notre perception sur la réalité de l’existence et nous pousse à nous poser ces éternelles questions sur la vie et la mort. Le voyageur aurait des nouvelles consciences de la vie grâce à son nouvel environnement ce qui le plongerait dans une remise en question existentielle et aussi tôt, il fait abstraction de sa réalité passée pour errer dans ce qu’il considère comme étant sa nouvelle réalité. HELOISE BLANCHE dans sa

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thèse y fera référence également en parlant cette fois du symptôme en voyage et de voyage pathogène et le défini comme le moment où la personne commence à présenter des troubles psychiques dus au voyage et ce même pour les personnes n’ayant aucun antécédent (2016, p.20).

Ce qui est assez paradoxal finalement c’est que le voyageur part pour trouver ou retrouver une partie de son identité et est à la recherche d’une certaine déréalisation qui provoquerait un vacillement de l’identité. C’est ce même vacillement qui ayant atteint un stade trop important peut amener à une décompensation aiguë qu’elle décrit ainsi :

« Les symptômes de ces décompensations aigües peuvent être une anxiété massive avec des attaques de panique, un vécu persécutif, des hallucinations. Les épisodes de dépersonnalisation et déréalisation avec altération de la conscience de soi, du temps et de l’espace et troubles de la mémoire sont particulièrement fréquents. Le voyageur perd ses repères internes et l’environnement lui apparaît comme irréel voire menaçant. » (2016, p.36)

Elle apporte ensuite un regard freudien sur la question. Selon FREUD, le voyage provoquerait de par le changement d’environnement, une intervention de l’inconscient et des souvenirs refoulés propre à chacun. De ce fait, cela touche à une part de l’humain difficile à anticiper. (2016, p.38)

Il convient de s’intéresser également à la notion de choc qui a pour définition : « Émotion violente et soudaine, coup soudain qui frappe quelqu'un dans sa sensibilité, son psychisme, etc. : Recevoir un choc devant une œuvre d'art. »41 La référence à l’art dans la définition nous permet d’établir un lien avec un exemple connu de troubles psychiques à travers le voyage : le syndrome de Stendhal. Il s’agit de manifestations psychopathologiques à la suite d’une confrontation du voyageur à une œuvre d’art ou à une ville d’art notamment en Italie (2016, p.43). Il s’agit du moment où le voyageur n’ayant aucun antécédent psychologique va perdre la raison devant une beauté artistique au point d’être admis en psychiatrie. Tous les voyageurs ne sont pas forcément exposés à ce risque. La psychiatre GRAZIELLA

41 Définition du Larousse en ligne disponible sous le lien suivant :

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MAGHERINI à l’origine de la découverte a pu analyser que les touristes provenant d’Amérique du nord et d’Asie n’étaient pas touchés car leur culture était trop éloignée et les touristes Italiens en Italie étaient également immunisés puisqu’il s’agit de leur propre culture. Les personnes qu’elle a identifiées comme les plus touchées sont des personnes ayant reçu une éducation plus religieuse et classique tournant autour de ces histoires d’art. La raison pour laquelle ils sont la cible prioritaire est la suivante : Lorsqu’un individu décide de concrétiser son envie de voyage, il prend le risque de confronter le mythe à la réalité. De ce fait, s’il n’est pas préparé ce lieu sera source de vacillement et ainsi selon la culture du voyageur on peut déjà commencer à distinguer des lieux propices au troubles psychologiques, il s’agit de lieux à forte charge symbolique. (2016, p.39).

Ainsi les voyages peuvent révéler des folies et peuvent en créer des nouvelles surtout quand le décalage entre l’imaginé et la réalité est trop grand. Il existe d’autre syndromes de voyageurs tels que le syndrome de l’Inde que nous avons déjà beaucoup abordé à travers AIRAULT, le syndrome de Jérusalem (ville occupant une place importante dans les 3 religions monothéistes qui a été confronté à de nombreux touristes de folie), le syndrome de Paris (il est connu pour concerner les touristes japonais à Paris car leur imaginaire collectif autour de la ville est très puissant) JEAN DIDIER URBAIN fera également référence à REGIS AIRAULT lorsqu’il évoquera la notion de voyage contredit et voyage contrarié.