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Section seconde : L’évitement des réformes par le repli vers les traditions institutionnelles

A. Le mépris parisien pour les créations facultaires provinciales

Dès la fin du Second Empire, des revendications se font entendre depuis la province en faveur de la création de nouvelles facultés de droit sur le territoire français. Réticent à remettre en cause la carte dessinée par Napoléon, le régime de son neuveu, en cours de libéralisation a tout de même consenti à la modifier. C’est ainsi qu’il a accepté la mise en place quasi-simultanée des Facultés de droit de Nancy en 1864343 et de Douai en 1865344. D’autres créations ont été envisagées mais la survenance de la Guerre de 1870 les a empêché d’aboutir. Il revient donc à la République d’accomplir le dessein du régime précédent, quitte à en occulter parfois l’origine en le naturalisant comme authentiquement républicain. La ville de Bordeaux est la première à jouir de l’intérêt du régime pour le développement de l’Université et des facultés de droit. Intervenue par décret du 15 décembre 1870345, sa création est parfois présentée, à tort, comme une marque de 342 Cf. École française, Écriture, contenu et réception d’une encyclique, École française de Rome, 1997.

343 Un décret en date du 9 janvier 1864 en porte création. Cf. A. de Beauchamp, Recueil des lois et

règlements sur l’enseignement supérieur comprenant les décisions de la jurisprudence et les avis du Conseil de l’Instruction publique et du Conseil d’État, Delalain frères, 1880-1915, t. 3, p. 637.

344 L’on doit sa création au décret du 28 avril 1865. Cf. ibid., p. 684.

345 La Faculté de droit de Bordeaux est donc créée un peu plus de deux mois après la proclamation de la République. Cf. ibid., p. 797

gratitude du Gouvernement, envers la ville qui l’accueille pendant le siège de Paris. Ce n’est en réalité que l’aboutissement d’un processus entamé sous le Second Empire346. Cette création est en effet le fruit d’une mobilisation intense des acteurs locaux, qui ont déjà fondé dans cette ville une école de droit en 1867347. Celle-ci, non habilitée à délivrer les grades universitaires, dispense toutefois un enseignement juridique de proximité fort apprécié en l’absence de faculté. La stature de centre universitaire, qui ressort de la concentration des quatre facultés, présente néanmoins un avantage certain pour une ville ainsi que pour ses habitants. C’est tout d’abord un stimulant économique, puisque les facultés attirent les fils de bonnes familles de la région, qui s’installent en ville et se fournissent chez les commerçants locaux. Ceci est d’ailleurs d’autant plus vrai en présence d’une faculté de droit, dont la population étudiante est généralement élevée348. Les familles préfèrent de surcroît que leurs fils étudient à proximité du foyer, à la fois pour minimiser le coût des études et garder un œil vigilant sur leur mode de vie. Si ces arguments sont parfaitement sensibles au niveau local, notamment dans la presse du lieu concerné, les grands journaux parisiens y demeurent en revanche peu réceptifs. L’indifférence, l’hostilité même, sont de mise face aux revendications provinciales. La création de la Faculté bordelaise, qui intervient en 1870, n’est certes pas la priorité dans le contexte de guerre qui est celui de la France. Le Figaro met ainsi en scène un 346 Il faut en réalité attendre le mois de février 1871, soit après le fameux décret créateur pour voir le gouvernement rejoindre la ville de Bordeaux. Cf. Éric Bonhomme, « Bordeaux et la Défense nationale », Annales du Midi : revue archéologique, historique et philologique de la France

méridionale, Vol. 110, n°223 (1998), pp. 319-342.

347 Cf. Nicolas Rothe de Barruel, « Thémis pour tous : l’engagement des notables pour une faculté de droit à Bordeaux au XIXe siècle », art. cit., pp. 227-281.

348 C’est un enjeu pour la population locale, dont les gouvernants sont bien conscients. C’est justement pour cela qu’ils font preuve de prudence lorsqu’il s’agit d’ouvrir l’une de ces facultés professionnelles. Les précautions ne sont pas aussi grandes pour les facultés de science et de lettres, dont sont d’ailleurs bien souvent déjà pourvues les villes qui revendiquent l’enseignement universitaire juridique ou médical. Pour l’année 1897-1898 par exemple, le nombre total des inscrits, tous niveaux confondus, dans les différentes facultés des lettres du territoire, varie en pour la plupart des établissements entre 44 et 154. Les facultés lilloise et lyonnaise sont les seules à voir leurs effectifs dépasser les 200 inscrits, loin derrière celle de Paris, qui en compte 1967. Cf. Évelyne Héry, « Les facultés de lettres de province dans la tourmente des réformes de l’enseignement supérieur », Annales de Bretagne et des pays de

personnage fictif qui répond à son interlocuteur interloqué par l’entrain avec lequel il lui annonce la création d’une faculté de droit à Bordeaux : « tu ne comprends donc pas que si le gouvernement peut s’occuper de pareils détails, c’est la preuve évidente qu’il est dégagé désormais de tout autre souci ? » 349. Le ton est ailleurs à l’indifférence : la création de la nouvelle faculté est ainsi annoncée dans le Temps de façon sèche, sans le moindre commentaire superflu350. Les préoccupations parisiennes sont en effet tout autres à l’heure du siège de Paris. Ainsi, la dernière page du même numéro, prodigue aux parisiens quelques conseils sanitaires relatifs à la consommation de la viande de rat en ces temps de pénurie351. Il est compréhensible que, dans un tel contexte, l’éclosion d’une faculté provinciale apparaisse comme le dernier des sujets traités par la presse et irrite même un journaliste du Figaro, qui invite les ministres à rejoindre la province, pour laquelle ils entreprennent visiblement de si grandes choses352. Survenant pendant le conflit franco-prussien, la première création facultaire de la République passe donc presque inaperçue, tout comme la perte de l’Université, et avec elle de la Faculté de droit,

349 Le Figaro, 1870/12/20 (n°354), p. 3. D’un ton volontiers léger, le journal présente souvent les

nouvelles à travers une histoire se voulant drôle, ou des calembours plus ou moins bien sentis. Cela lui permet de donner à ses colonnes un ton à la fois polémique et feutré. Ce mode d’énonciation n’a pas pour vocation de convaincre mais plutôt de donner un sentiment de confort au lecteur qui a l’impression assister à une discussion privée.

350 « Création d’une Faculté de droit à Bordeaux », Le Petit Journal, 1870/12/17 (n°2907), p. 2 ; Le

Gaulois, 1870/12/18 (n°896), p. 3 ; « Instruction publique », Le Temps, 1870/12/20 (n°3581), p. 3. Pour

cette dernière référence, l’annonce du décret s’insère « faute de place » dans une série de brèves formant la rubrique « Actes officiels », qui reprend dans ses grandes lignes le Journal Officiel. Le rejet de l’information en troisième page alors que les journaux n’en comptent alors que quatre est un indice supplémentaire de la maigre importance accordée à la nouvelle.

351 « Consommation de la viande de rat : précautions à prendre », ibid, p. 4.

de Strasbourg353. Les nominations y sont en effet interrompues354 et des transferts de professeurs sont effectués vers d’autres corps administratifs355 ou facultés, comme celle de Nancy356, mais hormis ces indications, l’abandon de l’établissement alsacien n’est pas clairement évoqué.

Une fois sortis du climat de guerre qui est celui de la création de la Faculté de droit bordelaise, les journaux nationaux ne manifestent toujours qu’un intérêt ténu à l’égard de l’augmentation du nombre de facultés en France. Tout laisse à penser que la question n’a guère d’intérêt que pour la province. Les créations sont annoncées, mais les directeurs de publication se contentent bien souvent d’en reproduire les décrets créateurs, sans plus d’émotion. Assez étrangement, le rayonnement de l’Université semble ici moins en cause que dans la construction de nouvelles infrastructures, dont les journaux se préoccupent bien davantage. La question de l’établissement de nouveaux établissements en province est avant tout, vue depuis Paris, un problème financier. C’est pourquoi lors des créations facultaires, la presse nationale semble surtout soucieuse de leur financement, comme c’est d’ailleurs le cas du Gouvernement lui-même. La République a en cela hérité de la politique inaugurée sous le Second Empire en matière de création de nouvelles facultés de droit : cela ne doit nécessiter aucune dépense supplémentaire. Les communes hébergeant les nouvelles facultés de droit doivent ainsi pourvoir à leurs 353 Le passage de l’Université strasbourgeoise entre les mains de l’Allemagne est synonyme de bouleversements, qui se ressentent d’ailleurs clairement dans le domaine architectural. Cf. Marie-Noële Denis, Annelise Gérard, Francis Weidmann, Stéphane Jonas, « Strasbourg et son université impériale, 1871-1918. L’université au centre de la ville », Les Annales de recherche urbaine, n°62-63 (1994), pp. 139-155. L’établissement alsacien acquière également un rayonnement international, comme le montre Natalia Tikhonov-Sigrist, « La vocation internationale de l’Université impériale de Strasbourg (1872-1914) : l’apport russe », Revue russe, vol. 35, n°1 (2011), pp. 87-99.

354 La dernière nomination semble être celle de Jean-Baptiste Le Courtois en tant que professeur titulaire d’une chaire de Droit commercial. Cf. Le Journal des Débats politiques et littéraires, 1870/07/20, p. 2.

355 C’est le cas de Charles-Frédéric Rau, professeur de droit à Strasbourg, nommé conseiller à la Cour de cassation par décret du 4 août 1870. Cf. Le Journal des Débats politiques et littéraire, 1870/08/06, p. 2.

356 Des chaires de toutes les facultés de l’Université strasbourgeoise sont transférées à Nancy en fin d’année 1871 à l’image d’une des deux chaires de droit romain, occupée par Charles Lederlin, dont la nomination épouse le mouvement de cette chaire. Cf. Le Journal des Débats politiques et littéraires, 1871/12/24, p. 2.

dépenses, et même reverser à l’État les bénéfices résultant de leur gestion357. Lorsque le décret créateur est annoncé dans la presse nationale, les modalités de financement sont d’ailleurs la seule information reprise dans le texte. Ainsi, celui-ci précise en général que les recettes devront être reversées à l’État, et que « du jour où cette condition cessera d’être remplie, la Faculté de droit […] cessera par cela même d’exister »358.

Dans le mouvement de créations engagé par la République, les velléités de développement facultaire entrent souvent en conflit entre les deux disciplines souffrant le plus du manque de facultés : le droit et la médecine359. Néanmoins la situation de l’enseignement médical en France est bien plus déficitaire que celui du droit. Au crépuscule de l’Empire, on ne compte que trois facultés de médecine, à Montpellier, Paris et Strasbourg. Cette dernière est d’ailleurs transférée à Nancy en conséquence de la perte de l’Alsace-Lorraine. La faiblesse de l’enseignement médical tient en grande partie à son coût extrêmement élevé, alors que la croissance de l’enseignement juridique ne semble pas devoir peser de manière très significative sur les dépenses publiques et s’inscrit même pleinement dans le projet républicain, dont le droit est un outil. L’inégalité 357 Les facultés de droit sont les seuls établissement de l’enseignement supérieur à avoir des finances à l’équilibre, voire parfois excédentaires. Les recettes reposent principalement sur les paiements semestriels de droits d’inscription par les étudiants. Les professeurs agrégés, qui se partagent initialement les bénéfices de ces inscriptions sont certes très vite assujettis à un traitement, en tant que membres de la fonction publique. Néanmoins la force des effectifs estudiantins conjuguée à la dimension modeste du corps enseignant ainsi qu’au coût fort réduit de l’enseignement juridique, contribuent à une activité non-déficitaire de ces établissements. Ces paramètres ne sont pas réunis chez leurs homologues. Les facultés dites « scientifiques » n’attirent pas autant d’étudiants. En outre le matériel nécessaire à l’enseignement des sciences « dures », c’est à dire celui des facultés de sciences et de médecine, contribuent à creuser les dépenses de celles-ci, même si la dernière peut profiter d’une attirance tout aussi forte de la part des étudiants.

358 « La Faculté de droit de Lyon », Le Temps, 1875/10/31 (n°5310), p. 2.

359 Ce manque est d’ailleurs péniblement comblé dans certains pôles universitaires qui mettent en place des écoles municipales. Ces dernières, essentiellement animées par des professionnels du droit ou de la médecine, tentent d’assurer la formation dans ces matières. Elles n’ont en outre aucune possibilité d’attribuer les grades universitaires. Leurs étudiants ne peuvent donc briguer leurs diplômes qu’auprès des facultés de l’État. Cette opération est coûteuse car elle nécessite de payer également ses inscriptions auprès de ladite faculté, et elle est risquée car les écoles municipales n’arrivent à couvrir qu’une partie des programmes, sur une partie du cursus (généralement la seule première année de licence).

évidente entre les deux enseignements universitaires n’est donc pas à la faveur de la médecine. C’est ainsi que la Commission de décentralisation360 se prononce en 1873 en faveur de la mise en place d’une faculté de droit à Lyon alors que le Conseil supérieur de l’Instruction publique lui préfère celle d’une faculté de médecine361. La municipalité lyonnaise prépare d’ailleurs avec conviction cette création, bien plus que celle d’une faculté de droit362. Face à cette alternative, la question de la création universitaire suscite davantage l’intérêt de la presse, et chaque journal n’hésite pas à prendre position en faveur de l’une ou de l’autre des hypothèses. Ainsi, le journaliste Thomas Grimm prend le parti d’un enseignement médical, considérant la rareté des établissements du genre sur le territoire, ainsi qu’une opposition irréductible, d’ordre méthodologique, entre la Faculté de Paris, matérialiste, et celle de Montpellier, spiritualiste363. Un quadrillage déficitaire de l’enseignement médical explique la prise de position de la majorité de la presse en faveur de la création d’une faculté médicale à Lyon. C’est finalement une 360 Il ne faut pas s’y tromper, cette commission, créée en 1870 dans le prolongement du décret du 13 avril 1861, a pour objet de renforcer l’efficacité administrative par la déconcentration. Cf. Pierre Allorant, « Les boîtes à idées de la réforme de l’administration territoriales en France, de la Restauration à Poincaré (1822-1926) », Parlement (s), n°20 (2013), p. 98.

361 Thomas Grimm, « La ville de Lyon », Le Petit Journal, 1873/06/23 (n°3830), p. 1.

362 La mairie républicaine de Lyon échue en 1872 au proche de Thiers Désiré Barodet, se consacre dès le début de la Troisième République au développement de l’Instruction. Après le développement considérable des écoles primaires ainsi que des bibliothèques, la deuxième ville de France éprouve le besoin d’augmenter son enseignement supérieur, qui se limite alors à deux facultés, de science et de lettres. C’est dans cet objectif qu’un projet assez détaillé est effectué en vue de l’établissement d’une faculté de médecine. Cf. Le Journal des Débats politiques et littéraires, 1873/03/26, p. 3. Ce projet s’inscrit dans un mouvement frénétique par lequel les grandes villes revendiquent des créations similaires puisque c’est aussi le cas de Besançon, Bordeaux, Limoges, Marseille, Nantes, Rennes, Toulouse et Lille. Cf. Le Journal des Débats politiques et littéraires, 1873/05/22, p. 2 et Le Journal des

Débats politiques et littéraires, 1873/06/20, p. 1.

363 Cf. « La ville de Lyon », Le Petit Journal, op. cit. et loc. cit.. Le clivage entre les deux conceptions de l’enseignement médical tient à la place accordée à la religion chrétienne. La médecine matérialiste est celle la plus répandue chez les médecins au XIXe siècle, fortement enclins à l’athéisme. Sur la coexistence de ces deux courants ainsi que sur le caractère relatif de leur cloisonnement, cf. Pierre F. Daled, Spiritualisme et matérialisme au XIXe siècle. L’Université Libre de Bruxelles et la Religion,

Éditions de l’Université de Bruxelles, 1998. La conception spiritualiste, malgré sa faiblesse au sein du corps médical, trouve cependant à se structurer dans le dernier quart du siècle. Cf. Hervé Guillemain, « Les débuts de la médecine catholique en France. La Société médicale Saint-Luc, Saint-Côme et Saint-Damien (1884-1914) », Revue d’histoire du XIXe siècle, 2003 (n°26/27), pp. 227-258.

faculté de droit qui verra le jour en premier, mais une faculté de médecine ne tardera pas à la rejoindre, dès 1877. Les efforts du gouvernement en vue de l’amélioration conjointe des deux enseignements professionnels éteint cependant ces débats autour de la préférence de l’un ou de l’autre dès la fin des années 1870. Les créations de nouvelles facultés de droit ne suscitent plus guère de discussions que dans la presse cléricale, qui y voit désormais, le plus souvent non sans raison, autant de tentatives de faire obstacle aux facultés libres que l’Église s’attache péniblement à organiser364. C’est le cas de la création de la Faculté de droit de Lyon, en 1875365, ou encore de celle de Lille, par transfert de la Faculté douaisienne, de création impériale, en 1887366.

Tandis que les structures universitaires se consolident sur le territoire métropolitain, la République entend accroître son influence territoriale au moyen de la colonisation. Le développement de l’enseignement juridique dans les colonies ne se fait pas toutefois de manière naturelle et les gouvernements se montrent en général réticents à développer les Universités dans les territoires sous influence française367, en tout cas 364 Cf. Léon Aubineau, « Paris, 26 octobre 1875 », L’Univers, 1875/10/27 (n°2955), p. 1.

365 Celle-ci intervient par décret en date du 29 octobre 1875. Cf. A. de Beauchamp, Recueil des lois et

règlements sur l’enseignement supérieur comprenant les décisions de la jurisprudence et les avis du Conseil de l’Instruction publique et du Conseil d’État, op. cit., t. 3, 1884, pp. 93-94.

366 Le transfert est mis en place par décret en date du 22 octobre 1887. Cf. Ibid., t. 4, 1889, pp. 361-362. Sur les discussions que cette opération suscite, voir Serge Domard, « L’enseignement juridique et le corps professoral de la Faculté de droit de Lille, du Second Empire à la première guerre mondiale »,

Revue du Nord, n°384 (2010), pp. 129-132.

367 En Égypte au contraire, le maintien de l’influence française sur l’enseignement juridique local est au contraire recherché face au velléités anglaises, qui seront par ailleurs globalement satisfaites. Néanmoins, il s’agit bien là de lutter pour la diffusion du modèle juridique français alors que l’élargissement de l’Université à l’Empire colonial laisse quant à lui redouter l’émergence d’une concurrence entre les établissements métropolitains et d’outre-mer, voire même la diffusion de savoirs néfastes à la domination française dans ces régions. Le Caire, pourvu d’une École khédiviale ainsi que d’une École française de droit, fait partie au début du XXe siècle des terres d’élection de l’esprit juridique français mais c’est avec difficulté que celui-ci lutte pour se maintenir au sein de l’École khédiviale. C’est finalement à l’issue d’un âpre combat entre juristes français et anglais que la démission du directeur Édouard Lambert, au mois de juin 1907, sonne la curée de l’influence française au sein de l’école. Cf. Catherine Fillon, « L’enseignement du droit, instrument et enjeu de la diplomatie culturelle française. L’exemple de l’Égypte au début du XXe siècle », Mil neuf cent. Revue d’histoire

jusqu’à la fin de la Première Guerre mondiale. Une École supérieure de droit apparaît cependant en 1879 à Alger368. Initialement, sa vocation n’est cependant pas de conférer les grades universitaires. On y dispense néanmoins les principaux cours utiles aux étudiants algériens, principalement pieds-noirs369, en vue de l’obtention de leurs diplômes auprès d’une faculté métropolitaine. Cette formation « à domicile » n’est pourtant pas ce qui justifie la présence d’un tel établissement en Algérie aux yeux de la presse nationale. Bien plus que cela, cet enseignement juridique correspond à un besoin de formation du personnel judiciaire, et en particulier les juges370, aux spécificités juridiques du lieu, où le droit colonial fait coexister le droit français enseigné par toutes les faculté de droit avec un droit musulman autochtone qui confine encore à l’exotisme371. Contrairement au territoire métropolitain, le développement de l’enseignement juridique en Algérie semble alors justifié au regard des particularismes de la justice locale372. Sa nature diffère donc de celui au niveau national puisqu’il ne s’inscrit plus dans une simple logique de quadrillage universitaire, mais répond à un besoin local bien particulier. C’est dans cet esprit que

Une ambition, une expansion (XVIe-XXe siècles), IRJS Éditions, 2014.

368 Cette création se fait conjointement à celle des Écoles supérieures de lettres et de sciences, faisant suite