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Le Français sur Objectifs Spécifiques (FOS)

Le parcours historique et méthodologique du Français sur Objectifs Spécifiques

6- Le Français sur Objectifs Spécifiques (FOS)

À partir des années quatre-vingt-dix du siècle précédent, le Français sur Objectifs Spécifiques (FOS) commence à gagner du terrain malgré un certain essoufflement politique et didactique. Les services culturels relavant du Ministère des Affaires Étrangères proposent des formations pour répondre à des besoins professionnels comme le français médical, le français des affaires, le français des relations internationales, etc. A cela s’ajoute l’intérêt croissant porté à la formation linguistique des étudiants étrangers :

« De fait, la formation linguistique d’étudiants de médecine, de droit, de sciences exactes, est une des priorités de la coopération universitaire. On appelle ces étudiants des non spécialistes (sous entendu : en français) ou encore des publics spécifiques. Cette priorité est illustrée dans presque toutes les aires géographiques (…) Par ailleurs, du côté de la formation initiale, presque toutes les maîtrises de FLE offrent une option français sur objectif spécifique. De façon plus générale, en 1994-1995, la France a accueilli près de 135 000 étudiants étrangers, soit environ 10 % de sa population estudiantine ce qui la mettait en proportion au premier rang des pays industrialisés. Parmi ceux-ci, les étudiants dits scientifiques étaient particulièrement ciblés par les services culturels, dont une des charges est de les orienter le plus efficacement possible vers les formations idoines offertes par les universités » (Cuq & Cruca, 2003 : 325)

Quant au monde éditorial, il s’active afin de répondre au développement du FOS. La preuve en est que Le Français dans le Monde a publié deux numéros spéciaux sur le FOS, l’un Publics spécifiques et communications spécialisées en 1990, l’autre Français sur objectifs spécifiques : de la langue aux métiers en 2004. De même, Eurin et Henao (1992) ont publié Pratiques du français scientifique ainsi que Lehmann (1993) détaille, lui, ce français spécialisé dans Objectifs spécifiques en langues étrangères. Notons aussi la récente publication de Le français sur Objectifs spécifiques et la classe de langue (Carras, Kohler, Sjilagyi et Tolas, 2007).

L’appellation Français sur Objectifs Spécifiques (FOS) est calquée sur l’expression anglaise English for Specific Purposes (ESP) et circule plus volontiers dans les milieux didactiques que le terme « fonctionnel » qui donne lieu à plusieurs significations. Rappelons dans ce contexte les critiques de certains didacticiens préférant l’appellation de l’« enseignement fonctionnel du français » au « français fonctionnel ». Le FOS s’intéresse avant tout aux besoins des apprenants (souvent des adultes et des professionnels) qui veulent suivre des formations bien ciblées compte tenu de leur temps limité consacré à l’apprentissage. Leurs besoins d’apprentissage déterminent les différentes composantes du processus de l’apprentissage (voir chapitre 3)

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6-1 Les origines du Français sur Objectifs Spécifiques

Le Français sur Objectifs Spécifiques trouve ses origines en Angleterre grâce aux travaux de Hutchinson et Waters (1987). Ils s’inscrivent comme les pionniers de l’ESP qui a vu le jour grâce à la publication de leur fameux livre English for Specific Purposes, A Learning centred approche. Dans cet ouvrage, ils soulignent le principe fondamental du FOS: « Toutes les décisions concernant le contenu et la méthodologie sont basées sur les raisons pour lesquelles l’apprenant apprend une langue étrangère » (Hutchinson & Waters, 1987 : 19) Selon les deux auteurs, l’évolution de l’ESP a connu cinq étapes distinctives :

- L’identification d’un registre grammatical et d’un registre lexical pour chaque « type » d’anglais ;

- Le recours à l’analyse du discours et à l’analyse « rhétorique » c’est-à-dire à l’aspect communicatif. Au cours de cette étape, les deux auteurs font allusion à une confusion entre la différenciation des formes de l’ESP par les modes d’organisation des discours et la recherche générale d’une approche de la didactique fondée sur la communication et les interactions ;

- L’analyse de la situation cible et des besoins afférents est liée à un type de processus linguistique, parfois celui de la première phase ou plus généralement celui de la deuxième (compréhension orale /écrit, expression orale/écrit) ;

- L’étude des compétences linguistiques (des skills) et des stratégies de compréhension et d’expression. Dans ce contexte, Henri Portine souligne la différence entre la conception des skills vue par Hutchinson et Waters et la conception classique de ces skills : celle-ci concerne le double binône (compréhension orale, compréhension écrite, expression orale et expression écrite: « la conception classique s’explicitait en termes de tâches alors que la conception exposée par T. Hutchinson et A. Waters l’est en termes de ce processus de pensée », il y a là une différence qui n’a peut-être pas été prise en considération (peut-être du fait de la difficulté à penser l’articulation entre psychologie et didactique des langues» (Portine, 1990 : 66)

- La centration sur l’apprentissage (learning–centred approch) qui se caractérise par un

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langagières et activités cognitives. Notons que l’ESP a connu deux centrations sur l’apprenant: l’une porte sur les besoins de l’apprenant et l’autre concerne le « processus d’apprentissage » de l’apprenant. La première est de type sociolinguistique alors que la deuxième est psycholinguistique.

Selon Portine (1990), l’ESP semble être l’espoir qui pourrait répondre aux préoccupations de plusieurs disciplines (des théories linguistiques de l’énonciation et des théories concernant la philosophie du langage comme celles de Searle (1972) ou de Jacques (1987) au sujet de la compréhension de la cognition. A ce stade, il s’avère nécessaire de citer l’ouvrage de Gallais-Hamonno (1982) Langage, langue et discours économiques pour deux raisons. D’un côté, il constitue un des travaux sur l’ESP faits hors du monde anglo-saxon sans oublier bien sûr ceux du CRAPEL de l’Université de Nancy II. D’un autre côté, l’auteur s’intéresse à l’aspect cognitif. D’après lui, le langage véhicule la théorie : « C’est la théorie et non des divergences entre langues communes d’origine qui marque la distinction entre les différentes langues de spécialité » (Gallais-Hamonno, 1982 : 251-252). Quand un discours s’adresse à un public, il s’agit d’un discours scientifique, mais aussi un discours pédagogique destiné à un public visé. Il note également que les travaux sont caractérisés par ce qu’il appelle « la puissance structurante du concept » à laquelle il reproche le manque d’homogénéité linguistique.

6-2 La problématique du FOS

Branche du Français Langue Étrangère (FLE), le FOS se distingue par certaines spécificités que tout enseignant doit connaître pour assurer ce type de cours dits spécifiques. La prise en compte de ces spécificités constitue une condition préalable pour garantir l’efficacité de toute formation dans ce domaine. Ces spécificités concernent cinq points principaux :

6-2-1 La diversité des publics

Le FOS est marqué avant tout par la diversité de ses publics qui se divisent en trois catégories principales :

- Des professionnels

Il s’agit de professionnels qui veulent faire du FOS en vue de faire face en français aux situations dans leurs milieux du travail. Ce type des publics concerne tous les domaines professionnels : affaires, tourisme, médecine, droit, etc.

60 - Des étudiants

Ce sont souvent des étudiants non francophones qui veulent poursuivre leurs études en français dans leur domaine de spécialité. Ces étudiants peuvent s’inscrire dans une université francophone (française, canadienne, belge, etc.) ou dans une filière francophone dans leurs pays d’origine.

- Des émigrés

Ce sont des étrangers qui viennent s’installer dans un pays francophone avec l’objectif de trouver un créneau professionnel qui leur permettra d’améliorer leur niveau de vie ou du moins d’avoir une rémunération supérieure à ce qu’ils pourraient attendre dans leur pays d’origine.

6-2-2 Les besoins spécifiques des publics

Les besoins spécifiques sont une des caractéristiques principales des publics de FOS. Les publics, mentionnés ci-dessus, veulent apprendre non LE français mais plutôt DU français

POUR agir professionnellement pour reprendre les termes de Lehmann. Il souligne ce point

en précisant : « Se demander ce que des individus ont besoin d’apprendre, c’est poser implicitement qu’ils ne peuvent pas tout apprendre d’une langue, donc que des choix doivent être opérés » (Lehmann, 1993 : 116). Par exemple, des hommes d’affaires chinois veulent apprendre du FOS afin de prendre contact avec leurs homologues francophones : mener une conversation téléphonique, assister à une réunion de travail, lancer une campagne publicitaire pour leurs produits dans un pays francophone, etc. Quant aux étudiants, ils ont pour objectif de suivre des cours, prendre des notes, lire des livres, rédiger des mémoires, passer des examens, etc. D’où la nécessité d’analyser les besoins de ces publics avant l’élaboration des cours en vue de mieux répondre à leurs besoins. Nous détaillerons le profil des publics de FOS dans le chapitre suivant.

6-2-3 Le temps limité consacré à l’apprentissage

Les publics, qu’ils soient professionnels ou étudiants, ont un temps assez limité pour suivre des formations de FOS. Ils ont déjà leurs engagements professionnels ou universitaires. Par conséquent, ils sont souvent obligés de suivre les cours de FOS soit pendant le week-end soit à la fin de la journée. Fatigués, ces publics finissent souvent par abandonner leurs cours.

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6-2-4 La rentabilité de l’apprentissage du FOS

En suivant des cours de FOS, les apprenants ont des objectifs très précis à atteindre au terme de la formation. Par exemple, les professionnels veulent réussir leur carrière dans leurs entreprises en se distinguant de leurs collègues qui ne maîtrisent pas le français des affaires. « Le français des affaires est supposé fonctionner comme une espèce d’accélérateur de carrière, en apportant en quelque sorte un capital social » (Porcher, 2002 : 87). Ils pourront par l’acquisition de cette compétence langagière obtenir une augmentation de leurs salaires ou être promus. Quant aux étudiants, ils veulent mieux se préparer au marché du travail. En revanche, les publics de FLE n’ont pas toujours des buts très définis professionnellement. Selon notre expérience d’enseignement du FLE, les apprenants ont souvent des objectifs plus flous par rapport à leurs homologues de FOS.

6-2-5 La motivation des publics

Vu que les publics de FOS ont des objectifs bien définis dont la rentabilité devrait être quasi-immédiate, ils font montre d’une grande motivation lors de l’apprentissage, d’où la réciprocité entre rentabilité et motivation au cours de la formation. Plus l’apprentissage est rentable, plus les apprenants sont motivés à suivre les cours de FOS. C’est grâce à cette motivation que certains apprenants peuvent faire face aux différentes difficultés qu’on développera plus loin. La figure suivante montre les différentes spécificités du FOS :

Figure 5 : Les spécificités des publics de FOS

Actuellement, le champ du FOS touche tous les domaines professionnels et estudiantins. On peut citer à titre d’exemple quelques domaines :

- Le français des affaires,

- Le français de l’hôtellerie et du tourisme, - Le français scientifique et technique,

FOS Diversité des publics Temps limité Besoins spécifiques Rentabilité de l’apprentissage Motivation des publics

62 - Le français juridique,

- Le français des relations internationales, - Le français de la médecine,

- Le français des relations publiques et de l’administration, - Le français du secrétariat,

- Le français des sciences sociales et humaines, - Le français de l’informatique,

- Le français journalistique, - Le français des transports,

- Le français des postes et télécommunications, - Le français de traduction ou d’interprétation,

Au sein des milieux didactiques, on constate une vision quasiment partagée par la plupart des spécialistes de FOS. Ceux-ci s’accordent sur l’idée qu’il n’y a pas d’enseignement sans objectifs et qu’il n’y a pas d’enseignement sans spécification des objectifs. Il s’agit plutôt des priorités de l’enseignement visé par le public concerné. Foltète (2002), enseignante à la Chambre du Commerce et d’Industrie de Paris (CCIP), exprime cette idée tout en mettant l’accent sur la notion de l’opérationnalité :

« Je voudrais aussi lier ou associer le FOS dans les entreprises à la notion d’ « opérationnalité ». On doit arriver à des performances qui se mesurent à partir de référentiels, à partir desquels on doit travailler en milieux d’entreprises. Ainsi, le FOS est synonyme d’ « opérationnalité » et de « référentiels ». Il n’y a pas de fracture entre le FOS et le français littéraire ou autre. Pour moi, c’est uniquement une question de priorités ».

(Foltète

,

2002 : 72) Certains enseignants ont exclu la littérature et la linguistique du champ du FOS, ce qui nous paraît infondé, car le FOS est un enseignement qui vise à réaliser en français une tâche précise et répondre à un besoin déterminé. Prenons l’exemple d’un cours de français littéraire. Des élèves étudient un extrait d’une pièce de théâtre de Molière (tiré de l’Avare par exemple). Une tâche précise leur est assignée : rédiger un commentaire et donner une vision moderne de l’avarice. Pour ce faire, le professeur pourrait, d’un côté, exploiter un tel extrait en vue de mener un débat sur ce comportement maladif pour amener les élèves à rédiger leur commentaire. D’un autre côté, ce cours répond également à un besoin de « savoir » chez les élèves : la découverte d’un des aspects de la vie sociale en France au dix-septième siècle.

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Soulignons aussi un autre type de FOS qui mérite d’être mis en relief, celui du français de

scolarisation lancé par Davin (2002). En tant que formatrice des enseignants travaillant dans

les CLIN c’est-à-dire les classes d’initiation et les classes d’accueil, elle a pris conscience de la situation des élèves étrangers qui arrivent massivement en France. Ces élèves étrangers ont du mal à s’intégrer dans le système scolaire français à cause de la faiblesse de leurs compétences communicatives. Nous avons pris connaissance, lors de notre travail à l’académie de Nice en tant qu’assistant de langue, du cas d’une élève tunisienne arrivée en France dans le cadre du regroupement familial. Son niveau en français lui permettait de se débrouiller dans la vie quotidienne, mais elle avait des difficultés à suivre ses cours de mathématiques, de biologie, de physique, etc. Ses enseignants ont essayé de lui donner des cours de soutien, mais ceux-ci n’ont pas réellement aidé la jeune fille tunisienne à surmonter ses difficultés scolaires et elle a fini par être réorientée vers une formation professionnelle. Une telle situation a poussé Davin (2002) à faire la remarque suivante : « Mais ils (les élèves étrangers) ne peuvent intégrer le système scolaire qu’à partir d’un certain français spécifique, d’un certain lexique, qu’on ne peut pas maîtriser à partir de la langue de communication quotidienne, ce qui rend impossible leur intégration. Je me suis donc dit que cette langue de scolarisation pourrait aussi être un français objectif sur spécifique »

(Davin, 2002 : 92)

Face à cette situation, Davin ne cesse de poser des questions dans le but de trouver des solutions à ce problème : « Quelle didactique scolaire pour ce français qu’on appelle langue de scolarisation ? (…) quels sont ses rapports avec le français langue étrangère ? (…) quels dispositifs d’apprentissage, d’enseignement d’apprentissage, le professeur doit-il construire pour répondre aux attentes de l’institution ? (…) quel dosage en français langue étrangère et en français langue maternelle ? (Ibidem: 93). De surcroît, l’auteur de ces questions constate l’absence d’une méthode ou d’une méthodologie qui puisse satisfaire les besoins scolaires de ce type de français dont la spécificité première est d’être scolaire, c’est-à-dire un outil d’apprentissage pour apprendre les autres disciplines. Reste à noter que l’exemple du français scolaire démontre que le champ du FOS ne cesse de développer pour atteindre d’autres dimensions ou pour répondre à de nouveaux besoins qui émergent dans les mondes scolaire, universitaire ou professionnel. Le cas du Français Langue Professionnelle qui prend un grand essor au début des années 2000 en est un exemple.

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