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L’ ETAT DES POPULATIONS D ’ ECUREUILS ROUX EN

3. Quels habitats en France ?

3.2. Le cas particulier des zones urbaines

Si l’écureuil roux est un rongeur forestier (Lurz et al. 2005), il est néanmoins capable de s’adapter à des environnements urbains ou périurbains (Verbeylen et al. 2003a; Babinska-Werka & Zolw 2008). L’urbanisation est aujourd’hui reconnue comme l’une des plus importantes perturbations anthropiques affectant la biodiversité, contribuant à la destruction et la fragmentation des habitats (Czech et al. 2000; McKinney 2002; McDonald et al. 2008;

McKinney 2008).

L’urbanisation est croissante ; avec depuis 2007, plus de la moitié de la population mondiale vivant dans des villes (UNFPA 2011b). Si les paysages urbains sont caractérisés par leur niveau élevé de fragmentation (Dickman 1987), ils incluent toutefois des habitats comme les parcs urbains, les jardins, ou encore les forêts suburbaines, habitats « semi naturels » qui peuvent jouer un rôle de refuge pour la flore et la faune, et présenter parfois des niveaux de biodiversité assez élevés (Savard et al. 2000; Cornelis & Hermy 2004; Alvey 2006). Les écureuils font partie des espèces pour lesquelles ce type d’habitat peut se révéler favorable (Baker & Harris 2007;

Parker & Nilon 2008; McCleery & Parker 2011) malgré leur faible superficie et leur isolement (Alvey 2006).

Répartition et urbanisation : ce que dit l’enquête

A partir des données collectées lors de l’enquête de répartition de l’écureuil roux en France, nous avons testé l’influence du degré d’urbanisation de la commune sur la distribution des observations d’écureuils. Pour cela, nous avons comparé la distribution de communes dans lesquelles des observations d’écureuils avaient été faites par rapport à la distribution sur un

45 tirage aléatoire des communes de France en fonction de la surface urbanisée des communes (Figure I. 9).

Figure I.9 : Comparaison de la distribution des communes (en %) avec observation d’écureuils roux (histogramme sombre) par rapport à la distribution sur un tirage aléatoire des communes de France (histogramme clair), selon les proportions de surfaces urbanisées (en %) (Article 1).

L’analyse de cette variable montre qu’un nombre conséquent d’observations a été fait dans des communes dont une proportion importante de la surface est urbanisée, ceci quel que soit le pourcentage d’urbanisation (excepté la classe 0-1%).

Ce résultat peut toutefois être mis en relation avec la probabilité plus importante d’obtenir des réponses dans les communes les plus urbanisées (plus grand nombre d’observateurs), se traduisant par une sous-représentation des communes dont la surface urbanisée représente moins de 1% et une sur-représentation des autres classes.

Ecureuils roux au Parc de Sceaux : cas d’étude

Afin d’étudier l’intérêt de certains habitats urbains pour cette espèce, nous avons suivi une population d’écureuils roux située dans un parc de la région parisienne, le Parc de Sceaux localisé dans les Hauts-de-Seine, à 6 km au sud de Paris (Article 3). Ce parc est fréquenté par plus de deux millions de visiteurs par an, dont certains nourrissent les espèces sauvages présentes sur le site, notamment des passereaux (mésanges), deux espèces introduites, la perruche à Collier (Psittacula krameri) (Clergeau et al. 2009) et le tamia de Sibérie (Tamias sibiricus) (Chapuis et al. 2011b), et l’écureuil roux. Il a été mis en évidence sur d’autres sites d’étude qu’un apport de nourriture, assurant une meilleure survie des individus pendant les périodes de pénurie, conduit à une augmentation de l’abondance de ces espèces associées à ce type d’habitat (Baker & Harris 2007; McCleery et al. 2008; Parker & Nilon 2008; McCleery &

Parker 2011).

Proportion de communes (%)

Surfaces urbanisées (%)

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Figure I. 10. Présentation du site d’étude, dans la partie est du Parc de Sceaux (Hauts-de-Seine), et localisation des pièges.

Afin de caractériser cette population urbaine, nous avons estimé ses paramètres démographiques (densité, survie) par capture-marquage-recapture. Les piégeages ont été effectués durant cinq jours consécutifs en mars 2010, et 2011, février et juin 2011 et février et juin 2012, sur une surface d’environ 30 ha.

Les densités ont été estimées à l’aide de modèles de capture-recapture spatialement explicites (Efford 2004; Borchers & Efford 2008), et les survies annuelles de la population en utilisant le modèle « Robust design » de Pollock (1982) (Kendall et al. 1997).

Par ailleurs, en mars 2010, dix écureuils roux (cinq mâles et cinq femelles) ont été équipés d’un collier émetteur et suivis jusqu’au mois de novembre de la même année. Les surfaces des domaines vitaux des animaux (Worton 1989), des centres d’activités et leur taux de recouvrement ont été estimés par les méthodes préconisées par Wauters et al. (2007) (pour plus de détails sur les méthodologies utilisées voir l’Article 3).

Les densités estimées sont élevées et stables entre les sessions de capture, fluctuant entre 1,2±0,2 et 2,0±0,3 ind.ha-1. Ces densités sont supérieures à celles habituellement reportées pour cette espèce (Wauters et al. 2001b) (Kenward et al. 1998), notamment dans les habitats

47 fragmentés où de telles densités ne sont atteintes que dans des sites, tel le nôtre, avec apport de nourriture (Verbeylen et al. 2003b), et plus rarement en milieu forestier (Wauters et al. 2004).

La survie annuelle estimée par Robust-design est élevée (♀0,81±0,08 ; ♂0,77±0,09), probablement en relation avec la disponibilité en nourriture (Gurnell 1983; Wauters et al.

2004a). Les principales causes de mortalité rencontrées en milieu urbain pour cette espèce sont le trafic routier (Forman & Alexander 1998) et les prédateurs domestiques, notamment le chat Felis silvestris (Ditchkoff et al. 2006). Cependant, la position de notre site d’étude isole les individus des risques de collision sur les routes, et si des chats domestiques sont observés, ils restent peu fréquents.

Les superficies des domaines vitaux annuels estimés sur ce site sont comprises entre 2,2 et 6,1 hectares, ce qui est faible pour cette espèce (voir Andren & Delin 1994; Wauters et al. 2000;

Wauters et al. 2007; Romeo et al. 2010). Par ailleurs, nos résultats indiquent que la taille des domaines vitaux et des centres d’activités des écureuils roux ne varient pas en fonction du sexe de l’animal, contrairement à ce qui est observé en milieu plus naturel chez cette espèce à système de reproduction par promiscuité (Wauters et al. 1990). Dans ces habitats, les mâles présentent des domaines vitaux de grande surface afin d’augmenter leur chance de contact avec le maximum de femelles (Wauters & Dhondt 1992; Lurz et al. 2005; Romeo et al. 2010). Dans notre situation, en présence d’une forte densité en individus, les mâles ont accès à un grand nombre de femelles sur une surface limitée. Les domaines vitaux des femelles sont quant à eux principalement influencés par la disponibilité alimentaire (Lurz et al. 2000; Verbeylen et al.

2009), le nourrissage par le public contribuant à la diminution des surfaces utilisées. De plus l’abondance en ressources alimentaires a conduit à une absence de territorialité chez les femelles adultes, mise en évidence par des taux de recouvrement des centres d’activité importants (voir DiPierro et al. 2008). Par ailleurs la structure du parc (pelouses, bassins) conditionne probablement l’occupation de l’espace par cette population.

Cette étude montre que certaines caractéristiques de l’environnement urbain sont susceptibles d’influer sur les traits d’histoire de vie de l’écureuil roux. Les fortes densités observées, associées à une survie élevée des populations, suggèrent que l’apport de nourriture a un effet positif sur cette petite population isolée, en tous les cas actuellement. Les parcs urbains pourraient ainsi constituer des habitats particulièrement intéressants pour cette espèce sensible à la fragmentation (Koprowski 2005), jouant un rôle de refuge au sein d’un environnement inhospitalier pour l’espèce. Ces résultats mériteraient d’être confirmés par une poursuite du suivi de la population, pour vérifier que cette population isolée n’est pas sujette à des

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événements démographiques et génétiques caractéristiques des petites populations isolées. Il semblerait que les fortes densités observées conduisent à diminuer le recrutement des jeunes dans la population (voir Shuttleworth 1996; Lurz et al. 2005). Associé aux fortes survies adultes, une très faible proportion de juvéniles a été capturée sur ce site suggérant un probable vieillissement de la population, avec de possibles conséquences sur la dynamique de cette population sur le plus long terme.

C HAPITRE II.

U NE NOUVELLE ESPECE D ECUREUIL ARBORICOLE