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II. Le cervelet

II.2. Le développement du cervelet

Alors que la morphologie du cervelet adulte a été bien comprise au cours du dernier siècle (Ramon y Cajal, 1911), les mécanismes moléculaires qui conduisent au développement du cervelet n’ont commencé à être élucidés que plus récemment. L’analyse d’organismes modèles comme le poulet et la souris, alliée au développement de technologies génétiques permettant de cartographier le destin cellulaire, ont permis de clarifier la relation entre les populations de cellules différenciées et les progéniteurs neuronaux.

II.2.1. Mise en place du territoire présomptif du cervelet

Les études embryologiques de chimères caille-poulet basées sur la greffe de régions morphologiques du tube neural avaient suggéré que le cervelet recevait une contribution à la fois du mésencéphale et du métencéphale (Alvarez Otero et al., 1993; Hallonet and Le Douarin, 1993). Par la suite, d’autres expériences de transplantation utilisant des marqueurs moléculaires et des expériences de lignage dans des embryons de souris ont démontré que le cervelet dérive entièrement du rhombomère 1 (Wingate and Hatten, 1999; Zervas et al., 2004).

II.2.1.a. Limite antérieure

Le développement du cervelet commence très tôt, à E8,5 chez la souris, quand la frontière mésencéphale-rhombencéphale se met en place établissant la limite antérieure du territoire présomptif du cervelet. Cette frontière est déterminée par la limite d’expression des gènes Otx2 et Gbx2, exprimés respectivement dans le CNS antérieur et dans le rhombencéphale, et qui se répriment mutuellement (Figure 9) (Broccoli et al., 1999; Liu and Joyner, 2001). Dès lors, au niveau de la frontière mésencéphale-rhombencéphale, apparaît un centre de signalisation transitoire appelé organiseur isthmique (IsO pour isthmus organizer) (Nakamura et al., 2008). Le principal médiateur de l’IsO est la molécule secrétée Fgf8 (fibroblast growth factor 8) qui est indispensable au maintien de la frontière mésencéphale-rhombencéphale et du territoire cérébelleux. En effet des expériences de gain de fonction dans des embryons de poulet et de souris ont révélé que l’expression ectopique de Fgf8 dans le diencéphale ou le mésencéphale induit une diminution de l’expression d’Otx2 et la formation d’un tissu similaire au métencéphale dont la structure ressemble fortement à celle du cervelet (Crossley et al., 1996; Martinez et al., 1999). De plus l’inactivation de Fgf8 conduit à la perte du cervelet et à une extension postérieure d’Otx2 dans le R1 (Meyers et al., 1998; Chi et al., 2003). Cette expérience démontre que Fgf8 est requis pour induire la formation du cervelet, mais pas de manière directe,

puisque chez le poisson-zèbre, la répression du gène Otx2 dans le rhombencéphale des mutants Fgf8 est suffisante pour sauver le phénotype « sans cervelet » (Foucher et al., 2006). La capacité de Fgf8 à induire différentes structures ne dépend pas seulement de la force de son signal mais également de sa durée. Par exemple, une expression transitoire de Fgf8 entre E8,5 et E10 est suffisante pour induire la formation des hémisphères du cervelet mais pas la formation du vermis (Figure 9B) (Sato and Joyner, 2009).

Plusieurs autres gènes sont impliqués dans le développement et le maintien du territoire cérébelleux, comme Wnt1 et le gène Lmx1b codant un facteur de transcription à homéodomaine de type LIM. Ce dernier est exprimé dans le domaine d’expression d’Otx2 le plus postérieur, juste antérieurement à Fgf8. Les cellules Lmx1b positives inhibent Fgf8 et activent la sécrétion de la molécule Wnt1 qui va, elle, induire l’expression de Fgf8 dans les cellules adjacentes. Cette boucle de régulation est complétée par la régulation positive de Lmx1b par la molécule sécrétée Fgf8. Tout comme pour le mutant Fgf8, la perte de Wnt1 a pour conséquence une délétion du territoire cérébelleux (Thomas and Capecchi, 1990). Ainsi l’activité des gènes Gbx2, Fgf8 et Wnt1 induit le développement du cervelet à partir du rhombomère r1, alors que l’activité des gènes Otx2 et Lmx1b le réprime.

II.2.1.b. Limite postérieure

La limite postérieure du territoire cérébelleux correspond à la frontière r1/r2, marquée par la limite antérieure du domaine d’expression du gène Hoxa2 (Figure 9A) (Eddison et al., 2004). Cette frontière est importante pour la définition du domaine du cervelet puisqu’une mutation de Hoxa2 entraine une extension postérieure du cervelet (Gavalas et al., 1997).

En résumé, le cervelet émerge du rhombomère 1, une région délimitée antérieurement par l’expression du gène Otx2, postérieurement par celle du gène Hoxa2 et qui exprime Gbx2. Entre E9,5 et E12,5, le rhombomère 1 va subir une rotation de presque 90° convertissant l’axe antéro-postérieur en un axe médio-latéral (Figure 9C). La partie médiale de l’axe (anciennement la plus antérieure de r1) formera le vermis et la partie latérale formera les hémisphères (Sgaier et al., 2005). La délimitation dorso-ventrale du territoire présomptif est, comparée à la délimitation antéro-postérieure, moins bien comprise du point de vue moléculaire. Cependant, des expériences de transplantation caille-poulet ont permis de déterminer que le cervelet dérive de la partie dorsale de r1 (Figure 9A) (Hallonet and Le Douarin, 1993).

Figure 9: Définition du territoire présomptif du cervelet

(A) Schéma en vue dorsale (panel du haut) et coronale (panel du bas) d’un embryon. La zone

verte représente le territoire présomptif du cervelet, exprimant Gbx2 et juxtaposée entre les domaines d’expression des gènes Otx2 et Hoxa2. (B) Schéma d’expression d’Otx2, Gbx2, Wnt1 et Fgf8 dans différents mutants. En rouge, la position de l’IsO dépend de l’expression de ces gènes et redéfinit le territoire présomptif du cervelet. (C) Entre E9,5 et E12,5, le rhombomère 1 va subir une rotation latérale de 90°. La région la plus antérieure donnera le vermis et les paravermis (rouge et jaune) et la région postérieure donnera les hémisphères, les paraflocculi et les flocculi (vert et bleu). 4v : quatrième ventricule, Iso : organiseur isthmique, h : hémisphère, v : vermis. Adapté de Chizhikov et Millen, Patterning and cell type specification in the developing CNS and PNS, première édition, chapitre 22.

II.2.2. Les zones germinatives

Une fois le territoire cérébelleux établi, deux zones germinatives, distinctes au plan anatomique et moléculaire, se forment : la zone ventriculaire et la lèvre rhombique, à partir desquelles vont dériver tous les neurones et toutes les cellules gliales du cervelet (Figure 10).

II.2.2.a. La zone ventriculaire

La zone ventriculaire (VZ pour ventricular zone) est localisée le long du revêtement dorsal du 4ème ventricule. Elle donne naissance à tous les neurones GABAergiques (inhibiteurs) et est caractérisée par l’expression du facteur de transcription Ptf1a (Hoshino et al., 2005). Ce dernier est indispensable à la spécification de ces neurones puisque sa délétion conduit à la

perte totale des neurones GABAergiques, devenus glutamatergiques (Pascual et al., 2007). A l’inverse, son expression ectopique dans la lèvre rhombique conduit à la production de neurones GABAergiques (Yamada et al., 2014). Chez la souris, les cellules de Purkinje naissent entre E10, 5 et E13,5, les neurones GABAergiques des noyaux profonds cérébelleux entre E10,5 et E11,5 et les cellules de Golgi apparaissent approximativement entre E13,5 et la naissance (Hallonet and Le Douarin, 1993). Une seconde vague de production de cellules neuronales, incluant les cellules à corbeille et en étoile, a lieu un peu plus tard avec un pic autour de la naissance (Figure 10) (Yamada et al., 2014). Une fois les mitoses de leurs précurseurs finies, les cellules de Purkinje migrent radialement le long des fibres gliales vers la surface. Initialement, les cellules de Purkinje sont disposées sur plusieurs couches, et n’adopteront la disposition en monocouche qu’après la naissance (Xu et al., 2013). Tout comme les cellules de Purkinje, tous les neurones dérivés de précurseurs de la ZV migrent radialement, à partir de celle-ci, dans le primordium du cervelet situé juste au-dessus.

II.2.2.b. La lèvre rhombique

La seconde zone germinative du cervelet est la portion de la lèvre rhombique contenue dans le rhombomère 1, aussi appelée lèvre rhombique supérieure (URL) (Machold and Fishell, 2009). Elle exprime le facteur de transcription Atoh1. Pendant longtemps on a pensé qu’elle n’était à l’origine que des cellules granulaires (Altman and Bayer, 1978). On sait aujourd’hui que des neurones des noyaux profonds et les UBC dérivent également de l’URL (Mugnaini et al., 2011). Chez la souris, les premières cellules du cervelet à dériver de l’URL, entre E10,5 et E12,5, sont les neurones glutamatergiques des noyaux profonds cérébelleux, qui vont migrer tangentiellement le long de la surface avant de migrer radialement pour rejoindre leur position finale. A partir de E12,5 et jusqu’à E17, les GCP naissent et suivent la même migration tangentielle pour créer la couche granulaire externe (EGL pour external granular layer). Récemment, une étude a démontré qu’il existe une sous-population de GCP n’exprimant pas Atoh1, représentant entre 3 et 5% des GCP totaux, qui ne dérive pas de l’URL mais plutôt de la zone ventriculaire (Li et al., 2013). Les caractéristiques de cette sous-population, exprimant le marqueur Nestin, sont encore très mal comprises, c’est pourquoi nous définirons ici les GCP comme la population dérivée de la lèvre rhombique et définie par le marqueur Atoh1. La troisième population cellulaire qui dérive de l’URL constitue les UBC qui naissent à partir de E13,5 avec un pic de production entre E15,5 et E17,5 (Figure 10) (Ben-Arie et al., 1997;

l’exception des GCP qui le maintiennent dans l’EGL jusqu’à leur différenciation. Tout comme pour Ptf1a, des expériences ont montré que le KO de Atoh1 conduit à la perte des cellules glutamatergiques du cervelet (Wang and Zoghbi, 2001; Machold and Fishell, 2005). De plus, l’expression ectopique de Atoh1 dans la zone ventriculaire conduit à la production de cellules glutamatergiques à partir de celle-ci suggérant que, comme pour Ptf1a et les neurones GABAergiques, l’expression de Atoh1 est nécessaire et indispensable à la production des neurones glutamatergiques (Yamada et al., 2014).

Figure 10: Les zones germinatives du cervelet

(A) La zone ventriculaire (en rose) et la lèvre rhombique (en bleu) sont à l’origine de toutes les cellules du cervelet qui naissent à partir de E10,5 et jusqu'à après la naissance (B) Calendrier temporal de la neurogenèse des différents types neuronaux du cervelet à partir de la lèvre rhombique et de la zone ventriculaire. ChP : plexus choroïde, DCN : noyaux profonds cérébelleux, RL : lèvre rhombique, VZ : zone ventriculaire. Adapté de Chizhikov et Millen, Patterning and cell type specification in the developing CNS and PNS, première édition, chapitre 22 et de Yamada et al. (2014).